(Puisque certains amis se moquent de moi en disant que les deux tiers des entrées de ce blog sont consacrées à mes problèmes affectifs, il faut bien que je remplisse mon quota.)
Il y a des gens qu'on appelle normaux. Enfin, je ne sais pas s'ils existent vraiment ou si c'est seulement un idéal, mais on voit assez bien ce que c'est. Les gens normaux n'ont rien d'exceptionnel. Et puis il y a des gens qui s'éloignent plus ou moins de cet idéal. Moi, par exemple, je dois être vraiment anormal, parce que les gens normaux ne s'intéressent pas aux subtilités du calendrier (ils savent qu'il y a une année bissextile tous les 4 ans — 2004 par exemple — et ça leur suffit), ils ne s'amusent pas, s'ils programment, à écrire des quines, ils ne jouent pas à des jeux de cartes cinglés, ils ne trippent pas sur la réflexivité de la philosophie Zen, et, de façon générale, ils ne pratiquent pas la masturbation intellectuelle ; d'ailleurs, ils n'écrivent pas non plus des blogs et ne racontent pas leur vie sur le Web.
Il y a une tendance qui voudrait faire de la normalité un défaut, ou au moins un sommet de l'ennui, et de toute idiosyncrasie qui s'éloigne de la normalité une qualité. Cette tendance est aussi absurde que celle, exactement contraire, qui voudrait condamner toute forme d'originalité. En vérité, évidemment, il n'y a rien en soi de bien ou de mal à être normal ou anormal ; certaines anomalies sont manifestement « mal » (comme le fait de se transformer à chaque pleine lune en loup-garou et d'aller égorger les passants dans la rue), d'autres sont « bien », et la grande majorité ne sont ni bien ni mal. Le culte de l'originalité pour l'originalité, quant à lui, est une parfaite idiotie.
Le fait, aussi, est qu'on a une certaine tolérance pour l'anomalie,
et cette tolérance n'est pas infinie. Les particularités des gens
sont parfois amusantes ou pittoresques, mais elles fatiguent aussi la
tolérance qu'on peut avoir à leur égard, et, tout tolérant qu'on est,
on finit par atteindre des limites et par trouver pénibles les gens
dont la bizarrerie va au-delà de ces limites. À petite dose, la
déviation de la normalité donne une identité aux gens, leur évite
l'ennui d'être tous semblables, mais quand cette déviation devient
énorme, on ne peut plus interagir convenablement (pensez aux gens qui
font un jeu de mot par phrase, à ceux qui ressortent sans arrêt leur
dada, à ceux qui se sentent obligés de dire la consommation par
voie respiratoire de substances nicotiniques peut entraîner à terme
une cessation générale des fonctions vitales
là où n'importe qui
dirait fumer tue
, et ainsi de suite).
Bref, moi, par exemple, je dois passer pour un cinglé auprès de pas
mal de gens. (Il y en a auprès de qui je passe pour un génie, aussi,
ce qui est encore plus faux. À tout le moins, je dois très souvent
être considéré comme un personnage pittoresque.) Sur le plan
intellectuel et même, peut-être, me signale-t-on, sur le plan moral ou
caractériel. Sans doute beaucoup de gens sont rebutés par mes
excentricités : ça ne veut pas forcément dire qu'ils vont me fuir,
mais ils vont toujours me cataloguer comme un weirdo
. Ou alors c'est souvent qu'eux-mêmes sont
largement déviants
.
Eh bien j'en ai parfois marre d'être considéré comme une créature étrange, parce que, pour bizarre que je suis, j'ai une véritable soif de normalité. J'ai de très bons amis, qui me sont très chers, qui ont toutes sortes d'excentricités dans tous les domaines, ce n'est pas le problème. J'ai suffisamment de difficultés dans le domaine affectif pour ne pas devoir y ajouter l'éloignement causé par une anormalité excessivement visible. Parce que les extra-terrestres, on peut les trouver drôles ou pénibles, parfois on les admire, parfois on les déteste, mais on les aime rarement (à moins d'en être soi-même — or pour ma part je cherche à être aimé par des humains, pas par des extra-terrestres, surtout que ma tolérance pour la bizarrerie est nettement en-deçà de ma propre bizarrerie).
Le mot visible
est important. Car au fond ce n'est pas
écrit sur mon front que le standard Unicode est mon livre de chevet, je
peux le cacher. Il est permis d'être aussi anormal qu'on veut, tant
qu'on n'impose pas cette anormalité aux autres — tant qu'on ne
leur prend pas la tête
, notamment. Déjà, je suis nettement
moins bizarre dans la vraie vie que je ne l'apparais sur le Web. Et
je suis nettement plus normal, aussi, quand je suis entouré de gens
eux-mêmes plutôt normaux. Mais apparemment pas encore assez, puisque
je continue à être marginalisé — plus ou moins inconsciemment de
la part du groupe — par des milieux où je cherche à
m'intégrer.
Je voudrais corriger cette apparence, mais ce que j'ignore largement c'est : qu'est-ce qui trahit le plus fortement que je suis un cinglé ? Est-ce la manière dont je m'habille (ceci dit, ça change tout le temps), la manière dont je me déplace, la manière dont je parle, ce que je dis quand j'ouvre la bouche, le fait que je ne boive pas, mes goûts musicaux (ou absence thereof)… ?
[Zut, je me suis vraiment embrouillé, et je n'ai pas du tout réussi au final à dire ce que je voulais dire. Il est tard, je réessaierai une autre fois.]