Mes fragments littéraires gratuits ont tous plus ou moins en commun le fait qu'il s'agit de fragments de récits. Mais on peut imaginer des fragments d'autres choses. Voici une petite incursion dans cette direction.
Toute tentative de reconstitution historique est intrinsèquement hasardeuse, surtout lorsque les traditions, légendes et interpolations tentent de remplir les zones d'ombre du passé et en viennent à se fondre avec lui. S'agissant d'un personnage dont on ne peut pas écrire une phrase sans alimenter une polémique, les difficultés sont extrêmes. Que dire, dans ces conditions, de la vie du Libérateur lui-même ? Comment oser parler de lui ? Les plus sages ne s'y sont pas risqués ; prudence qu'un grand historien du siècle dernier (il s'agit d'Alix Weintag, qui s'exprime ainsi dans ses Mémoires) résume de la façon suivante :
Il nous est tout simplement impossible de concevoir ce que pouvait être la vie dans les provinces sous le règne de Cléon VII, encore moins d'imaginer comment le nom de Jasper a pu désigner un endroit reculé, une région sous tutelle aux frontières de l'Empire, bref un lieu quasiment inconnu. Le Libérateur est le prisme au travers duquel nous voyons toute l'Histoire : mais nous ne pouvons pas examiner le prisme lui-même. Si tentant qu'il soit de chercher à savoir ce que sa propre vie a pu être, cela ne saurait être qu'extrapolation et fiction — laissons ce travail à l'écrivain et non à l'historien.Fools rush in where angels fear to tread : nous espérons que ce n'est pas par cet adage que le présent travail sera jugé. L'auteur croit justement tenir sa légitimité du fait qu'il n'est pas historien, et que sa démarche n'est pas celle d'un historien et ne prétend pas l'être. Les plus prudents, donc, pourront lire notre tentative comme une pure fiction, et la juger pour sa valeur littéraire seulement.
Mais ce que nous souhaiterions avant tout, c'est que le point de vue exposé ici (et le débat enflammé que notre thèse engendrera inévitablement) incite les historiens, soit pour le confirmer soit pour l'infirmer, à braver leur peur du
prisme, à opposer leur audace aux conseils du vieux Weintag, et à admettre enfin le Libérateur comme un sujet d'étude légitime.Pour en arriver là, il nous faut donc remonter le temps. Nous sommes à la fin du dix-huitième millénaire, et la dynastie des Zerniens se tarit — elle n'en finit pas de se tarir.