David Madore's WebLog: Qui sont les responsables ?

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(vendredi)

Qui sont les responsables ?

Tout à l'heure au journal télévisé j'apprends qu'une dame va porter plainte contre X parce que son mari avait succombé à l'épidémie de légionellose qui a sévi dans le Nord de la France.

Je suis stupéfait de voir à quel point, de nos jours, on estime que toute calamité doit avoir un ou des responsables (et que ceux-ci, par voie de conséquence, doivent être traduits en justice). Plus rien n'est la faute à « pas de chance » : la Justice doit toujours intervenir pour désigner un coupable, sinon les victimes ne s'estiment pas satisfaites. Bientôt, à chaque fois que quelqu'un mourra de maladie, quelle que soit la maladie, son médecin finira devant les tribunaux pour ne pas avoir su le sauver ; à moins que ce soit déjà le cas. S'il y a des inondations quelque part, c'est aussi forcément la faute de quelqu'un : Météo France, l'État, qui vous voudrez, mais quelqu'un. S'il fait trop chaud… Passons.

Combien de fois ai-je entendu les parties civiles d'un procès d'assises tenir un propos, face aux journalistes, signifiant, en gros, nous espérons que M. Trucmuche sera reconnu coupable du meurtre de notre regretté disparu. Quelle monstrueuse erreur de logique ! Ce qu'elles devraient souhaiter, c'est que le meurtrier de leur regretté disparu soit reconnu coupable, et donc que si M. Trucmuche est bien le coupable alors il soit reconnu comme tel. Mais le fait d'être parents de la victime ne leur donne pas un don d'enquêteurs : leur conviction sur la culpabilité de M. Trucmuche vaut la mienne, et elles n'ont pas de raison de vouloir à tout prix que ce soit lui le coupable ; qu'elles s'indignent si M. Trucmuche est condamné à une peine trop légère peut se comprendre, mais qu'elles s'indignent s'il est relaxé (donc reconnu innocent) est aberrant ; or si elles le souhaitent, c'est qu'elles souhaitent un coupable, un responsable, à tout prix, et que M. Trucmuche est sous la main.

Dans le même genre, on voit des procès pour des faits considérés comme particulièrement graves (par exemple des actes de pédophilie — ce n'est pas maintenant que je me prononcerai sur la chasse aux sorcières qui est faite dans ce domaine-là) où un argument censé renforcer la conviction quant à la culpabilité de l'accusé est justement, si vous ne le condamnez pas, vous ne faites pas justice sur quelque chose d'aussi atroce : encore cette monstrueuse erreur de logique — ce n'est pas parce qu'il y a un coupable de faits atroces que c'est ce M. Trucmuche, et la gravité des allégations ne renforce pas la probabilité que M. Trucmuche soit coupable, et s'il est innocent il est innocent et le relaxer c'est faire la justice et non laisser impuni un crime atroce.

J'ai peur que la Justice, rapidement, cesse d'être un instrument de réparation des torts pour devenir un fléau qui s'abat aléatoirement sur les têtes.

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