Bon anniversaire à moi ! 🎉🎂 Comme cadeau, vous pouvez lire le texte qui suit sur la physique des particules et faire semblant de l'avoir trouvé intéressant !
Je ne sais même pas pourquoi je parle de ça, moi. J'ai plein d'autres choses qui s'empilent dans la TODO-list (enfin, la TORANT-list) de ce blog, mais bon, ce truc m'est revenu à l'idée, voilà, voilà.
⁂
J'écrivais il n'y a pas longtemps à propos de la vulgarisation scientifique que ça me semble intéressant et important de faire de la semi-vulgarisation : de la vulgarisation qui s'adresse non pas au grand public mais à des gens qui ont déjà des connaissances préalables ou partielles dans tel ou tel domaine proche (ou préalable) de celui qu'on cherche à vulgariser, par exemple des scientifiques d'autres disciplines. Évidemment, cette idée est d'autant plus féconde qu'on peut trouver des connaissances intermédiaires relativement répandues et qui aident à bien mieux éclairer la cible qu'on cherche à expliquer.
Il y a un exemple qui, depuis longtemps, me semble particulièrement prometteur à cet égard, c'est celui de :
- connaissance présupposée = de l'algèbre linéaire (au moins en dimension finie),
- cible à expliquer = la théorie des particules (disons le modèle standard).
Ça n'a rien d'original. J'en ai d'ailleurs parlé à plusieurs reprises (voir notamment ici et là), ne serait-ce que pour dire que je ne suis pas la personne la mieux placée pour faire ça (cf. ici) ; et j'en avais même fait un petit bout à propos des neutrinos. Mais je peux être un peu plus précis sur ce dont il est question.
Il y a évidemment bien plus dans la mécanique quantique, ou a fortiori dans la théorie quantique des champs, que de l'algèbre linéaire ! Néanmoins, il me semble que beaucoup des phénomènes les plus contre-intuitifs de la mécanique quantique, et beaucoup des choses les plus difficiles à vulgariser auprès du grand public en physique des particules, deviennent immensément plus clairs dès qu'on introduit un petit peu d'algèbre linéaire. Or l'algèbre linéaire est quand même quelque chose de moins ésotérique, et sa compréhension est plus répandue, que les arcanes de la physique des particules : mais comme en même temps comprendre un peu la structure de l'Univers à très petite échelle intéresse beaucoup de gens, je pense qu'il y a matière à ce que l'approche soit féconde.
C'est ce que j'avais fait (enfin, essayé de faire) dans mon petit texte sur les oscillations des neutrinos, mais le principe général devrait pouvoir s'appliquer à d'autres morceaux du modèle standard. (Le modèle standard est la théorie qui décrit le tableau général de la physique des particules élémentaires et forces fondamentales connues, gravitation exclue, dans le cadre de la théorie quantique des champs.) Je veux dire, l'image qu'on donne du modèle standard si on cherche à la vulgariser auprès du grand public présente toutes sortes d'inexactitudes difficiles à corriger, juste en listant les particules élémentaires, notamment dans le secteur électrofaible ; alors que dès qu'on introduit un peu d'algèbre linéaire, il devrait être possible de dresser un portrait beaucoup plus fidèle de la théorie (y compris la brisure spontanée de la symétrie et le condensat de Higgs), sans aller jusqu'à en donner des équations (sans expliquer ce que sont un lagrangien et la renormalisation). Essentiellement, il s'agirait de rester globalement au niveau de la « première quantification » (= « théorie classique des champs », la terminologie est épouvantable), quitte à discuter plus tard des subtilités supplémentaires apportées au niveau de la théorie quantique des champs ; et de toute façon, même au niveau de la théorie classique des champs, se contenter de choses comme compter les dimensions et évoquer des changements de bases entre espaces de particules.
Mais, au risque de décevoir, ce n'est pas vraiment ce que je fais ici. Même si cette entrée est déjà très longue, je n'ai pas du tout la place d'y faire un portrait correct du modèle standard. (Si je pouvais persuader un vrai physicien de prendre les choses vraiment au sérieux, évidemment, ce serait parfait ; ou si on me dénichait un texte déjà écrit dans ce genre.) À défaut, ce que je peux faire, c'est donner, à travers des exemples (plus ou moins détaillés, et parfois juste esquissés), quelques pistes sur ce à quoi ressemblerait une telle vulgarisation.
