David Madore's WebLog: Sur les fonctions réelles continues et le compactifié de Stone-Čech

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(dimanche)

Sur les fonctions réelles continues et le compactifié de Stone-Čech

Le contenu de cette entrée est presque complètement inclus dans le très classique, et remarquablement bien écrit, livre de Leonard Gillman & Meyer Jerison, Rings of Continuous Functions (1960), qui contient d'ailleurs bien d'autres choses intéressantes. Mais j'en avais assez de perdre du temps à retrouver des choses contenues dans ce livre à chaque fois que je les oublie, donc je voulais me faire un aide-mémoire, et à ce moment-là autant le mettre en ligne sur mon blog, d'autant plus qu'il s'agit là de culture générale mathématique (que, selon moi, tout mathématicien devrait avoir, — au moins pour les grandes lignes de ce que je raconte, évidemment, disons les « spoilers » ci-dessous, pas les détails un peu arcanes sur les espaces d'Urysohn et les réelcompacts). Mais mon exposition est assez différente de celle de Gillman & Jerison, et pas seulement parce que le fait de ne pas donner de preuves permet de réorganiser les résultats dans un ordre parfois plus satisfaisant, mais aussi parce que j'ai cherché à développer autant que possible les parallèles entre les faits annoncés, et j'ai une approche un tout petit peu plus « catégorique ».

Comme j'ai écrit énormément de choses très rapidement, y compris des choses qui ne sont pas verbatim dans la littérature (je ne m'en éloigne guère, mais parfois je change un peu les hypothèses ou les conventions, et il faut donc adapter les énoncés : par exemple, Gillman & Jerison supposent les espaces complètement réguliers quand il s'agit de décrire le compactifié de Stone-Čech, ce qui me déplaît énormément ; parfois aussi, quand j'interpole des résultats, je fais une démonstration dans ma tête, mais je n'ai pas tout vérifié avec le soin le plus absolu), il est probable que j'aie fait un certain nombre d'erreurs. On va dire que le but du jeu est de les retrouver !

Je suppose que le lecteur sait déjà ce qu'est un espace topologique et une fonction continue entre espaces topologiques (ainsi que les autres termes de base de la topologie générale : ouverts, fermés, voisinages, intérieur, adhérence, homéomorphisme, sous-espace / topologie induite, topologie produit, espace compact [:= compact séparé], ce genre de choses — cf. par exemple ce glossaire ou différentes pages de ce wiki). Mais je ne suppose pas que le lecteur sait ce qu'est, par exemple, un espace complètement régulier. Je suppose aussi connues les notions d'anneau [sous-entendu : commutatif], ou plutôt de ℝ-algèbre [commutative], et d'idéal d'un tel anneau (et je rappelle qu'un idéal maximal d'un anneau est un idéal ≠(1) et maximal pour l'inclusion parmi les idéaux ≠(1), ou, ce qui revient au même, un idéal tel que quand on quotiente l'anneau par lui on obtient un corps).

Remarque informatique : J'utilise dans ce qui suit les caractères ‘𝔪’, ‘𝔬’, ‘𝔭’, ‘’ et ‘𝒰’ pour, respectivement, un ‘m’ gothique minuscule, un ‘o’ gothique minuscule, un ‘p’ gothique minuscule, un ‘F’ cursif et un ‘U’ cursif. Comme ces caractères peuvent parfois manquer dans des polices j'ai prévu un peu de magie en JavaScript qui remplacera en un seul clic tous ces symboles par des lettres latines toutes bêtes : donc, si vous ne voyez pas les caractères que je viens de nommer, cliquez ici pour activer ce remplacement.

✱ Si X est un espace topologique, on note C(X) l'ensemble des fonctions réelles continues X→ℝ, avec l'addition et la multiplication point à point (c'est-à-dire que f+g est la fonction xf(x)+g(x) et que fg est la fonction xf(x)⁢g(x)) ; chaque réel c est identifié à la fonction constante xc dans C(X). (C'est donc un anneau commutatif et même une ℝ-algèbre commutative. On peut le munir d'autres structures, notamment un ordre partiel défini par fg lorsque f(x)≤g(x) pour tout xX, qui est d'ailleurs un treillis avec fg la fonction xf(x)∨g(x) := max(f(x),g(x)) et fg la fonction xf(x)∧g(x) := min(f(x),g(x)), et une valeur absolue |f| = f∨(−f). On peut éventuellement aussi introduire une ou plusieurs topologies sur C(X), mais ce n'est pas ce qui va m'intéresser ici ; en revanche, je souligne qu'on n'a pas de norme intéressante sur C(X).)

À côté de C(X), on a C*(X) qui est formé des fonctions réelles continues bornées c'est-à-dire les f∈C(X) telles qu'il existe un B∈ℝ tel que pour tout xX on ait |f(x)|≤B. Il est évident que la somme et le produit de deux fonctions bornées sont bornés, si bien que C*(X) est un sous-anneau de C(X).

On peut par ailleurs noter que C et C* sont des foncteurs contravariants des espaces topologiques vers les ℝ-algèbres commutatives, ce qui signifie que donnée une application continue h:XY on fabrique de façon évidente des morphismes C(Y)→C(X) et C*(Y)→C*(X) (remarquer le sens des flèches !), simplement par composition à droite par h, c'est-à-dire qu'elles envoient une fonction continue f:Y→ℝ [éventuellement bornée] sur la composée fh:X→ℝ. On peut noter C(h):C(Y)→C(X) et C*(h):C*(Y)→C*(X) pour ces deux morphismes de « composition à droite par h ». La « fonctorialité » signifie simplement que (i) si id:XX est l'identité alors C(id) et C*(id) sont aussi l'identité, et (ii) si h:XY et k:YZ alors C(kh)=C(h)∘C(k) et C*(kh)=C*(h)∘C*(k).

✱ La problématique qui m'intéresse est de décrire le rapport entre l'espace X et son C(X) et son C*(X), comment on peut retrouver l'un à partir de l'autre, ce genre de choses.

Plus précisément, parmi les questions qu'il est naturel de se poser :

  • La ℝ-algèbre C(X) caractérise-t-elle l'espace topologique X ? Permet-elle de le retrouver (autrement dit, si X₁ et X₂ ont « le même » C(X), c'est-à-dire que C(X₁) et C(X₂) sont isomorphes en tant que, disons, ℝ-algèbres, alors X₁ et X₂ sont-ils homéomorphes) ? Dans les cas où c'est possible, comment peut-on reconstruire X à partir de C(X) ? Par ailleurs, peut-on identifier les ℝ-algèbres qui apparaissent comme des C(X) ? Peut-on, d'ailleurs, retrouver la structure de ℝ-algèbre (i.e., les fonctions constantes et leur isomorphisme avec ℝ) à partir de celle d'anneau ?
  • Mêmes questions pour C*(X).
  • Quel est le rapport entre C(X) et C*(X) ? Peut-on identifier les fonctions bornées de façon purement algébrique ? Pour quel genre d'espace a-t-on C(X) = C*(X) (toutes les fonctions continues sont bornées) ? Comment les ℝ-algèbres qui apparaissent comme des C(X) se situent-elles parmi ceux qui apparaissent comme des C*(X) ? Peut-on notamment trouver un espace Xˆ (en fonction de X) pour lequel on aurait C(Xˆ) = C*(X) (ou le contraire) ?

(Digression : J'ai essayé d'écrire là les questions qu'il me semble qu'on « devrait » vraiment spontanément se poser — et donc chercher à résoudre — dès qu'on introduit ce genre de constructions, sans préjuger de celles qui ont une réponse plus ou moins intéressante. Je trouve toujours agaçants les livres qui traitent d'un sujet mathématique et qui omettent une question qui me semble « évidemment naturelle », ne serait-ce que pour dire qu'on ne connaît pas de réponse satisfaisante ou que les auteurs n'en connaissent pas.)

