J'ai commencé à écrire une entrée de maths sur la topologie sans points (la théorie des cadres(?) et locales), je me suis rendu compte pour la 696729600e fois que ce que je pensais pouvoir expédier en peu de lignes s'étend sur un nombre totalement invraisemblable de pages, je commence à trouver le sujet d'autant plus fastidieux que je traîne à écrire ce texte, et je m'énerve sur le fait que je ne finis jamais ce que je commence.
Et là, je me rends compte que je ne finis jamais ce que je
commence
est peut-être un avertissement que j'aurais dû prendre au
sérieux avant de me mettre à prendre des cours de moto. C'est parti
pour du chouinage de ma part à ce sujet, donc : si vous n'aimez pas
les chouineurs, allez voir ailleurs (mais si vous n'aimez pas les
chouineurs, qu'est-ce que vous foutez à lire mon blog, aussi ? allez
plutôt sur YouTube, c'est un site de winneurs et d'influenceurs, ça,
YouTube, — les blogs c'est ringard et c'est fini).
Où est-ce que j'en étais ? Ah oui,
j'ai loupé mon permis parce que je suis
nul, mais ça vous le saviez déjà. Je pourrais renvoyer
à cette entrée déjà écrite et
dire multipliez tout par dix
, mais je n'aurais pas le plaisir
de chouiner, alors il faut que je tourne les choses différemment.
L'information nouvelle (enfin, pas tellement nouvelle, je m'en doutais, mais j'en ai confirmation), c'est que c'est extraordinairement long de le repasser. Au moins en été. Parce que c'est en été que :
- le plus de gens se disent qu'ils vont passer le permis moto (ben oui, c'est l'été, il fait beau, il faut en profiter, et ils peuvent prendre quelques jours de congés pour ça, et peut-être en prendre aussi après pour en profiter une fois qu'ils auront le permis et la moto),
- les moniteurs d'auto-école et les inspecteurs du permis de conduire sont le moins disponibles parce que, surprise, eux aussi prennent des vacances.
Je sentais bien le coup venir et c'est pour ça que moi je m'étais inscrit en octobre. En pensant que j'aurais fini à temps pour l'été. C'est à peu près aussi con que quand je promets d'écrire une entrée de blog sur les octonions en février 2012 alors que j'arrive péniblement à en publier la première partie trois ans plus tard. Soyons réalistes : j'ai pris six ans pour faire ma thèse, j'aurais plutôt dû me demander si j'aurais ce permis avant ma retraite ou avant ma mort (ou avant l'épuisement de mes finances), pas penser que je pourrais l'avoir avant l'été.
Bon mais là l'essentiel du délai ne dépend plus de moi. Il y a trois pipelines à traverser :
- s'inscrire à de nouvelles leçons (parce que l'auto-école, bien sûr, ne représentera pas un candidat s'il n'a pas pris de nouvelles leçons, même si on ne m'a pas donné un minimum à ce sujet),
- convaincre les moniteurs qu'on est prêt à être envoyé une nouvelle fois à l'examen,
- avoir une date d'examen.
Le premier et le troisième sont complètement saturés, le deuxième
est incompréhensible. Factuellement, j'ai loupé mon permis
le , le moniteur a refusé de me laisser
m'inscrire à de nouvelles heures de conduite tant que je n'avais pas
la confirmation officielle de cet échec, ce qui nous amène
le , et à cette date-là, même en disant que
j'étais disponible n'importe quand, la première leçon que je pouvais
placer était ce matin, , donc compter trois
semaines complètes pour le premier pipeline. Ne sachant pas quoi
penser des deux suivants, j'ai placé trois séances de conduite :
voulant ce matin en ajouter une, le délai était passé à 24 jours.
Concernant le troisième pipeline, l'auto-école a un planning d'examen
(sous forme de petites fiches bristol insérées dans un support mural),
et il est déjà complètement plein pour le mois de juillet (j'ai cru
compter dix journées prévues, avec pour chacune dix « slots » —
sachant qu'une présentation plateau coûte un « slot » et une
présentation circu en coûte deux) ; un moniteur a dit qu'il
demanderait des créneaux supplémentaires en juillet, mais je suppose
que toutes les auto-écoles en réclament et que la Sécurité routière ne
multiplie pas les petits pains : comptons donc quatre semaines au bas
mot pour ce troisième pipeline. Le deuxième est incompréhensible,
donc je n'en sais rien (initialement ils m'ont fait attendre environ
deux mois avant de me considérer comme prêt à passer l'examen ; j'ose
espérer qu'on ne va pas me faire prendre une nouvelle fois autant de
leçons, mais franchement, l'évaluation du niveau d'un élève est un
signal très bruité et on m'a clairement dit priorité aux premières
présentation pour l'examen
).