Point de vue général
Le point de départ des explications c'est que ce qu'on
appelle particule élémentaire
est une vibration, une onde, dans
un « champ quantique ». (On peut supposer que le lecteur, en plus de
connaître un peu d'algèbre linéaire, a au moins une vague idée de ce
que c'est qu'une onde et que ce n'est pas la peine de recourir à des
comparaisons fatiguées à base d'ondes sur la surface de l'eau.) Le
fait que ces champs soient, justement, quantiques (← « seconde
quantification »), a pour implication le fait que ces vibrations
viennent par quantités minimales, par « quanta », et c'est ce qu'on
appelle une particule (dualité onde-corpuscule) ; mais ce n'est pas
tellement ça le sujet de la vulgariation. Faisons comme si on avait
affaire à des vibrations prenant leurs valeurs dans un « espace
vibratoire »[#] (i.e., restons au
niveau de la « première quantification »).
[#] Je ne trouve pas de
terme générique pour désigner le ou les espaces vectoriels dans
lesquels les différents champs de la théorie (classique ou quantique)
des champs prennent leurs valeurs. Donc je sors de mon chapeau ce
terme complètement pourri d'espace vibratoire
.
La chose que je veux plutôt souligner, c'est que cet espace vibratoire est d'une certaine dimension, i.e., qu'il y a un certain nombre de dimensions dans lesquelles les champs quantiques peuvent vibrer. Naïvement, une dimension = une particule : l'électron est une vibration du champ électronique, c'est-à-dire une vibration dans la direction « champ électronique », le muon est une vibration du champ muonique, c'est-à-dire une vibration dans la direction « champ muonique », le photon est une vibration du champ électromagnétique, etc. Mais c'est là qu'on peut commencer à ajouter des complications intéressantes. D'abord, il n'y a pas une vibration « électron », il y en a plutôt quatre (en gros, l'électron de chiralité gauche, l'électron de chiralité droite, le positron [=anti-électron] de chiralité gauche et le positron de chiralité droite, je vais y revenir à l'exemple nº3) ; il n'y a pas une vibration « photon », il y en a plutôt deux (la lumière polarisée horizontalement et la lumière polarisée verticalement, les directions étant choisies arbitrairement, et on peut d'ailleurs préférer les polarisations circulaires). Mais surtout :
Le choix des dimensions dans lesquelles on considère les vibrations n'est pas évident : il n'y a pas vraiment de base naturelle de l'espace vibratoire (l'espace dans lequel les champs quantiques prennent leurs valeurs) ; ou parfois, il y a plusieurs bases naturelles différentes.
Plus précisément : beaucoup de phénomènes (comme la masse, ou les interactions entre les particules) vont être décrits par des opérateurs [=applications] linéaires (typiquement des matrices hermitiennes sur un espace hermitien mais peu importe à ce niveau de détails) diagonalisables dans une base orthonormée de l'espace vibratoire ; mais comme ces opérateurs ne commutent pas, la base qui en diagonalise un (qui n'est d'ailleurs généralement pas unique) n'est pas forcément celle qui en diagonalise un autre.
Ce qui signifie que ce qui se comporte comme une particule pour un phénomène, par exemple la masse (qui est en fait l'interaction avec le Higgs, mais peu importe pour le moment), ne se comporte pas comme une particule pour un autre phénomène, par exemple l'interaction faible, et vice versa.
En gros, il y a un opérateur « masse » qui, dans une certaine base, est diagonal avec pour valeurs diagonales (valeurs propres) : dans la dimension « électron » la masse de l'électron, dans la dimension « muon » la masse du muon, etc. ; donc si on veut définir la masse d'une particule, ça a un sens à condition de définir les particules comme des vibrations selon ces dimensions-là ; manque de chance, il y a un opérateur « interactions faibles » qui, lui, a envie d'une base différente. (Et la matrice de passage entre ces deux bases a un sens et peut être mesurée expérimentalement, cf. l'exemple nº2 ci-dessous.)