Quelques spoilers :

  • La ℝ-algèbre C*(X) caractérise l'espace X pour les espaces compacts [séparés]. On pourra alors reconstruire X comme l'ensemble des idéaux maximaux de C*(X). Je crois qu'on ne sait pas caractériser de façon algébrique satisfaisante les ℝ-algèbres C*(X). En revanche, donné un espace topologique X, il y a un unique espace compact βX pour lequel C*(βX) = C*(X) (c'est donc un choix canonique d'espace X′ ayant ce C*(X)) : on l'appelle le « compactifié de Stone-Čech » de X. En général, dire que C*(X₁) et C*(X₂) sont isomorphes va signifier que les espaces ont le même compactifié de Stone-Čech.
  • La ℝ-algèbre C(X) caractérise l'espace X pour tous les espaces dits « réelscompacts » (ce qui inclut énormément de choses, par exemple tous les espaces métriques). On pourra alors reconstruire X comme l'ensemble des idéaux maximaux de C(X) tel que le quotient soit ℝ. Je crois qu'on ne sait pas caractériser de façon algébrique satisfaisante les ℝ-algèbres C(X). En revanche, donné un espace topologique X, il y a un unique espace réelcompact υX pour lequel C(υX) = C(X) (c'est donc un choix canonique d'espace X′ ayant ce C(X)) : on l'appelle le « réelcompactifié [de Hewitt-Nachbin] » de X. En général, dire que C(X₁) et C(X₂) sont isomorphes va signifier que les espaces ont le même réelcompactifié.
  • Les C*(X) sont des cas particuliers des C(X), par cela je veux dire que pour tout espace topologique X il existe un espace Xˆ pour lequel on a C(Xˆ) = C*(X), et (d'après ce qui précède) ceci caractérise complètement Xˆ si on lui impose de plus d'être compact : c'est là aussi le compactifié de Stone-Čech de X (noté βX). On peut caractériser algébriquement les fonctions bornées au sein de C(X) puisqu'on peut même caractériser l'image de f∈C(X), à savoir l'ensemble des c∈ℝ tels que fc ne soit pas inversible dans C(X). Les espaces pour lesquels C(X) = C*(X), ou simplement pour lesquels C(X) est un C*(X′), sont les espaces dits « weierstrassiens » ou « pseudocompacts » (et c'est notamment le cas des espaces compacts).

[Ajout () : Quelque part dans ce long billet, et je ne sais pas bien où alors autant l'ajouter ici, il faut que je signale que le fait qu'une fonction réelle continue f∈C(X) soit positive peut se caractériser par le fait, purement algébrique, qu'elle est un carré (c'est-à-dire qu'il existe g∈C(X) telle que f=g²) ; il en résulte que l'ordre partiel naturel sur C(X) découle de sa structure d'anneau ; d'autre part, comme les fonctions constantes à valeurs rationnelles sont définies par la structure d'anneau (la fonction constante de valeur p/q est l'unique f telle que q·f = p·1, où q·f peut se voir comme f+⋯+f avec q termes, et de même pour p·1, et 1 est l'unité de C(X)), combiné avec le fait qu'on vient de mentionner que l'ordre est définissable, on en déduit que la structure de ℝ-algèbre sur C(X) est déterminée par sa structure d'anneau (la fonction constante de valeur t∈ℝ peut se définir comme l'unique fonction supérieure à tous les rationnels ≤t et inférieure à tous les rationnels ≥t, dont on a vu qu'ils sont définissables) ; c'est-à-dire, crucialement, que si C(X) et C(X′) sont isomorphes en tant qu'anneaux, ils le sont aussi en tant que ℝ-algèbres. Exactement la même chose vaut pour C*(X). Ceci justifie que, ci-dessus et ci-dessous, je me sois contenté de considérer la structure comme ℝ-algèbre : le problème sur les anneaux ne serait pas différent.]

✱ Les espaces compacts (ici et tout du long, que je le rappelle ou non, quand j'écris compact, je veux toujours dire compact séparé : les espaces compacts non supposés séparés s'appellent pour moi quasi-compacts) jouent un rôle proéminant dans l'histoire, parce que c'est la situation qu'on comprend le plus facilement. La raison est que quand K est compact, d'une part on a C(K)=C*(K) (toute fonction continue sur K est bornée), mais d'autre part, on retrouve facilement K à partir de cet anneau comme l'ensemble de ses idéaux maximaux.

Plus exactement : si pK avec K compact, l'ensemble 𝔪p des f∈C(K) tels que f(p)=0 (« s'annulant en p ») est un idéal de C(K) (c'est-à-dire essentiellement que la somme de deux fonctions continues s'annulant en p s'annule en p et que le produit d'une fonction continue s'annulant en p par une fonction continue quelconque s'annule encore en p), c'est une idéal maximal (i.e., ne contenant pas 1, et maximal pour l'inclusion parmi de tels idéaux), le morphisme canonique C(K) → C(K)/𝔪p vers le quotient C(K)/𝔪p par cet idéal étant simplement l'évaluation ff(p), tout ça est assez évident, mais ce qui l'est nettement moins c'est que l'application qui à p associe l'idéal maximal 𝔪p qu'on vient de définir est une bijection entre K et les idéaux maximaux de C(K) ; et c'est même un homéomorphisme si on munit l'ensemble Specmax(C(K)) des idéaux maximaux de C(K) de la topologie de Zariski, c'est-à-dire celle qui a pour ouverts les réunions quelconques des D(f) := {𝔪∈Specmax(C(K)) : f∉𝔪} (notons que D(f₁·f₂)=D(f₁)∩D(f₂) si bien que ces D(f) forment bien la base d'une topologie).

Pour comprendre C(X) pour le cas d'un espace topologique X plus général, on cherche à se ramener autant que possible aux compacts. Un des points centraux de cette histoire, donc, c'est la notion de compactifié de Stone-Čech de X, noté βX.

Mais avant de parler de βX, je vais introduire l'idée d'évaluer en un point toutes les fonctions continues :

✱ Considérons X un espace topologique, C(X) l'ensemble de toutes les fonctions continues X→ℝ (comme précédemment), et C₁(X) (sous-ensemble de C*(X)) l'ensemble de toutes les fonctions continues X→[0;1] (c'est juste un ensemble, ce n'est évidemment pas un anneau ; pour ce que je veux dire maintenant, il va être plus pratique que C*(X)). Je peux maintenant considérer ℝC(X) l'ensemble de toutes les applications de C(X) vers ℝ (ou, si on préfère, des familles (tf)f∈C(X) de réels indicées par les éléments de C(X)), et de façon analogue [0;1]C₁(X) l'ensemble de toutes les applications de C₁(X) vers [0;1] (ou, si on préfère, des familles (tf)f∈C₁(X) de réels entre 0 et 1 indicées par les éléments de C₁(X)). Je munis ces deux ensembles ℝC(X) et [0;1]C₁(X) de la topologie produit, c'est-à-dire la plus grossière rendant continues toutes les projections (tf)f∈C(X) ↦ tg ou plus explicitement, s'agissant de ℝC(X) (l'autre étant tout à fait analogue), qu'un voisinage d'un point (tf) s'obtient à partir d'un nombre fini d'éléments f1,…,fr de C(X) et de réels ε1,…,εr strictement positifs comme l'ensemble des familles (uf) qui vérifient |tfiufi|<εi pour 1≤ir (tous les autres uf étant quelconques) et que les voisinages quelconques de (tf) sont les parties contenant un voisinage comme je viens de décrire (i.e., ces voisinages sont une base de voisinages). Le théorème de Tychonoff assure que [0;1]C₁(X) est compact pour cette topologie produit (s'agissant de ℝC(X), il sera juste « réelcompact », mais je définirai ce terme bien plus loin).

Maintenant, on a une application d'« évaluation universelle » Φ:X→ℝC(X) qui envoie un point xX sur la famille (f(x))f∈C(X) c'est-à-dire la famille dont l'élément indicé par f est justement f(x) (si on préfère, Φ est x↦(ff(x))) ; et on a Φ₁:X→[0;1]C₁(X), définie de façon rigoureusement analogue, qui envoie un point xX sur la famille (f(x))f∈C₁(X). Un exercice trivial, mais notationnellement pénible (et intéressant pour vérifier qu'on a compris de quoi il s'agit) est que Φ et Φ₁ sont continues (en rappelant que la cible est munie de la topologie produit).

