C'est l'été. Oui, je sais, ce n'est plus une nouvelle, le solstice était il y a quelques jours déjà, pendant que j'étais en Allemagne.
J'ai déjà dû dire plus d'une fois que je n'aimais pas le dimanche, le jour où on ne peut rien faire parce que tout est fermé, tout est mort, et il ne se passe rien. L'été me fait l'effet d'un week-end étalé et étendu : j'ai horreur de ça. Toutes sortes de repères réguliers qui font partie de mes habitudes sont perturbés : ne serait-ce que les fermetures de lignes du métro parisien, d'ailleurs, pour prendre un exemple futile, c'est déjà un élément vaguement déstabilisant. Mais le pire, évidemment, c'est que tout le monde part quelque part, et je me retrouve tout seul comme un con sans (presque) plus personne à voir à Paris. (Je n'ai qu'à partir moi-même, me diront certains ? Je vais sans doute faire quelques courts déplacements pour voir une personne, certes, mais sinon, je ne vois pas à quel endroit du monde j'aurais une chance de retrouver autant de gens que je connais qu'à Paris, même pendant l'été : et je ne parle pas du nombre de gens que je peux voir pendant le reste de l'année.)
Donc, petit appel du cœur : les gens qui êtes sur Paris (pour y rester ou pour y passer) cet été, faites-moi un signe.
Ce n'est pas tout : l'été est aussi la saison où on tourne la page : on ferme une année scolaire (universitaire, quidlibet) et on en ouvre une autre. (Pour les Romains, c'était janvier le mois dédié au dieu Janus, celui qui a une tête qui regarde le passé et une autre qui regarde l'avenir ; dans notre société, c'est plutôt en été qu'il faudrait mettre ce mois.) Cela ouvre chez moi bien grand la porte à deux sentiments que j'ai souvent tendance à éprouver : la nostalgie et l'inquiétude devant l'avenir.
Nostalgie : je repense maintenant que ça fait dix ans que j'ai passé mon bac (je ne sais plus la date exacte… je n'avais pas encore l'obstination de tout noter, à l'époque, et je le regrette — je ne suis même pas capable de dire précisément depuis quel jour je suis bachelier) ; il y a neuf ans que j'ai vu Toronto pour la dernière fois ; il y a huit ans que j'ai été admis dans la prestigieuse institution que j'ai depuis obstinément refusé de quitter ; il y a six ans que j'ai vu la mer pour la dernière fois ; il y a cinq ans que je suis descendu pour la première fois dans la rue pour la Gay Pride ; et ainsi de suite : je suis même, inexplicablement, nostalgique de mon voyage à Besançon de l'an dernier (qui n'a pourtant pas été une expérience particulièrement remarquable, ni remarquablement heureuse). Il faut que j'apprenne à contrôler les émotions qui me reviennent avec les souvenirs, à les rendre un peu heureuses (surtout si le souvenir est heureux — ne pas me focaliser sur la tristesse du fait qu'il est parti), sans quoi ma mémoire — et les oublis qu'elle entoure — va devenir une immense et douloureuse cicatrice (note : relire Funès de Borges).
Inquiétude devant l'avenir : où en serai-je dans un an exactement ? Ou même, dans trois mois ? Inquiétude de vieillir, évidemment, de perdre des choses ou des personnes auxquelles je me suis attaché.
(OK, OK, je radote — ou en tout cas, un an après, il n'y a sur ce plan-là pas beaucoup de changement.)
Bon, j'arrête de ruminer. Je vous ferai part ultérieurement de considérations plus joyeuses. Là, je vais descendre faire la tapiole dans la rue (après avoir écouté deux ou trois fois le générique de l'Île aux enfants pour me mettre dans l'ambiance ).