Comme c'est devenu habituel le vendredi soir, l'association >Dégel! (association des étudiants homos de Jussieu et d'ailleurs), s'installe sur les quais de Seine, dans le square Tino Rossi (également connu comme le jardin aux sculptures contemporaines ridicules), sur l'herbe, pour manger et boire et regarder la nuit tomber et la Seine couler, bavarder et (pour ceux qui sont bien saouls) chanter des chansons paillardes. Le lieu est d'ailleurs rempli de groupes de gens plus ou moins nombreux qui se livrent au même farniente, et parfois les groupes se mélangent (un peu), ce qui est fort sympathique. Je ne sais pourquoi, cette soirée-ci a été particulièrement réussie à mes yeux. Peut-être était-ce parce que pour la première fois de ma vie j'ai vu en vrai un concours de gobage de Flamby (oui, ils sont fous, il y a bien une fédération française des gobeurs de Flamby, qui vous expliquera par exemple les 23 techniques officielles du gobage), qui avait lieu juste à côté de là où nous étions. Mais plus probablement simplement le fait que des gens sympathiques étaient là ce soir, et que le climat était spécialement propice à la conversation.
Malgré cela, je m'en tire toujours avec un sentiment un peu partagé (que j'ai d'ailleurs déjà évoqué). Ce n'est pas que j'aie le sentiment d'être mis à l'écart du groupe, c'est plutôt que j'ai un peu tendance à me mettre moi-même en marge, sans le vouloir, peut-être par une sorte de réserve instinctive dont je n'arrive pas encore à me départir suffisamment. Par exemple, alors que tout le monde se jette sur tout le monde (plaisamment, je précise ! nous ne faisons pas encore de partouze en plein air — tiens, aujourd'hui quelqu'un que je ne nommerai pas a décidé de donner libre cours à son fétichisme sur les lobes d'oreille) je réussis toujours à me faire passer inaperçu. (J'ai un talent incomparable pour passer inaperçu, même si ça peut surprendre quand on ne m'a pas vu l'appliquer. Et parfois je l'invoque de façon quasiment inconsciente.) Ou, pire encore, si ce n'est pas moi qui manifeste de la timidité, je crois qu'il y en a qui en éprouvent à mon égard (notez que tout cela est très subtil, et les mots que j'utilise sont considérablement exagérés) : et c'est encore plus difficile à vaincre.
Autre chose, c'est qu'il y a plusieurs des garçons, là, (disons facilement cinq ou six ce soir : tout compte fait je ne suis peut-être pas aussi difficile que je le dis parfois, ou en tout cas pas avec les étudiants dans la bonne tranche d'âge), dont je pourrais facilement tomber amoureux si je me laissais, ou même, si je ne me retenais pas un peu. Bon, j'ai acquis, à force, un certain contrôle de moi en la matière, donc ce n'est pas un problème en soi. Nous avons, selon la personne, des relations amicales, ou cordiales, ou indifférentes, et je me donne peu de chances d'y changer quelque chose. (Par exemple, il y en a un — non, je ne donnerai pas de nom — que je connais depuis quatre ans maintenant, et que j'admire très profondément, mais je suis dangereusement doué pour ne rien laisser paraître de ce que je pense. Enfin, je m'entends bien avec lui.) Maintenant, ce que je me demande bien, c'est quelle idée les autres ont de moi : passé-je pour un chieur ? un cinglé ? un timide ? ou encore quelqu'un de parfaitement insignifiant ? C'est bien triste que je n'en aie aucune idée (« not a clue »).
Mais bon, je ne voudrais pas que ces méditations obscurcissent le fait que j'ai passé une excellente soirée : j'ai appris à ne plus me laisser attrister par ce genre de considérations.