Je me plains périodiquement que Têtu est un torchon branchouille-snob et vide de contenu.
Pour être honnête, je ne sais pas s'il pourrait vraiment en être
autrement : je ne suis pas certain de ce qui devrait figurer,
dans le meilleur des mondes, dans un magazine gay et lesbien (enfin,
s'agissant de Têtu, le et lesbien
il faut le dire
très très vite) qui ne soit pas totalement nul ; j'ai l'impression que
Têtu eut été moins nul, mais ce n'est peut-être qu'une
illusion, un souvenir faux du temps où j'étais jeune-con-et-fou (ce
qui est vrai, en revanche, c'est qu'il y eut un temps où la couverture
ne représentait pas systématiquement un minet à poil[#]). Il y eut même un temps où on
eut vu une femme en couverture de Têtu : si, si,
c'est possible : sur le nº38 (octobre 1999), par exemple. il y a une
jolie photo de Christine
Angot en couverture. Passons.
Pourtant, il m'arrive encore de l'acheter. Pourquoi ? À la
limite, ce n'est même pas pour le lire : c'est parce qu'acheter
Têtu, vu qu'il s'agit du seul magazine gay que le grand
public connaît, c'est dire publiquement je suis pédé
: c'est un
exercice qui a du bon, de temps en temps. Pour le jeune homo ne
s'assumant pas du tout que j'ai été un jour, ce fut un peu une épreuve
initiatique, d'aller à un kiosque et de l'acheter. Et de se rendre
compte, bien entendu, que le buraliste n'allait pas soulever un
sourcil, parce qu'il n'en a vraiment rien à foutre ; il arrive
cependant qu'on ait droit à un sourire complice (ou est-ce mon
imagination ?). S'abonner, c'est trop facile : ce qui est intéressant
c'est de l'acheter en public, et éventuellement de le lire en public.
Il est à soupçonner que les évolutions de la société rendant de moins
en moins difficile l'achat de Têtu (aujourd'hui ça
s'achète vraiment partout, ce n'est pas du
tout Le Gai Pied) sont compensées par les couvertures
et les titres toujours plus aguicheurs, comme s'il fallait que
l'épreuve initiatique reste de difficulté constante.
Aujourd'hui, découvrant que mon magasin Champion (qui
s'est étendu récemment, j'en ai déjà dit
un mot) vendait maintenant aussi la presse, j'en ai acheté un
exemplaire, qui promettait de dévoiler les secrets de l'orgasme
entre hommes
(résultat : le caissier n'a pas soulevé un sourcil).
Eh bien, c'est tout aussi vide de contenu que d'habitude.
Bref, Têtu est emblématique. C'est juste dommage que l'emblème soit aussi nul.
[#] Je dis bien à
poil
. On n'est pas prêt de voir un mec à poils
en
couverture de Têtu.