David Madore's WebLog: Voleur de Feu

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(mercredi)

Voleur de Feu

[Ajout préliminaire : voir aussi cette entrée bien ultérieure où je parle également des histoires que j'écrivais autrefois, et de comment je les ai écrites (et de Voleur de Feu, de ce qu'il signifie pour moi, etc.).]

Quand j'étais petit (petit voulant dire jusqu'à 18 ans à peu près), je me racontais des histoires. Je n'arrêtais pas ; même, il m'arrivait souvent de parler seul, voire de jouer presque des pièces de théâtre à moi tout seul. Des histoires dans le genre heroic fantasy ou space opera (comment dit-on ces choses-là en français, d'ailleurs ?) en général — mais pas forcément. Toujours passablement mêlées d'ésotérisme et de symbolisme compliqués. J'en ai écrit quelques-unes, d'ailleurs, comme ma série de romans Anderland (où apparaît pour la première fois le nom de Ruxor), qui est absolument illisible et incompréhensible parce que j'écrivais non pour écrire mais pour me raconter ces histoires. En quelque sorte, il s'agit d'un concentré de ce que j'avais dans la tête à l'époque, et ce n'est donc pas facile à comprendre (même moi j'ai du mal). Ce n'est que plus tard que j'ai commencé à me faire à l'idée que l'écriture peut aussi avoir un autre intérêt que le récit d'une histoire tarabiscotée ou l'étalage de métaphores ampoulées : qu'il peut y avoir un travail de construction, de style, et encore d'autres choses ; en même temps, j'ai laissé tomber mes tentatives de romancier pour m'essayer (plus modestement ? peut-être pas) à la nouvelle (je pense que la première que j'ai écrite a été celle-ci), voire au fragment.

La dernière fois que j'ai vraiment joué au démiurge, c'est en écrivant La Larme du Destin. Je dis démiurge, parce que c'était vraiment un monde que je créais — Anecdar — et pas seulement un récit. Un monde qui a une histoire, une géographie, des langues, des peuples et des relations entre eux, que sais-je encore ? (C'est sans doute aussi à ma propre relation à l'écriture que je pensais quand j'ai produit cette petite nouvelle qu'est l'Histoire de la Propédeutique à la Reine des Elfes.) Je ne dis pas que j'ai été très doué pour cette création, mais j'y ai mis beaucoup d'efforts : j'ai fait des calculs invraisemblables de mécanique céleste juste pour placer une éclipse au bon moment dans mon histoire et pour écrire une scène où les personnages regardent le ciel, j'ai créé des dynasties d'Empereurs juste pour que mon Quentin II ne sorte pas de nulle part, et ainsi de suite. Le livre ne montre qu'un tout petit bout de ce monde. Pourtant, avec tout ça, le roman est, il faut le dire, bien médiocre (malgré quelques trouvailles intéressantes, c'est surtout une naïveté presque enfantine qui me frappe quand je le relis aujourd'hui ; mais au moins il est assez compréhensible, contrairement à Anderland).

Peu importe que le roman ne soit pas à la hauteur : le monde, lui, est à moi, Anecdar est ma création, un univers où mon imagination pourra toujours se réfugier, et je l'aime. Encore maintenant il m'arrive d'y repenser, car je ne l'ai pas complètement abandonnée — heureusement, car quoi de plus triste qu'un monde que son créateur a déserté ? — et, parfois, avant de m'endormir, quand je laisse mon esprit vagabonder, je vais faire un tour entre les canaux et les tours de la ville de Tekir pour y retrouver des créatures familières.

Parmi les (très nombreux) personnages qui l'habitent, il y en a un qui a ma préférence : c'est celui qui porte le nom qui définit Prométhée : Voleur de Feu. (Il a un vrai nom à côté de ce surnom, mais pour l'apprendre on doit lire le livre jusqu'au bout. Na.) En fait, Voleur de Feu est mon prince charmant, le grand amour de ma vie (ça y est — mes analystes préférés vont me diagnostiquer des névroses compliquées parce que je tombe amoureux des personnages de mes histoires). J'ai écrit le roman à une époque où je ne révélais pas que j'étais homosexuel, et même le dire d'un personnage littéraire aurait été suspect, alors il faut le lire entre les lignes (plus tard j'ai pu me rattraper en écrivant par exemple ce conte de fée, dont les héros ont plus de chance en amour, d'ailleurs, que Voleur de Feu, lequel finit par un mariage de complaisance avec la princesse Invar).

J'ai toujours cru à la réalité des personnages de fiction, tant pour leurs auteurs, dont ils font partie, que pour leurs lecteurs que, bons ou mauvais, ils accompagneront toujours. Quelque part, donc, Voleur de Feu existe, et c'est assez frustrant de ne pas pouvoir le rencontrer dans ce monde-ci, parce qu'il est toujours si proche de moi.

Allez, je crois que je vais me coucher, et rendre une petite visite à Tekir pour l'y retrouver.

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