C'est essentiellement ce que j'avais essayé d'expliquer dans le cas des neutrinos, mais j'ai essayé de le dire, là, de façon plus générale, et je pense qu'une fois qu'on a compris cette idée générale (qui nécessite, donc, un peu d'algèbre linéaire : le fait de savoir ce qu'est une base, la non-unicité des bases, le fait qu'un opérateur hermitien se diagonalise en base orthonormée, ce genre de choses), on a une idée beaucoup plus précise de la physique des particules, ou en tout cas, on aurait la possibilité de lire une vulgarisation qui donne une image raisonnablement précise du modèle standard.
Je donne quelques exemples de ce qu'on peut expliquer comme phénomènes physiques en partant, grosso modo, de ce que j'ai souligné ci-dessus. Ces différents exemples sont assez banals (on les trouve dans tous les livres d'introduction à la physique des particules ou au modèle standard), mais ce que je veux surtout illustrer, c'est qu'on peut en parler sans trop écrire d'équations et en restant à un niveau intermédiaire entre la vulgarisation grand public et la description mathématique précise. (Je ne sais pas si mes explications sont très bonnes parce qu'il faudrait sans doute une entrée plus longue que celle-ci qui l'est déjà assez, mais j'espère au moins que cela convaincra que ça serait possible.) Je précise que les différents exemples qui suivent sont largement indépendants (même si le quatrième évoque des choses que j'ai dites dans les trois premiers) et que, au sein de chacun d'eux, j'essaye d'aller de plus en plus dans les détails. Mais auparavant, il faut que je fasse un tour d'horizon ultra-rapide des particules élémentaires.
Panorama ultra-rapide préliminaire des particules élémentaires.
Il y a deux sortes de particules élémentaires : les fermions (« particules de matière ») et les bosons (« particules de force »).Les fermions sont joliment arrangés en trois
« générations » ou « familles » (la légère, la moyenne et la lourde),
avec, dans chacune, des générations : deux particules
appelées leptons
(l'un portant la charge électrique −1, comme l'éléctron, et l'autre
électriquement neutre, qu'on appelle un neutrino, et dont
la masse est très faible), et deux (« saveurs »
de) quarks
(l'un ayant la charge −1/3 et l'autre la charge +2/3). Il y a donc
six leptons et six (saveurs de) quarks ; pour les sortes de quarks, on
utilise le terme saveur
parce que les quarks ont aussi
une couleur
, mais je vais y revenir. Les quarks sont les
constituants de particules non-élémentaires
appelées hadrons (comme le proton et le neutron), au sein
desquels ils sont liés par la force forte.
Les bosons sont responsables des forces fondamentales de la nature : c'est un abus de dire ça, mais je vais y revenir. En mettant de côté la gravitation (représentée par le symbole G dans le tableau ci-contre, mais qui est négligeable au niveau des particules élémentaires, et qui ne fait pas partie du modèle standard parce qu'on ne sait pas la rendre quantique), les forces fondamentales sont : la force forte ou chromodynamique (celle qui relie les quarks ensemble), la force faible et l'électromagnétisme qui sont en fait deux facettes d'une même force électrofaible, et vraiment à part, le Higgs. Les bosons responsables de la force forte s'appellent gluons (notés g ; il y a aussi des bosons non-élémentaires qui sont responsables de la force qui résulte de la force forte entre les hadrons — particules formées de quarks — mais je n'en parlerai pas du tout) ; les bosons responsables de la force faible sont le Z⁰ et le W⁺/W⁻ ; et les bosons responsables de l'électromagnétisme sont les photons (γ). Le Higgs est assez différent des autres, et j'y reviendrai dans mon exemple nº4. Dans la vie courante, nous ne voyons de façon vraiment évidente que les effets de l'électromagnétisme, parce que les quarks et les gluons sont « confinés » au sein des hadrons, ils ne peuvent jamais apparaître « nus », et parce que les bosons Z et W ont une masse importante (contrairement aux gluons et photons qui n'en ont pas), ce qui a pour effet de limiter leur effet à courte distance.