✱ Voici maintenant quelques unes de façons de définir ou de caractériser le compactifié de Stone-Čech βX (ou plus exactement, l'application continue X→βX) ; comme je ne compte pas démontrer quoi que ce soit, je peux les rassembler de façon synthétique sans me préoccuper de l'ordre logique :

  • Propriété universelle : X→βX est une application continue vers un espace compact [séparé], et toute application continue XK avec K compact [séparé], se factorise de façon unique X→βXK (c'est-à-dire qu'il existe une unique application continue βXK telle que l'application continue XK donnée soit la composée de X→βX et βXK). • Reformulation catégorique (pour ceux qui savent ce que ça signifie) : Le foncteur X↦βX est adjoint à gauche du foncteur d'inclusion de la sous-catégorie pleine des espaces compacts [séparés] dans les espaces topologiques.
  • Construction par évaluation universelle : βX est l'adhérence dans [0;1]C₁(X) de l'image de l'application Φ₁:X→[0;1]C₁(X) d'évaluation universelle (qui envoie xX sur la famille (f(x))f∈C₁(X)), munie de la topologie induite par [0;1]C₁(X) (et comme il s'agit d'un fermé dans un compact, c'est encore un compact), et X→βX est simplement donnée par l'application Φ₁ elle-même.
  • Caractérisation par fonctions continues : βX est l'unique espace compact [séparé] tel qu'on ait C(βX) = C*(X) (ou, si on préfère C*(βX) = C*(X)), et X→βX est l'application envoyant un xX sur l'unique p∈βX tel que l'ensemble (l'idéal maximal) des fonctions f∈C*(X) s'annulant en x s'identifie dans à celui des fonctions f∈C(βX) s'annulant en p.
  • Construction par idéaux maximaux des fonctions continues bornées (essentiellement une reformulation de la précédente) : βX est l'ensemble des idéaux maximaux de C*(X) muni de la topologie de Zariski, c'est-à-dire celle qui a pour ouverts les réunions quelconques des D(f) := {𝔪∈Specmax(C*(K)) : f∉𝔪} ; et l'application X→βX est celle qui envoie xX sur l'idéal maximal fonctions f∈C*(X) s'annulant en x.
  • Construction par z-ultrafiltres : βX est l'ensemble des « z-ultrafiltres » sur X, un terme que je définis maintenant. Un z-fermé de X est simplement un ensemble de la forme Z(f) := {xX : f(x)=0} (ensemble des points où f s'annule) pour une certaine fonction continue f∈C(X) (qu'on peut d'ailleurs supposer bornée, i.e. f∈C*(X) sans perte de généralité, ou même à valeurs dans [0;1]) ; notamment, un z-fermé est un fermé (mais sur un espace topologique quelconque, il n'est pas toujours vrai que tout fermé soit un z-fermé) ; un z-filtre sur X est un ensemble ℱ de z-fermés qui vérifie les propriétés (i) X∈ℱ et ∅∉ℱ, (ii) si F∈ℱ et FF′ et que F′ est un z-fermé, alors F′∈ℱ, et (iii) si F₁,F₂∈ℱ alors F₁∩F₂∈ℱ (notons que F₁∩F₂ est automatiquement un z-fermé car si F₁=Z(f₁) et F₂=Z(f₂) alors F₁∩F₂=Z(f₁²+f₂²)) ; enfin, un z-ultrafiltre est un z-filtre maximal pour l'inclusion (et le lemme de Zorn implique que tout z-filtre est contenu dans un z-ultrafiltre, et notamment que tout z-fermé non vide appartient à un z-ultrafiltre). On munit cet ensemble des z-ultrafiltres de la topologie qui a pour ouverts les réunions quelconques des {𝒰∈βX : F∉𝒰} pour F un z-fermé (notons que {𝒰∈βX : (F₁∪F₂)∉𝒰} = {𝒰∈βX : F₁∉𝒰} ∩ {𝒰∈βX : F₂∉𝒰} et que F₁∪F₂=Z(f₁·f₂) est un z-fermé si F₁=Z(f₁) et F₂=Z(f₂) le sont, — si bien que ces ensembles forment bien la base d'une topologie). Enfin, l'application X→βX est celle qui envoie un point xX sur le z-ultrafiltre « principal » {F : xF}.

La première approche ci-dessus (par propriété universelle) n'est pas très explicite s'il s'agit de construire βX (ce n'est pas du tout clair qu'il existe tel qu'annoncé !), mais elle est très utile quand il s'agit de s'en servir et d'en déduire des propriétés. Elle a aussi le bon goût d'être très intrinsèque : elle ne parle que d'espaces compacts, pas de réels, donc même si on avait un doute sur le fait que les fonctions réelles continues sont un objet intéressant, elle nous assure que le compactifié de Stone-Čech est une construction digne d'intérêt. En termes savants, elle affirme que la sous-catégorie pleine des espaces topologiques compacts est « réflective » dans la catégorie des espaces topologiques, la compactification de Stone-Čech étant, justement, le réflecteur.

La dernière construction peut sembler inutilement compliquée, mais elle a aussi son intérêt. Notamment, si X est discret (c'est-à-dire est un ensemble muni de la topologie où toutes les parties sont ouvertes, ou ce qui revient au même, fermées, et elles sont alors aussi toutes des z-fermés), les z-ultrafiltres deviennent simplement des ultrafiltres [de parties de X], une notion peut-être plus familière (un filtre sur X est un ensemble ℱ de parties de X qui vérifie les propriétés (i) X∈ℱ et ∅∉ℱ, (ii) si F∈ℱ et FF′, alors F′∈ℱ, et (iii) si F₁,F₂∈ℱ alors F₁∩F₂∈ℱ  ; et un ultrafiltre est un filtre maximal pour l'inclusion, et le lemme de Zorn implique que tout filtre est contenu dans un ultrafiltre, et notamment que toute partie non vide appartient à un z-ultrafiltre) : par exemple, βℕ s'identifie à l'ensemble des ultrafiltres sur ℕ.

Par ailleurs, pour faire le lien entre les notions de z-ultrafiltre et d'idéaux maximaux, signalons les choses suivantes. On peut vérifier que si I est un idéal ≠(1) de C(X) alors {Z(f) : fI} est un z-filtre sur X, et montrer que tout z-filtre ℱ est de cette forme pour un certain idéal I de C(X), par exemple pour I = {f∈C(X) : Z(f)∈ℱ} (un idéal de cette forme s'appelle un z-idéal). Si 𝔪 est un idéal maximal de C(X) alors le z-filtre en question {Z(f) : f∈𝔪} est un z-ultrafiltre, et tout z-ultrafiltre 𝒰 est de cette forme pour un idéal maximal de C(X) qui est unique, et qui est précisément le z-idéal {f∈C(X) : Z(f)∈𝒰}.

Le compactifié de Stone-Čech est fonctoriel : lorsque h:XY est une application continue entre espaces topologiques, on a une application continue βhX→βY. Je pourrais la définir sur chacune des constructions ci-dessus, ce serait un peu fastidieux même si c'est à chaque fois assez évident ; je vais juste dire qu'à partir de la propriété universelle il suffit de prendre la composée XY→βY et d'utiliser la propriété universelle de βX pour la factoriser comme X→βX→βY, ce qui donne l'application βX→βY voulue ; ou bien qu'il s'agit de l'unique application continue βX→βY telle que le morphisme d'anneaux C(βY)→C(βX) qui s'en déduit par fonctorialité de C (i.e., juste par composition, cf. ci-dessus) soit le morphisme C*(Y)→C*(X) (rappelons que C*(Z)=C(βZ)) lui-même par fonctorialité de C* appliquée à h.

Si K est déjà compact, on a βK=K (i.e., l'application K→βK est un homéomorphisme, et on identifie les deux extrémités) ; notamment, on a ββXX quel que soit l'espace X (certains peuvent être tentés de prononcer le mot monade ici).

✱ Malgré tant d'approches différentes, il faut reconnaître que le compactifié de Stone-Čech est très difficile à approcher ou à imaginer (à part le cas où K et compact, et alors βK=K). Le compactifié de Stone-Čech βℕ des entiers naturels (soit l'ensemble des ultrafiltres sur ℕ, cf. ci-dessus) est déjà essentiellement impossible à visualiser. (Cela n'aide pas qu'il soit nécessaire d'utiliser l'axiome du choix pour montrer l'existence d'un ultrafiltre non-principal sur ℕ, c'est-à-dire d'un élément de βℕ∖ℕ, et ils sont très problématiques à exhiber ; on peut certes les imaginer comme une succession de choix, où pour chaque partie F⊆ℕ on doit choisir soit de mettre F soit son complémentaire dans l'ultrafiltre, et lorsqu'on fait un choix on met bien sûr toutes les parties la contenant ou toutes les intersections finies de parties déjà choisies : par exemple, l'ultrafiltre contiendra soit les entiers naturels pairs soit les impairs, et s'il contient les pairs il contiendra soit les congrus à 0 modulo 4 soit les congrus à 2 modulo 4, et on peut vaguement imaginer une succession infinie de choix comme ça, mais il est plus problématique d'imaginer tous les ultrafiltres à la fois.) Le compactifié de Stone-Čech βℝ des réels (ou celui βℚ des rationnels) n'est guère plus facile. (Notons quand même que ℕ est un ouvert dense de βℕ et de même ℝ un ouvert dense de βℝ ; pour ce qui est de ℚ dans βℚ, il est un sous-espace dense, mais pas ouvert. Je vais donner des propriétés plus précises en petits caractères plus bas.)