Je précise que je ne raconte tout ça pas uniquement pour le plaisir de chouiner, mais aussi parce que c'est une information que j'aurais bien voulu trouver en ligne, le temps qu'il faut en pratique pour une nouvelle présentation du permis, et c'était vraiment impossible d'avoir le moindre renseignement dans ce sens, alors je fais ma petite mission de renseigner le Grand Oracle Omniscient Gardien du Livre de l'Entendement.
Bref, je suppose que je dois me considérer comme chanceux si j'ai une date dans la première quinzaine d'août. (J'aurais vraiment voulu passer avant mon anniversaire, tant pis.) Et je vais être encore plus stressé la deuxième fois en me disant que si je rate à nouveau j'en ai pour un temps invraisemblable (et qu'il y a une réforme du permis qui vient qui le rendra encore beaucoup plus dur, et qui saturera encore plus les délais de passage, etc., etc.).
Il y a, donc, une partie de moi qui me crie que je n'aurai jamais ce permis et que je suis con de m'obstiner. Que je suis victime d'une sorte de scam. Vous savez, le type d'arnaques (il en existe quantité de variantes) qu'on peut trouver, par exemple, dans une fête foraine[#] : on vous propose de faire un truc qui a l'air facile, mais qui est en fait impossiblement difficile ; ou, de façon plus astucieuse, peut-être que le premier niveau est faisable, ou il y a quelque chose qui vous donne l'illusion d'un progrès, vous persuadant ainsi de mettre toujours plus d'argent pour gagner un lot qui, plus vous mettez d'argent dedans, plus il vous semblera désirable (sophisme de l'escalade d'engagement) et moins vous aurez envie d'arrêter (sophisme des coûts irrécupérables).
[#] À ce sujet, j'avais bien aimé cette vidéo décrivant certains jeux typiques de fêtes foraines et combien ils s'apparentent à des arnaques.
Alors non, je ne pense pas sérieusement que je sois en train de me faire arnaquer au sens où il y aurait quelqu'un de malicieux dans l'histoire (la seule partie possiblement suspecte d'être malicieuse serait l'auto-école mais je ne veux pas me couper sur le rasoir d'Hanlon). Mais je peux être en train de m'auto-arnaquer, en quelque sorte, dans la poursuite d'un but inatteignable (pour moi), et qui semblerait d'autant plus désirable que les efforts mis à l'atteindre augmentent.
J'avais écrit la chose suivante :
Le piège dans lequel je suis tombé en commençant à apprendre à faire de la moto, en fait, c'est que j'ai découvert que j'aimais ça (alors qu'au début c'était un peu juste une expérience pour voir), et que du coup, maintenant j'ai envie d'en faire, et pour ça, il faut que je le passe, ce permis. (En comparaison, pour la voiture, j'ai juste eu confirmation du fait que je n'aimais pas, donc il est sans doute logique que le stress ait été moins important.) D'ailleurs, plus le temps passe et plus je trouve pénible de conduire une voiture, et c'est le contraire pour une moto.
— Mais peut-être que le fait que ça me plaise est, en fait, une
rétro-justification de l'investissement que j'ai mis dedans. Ça
mérite au moins qu'on se pose la question : pourquoi Sisyphe
s'obstine-t-il à pousser son rocher, au juste ? pourquoi ne dit-il pas
juste f*ck this!
pour partir voir ailleurs si
Zeus n'y est pas (ou, s'il ne peut pas partir, au moins rester au pied
de son rocher à bouder et à refuser de le pousser). Il paraît qu'il
faut imaginer
Sisyphe heureux : est-ce que la raison de ce bonheur est la fierté
qu'on peut ressentir devant l'obstination absurde consistant à répéter
inlassablement la même tentative en se disant je refuse
d'abandonner !
(et je ne peux quand même pas abandonner
maintenant, après autant d'efforts
) ? La question mérite au moins
d'être posée.
Bref, je refuse d'abandonner, mais je ne suis pas sûr que ce soit très malin de ma part.