Un des problèmes avec les clichés, c'est qu'on marche souvent sur des œufs quand on veut les combattre : d'une part, parce qu'on est obligé de leur donner voix pour les combattre (et donc de s'entendre répondre : ah mais non, personne ne croit ça ! ce n'est pas ça du tout !), d'autre part parce qu'un cliché fait souvent référence à d'autres clichés (et eux-mêmes, et ainsi de suite en s'insérant dans toute une Weltanschauung d'idées reçues), enfin simplement parce que la seconde loi de Newton prévoit qu'à tout cliché il correspond un contre-cliché qui n'est pas forcément plus reluisant ou plus correct. (Heureusement et hélas, la réalité est tout en nuances ; et une nuance subtile, ce n'est pas la hache bénie +3 qu'on voudrait pour démolir les clichés et enfoncer les portes ouvertes.)
Prenons l'idée suivante : les hommes homosexuels sont souvent
efféminés
. S'il y a un préjugé véhiculé par la société, une forme
d'homophobie, qui m'a gêné dans la construction de mon identité, qui
m'a blessé profondément, et je me
répète en le disant, c'est bien celle-là. (Je ne dis pas que
l'idée l'homosexualité est une abomination
ne m'aurait pas plus
blessé, évidemment !, mais j'ai eu la chance de grandir dans un
environnement extrêmement protégé contre une haine frontale.) J'ai su
relativement tôt que j'étais attiré par les garçons (vers 13 ans, je
sais qu'il y a des gens qui s'en rendent compte beaucoup plus jeunes
— mais il y en a aussi qui le découvrent très tard), et je n'ai
pas spécialement eu de réticence à me l'admettre : mais
l'identification de cette attirance avec
l'étiquette homosexualité
a été beaucoup moins évidente parce
que l'idée qu'on me présentait de cette étiquette (un on
indistinct qui désigne la socété encore à la fin des années '80, je
suppose) était quelque chose comme le rôle de Michel Serrault
dans La Cage aux folles, quelque chose avec quoi je
n'arrivais pas du tout à m'identifier. Jamais je n'aurais eu l'idée
de porter une robe ou de jouer à la poupée. Et si je me masturbais en
regardant des icônes de masculinité qu'on pouvait trouver dans les
magazines pour ado que je lisais, j'étais trop innocent pour
m'imaginer faire l'amour avec eux — je fantasmais plutôt sur le
fait d'être eux. Mais je digresse.
Pour revenir à ce cliché, le problème est qu'à vouloir le
combattre, on s'expose à autant de chausse-trapes qu'il y a de
réponses évidentes au cri du cœur mais ce n'est pas vrai du
tout !
— par exemple, à se faire qualifier de misogyne
(c'est vrai, c'est quoi le problème, à être efféminé ?),
« follophobe », voire transphobe… On s'expose à présenter une
vision de la masculinité pas moins caricaturale que la vision de
l'homosexualité qu'on veut dénoncer (et à être très embarrassé, en
fait, pour répondre à la question : c'est quoi, au juste, être
efféminé ? et le contraire ?
). On s'expose à ouvrir la porte à
plein d'autres clichés (du style : d'abord, il y
a plein d'homos dans l'armée
— ah, et depuis quand est-ce que
). Soit
dit en passant, pour une définition de la masculinité qui dépasse un
peu les clichés pour arriver au stade ô combien exigeant de la nuance
et de la subtilité, je recommande la lecture de l'excellent livre
d'Élisabeth Badinter, XY —
de l'identité masculine.l'armée
est la
négation de la féminité ? merci pour les femmes militaires
Pour continuer à rabâcher les choses que j'ai déjà dites cent fois, ma théorie est que le cliché en question est un biais d'observation : à la fois du fait qu'on identifie plus facilement quelqu'un comme homo quand justement il se conforme à ce cliché, et inversement qu'il soit plus difficile de s'assumer ouvertement comme homo quand on ne s'y conforme pas du tout (là aussi, insérer d'évidents contre-clichés sur les mecs de banlieue et les militaires qui n'assument pas). Plus, évidemment, un effet d'émulation (pour les gens qui veulent s'afficher comme manifestement homos, c'est plus évident de se conformer aux clichés pré-établis), et l'effet des médias, notamment la présentation de l'homosexualité au cinéma.
Ce n'est pas tellement le côté efféminé
, en fait : c'est
surtout que le spectre des types, de codes de conduite ou
vestimentaires, sur lesquels on peut coller l'étiquette mec
homo
est incroyablement réduit. En fait, à Paris, on a parfois
l'impression qu'il y en a exactement deux : le look branchouille style
je-m'habille-au-BHV-homme (qui serait le efféminé
du cliché précédent), et le look
clientèle-du-Cox
(tout le contraire de efféminé
) ; certes, il y a des sous-types
et peut-être un ou deux cas hybrides (style
sportif-soigné-propre-sur-lui, ou
qui-essaie-de-se-faire-passer-pour-une-racaille-mais-sans-grand-succès),
mais ça reste ridiculement étroit. Le titre de cette entrée souligne
un point anecdotique, mais néanmoins illustratif : je n'ai jamais
rencontré (ni en réalité, ni même en fiction, d'ailleurs) un seul mec
ouvertement/ostensiblement homo, à part moi, qui ait les cheveux
longs.
La vérité derrière le fait que je dis tout ça, en faisant passer ça pour de la socio vachement sophistiquée (mais mon lectorat n'est pas dupe), est juste que je suis terriblement frustré. Frustré, parce que les mecs de mes fantasmes vestimentaires — le skater, le punk, le un-peu-goth-mais-pas-trop, ou d'ailleurs parfois le look acheté au Vieux Campeur — ils ne rentrent pas du tout dans ce spectre. Alors je ne vois jamais deux jolis garçons au look urban grunge ou jah-jah se faire des bisous dans la rue : ça me frustre. Et tant que je serai frustré comme ça, je prends sur moi de m'habiller comme j'aimerais le voir et de faire des bisous à mon poussinet dans la rue : peut-être qu'à force, ça prendra. Et sinon, j'ai au moins la satisfaction de faire quelque chose d'inhabituel.