De façon très grossièrement imagée et intuitive j'ai tendance à dire qu'un espace compact est un espace dont on ne peut pas s'échapper (au sens « fuir à l'infini ») et que le compactifié de Stone-Čech, qui est en quelque sorte le plus gros compactifié possible, s'obtient en « bouchant » toutes les façons dont on pourrait s'échapper (i.e., toutes les façons différentes de « fuir à l'infini »), de façon que tous les points distingués par n'importe quelle autre compactification soient distingués dans celle de Stone-Čech (par exemple, comme on peut compactifier ℝ en mettant +∞ d'un côté et −∞ de l'autre, il en résulte que βℝ distingue au moins ses points qui s'envoient sur +∞ et ceux qui s'envoient sur −∞). Je ne sais pas si ça aide à quoi que ce soit de dire ça, mais je n'ai pas mieux.

Ajout : J'ai mis dans ce fil Twitter une tentative pour visualiser informellement et graphiquement ce à quoi βℕ ressemble (bien sûr, c'est impossible, mais j'espère au moins avoir donné un début de commencement d'idée).

✱ Quelques remarques sur βℕ, βℚ et βℝ. ❈ J'ai mentionné plus haut, mais ça vaut la peine de le redire, que chacun de ℕ, ℚ et ℝ est un sous-espace dense du βℕ, βℚ, βℝ correspondant (cela revient à dire que ℕ, ℚ et ℝ sont complètement réguliers, cf. ci-dessous) ; de plus, ℕ et ℝ sont ouverts dans βℕ et βℝ respectivement (cela revient à dire que ℕ et ℝ sont localement compacts, cf. ci-dessous). ❈ Une des choses qui rend βℕ difficile à imaginer est qu'aucune suite ne converge non-trivialement dans βℕ (voir par exemple ici sur MathOverflow) ; en particulier, il n'est pas du tout métrisable. ❈ Par ailleurs, il existe une surjection continue βℕ→βℝ (réfutant l'idée qu'on pourrait avoir que βℝ est beaucoup plus gros que βℕ) : il suffit pour s'en rendre compte de prendre une suite de réels dont l'image est dense : ceci définit une application ℕ→ℝ, forcément continue, et l'application βℕ→βℝ qui s'en déduit a une image dense (puisqu'elle est dense dans ℝ, qui est dense dans βℝ) et fermée (puisque βℕ est compact), donc c'est βℝ tout entier. (Le même raisonnement s'applique à n'importe quel espace topologique séparable à la place de ℝ.) ❈ La même raison fait que l'application évidente βℚ→βℝ (celle qui provient de l'inclusion ℚ→ℝ des rationnels dans les réels) est surjective. Mais d'autre part, βℚ→βℝ n'est pas injective (prendre une suite de rationnels qui converge vers √2 dans ℝ dont, disons, les termes pairs sont >√2 et les termes impairs sont <√2 ; elle définit une application ℕ→ℚ→ℝ donc βℕ→βℚ→βℝ, qui envoie tous les éléments de βℕ∖ℕ sur √2∈βℝ, mais en passant par des éléments différents de βℚ puisque via l'application de βℚ vers le compact [−∞;√2] ⊎ [√2;+∞] réunion disjointe des deux intervalles en question, termes pairs et termes impairs ont des limites distinctes). ❈ Remarquons en revanche que l'inclusion ℕ→ℝ (ou plus généralement, celle de tout fermé discret de ℝ) donne, par passage au compactifié de Stone-Čech, une application continue βℕ→βℝ qui, cette fois, est bien le plongement d'un sous-espace fermé. {Esquisse de démonstration : Il suffit de montrer que βℕ→βℝ est injective puisque ensuite elle donnera une application bijective continue entre compacts si on la restreint à son image ; or si p₁ et p₂ sont deux ultrafiltres distincts sur ℕ, il existe une partie F de ℕ qui est dans l'un et pas dans l'autre, et on construit facilement une fonction ℝ→[0;1] prenant la valeur 1 sur F et 0 sur ℕ∖F, ce qui suffit à montrer que les images de p₁ et p₂ par βℕ→βℝ→[0;1] sont distinctes. On peut aussi, et c'est vaguement la même chose, invoquer le fait que ℕ est « C*-plongé » dans ℝ, cf. plus bas.} ❈ Enfin, on peut montrer que le cardinal de βℕ est ℶ₂ = 22ℵ₀ (le cardinal de l'ensemble des parties de ℝ). {Pour la complétude du web, en voici la preuve en condensé : Soit K l'ensemble des parties de ℝ muni de la topologie produit (de Tychonoff) en identifiant K à {0;1}. Dans K je considère l'ensemble D des combinaisons booléennes finies d'intervalles à coefficients rationnels. Ce D est dense dans K (car quelles que soient les conditions, en nombre fini, du type tel « réel doit appartenir à la partie » ou « …n'appartenir pas à la partie », on arrive à trouver un élément de D qui les satisfait). Mais par ailleurs, il est dénombrable : considérons une surjection de ℕ sur D, donc une application h:ℕ→K (trivialement continue, pusque ℕ est discret) dont l'image est D. Puisque K est compact, la propriété universelle du compactifié de Stone-Čech assure que h se factorise à travers h˜:βℕ→K continue. Cette application h˜:βℕ→K est surjective puisque son image est dense (elle contient D) et fermée (image continue d'un compact). On a donc construit une surjection de βℕ sur un espace K de cardinal 2#ℝ = 22ℵ₀.}

Bizarrement, un exemple d'espace topologique dont le compactifié de Stone-Čech est plus facile à imaginer est le premier ordinal indénombrable ω₁ (c'est-à-dire l'ensemble des ordinaux dénombrables, muni de la topologie de l'ordre), pour lequel on a β(ω₁) = (ω₁+1) (aussi muni de la topologie de l'ordre), c'est-à-dire qu'on rajoute juste un point (ω₁) à l'infini (cette description résulte du fait que toute fonction continue ω₁→ℝ est constante à partir d'un certain rang).

✱ Revenons à l'application X→βX (dont j'ai expliqué qu'on pouvait la voir comme l'application Φ₁:X→[0;1]C₁(X) d'évaluation universelle, qui envoie xX sur la famille (f(x))f∈C₁(X)). Elle est toujours continue, mais on peut se demander à quelle condition elle a différentes autres propriétés.

Une des propriétés d'espaces topologiques qui apparaît assez naturellement de la sorte est celle des espaces [séparés] complètement réguliers ou de Tychonoff. Il s'agit des espaces topologiques X vérifiant les conditions équivalentes suivantes :

  • Les singletons {y} sont fermés [cette condition porte le nom d'axiome de séparation T₁], et, par ailleurs, pour tout xX et tout FX fermé tels que xF, il existe f:X→ℝ continue, qu'on peut sans perte de généralité supposer à valeurs dans [0;1], telle que f(x)=0 et f|F=1.
  • Les singletons {y} sont fermés [cette condition porte le nom d'axiome de séparation T₁], et, par ailleurs, les z-fermés (c'est-à-dire les Z(f) := {xX : f(x)=0}) pour f∈C(X) (ou, ce qui revient au même, f∈C*(X)) forment une base des fermés de X (c'est-à-dire que tout fermé peut s'écrire comme intersection de z-fermés).
  • L'application Φ:X→ℝC(X) d'évaluation universelle, qui envoie xX sur la famille (f(x))f∈C(X), définit un homéomorphisme entre X et son image (munie de la topologie induite par ℝC(X)).
  • L'application Φ₁:X→[0;1]C₁(X) d'évaluation universelle, qui envoie xX sur la famille (f(x))f∈C₁(X), définit un homéomorphisme entre X et son image (munie de la topologie induite par [0;1]C₁(X)).
  • L'application X→βX de compactification de Stone-Čech définit un homéomorphisme entre X et son image (munie de la topologie induite par βX).
  • L'espace X est homéomorphe à un sous-espace d'un espace compact [séparé] K (muni de la topologie induite). En plus concis : X est un sous-espace d'un espace compact.
  • Et pour ceux qui savent ce que cela signifie : il existe une structure d'espace uniforme séparé qui induit la topologie sur X.

