Je tiens d'un autre la remarque qui suit, mais je trouve l'idée (le mème ?) suffisamment importante pour qu'elle mérite d'être répétée. Je vais donc m'attacher à l'expliquer ici.
On entend souvent des gens se défendre d'avoir fait une remarque,
émis une idée, etc., un peu nauséabonde, en prononçant la phrase je
ne suis pas raciste
(même chose
avec sexiste
, homophobe
, antisémite
, islamophobe
,
etc.). Il y a aussi la variante je ne suis pas
raciste, mais
: celle-là est suffisamment évidente, parce
que l'apodose contredit presque toujours immédiatement la protase.
Mais regardons la phrase je ne suis pas raciste
toute
seule.
L'idée de celui qui se défend d'être raciste est qu'il y aurait
des personnes racistes, et d'autres qui ne le sont pas :
c'est-à-dire, que la propriété raciste
serait une propriété
attachée à une personne, un attribut inhérent à celle-ci.
Or c'est surtout cette idée-là qui est fausse et
dangereuse. Ce qui est raciste, c'est une action, un
propos, une pensée — pas une personne. On peut certes
raisonnablement qualifier de raciste
une personne qui commet ou
soutient régulièrement des actions, propos ou pensées racistes, mais
la contraposée ne marche pas : une personne pas raciste
, qui
serait magiquement invulnérable à ces idées (et donc, qui ne pourrait
jamais en être accusée), ça n'existe pas parce que ça n'a pas de
sens.
Les choses devraient être plus claires si on compare
avec stupide
: je ne sais pas s'il existe des personnes
intrinsèquement stupides, mais en tout cas, personne n'aurait l'idée
de se défendre, après avoir dit une bêtise, ou une potentielle bêtise,
en disant je ne suis pas stupide
(sans parler de je ne suis
pas stupide, mais
). Si quelqu'un vous accuse d'avoir
fait quelque chose de stupide, on se défend sur le fond, on ne dit
pas je ne suis pas stupide
.
Le danger de cette idée est que si on pense qu'il existe un
attribut non-raciste
, à peu près tout le monde veut s'en
réclamer (presque autant que non-stupide
), et se croit ensuite
invulnérable à toute accusation dans le domaine : ce qui dispense
d'avoir à remettre en question ses actions, propos ou pensées. Or
c'est idiot : de même que tout le monde commet
occasionnellement des actes stupides, prononce des paroles stupides ou
entretient des idées stupides, il serait bien étonnant que la même
chose ne vaille pas pour d'autres façons pour une action, un propos ou
une pensée d'être intellectuellement et/ou moralement répréhensible
(même s'il y en a qui sont plus facilement détectables, donc
évitables, que d'autres, pour peu qu'on en ait la volonté).
Indiscutablement, il m'arrive (et d'ailleurs, la fréquence m'en
inquiète) d'avoir des pensées racistes, et il doit m'arriver d'aller
plus loin que la pensée. D'ailleurs, ça m'arrive aussi pour
l'homophobie. Et pour ce qui est de la stupidité, n'en parlons
pas.
Il faut donc chasser l'idée qu'en parlant de racisme on jugerait une personne dans son entier. Ce qu'on peut juger publiquement, c'est une action ou un propos. Ce que chacun peut juger in imo pectore, c'est ses propres pensées. Former des jugements holistes sur une personne, ça n'a guère de sens.
Mais il y a aussi la question connexe de l'intention : dire je
ne suis pas raciste
est souvent avancé pour signifier mon
intention n'était pas mauvaise
, i.e., le racisme
était involontaire. Pour un juge de moralité, la question du
caractère volontaire ou non d'une action soumise au jugement est
effectivement importante ; mais le plus souvent, nous ne sommes pas
juges de la moralité des autres, ce n'est pas notre place : ce qui
importe est ce qu'ils ont réellement fait ou dit, et les conséquences
que cela entraînera, pas de savoir si leurs intentions étaient pures.
La réponse à faire à je ne suis pas raciste
est alors : je
ne suis pas ta conscience
.