Je viens de finir de lire ce petit livre d'Élisabeth Badinter (XY — de l'identité masculine, qui n'a pas de rapport avec le magazine). Comme son nom l'indique, il s'agit d'un essai (tiré de séminaires donnés par l'auteur à l'École polytechnique dans les années '80) sur l'identité masculine, structuré en deux grandes parties : Construire un mâle et Être un homme.
Pendant des siècles, les hommes (viri) ont
cherché à identifier leur identité à celle de l'humanité tout entière
(homines) si bien qu'on a beaucoup plus de mal à
cerner, maintenant, ce qu'est l'identité masculine que ce qu'est
l'identité féminine. Et, lorsqu'on entend dire à un garçon sois un
homme (un vrai) !
ce n'est pas le pendant d'une fille à qui on
dirait — et cela semble plus rare — sois une femme (une
vraie) !
; le continent inconnu, de nos jours, nous explique
É. Badinter, ce n'est plus la femme, c'est l'homme. Et c'est de cette
interrogation qu'elle part pour tenter de comprendre comment un homme
se construit, ce qu'il est, et ce qu'il doit être. Elle note
judicieusement : Contrairement à la vieille histoire de la
damnation d'Ève, Dieu s'est fait son complice. Non seulement il a ôté
le pouvoir créateur à Adam pour le donner à sa compagne, mais du même
coup, il a accordé aux femmes le privilège de naître d'un ventre du
même sexe. Il leur a ainsi épargné tout un travail de différenciation
et d'opposition qui marque de façon indélébile le destin masculin.
Car encore maintenant ce sont souvent beaucoup plus les mères que les
pères qui élèvent les enfants : on sait combien Élisabeth Badinter
combat cette idée que les rôles des parents seraient figés et que
l'instinct maternel
aurait quelque chose d'unique. En
attendant, pour parodier Simone de Beauvoir : On ne naît pas homme,
on le devient.
J'ai déjà expliqué à de nombreuses
reprises que j'avais souffert, en tant qu'homosexuel, dans ma
construction de mon identité masculine (et gay) de cette idée —
absurde[#] — fréquemment
renvoyée par la société en général et parfois les homosexuels
eux-mêmes[#2], que l'homme
homosexuel est moins masculin
que l'hétérosexuel. À ce sujet,
justement, É. Badinter met pas mal de points sur les ‘i’,
notamment dans la partie intitulée L'homosexuel est-il un homme
mutilé ?
, examinant tour à tour des clichés opposés pour les
réfuter.
Bref, globalement, j'en conseille la lecture à tous les hommes, de 7 à 77 ans, quelle que soit leur perception personnelle de leur propre identité masculine. Il est vrai que j'ai généralement de l'admiration pour l'auteur. Le livre a malheureusement l'air épuisé les jours impairs, ou peut-être selon la phase de la lune, mais j'ai pu l'acheter sur Amazon.fr et je l'ai vu récemment chez Gibert (dans une autre édition, je ne sais pas si le contenu diffère).
[#] L'explication que je
propose à l'apparence qu'on peut avoir est que le phénomène
s'auto-entretient : si la rumeur populaire veut que les hommes
homosexuels soient moins masculins
que les hétérosexuels, ceux
qui ne s'identifient pas à cette image vont avoir plus de mal à
s'assumer, donc être moins visibles, ou tout simplement moins
identifiables comme homosexuels, et du coup la rumeur semblera
confirmée. Il ne faut pas chercher plus loin. Ceci expliquerait
aussi pourquoi, dans des milieux traditionnellement considérés (et de
façon assez douteuse, aussi) comme très masculins
, par exemple
l'armée : il n'y a pas d'homos, il n'y a que des hommes qui
s'aiment
… On ne sort pas du raisonnement circulaire.
[#2] Par exemple dans
l'insistance que certains ont de parler d'eux au féminin (surtout au
féminin pluriel pour un collectif). Si j'objecte, on me rétorque
qu'il faut accepter sa part de féminité… bullshit : si j'appelle une femme Monsieur
et
qu'elle s'en offusque, il me faudrait un sacré culot pour lui dire
qu'elle ne doit pas se vexer mais plutôt accepter sa part de
masculinité.