Je demande ici que mes espaces soient séparés (=T₂) : il suffit pour cela de demander la condition T₁ dans la première formulation, comme je l'ai écrit. Certains appellent complètement régulier un espace topologique qui vérifie cette première condition sans l'hypothèse T₁ ajoutée ; d'autres appellent ça T ; il y a toujours une grande confusion dans la terminologie à ce niveau, et il faut bien vérifier ce que chaque auteur essaye de dire.

✱ Bref, lorsque X est complètement régulier, on peut l'identifier à un sous-espace (forcément dense !) de son compactifié de Stone-Čech (et ceci peut servir de définition de complètement régulier). Les deux premières caractérisations, cependant, sont les plus faciles à vérifier, et c'est celles qui permettent de dire que tout espace métrique, et notamment, ℕ, ℚ ou ℝ, sont complètement réguliers (en fait, dans un espace métrique, tout fermé est un z-fermé, puisque la distance à un fermé définit une fonction réelle continue s'annulant exactement sur ce fermé).

Lorsque X est complètement régulier (et on peut toujours se ramener à ce cas, comme je vais l'expliquer ci-dessous), la compactification de Stone-Čech admet encore d'autres caractérisations plus commodes : par exemple, on peut la caractériser comme l'unique (à homéomorphisme près) compact K contenant X et tel que deux z-fermés disjoints de X aient des adhérences dans K qui restent disjointes.

☞ De ce que je crois comprendre de l'histoire des maths, la notion d'espace complètement régulier s'est dégagée après que le développement de l'homotopie s'était fait de façon embarrassée à cause de la difficulté à trouver les bonnes hypothèses : régulier ne suffit pas, et normal est problématique parce qu'il n'est pas stable par produit, ce qui donnait des hypothèses très déplaisantes du type si X est un espace topologique normal et tel que X×[0;1] est normal. L'hypothèse de complète régularité a énormément simplifié ces choses, et illustre l'importance qu'il peut y avoir à trouver les bonnes définitions.

✱ Par ailleurs, de façon très parallèle à la compactification de Stone-Čech βX, on peut définir la complète régularisation (ou « Tychonoffisation ») τX d'un espace topologique arbitraire, ce que je fais maintenant. On a vu qu'on pouvait voir βX comme l'adhérence de l'image de l'application Φ₁:X→[0;1]C₁(X), munie de la topologie induite. De même, on peut définir τX comme simplement l'image de l'application Φ₁:X→[0;1]C₁(X) munie de la topologie induite (sans prendre l'adhérence, donc), ou, ce qui revient au même, l'image de Φ:X→ℝC(X) ou de X→βX. Sa propriété universelle est : X→τX est une application continue vers un espace [séparé] complètement régulier, et toute application continue XZ, avec Z [séparé] complètement régulier, se factorise de façon unique X→τXZ ; c'est-à-dire qu'il existe une unique application continue τXZ telle que l'application continue XZ donnée soit la composée de X→τX et τXZ. (Reformulation catégorique : le foncteur X↦τX est adjoint à gauche du foncteur d'inclusion de la sous-catégorie pleine des espaces [séparés] complètement réguliers dans les espaces topologiques.) La complète régularisation est fonctorielle comme la compactification de Stone-Čech l'est. Notons que X→τX est toujours surjective par définition ; si X est déjà complètement régulier, on a τX=X ; par ailleurs, βτXX (certains auteurs ne définissent la compactification de Stone-Čech que dans le cas où X est déjà complètement régulier, et ce que j'ai appelé compactification de Stone-Čech est donc la composée de la complète régularisation et de la compactification de Stone-Čech dans ce sens plus étroit) ; enfin, on a C(τX)=C(X) (cela résulte de la propriété universelle), et donc aussi C*(τX)=C*(X), ce qui permet, si on souhaite étudier les anneaux C(X) et C*(X), de se limiter au cas où X est complètement régulier.

✱ J'en profite pour signaler une condition pas très importante, mais que j'ai confondue avec celle d'espace complètement régulier / Tychonoff alors qu'elle est plus faible en général (et je crois comprendre que je ne suis pas le seul à avoir fait cette confusion !). Il s'agit de la notion d'espace fonctionnellement séparé, parfois aussi appelé d'Urysohn (par exemple dans le Steen & Seebach c'est le terme utilisé ; mais attention, certains utilisent ce terme pour dire complètement autre chose, alors que fonctionnellement séparé est probablement inambigu). On dit que X est fonctionnellement séparé lorsque pour touts x,yX tels que xy, il existe f:X→ℝ continue, qu'on peut sans perte de généralité supposer à valeurs dans [0;1], telle que f(x)=0 et f(y)=1 ; ou, si on préfère, lorsque x,yX sont tels que f(x)=f(y) pour toute f:X→ℝ continue, alors x=y : en bref, C(X) (ou, ce qui revient au même, C*(X) ou C₁(X)) « sépare les points ». Il revient au même de dire que Φ, ou Φ₁, ou encore l'application naturelle X→βX vers le compactifié de Stone-Čech, est injective (ou en fait, qu'il existe une application continue injective XK vers un espace compact [séparé]… ou, d'ailleurs, vers un espace fonctionnellement séparé !, tout cela revient au même). Il n'est pas évident de donner un exemple d'espace fonctionnellement séparé qui ne soit pas complètement régulier (voir les numéros 79, 88 ou 91 du Steen & Seebach), mais ils existent : ce n'est pas surprenant, après tout, que Φ injective soit plus faible que Φ définit un homéomorphisme sur son image (i.e., Φ est un plongement).

On peut encore définir la fonctionnelle séparification (ou « Urysohnisation ») ϝX d'un espace topologique arbitraire : il s'agit simplement du quotient de X par la relation d'équivalence xy définie par pour toute f:X→ℝ continue on a f(x)=f(y). Si je ne m'abuse (j'avoue ne pas avoir vérifié soigneusement tous les détails), on a la propriété universelle attendue : X→ϝX est une application continue vers un espace fonctionnellement séparé, et toute application continue XZ, avec Z fonctionnellement séparé, se factorise de façon unique X→ϝXZ (c'est-à-dire qu'il existe une unique application continue ϝXZ telle que l'application continue XZ donnée soit la composée de X→ϝX et ϝXZ) ; et encore une fois, X↦ϝX est un foncteur, la propriété universelle signifiant qu'il est adjoint à gauche du foncteur d'inclusion de la sous-catégorie pleine des espaces fonctionnellement séparés dans les espaces topologiques. On a donc maintenant factorisé le morphisme X→βX en X→ϝX→τX→βXX→ϝX est le quotient par une relation d'équivalence, ϝX→τX est bijective continue, et τX→βX est l'inclusion d'un sous-espace dense. (Et bien sûr, τϝ=τ de même que βτ=β.) De nouveau, C(ϝX)=C(X) et C*(ϝX)=C*(X). Voir aussi cette question MathOverflow.

✱ Parmi les autres propriétés que je peux évoquer au passage et qu'il peut être bon d'avoir en tête, un espace X complètement régulier est localement compact (un espace séparé est dit localement compact lorsque tout point a un voisinage compact) si et seulement si X est un sous-espace ouvert (et toujours dense !) de βX.

Je parle maintenant des idéaux maximaux de C(X) et de C*(X). J'ai affirmé plus haut que, si K est compact, les idéaux maximaux de C(K)=C*(K) sont en bijection naturelle avec les points de K, la bijection étant celle qui à pK associe l'idéal {f∈C(K) : f(p)=0} des fonctions s'annulant en p. Qu'en est-il des idéaux maximaux de C(X) et C*(X) si X n'est pas supposé compact ? La réponse un peu bizarre est que les deux sont en bijection naturelle avec les points de βX, mais que même si les idéaux maximaux de C(X) et de C*(X) sont en bijection, le passage de l'un à l'autre n'est pas forcément celui qu'on imagine, et qu'il faut donc faire attention.