Bon, il est abusé de dire que les bosons sont responsables des
forces : il faut un peu mieux expliquer ce point. Un boson comme le
photon est une vibration dans un champ (vectoriel pour tous les
bosons, sauf le Higgs qui est scalaire), et ce champ interagit avec
les particules qui « sentent » la force en question (les particules
chargées dans le cas du photon, les particules ayant de la « couleur »
dans le cas du gluon, et en gros toutes les particules sauf le photon
et le gluon dans le cas du Z, du W et du Higgs).
Il est abusé de dire que deux charges électriques interagissent en
s'envoyant des photons sous prétexte qu'elles interagissent via le
champ électromagnétique, dont le photon est la vibration. Néanmoins,
c'est souvent pratique de dire ça, à la fois parce que c'est imagé, et
parce que c'est la manière dont on fait certains calculs de
développement limités (approche « perturbative ») en dessinant des
diagrammes dits « de Feynmann » qui représentent graphiquement des
histoires de particules qui en absorbent ou en émettent d'autres.
Comme compromis pour éviter de trop abuser, on dit parfois que deux
particules chargées échangent des
photons virtuels
.
Le scénario naïf/simplifié/abusé/imagé, mais qu'il est quand même utile de garder en tête, par lequel deux particules chargées électriquement interagissent, donc, c'est que l'une émet un ou plusieurs photons (« virtuels »), que l'autre absorbe, et ceci produit une force entre les deux particules. (Précisons que ce scénario est tellement simplifié que ça n'a pas vraiment de se sens de se demander qui émet et qui reçoit les photons : fondamentalement, c'est symétrique.) Pour les interactions fortes entre particules « colorées », la même chose vaut en échangeant des gluons, mais avec la complication que les gluons sont eux-mêmes « colorés », donc (a) ils interagissent aussi entre eux (via d'autres gluons), et (b) un quark qui émet un gluon coloré va changer de couleur pour conserver la couleur dans l'histoire (p.ex., un quark rouge qui émet un gluon rouge-anti-vert devient vert) ; je vais revenir là-dessus dans mon exemple nº1 pour essayer de rendre ce tableau un tout petit peu moins faux. Pour les interactions faibles, il y a (1) celles par « courant neutre »[#2] qui se font en échangeant des bosons Z⁰, et qui ne sont pas très différentes de l'électromagnétisme sauf que la charge qui intervient est différente (les neutrinos participent au jeu, notamment) et que ce sont uniquement les particules « chirales gauches » qui les ressentent (je vais y revenir dans mon exemple nº3), et (2) celles par « courant chargé » qui se font en échangeant des bosons W⁺/W⁻, et qui changent la particule dans l'histoire (la version la plus naïve étant qu'un lepton négativement chargé qui émet un W⁻ ou absorbe un W⁺ se transforme en le neutrino correspondant, et qu'un quark de charge −1/3 qui émet un W⁻ ou absorbe un W⁺ se transforme en le quark de charge +2/3 correspondant ; je vais rendre ça un petit peu moins faux dans mon exemple nº2) ; signalons quand même que les interactions faibles par courant chargé sont responsables pour la désintégration du neutron : en gros, un quark « bas » du neutron émet un boson W⁻, se transforme en quark « haut », et le boson W⁻ se désintègre lui-même en électron + antineutrino (ce qui est un peu pareil que si un neutrino absorbait un W⁻ et se transformait en électron). En fait, l'électromagnétisme, les interactions faibles par courant neutre et celles par courant chargé sont des facettes d'une même « force électrofaible », mais pour la comprendre il faut évoquer le Higgs revenir aux premiers instants de la vie de l'Univers, ce sera l'objet de mon exemple nº4.
[#2] On peut dire que le courant chargé était connu depuis longtemps, mais la prédiction de l'existence du courant neutre, confirmée expérimentalement en 1973, est un des succès majeurs de la théorie Glashow-Salam-Weinberg des interactions faibles (qui fait maintenant partie du modèle standard), suivie par la découverte des bosons Z et W eux-mêmes (en tant que particules, donc) en 1983.
