Dans un moment d'intense désœuvrement de Ruxor enrhumé au cerveau en compote, je zappais il y a quelques jours devant la télé quand je suis tombé (sur une de ces nombreuses chaînes aussi insipides qu'interchangeables qu'offre la TNT) sur un documentaire, le genre qu'on rediffuse trente fois pour bien le rentabiliser, qui devait s'appeler quelque chose comme Pensionnat: le retour des méthodes strictes. Un petit tableau de la vie générale et de la discipline dans trois lycées privés (de confession catholique) où les élèves sont internes. Le genre de documentaire parfaitement adapté quand on est fatigué et enrhumé et qu'on a le cerveau en compote.
C'est difficile d'expliquer ce qui m'a fait tiquer, parce que c'est
subtil. Imaginez un monde parallèle où non seulement
l'homosexualité n'existerait
pas mais personne n'aurait eu l'idée de l'inventer : on ne
s'attend pas à ce que les documentaires sur un sujet complètement sans
rapport soient spécialement différents entre ce monde-là et le nôtre,
pas plus que les émissions de cuisine ou la page météo (peut-être
juste un peu moins d'arcs-en-ciel, mais on ne les prévoit pas). Et
pourtant, là, j'avais cette impression. C'est peut-être à force
qu'ils répètent des explications du style : pendant les projections
de cinéma, les garçons et les filles sont strictement séparés, parce
que quand on ne faisait pas ça certains avaient profité de l'obscurité
pour se rapprocher un peu trop : maintenant, plus aucun risque
.
Plus aucun risque, vraiment ? Au bout d'un assez grand nombre de
perches comme ça (le genre de perche qui va passer complètement
inaperçues auprès de, euh, 95% des téléspectateurs), je commençais à
me demander si le documentaire ne le faisait pas exprès, même.
C'est possible, en fait. J'imagine que les parents qui envoient leurs enfants dans ce genre d'établissement veulent entendre qu'on prend les précautions nécessaires pour que garçons et filles ne fassent pas des cochoncetés ensemble. Ils ne veulent surtout pas entendre qu'on prend des précautions nécessaires pour que garçons et garçons, ou filles et filles, ne fassent pas pareil : ils ne veulent même pas en entendre parler, parce que s'ils commencent à penser au sujet ça va les inquiéter, et de toute façon leur rejeton n'est pas du tout concerné. D'ailleurs, le documentaire de nous montrer plusieurs rassurantes étreintes viriles et accolades de fraternité entre garçons qui se félicitaient mutuellement d'un bon résultat sportif ou s'amusaient entre potes d'internat. Que pourrait-il bien se passer à mettre ensemble toutes les nuits un groupe de lycéens du même sexe à l'âge où les hormones s'activent et en les contraignant à une discipline stricte ? What could possibly go wrong?
Ceci étant, je n'ai pas trop l'habitude de me plaindre sur le thème
que les gens oublient toujours qu'il y a des homos dans le monde,
parce qu'on me répond (et on a raison de me répondre) que 95% des gens
n'en ont rien à foutre. N'empêche que sur tout le tas de lycéens et
lycéennes qui ont été filmés dans le cours de cette émission (et qui
l'ont, très probablement, regardée), il y en a forcément au moins
un(e) ou deux qui, devant l'accumulation forcée de phrases bateau du
style c'est un des secrets de <prénom masculin> pour plaire
aux filles
, ou bien dans la chambre des filles, les
conversations vont bien train ; leur sujet préféré ? les garçons bien
sûr
, a dû ressentir un grand moment de solitude…