Le cas de C*(X) est le plus simple puisque C*(X)=C(βX), on peut utiliser la description qu'on vient de donner des idéaux maximaux de C(K) avec KX compact comme des ensembles de fonctions s'annulant en un point :

✱ Si p∈βX et f:X→ℝ (continue), on dira que f s'annule en p lorsque βfX→βℝ prend en p la valeur 0 (comme ℝ est un sous-espace ouvert de βℝ, il n'y a pas de problème à voir n'importe quel réel, et notamment 0, comme un élément de βℝ). Plutôt que de passer par βℝ, on peut préférer utiliser la « compactification d'Alexandroff », la plus petite possible, c'est-à-dire ℝ˚ := ℝ∪{∞}, vu comme un cercle (par la projection stéréographique, disons) : comme ℝ˚ est compact, la fonction f:X→ℝ˚ se prolonge de façon unique en une fonction f˚:βX→ℝ˚ (qui est simplement la composée de βf avec l'application continue βℝ→ℝ˚ provenant de la propriété universelle de βℝ — c'est-à-dire, concrètement, envoyant sur ∞ tout ce qui n'est pas dans ℝ) ; la condition est la même : f s'annule en p signifie que f˚ prend en p la valeur 0. (On peut aussi compactifier ℝ en ℝ∪{+∞,−∞} si on veut : la fonction f a aussi une unique extension à une fonction continue X→ℝ∪{+∞,−∞}, tout l'intérêt de la compactification de Stone-Čech étant justement qu'elle est universelle !) Bien sûr, si f est bornée, ces subtilités sont encore plus sans objet : f˚ ou βf est à valeurs réelles (bornées par les mêmes bornes que f) et le concept de s'annuler en p est encore plus transparent.

De même que je note Z(f) := {xX : f(x)=0} l'ensemble des points de Xf s'annule, je noterai Z(βf) := {p∈βX : (βf)(p)=0} l'ensemble des points de βXf s'annule au sens que je viens de définir.

Bref, à un point p∈βX on associe l'idéal 𝔪*p := {f∈C*(X) : f˚(p)=0} = {f∈C*(X) : p∈Z(βf)} de C*(X) formé des fonctions (continues) bornées f qui s'annulent en p, et p ↦ 𝔪*p définit une bijection entre βX et les idéaux maximaux de C*(X). (Et, de nouveau, le morphisme canonique C*(X) → C*(X)/𝔪*p vers le quotient C*(X)/𝔪*p par cet idéal est simplement l'évaluation ff˚(p) ∈ℝ en p. Il n'y a pas de subtilité puisque f est bornée.)

✱ On pourrait peut-être s'imaginer que l'ensemble des fonctions f s'annulant en p définit aussi un idéal de C(X). Pourtant, ce n'est pas le cas en général : le produit d'une f∈C(X) qui s'annule en p par une autre fonction g∈C(X) peut très bien ne pas s'annuler en p (il est pour cela nécessaire que g˚(p)=∞, mais cela n'a rien d'impossible lorsque g n'est pas bornée). Un exemple tout simple : la fonction (forcément continue !) f:ℕ→ℝ donnée par n ↦ 1/(n+1) tend vers 0 en ∞ au sens naïf (c'est-à-dire dans ℕ˚ := ℕ∪{∞} où les voisinages de ∞ sont les complémentaires des parties finies de ℕ), cela signifie que cette fonction f s'annule en tout point p de βℕ∖ℕ (qu'on peut considérer comme un ultrafiltre non-principal), pourtant, f est inversible dans C(X), son inverse étant simplement g:nn+1 (on a manifestement f·g constamment égale à 1), si bien que le seul idéal de C(ℕ)=ℝ auquel appartient f est l'idéal unité (1) (c'est-à-dire C(ℕ) tout entier). Plus généralement, toute fonction f∈C(X) qui appartient à un idéal maximal quel qu'il soit doit être non inversible, c'est-à-dire doit s'annuler quelque part sur X, c'est-à-dire doit avoir Z(f)≠∅ (en rappelant que Z(f) := {xX : f(x)=0}).

Ceci suggère que, pour décrire les idéaux maximaux de C(X), de s'intéresser aux ensembles Z(f). La description de βX comme l'ensemble des z-ultrafiltres sur X est ici particulièrement utile : en effet, si on voit un p∈βX comme un z-ultrafiltre sur X, on peut décrire l'idéal 𝔪p associé simplement comme l'ensemble des f∈C(X) telles que Z(f) appartienne au z-ultrafiltre p. Mais si on n'aime pas cette description, on peut utiliser une des suivantes : l'idéal maximal 𝔪p de C(X) associé à un p∈βX peut être défini comme l'ensemble des fonctions f∈C(X) qui vérifient l'une des conditions équivalentes suivantes (j'ai envie de dire que f s'annule strictement en p, mais ce n'est pas une terminologie standard) :

  • Le point p∈βX appartient à l'adhérence clβX(Z(f)), prise dans βX, de [l'image dans βX de] l'ensemble Z(f) des points de Xf s'annule.
  • Toute fonction f₀∈C(X) s'annulant (au moins) là où f s'annule, s'annule en p.
  • Pour toute g∈C(X), la fonction f·g∈C(X) s'annule en p (au sens défini précédemment).

Bref, 𝔪p := {f∈C(X) : p∈clβX(Z(f))}, qu'il s'agit de ne pas confondre avec 𝔪*p := {f∈C*(X) : p∈Z(βf)}. Attention ! même si f∈C*(X), les deux conditions p∈clβX(Z(f)) et p∈Z(βf) sont différentes en général, c'est-à-dire que les idéaux 𝔪p∩C*(X) et 𝔪*p ne coïncident pas en général, on a seulement l'inclusion 𝔪p∩C*(X) ⊆ 𝔪*p. (J'ai déjà donné l'exemple de la fonction n ↦ 1/(n+1) de C*(ℕ), qui est dans les idéaux 𝔪*p pour tout p∈βℕ∖ℕ, mais qui, étant inversible dans C(ℕ), n'est dans aucun 𝔪p, donc dans aucun 𝔪p∩C*(X).)

Une façon d'apprécier le phénomène que je viens d'évoquer est de considérer la fonction f, disons, x ↦ sin(2πx), élément de C*(ℝ) (le 2π me sert simplement à pouvoir dire qu'elle s'annule sur ℤ, c'est plus commode à écrire, mais je ne vais pas utiliser quoi que ce soit d'intelligent sur la fonction sinus) : on a Z(f)=ℤ, si bien que l'adhérence clβℝ(Z(f)) = clβℝ(ℤ) dans βℝ de l'ensemble des points où elle s'annule (i.e., le lieu où f « s'annule strictement » dans βℝ) est l'ensemble de tous les points de βℝ adhérents aux entiers (cet ensemble s'identifie d'ailleurs à βℤ) ; en revanche, s'agissant de Z(βf) (i.e., le lieu où f s'annule dans βℝ), il contient plein d'autres points : par exemple, si on prend une suite (xn) de réels de limite +∞ et tels que sin(2πxn) tende vers 0 sans qu'aucun des xn ne soit entier, les points d'adhérence de cette suite dans βℝ vont donner plein de points où βf s'annule mais qui ne sont pas des points adhérents de points où f s'annule dans ℝ.

Une remarque pour lever une certaine confusion dont j'ai été victime : si f∈C(X), le lieu Z(βf) des points de βXf s'annule et le lieu clβX(Z(f)) des points où f « s'annule strictement » sont distincts en général (même quand f∈C*(X)), comme je viens de l'expliquer, mais on pourrait encore se dire que peut-être les deux familles en question de parties de βX, c'est-à-dire {Z(βf) : f∈C(X)} et {clβX(Z(f)) : f∈C(X)} sont les mêmes. Il me semble que ce n'est généralement pas le cas : les Z(βf) pour f∈C(X) ou pour f∈C*(X) sont les z-fermés de βX ; les clβX(Z(f)) sont des fermés de βX, et comme tous fermés d'un espace complètement régulier on peut les écrire comme intersections de z-fermés (à savoir clβX(Z(f)) = ⋂g∈C(X) Z(β(f·g)) d'après les équivalences ci-dessus), mais cela ne signifie pas qu'ils soient eux-mêmes des z-fermés. Par exemple, j'ai expliqué ci-dessus que βℤ vu comme une partie de βℝ est un clβℝ(Z(f)) ; mais si g était une fonction continue sur ℝ et s'annulant exactement sur βℤ dans βℝ, en particulier dans ℝ elle s'annulerait exactement sur ℤ, et par continuité on pourrait trouver près de chaque n∈ℕ un xn tel que, disons, |xnn|<2n et que |g(xn)|<2n, et comme ci-dessus, les points d'adhérence de cette suite dans βℝ vont donner plein de points où βg s'annule mais qui ne sont pas des points adhérents de points où g s'annule dans ℝ (i.e., de βℤ). Bref, si je ne dis pas de bêtises, βℤ est l'adhérence dans βℝ d'un z-fermé de ℝ (= il est un « lieu d'annulation strict »), mais il n'est pas un z-fermé de βℝ (= il n'est pas un lieu d'annulation).