Exemple nº1 : la « couleur » des quarks et gluons (et la notion de symétrie de jauge).
Les quarks, ces particules qui ne peuvent pas exister seules et qui constituent entre autres les protons et les neutrons, ont une propriété appeléecouleurà laquelle on attribue symboliquement les trois valeurs possibles
rouge,
vertet
bleu(des labels complètement arbitraires et dont il n'est pas utile que je précise qu'ils n'ont rien à voir avec la couleur vue par l'œil humain). En fait, cela veut dire qu'il s'agit d'une vibration dans un espace de dimension 3. (Ou plutôt, 3 fois toutes les autres dimensions qui peuvent exister par ailleurs ! je crois compter 72 dimensions au total pour les vibrations « quarks » : 6 « saveurs » × 3 « couleurs » × 4 dimensions pour la chiralité et l'antiparticule. Mais oublions tout le reste et ne considérons pour le moment que la couleur.)
Mais cet espace de dimension 3 n'a pas de base naturelle :
ce n'est pas juste que les labels rouge
, vert
et bleu
sont arbitraires, mais il n'a même pas trois directions
privilégiées. Il n'y a pas de notion de « quark rouge », de « quark
vert » et de « quark bleu », comme si c'étaient trois particules bien
définies : il y a juste trois dimensions, sans base naturelle, dans
lesquelles le champ du quark peut vibrer. On peut effectuer des
changements de base dans cet « espace interne » de vibrations du quark
sans changer la physique : c'est-à-dire qu'il y a un groupe de
symétries ; le groupe en question n'est pas tout à fait le groupe
SO(3) des rotations en trois dimensions, parce que les espaces sont
complexes (je ne vais pas vraiment essayer d'expliquer pourquoi) : le
groupe naturel qui intervient est le groupe SU(3) des matrices
unitaires 3×3 de déterminant 1 (il est de dimension 8) ; mais bon, au
niveau de vague où je vais rester, ce n'est pas très important de quel
groupe il s'agit exactement.
En fait, la symétrie est encore plus profonde que ce que je viens de dire : il n'y a pas juste symétrie globale de l'espace des couleurs, il y a ce qu'on appelle une « symétrie de jauge », et je voudrais essayer d'expliquer un minimum ce que ça veut dire.
Ce n'est pas juste que l'espace des couleurs du quark n'a pas de base naturelle (invariance globale) : il n'y a même pas de lien évident entre une base qu'on pourrait avoir choisie en un point de l'espace-temps et une base qu'on pourrait avoir choisie en un autre point de l'espace-temps ! Donc, si vous avez deux quarks à des endroits différents, ou même un seul quark à différents moments de son histoire, ce n'est même pas évident de dire s'ils ont ou pas la même couleur. Alors, pour être plus précis, si vous choisissez une base (« rouge », « vert », « bleu ») de l'espace des couleurs à un point donné de l'espace-temps, vous pouvez transporter cette base en un point voisin très proche, puis un autre point voisin, et ainsi de suite, et vous arrivez comme ça à transporter la base d'un point à un autre, mais le résultat peut dépendre du chemin suivi. On dit que l'espace interne des couleurs peut avoir une « courbure »[#3].
[#3] (Parce que la situation est exactement comme celle, sur un espace courbe, par exemple la surface d'une sphère, où vous pouvez choisir une direction [tangente] en un point, et déplacer cette direction de proche en proche en suivant un chemin pour l'amener à un autre point, mais le résultat dépend généralement du chemin suivi. Pour ceux qui savent ce que ça veut dire, mathématiquement, l'espace de couleur des quarks est un fibré sous SU(3) de fibre ℂ³, le champ chromodynamique, cf. ci-dessous, est une connexion sur ce fibré, mais cette connexion n'est pas plate.)
