Je fais partie d'un groupe de copains qui organisons régulièrement
(de façon semi-confidentielle) des projections de nanars.
Le nanar, c'est un film qui est tellement mauvais qu'il en
devient bon : notion insaisissable s'il en est, et qui conduit souvent
à des débats pour savoir si tel ou tel film est un bon nanar
ou juste vraiment mauvais
ou, au contraire, secrètement
excellent
, ou encore vraiment bon au second degré
(et le
débat n'est pas clair sur le rapport entre ces différentes
notions).
Pour l'instant, notre consensus sur la palme absolue revient à Dünyayı kurtaran adam (officieusement Turkish Star Wars), un film de science-fiction turc des années '80, tout en carton-pâte et en récupération de musiques voire de séquences d'autres films (comme Star Wars, d'où le titre alternatif), où le héros, armé de bottes et de gants en or magiques, redécouvre l'Islam et sauve l'humanité d'un grand méchant commandant des zombies qui veut récupérer un cerveau humain pour détruire la Terre… ou quelque chose comme ça. (Il paraît que la suite est sortie, mais qu'elle n'est pas du tout à la hauteur de l'original : sans doute parce que l'original se prend au sérieux et pas la suite — or si un mauvais film sérieux peut faire un bon nanar, un mauvais film comique fait souvent juste un mauvais film comique.)
Parmi les autres petits joyaux de la nanaritude que j'ai découverts
au nanar-club, il y a
aussi White
Fire (aka Vivre pour Survivre) : histoire de
plus gros diamant du monde qui brûle tous ceux qui s'en approchent (film
dans lequel l'héroïne se fait tuer absolument sans raison puis le
héros rencontre quelqu'un qui censément lui ressemble et l'envoie se
faire faire de la chirurgie esthétique de façon à ce que l'actrice
initiale puisse continuer à jouer le rôle de l'héroïne — c'est
vraiment bizarre) ; Doc
Savage : un film d'aventure dont le degré défie les lois de
l'arithmétique en étant à la fois plus grand que 2 et plus petit que
1 ; Yor, le
chasseur du futur : où le héros
(pas
trop mal foutu d'ailleurs) commence comme une sorte de
Rahan, chasseur
dans un monde préhistorique (bon, il ne chasse jamais rien, il ne fait
que détruire accidentellement tout ce qu'il touche, mais il paraît que
c'est quand même un chasseur), et finit inexplicablement par affronter
une douzaine de clones
de Darth
Vader dirigés par un grand méchant fort opportunément
nommé Overlord
; Flash
Gordon : qui prouve que le ridicule ne tue décidément pas,
mais qu'est-ce que ça a quand même dû coûter
cher ; Howard
the Duck : l'œuvre que George Lucas essaie
désespérément de faire oublier (ça fait moins glamour d'être auteur de
l'histoire d'un canard extraterrestre qui tue un grand seigneur noir
de l'espace, que d'être l'auteur de Star
Wars — même si à la réflexion on voit que c'est le même
esprit) ; ou
bien Le Jour et
la Nuit de Bernard-Henri-Lévy-Philosophe-Télé : le film qui
prouve que les intellos français peuvent faire de très bons nanars
avec leurs pensées profondes. Ah, et il y avait aussi une histoire de
quelqu'un qui se transformait en dindon géant tueur d'humains parce
qu'il avait pris des drogues et que des savants fou avaient fait des
expériences sur lui, mais malheureusement je ne me rappelle plus le
titre de cet ovni.
N'oublions pas non plus le classique des classiques, le joyau de la
couronne du plus mauvais réalisateurs de tous les temps, le
génialement
mauvais Plan 9
from Outer Space, où des extra-terrestres ressuscitent les
morts sous forme de zombies pour obliger les humains à reconnaître
leur existence et les conduire à faire la paix afin d'éviter qu'ils
fabriquent l'arme ultime qui détruira tout l'Univers en faisant
exploser les molécules de rayons solaires (si, si !) ; un film célèbre
pour des phrases aussi invraisemblables que we are
all interested in the future, for that is where you and I are going to
spend the rest of our lives; and remember, my friend, future events
such as these will affect you in the future
; un film, aussi, qui
contient des scènes jouées par le grand Béla Lugosi alors que le film
a été commencé après la mort de celui-ci. (À ce sujet, je recommande
vivement le
film Ed
Wood de Tim Burton, qui raconte notamment les circonstances
du tournage de Plan 9 from Outer Space : en
le voyant, on se dit que, non, ce n'est pas possible, c'est trop gros,
et on lit ensuite sur Wikipédia
que, si,
pratiquement tout est authentique.)
Mais hier la nanaritude de nos projections a atteint des sommets
plus exotiques
avec देवी
माँ (Devī
Mã), un petit chef d'œuvre du kitsch issu des studios
bollywoodiens. C'est l'histoire du roi des démons qui veut dominer le
monde et devenir immortel en tuant la déesse-mère
(la Devī
Mã
éponyme — que les sous-titres anglais que nous avions
traduisaient d'ailleurs en godmother
, un
contresens amusant) : comme ses premières tentatives à base de plantes
maléfiques échouent, il doit capturer une petite fille qui est à la
fois la fille et l'incarnation de la déesse (ce n'est, disons, pas
très clair). La déesse essaie de convaincre la mère (humaine) de la
petite fille de lui livrer la fille, mais la mère refuse, d'où soucis
divers et variés (en fait, la dispute entre la mère humaine et la
déesse occupe beaucoup plus le film que l'histoire du roi des démons).
Les rebondissements sont subtils et tout à fait inattendus
(indication : tous les personnages féminins — autres
que l'héroïne — apparaissant dans le film sont, en fait, des
incarnations de la déesse, et pour ceux qui ne comprendraient pas avec
les serpents partout, elle clignote régulièrement sous sa forme divine
à la peau bleue et armée d'un trident). Les effets spéciaux sont
subtils et raffinés (le roi des démons sait se rendre transparent,
mais le clou du spectacle est le squelette géant crachant du feu qui
apparaît à la fin : si on en juge par sa façon d'exploser en petits
triangles, il a demandé au moins une microseconde de calcul à un
ordinateur quelque part). Et surtout, on a droit à à peu près une
seule phrase musicale (le Leitmotiv de la déesse)
répétée pendant deux heures, à la fin on devient fou à l'entendre.
Les intermèdes dansés (au son de l'unique phrase musicale, donc) sont
délicieusement interminables. Bref, du grand nanar. Nous avons tous
regretté de ne pas avoir
invité Joël pour nous
détailler l'herméneutique sans laquelle nous étions perdus dans la
complexité du scénario.
Mise à jour : Le nanar'club a un blog ! (un skyblog, ça s'imposait…)