✱ Alors que le quotient C*(X)/𝔪*p est le corps des réels via l'évaluation ff˚(p) ∈ℝ en p, dans le cas de C(X)/𝔪p, le quotient (qui est un corps : les idéaux maximaux sont précisément cels que par lesquels en quotientant on obtient un corps) est en général beaucoup plus gros que ℝ. C'est une extension de corps de ℝ que je pourrais noter ℝp, totalement ordonnée par la relation (f mod 𝔪p) ≤ (g mod 𝔪p) définie comme : p est adhérent à {xX : f(x)≤g(x)}. On peut considérer la surjection canonique C(X) → C(X)/𝔪p =: ℝp, c'est-à-dire l'application f ↦ (f mod 𝔪p), comme une sorte d'évaluation modifiée : appelons-la l'hyperévaluation de f en p. Le rapport entre l'évaluation (ff˚(p)) et l'hyperévaluation est alors le suivant : on a f˚(p)=0 si et seulement si l'hyperévaluation est infinitésimale (c'est-à-dire contenue, dans ℝp, entre −ε et +ε pour tout ε>0 réel), et plus généralement on a f˚(p)=t réel si et seulement si l'hyperévaluation de ft est infinitésimale, tandis qu'on a f˚(p)=∞ si et seulement si l'hyperévaluation de f est supérieure à tout réel ou inférieure à tout réel.

Il arrive cependant que le quotient C(X)/𝔪p =: ℝp soit égal à ℝ, ce qui se produit précisément lorsque 𝔪*p coïncide avec 𝔪p∩C*(X), ou encore, que toute fonction f dans C(X) ou C*(X) qui s'annule en p s'annule en fait sur un ensemble adhérent à p. On dit alors que p est un point réel de βX. C'est le cas de tout point de X, mais ce n'est pas la seule possibilité : le « point à l'infini » (ω₁) de β(ω₁) = (ω₁+1) est aussi un point réel puisque toute fonction réelle continue sur ω₁+1 qui s'y annule doit s'annuler à partir d'un certain point <ω₁.

✱ Une autre sorte d'idéaux dont il est pertinent de dire au moins un mot est les idéaux 𝔬p de C(X) (ou 𝔬p∩C*(X) de C*(X)) : cette fois il ne s'agit pas d'un idéal maximal mais, au contraire, du plus petit idéal qui soit contenu dans l'unique idéal maximal 𝔪p [hum, il faudrait vérifier ça, je ne suis plus sûr de moi]. On peut le définir par différentes conditions (f s'annule au voisinage de p) :

  • L'adhérence clβX(Z(f)), prise dans βX, de [l'image dans βX de] l'ensemble Z(f) des points de Xf s'annule est un voisinage (dans βX) du point p∈βX.
  • L'ensemble Z(βf) des points de βXf s'annule est un voisinage (dans βX) du point p∈βX. (I.e., il existe un voisinage V de p dans βX tel que f s'annule sur V.)
  • Il existe un voisinage V de p dans βX tel que f s'annule sur VX.
  • Il existe g dans C(X) (ou, ce qui revient au même, dans C*(X)), ne s'annulant pas en p, et telle que f·g=0 identiquement sur X (et donc aussi sur βX).
  • Il existe g dans C(X) (ou, ce qui revient au même, dans C*(X)), ne « s'annulant pas strictement » en p (i.e., p∉clβX(Z(g))), et telle que f·g=0 identiquement sur X (et donc aussi sur βX).

Je n'en dirai pas plus, à part que pour tout idéal premier 𝔭 de C(X) il existe un unique p∈βX tel que 𝔬p ⊆ 𝔭 ⊆ 𝔪p. On a des résultats tout à fait analogues pour C*.

Cette notion est encore différente des deux précédemment définies : si je reprends l'exemple de la fonction x ↦ sin(2πx), élément de C*(ℝ), cette fonction n'appartient à aucun 𝔬p, car un voisinage ouvert de p∈βℝ intersecte ℝ selon un ouvert (puisque ℝ est un sous-espace de βℝ) non vide (puisque ℝ est dense dans βℝ), et manifestement la fonction ne s'annule sur aucun ouvert non-vide de ℝ.

✱ Je devrais peut-être encore dire un mot de la notion de sous-espace C-plongé et C*-plongé d'un espace complètement régulier : on dit que YX est C-plongé, respectivement C*-plongé, lorsque la restriction à Y, c'est-à-dire l'application C(X)→C(Y), respectivement C*(X)→C*(Y), donnée par f ↦ f|Y, est surjective, c'est-à-dire que toute fonction continue, resp. continue bornée, sur Y, se prolonge à X. Par exemple, pour X complètement régulier, X est C*-plongé dans βX (mais, en général, pas C-plongé), et ceci est d'ailleurs une définition possible de βX dans le cas complètement régulier. (Une caractérisation classique du fait d'être C*-plongé et C-plongé, est qu'un sous-espace YX est C*-plongé si et seulement si deux ensembles A et B « fonctionnellement séparés » dans Y le sont encore dans X, où fonctionnellement séparés (ou encore complètement séparés) signifie qu'il existe une fonction f continue (qu'on peut supposer bornée ou même à valeurs dans [0;1]) telle que f|A=0 et f|B=1 ; et il (Y) est C-plongé si et seulement si il est C*-plongé et, de plus, il est fonctionnellement séparé de tout z-fermé disjoint de lui (Y). Mais franchement, je ne trouve pas ça très parlant.) Ce qu'il est utile de retenir, en revanche, c'est que dans un espace normal (:= deux fermés disjoints quelconques sont fonctionnellement séparés), et notamment dans un espace compact ou un espace métrique, tout fermé est C*-plongé et même C-plongé ; c'est encore le cas de tout compact dans un espace complètement régulier. Par ailleurs, le fait que Y soit C*-plongé dans X équivaut au fait que l'application continue βY→βX déduite de l'inclusion YX soit injective, et, du coup, un homéomorphisme de βY sur l'adhérence clβX(Y) de Y dans βX.

Enfin, je dois dire un mot des espaces réelcompacts et de la réelcompactification de Hewitt-Nachbin. En bref, il s'agit de refaire avec ℝ ce qu'on faisait avec [0;1] pour la compactification de Stone-Čech :

✱ Un espace topologique X est dit réelcompact lorsqu'il est complètement régulier et qu'aucun point p∈βXX n'est réel, ce qui (être réel), rappelons-le, signifie que ℝp=ℝ ou encore que 𝔪*p = 𝔪p∩C*(X), ou, plus simplement, que si une fonction réelle continue f s'annule en p alors p est dans l'adhérence de points de X où elle s'annule (la fonction « s'annule strictement »). Mais cette propriété n'est pas très parlante, et en fait il vaut sans doute mieux définir les espaces réelcompacts simplement comme ceux qui sont égaux à leur réelcompactification υX, que je définis maintenant (certaines de ces caractérisations ne présupposent pas la notion d'espace réelcompact et peuvent donc servir à la définir) :

  • Propriété universelle : X→υX est une application continue vers un espace réelcompact [séparé], et toute application continue XS avec S réelcompact, se factorise de façon unique X→υXS.
  • Construction par évaluation universelle : υX est l'adhérence dans ℝC(X) de l'image de l'application Φ:X→ℝC(X) d'évaluation universelle (qui envoie xX sur la famille (f(x))f∈C(X)), munie de la topologie induite par ℝC(X), et X→υX est simplement donnée par l'application Φ elle-même.
  • Caractérisation par fonctions continues : υX est l'unique espace réelcompact [séparé] tel qu'on ait C(υX) = C(X), et X→υX est l'application envoyant un xX sur l'unique p∈υX tel que l'ensemble (l'idéal maximal à quotient réel) des fonctions f∈C(X) s'annulant en x s'identifie dans à celui des fonctions f∈C(υX) s'annulant en p.
  • Construction par idéaux maximaux des fonctions continues (essentiellement une reformulation de la précédente) : υX est l'ensemble des idéaux maximaux de C(X) tels que le quotient soit ℝ (ou, ce qui revient au même, soit aussi le quotient correspondant de C*(X)), muni de la topologie de Zariski, c'est-à-dire, celle induite par βX avec la même construction.
  • Construction par z-ultrafiltres σ-complets : υX est l'ensemble des z-ultrafiltres sur X qui soient stables par intersection dénombrable (σ-complets), muni de la topologie induite par βX avec la même construction.

Comme la compactification de Stone-Čech, la réelcompactification est fonctorielle. Par ailleurs, on a une factorisation X→υX→βX (par exemple parce que βυXX) ; en fait, on a même X→τX→υX→βX (voire X→ϝX→τX→υX→βX si on a lu ce que j'ai écrit sur la fonctionnelle séparification d'un espace topologique).

✱ Ceci étant, la réelcompactification est tout de même d'un intérêt limité parce qu'il est assez difficile de produire des exemples d'espaces topologiques qui ne soient pas réelcompacts : tout espace de Lindelöf complètement régulier, et aussi tout espace métrique de cardinal strictement inférieur au premier cardinal mesurable (quelque chose de monstrueusement grand, cf. ci-dessous) s'il existe, et bien sûr tout espace compact, est réelcompact ; notamment, ℕ, ℚ, ℝ sont réelcompacts. Le contre-exemple le plus simple est ω₁ (muni de la topologie de l'ordre), pour lequel on a υ(ω₁) = β(ω₁) = (ω₁+1).

Un problème ensemblistement intéressant est de savoir si tout espace discret est réelcompact : c'est-à-dire si tout ultrafiltre σ-complet (= stable par intersections dénombrables) sur un ensemble est forcément principal (= l'ensemble de toutes les parties contenant un élément donné) : cela revient à l'inexistence des cardinaux mesurables, plus exactement, un espace discret est réelcompact si et seulement si son cardinal est strictement inférieur au premier cardinal mesurable s'il existe ; il est consistant (relativement à la consistance de ZFC) que les cardinaux mesurables n'existent pas, i.e., que tout ultrafiltre σ-complet est principal, et dans ce cas, tout espace discret est réelcompact ; mais s'il existe un cardinal mesurable κ, alors, muni de la topologie discrète, il n'est pas réelcompact (et sa réelcompactification est l'ensemble de ses ultrafiltres σ-complets non principaux).

✱ À l'opposé, si on veut, des espaces réelcompacts, il y a les espaces weierstrassiens (ou pseudocompacts), qui sont ceux pour lesquels on a C(X)=C*(X), i.e., toute fonction réelle continue est bornée [et alors automatiquement, atteint ses bornes], ce qui revient à avoir υXX. C'est le cas, notamment, de ω₁ (muni de la topologie de l'ordre). On peut donc dire qu'on a séparé la notion d'espace compact en deux notions distinctes dont elle est la conjonction : compact ⇔ réelcompact ∧ weierstrassien. (En fait, on peut même dire qu'on a séparé la notion d'espace compact en quatre notions dont elle est la conjonction : si on regarde la factorisation X→ϝX→τX→υX→βX, on a quatre notions correspondant au fait que chacune de ces quatre flèches est un isomorphisme, la première est le fait d'être fonctionnellement séparé, la seconde est le fait que la fonctionnelle séparification soit complètement régulière, la troisième est le fait que la complète régulariation soit réelcompact, et la quatrième est le fait d'être weierstrassien.)

✱ Je finis enfin par une généralisation assez naturelle (due à Engelking et Mrówka — au moins pour la notion d'espaces E-réguliers et E-compacts) : si E est un espace topologique quelconque mais fixé, on peut s'intéresser, pour un espace X à étudier, à l'ensemble C(X,E) des applications continues XE, et à « l'évaluation universelle » ΦE:XEC(X,E) d'évaluation universelle (qui envoie xX sur la famille (f(x))f∈C(X,E)), où EC(X,E) est muni de la topologie produit. On dira que :

  • X est E-séparé lorsque ΦE est injective (i.e., si x,yX sont tels que toute application continue f:XE vérifie f(x)=f(y) alors en fait x=y).
  • X est E-régulier lorsque ΦE définit un homéomorphisme entre X et son image (munie de la topologie induite par EC(X,E)) (essentiellement, cela revient à demander, en plus du fait que X soit E-séparé, que tout point a une base fondamentale de voisinage formée en imposant un nombre fini de conditions sur des fonctions continues XE).
  • X est E-compact lorsque X est E-régulier et que son image est fermée dans EC(X,E) [correction () : cette définition n'est pas la bonne, ou n'est pas standard, lorsque E n'est pas séparé (la définition standard est que X est homéomorphe à un sous-espace fermé de EI pour un certain I, ce qui est bien équivalent à ce que j'ai dit si E est séparé, mais pas en général ; voir aussi la correction plus bas dans le cas de l'espace de Sierpiński)].

Ainsi :

  • Lorsque E=[0;1], les espaces E-séparés sont les espaces fonctionnellement séparés, les E-réguliers sont les espaces complètement réguliers, les E-compacts sont les compacts.
  • Lorsque E=ℝ, les espaces E-séparés sont (de nouveau) les espaces fonctionnellement séparés, les E-réguliers sont (de nouveau) les espaces complètement réguliers, les E-compacts sont les réelcompacts.

Mais on peut considérer d'autres cas :

  • Lorsque E={0;1} (ensemble à deux éléments muni de la topologie discrète), les espaces E-séparés sont les espaces totalement séparés (= les quasicomposantes connexes sont des singletons ; c'est un peu plus fort que totalement discontinu (= les composantes connexes sont des singletons)), les E-réguliers sont les espaces séparés zéro-dimensionnels (ou « éparpillés »), c'est-à-dire ceux qui ont une base d'ouverts formée d'ouverts fermés, les E-compacts sont les espaces zéro-dimensionnels compacts, également appelés espaces de Stone.
  • Lorsque E=ℕ (muni de la topologie discrète), les espaces E-séparés et les E-réguliers sont comme pour E={0;1}, et les E-compacts sont… je crois que c'est un problème ouvert, on pense que ce sont les espaces zéro-dimensionnels réelcompacts, mais je crois que ce n'est pas prouvé (l'histoire est embrouillée parce qu'il y a un article d'Engelking et Mrówka de 1958 qui prétendait le prouver, cet article contient une erreur et de toute façon il est introuvable… bref, c'est le bordel).
  • Lorsque E est l'espace de Sierpiński S={η,s} muni de la topologie {∅,{η},{η,s}} dans laquelle le seul singleton {η} est ouvert (et dont la principale vertu est que les fonctions continues XS s'identifient aux ouverts, ou aux fermés comme on voudra, de X), les espaces E-séparés comme les E-réguliers sont les espaces T₀ (c'est-à-dire que donnés deux points distincts il y a un voisinage de l'un qui ne contient pas l'autre, sans qu'on puisse imposer lequel), et si je ne m'abuse pas, les E-compacts sont les espaces « sobres » [correction () : ah non, c'est plus compliqué que ça, voir cette réponse sur MathOverflow : avec la définition que j'ai donnée ci-dessus (S-compact signifiant que ΦS:XSC(X,S) est un homéomorphisme sur un fermé), même un singleton n'est pas S-fermé ; avec la définition plus standard (S-compact signifiant que X est homéomorphe à un sous-espace fermé de SI pour un certain I), une caractérisation est donnée par la remarque 1.4(b) de l'article Compact T₀-Spaces and T₀-Compactification de Horst Herrlich (Applied Categorical Structures 1 (1993) 111–132) ; mais il existe toutes sortes de résultats relativement proches de celui que je voulais, notamment celui cité dans l'introduction de ce preprint (un espace topologique est sobre ssi il est homéomorphe à un sous-espace « avant-fermé » d'une puissance de S)].

(Peut-être que le cas de ℝ muni de la topologie dont les ouverts sont les demi-droites ouvertes infinies à droite ]a;+∞[ serait également intéressant à considérer ; les fonctions continues vers cet espace sont les fonctions réelles semi-continues inférieurement.)

Avec tout ça il doit exister des foncteurs de E-séparification, de E-régularisation et de E-compactification (qui reflètent les sous-catégories pleines dans chaque cas) : j'ai décrit les cas E=[0;1] et E=ℝ ci-dessus avec les foncteurs de fonctionnelle sépartion, de complète régularisation, de réelcompactification et de compactification de Stone-Čech, mais on doit avoir, par exemple, des foncteurs de « totale séparification » ({0,1}-séparification) et de « zéro-dimensionnalisation » ({0,1}-régularisation) pour E={0;1}, et la {0,1}-compactification est connue sous le nom de compactification de Banaschewski (au moins si l'espace dont on part est déjà [séparé] zéro-dimensionnel). Pour ce qui est de l'espace de Sierpiński la S-séparification et la S-régularisation coïncident et sont le plus grand quotient T₀, tandis que la S-compactification porte (si je ne me trompe pas en pensant que les espaces S-compacts sont les espaces sobres) le nom de « sobrification ».

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