Les gluons, eux, sont des particules élémentaires (des bosons) que s'échangent les quarks pour interagir entre eux via la couleur : j'ai déjà expliqué plus haut que c'est abusé de dire ça mais qu'on le dit quand même ; en fait, les bosons sont les vibrations du champ chromodynamique qui force les quarks à rester ensemble. (Même ça est abusé, en fait : ce serait une description correcte en théorie classique des champs, mais le champ chromodynamique se comporte vraiment de façon essentiellement quantique, à tel point qu'il donne une structure compliquée au vide, et les gluons ne sont pas vraiment des vibrations non plus. Je ne peux pas en dire plus à part que c'est Compliqué®.)
Le champ chromodynamique n'est pas seulement celui qui permet aux particules « colorées » d'interagir, il est aussi celui qui « connecte » les espaces de couleurs entre des points différents : on peut choisir arbitrairement une base de l'espace de couleurs en chaque point, mais c'est le champ chromodynamique qui va permettre de transporter la base d'un point à un autre (selon un chemin quelconque). Et si on choisit une base de l'espace des couleurs en un point, et qu'on la transporte en un autre point selon deux chemins différents, disons dans l'espace, la différence entre les deux bases qu'on obtient de la sorte mesure essentiellement le « flux » du champ[#4] chromodynamique entre ces deux chemins (quelque chose d'analogue à la courbure d'espace dans le cas de la gravitation, mais aussi au flux magnétique dans le cas de l'électromagnétisme). Même si je ne peux pas faire mieux, au niveau où je me suis placé, que cette description désagréablement vague, c'est l'idée fondamentale de la notion de « symétrie de jauge ».
[#4] Bon, je suis quand
même un peu emmerdé par le mot champ
: pour ce qui est des
bosons de jauge (photon, gluons et Z/W), il y a
deux choses qu'on peut avoir envie d'appeler champ
: d'une part
(1) le potentiel vecteur (qui, mathématiquement, peut se voir
comme une connexion sur le fibré dont il est la jauge), A dans
le cas de l'électromagnétisme (y compris le potentiel électrique), et
d'autre part (2) l'intensité de champ, qui est
essentiellement une sorte de dérivée du précédent (mathématiquement,
la courbure associée à la connexion en question), qui réunit, dans le
cas électromagnétique, ce qu'on appelle classiquement le champ
électrique et le champ magnétique. Je fais des phrases et des
descriptions suffisamment vagues pour que cette différence ne soit le
plus souvent pas vraiment importante (le (2) dérive du (1), et permet
« plus ou moins » de le retrouver, à un « choix de jauge » près
justement) ; je n'avais pas vraiment envie de préciser cette
différence, mais ça m'embête quand même. Le problème terminologique
vient du fait que le mot champ
dans la théorie quantique des
champs fait plutôt référence à l'objet le plus basique, donc (1) ;
mais que classiquement, ce qu'on appelle champ électromagnétique,
c'est le (2).
Les gluons, dans la description la plus naïve, ont une couleur et
une anti-couleur : par exemple, il y a un gluon rouge-anti-vert (un
quark rouge peut émettre un gluon rouge-anti-vert et devenir un quark
vert ; tandis qu'un quark vert qui absorberait ce gluon
rouge-anti-vert deviendrait rouge). Mais bon, justement, c'est naïf,
parce qu'il y a huit glons, pas six ou neuf comme on se
l'imaginerait en considérant les combinaisons couleur-anti-couleur
(six si on pense que les deux couleurs doivent différer, neuf si on ne
le pense pas). Pour l'anecdote personnelle, je me souviens que quand
j'étais petit et que mon papa essayait de m'expliquer ces choses-là
(dans l'espoir naïf de faire de moi un physicien, ha ha ha, je l'ai
bien eu en devenant
mathématicien[#5]), j'en étais
arrivé à pleurer parce qu'il « refusait de me dire » pourquoi il y
avait huit gluons et pas neuf, il me disait there's
one missing
, je lui demandais but which one
,
il disait the white one
, je lui disais que dans
ce cas ça devrait faire six, et il n'arrivait pas à m'expliquer
correctement. Parce que je ne connaissais pas (assez) d'algèbre
linéaire. Il aurait pu me dire : les huit gluons
sont : (rouge-anti-vert +
vert-anti-rouge)/√2, i·(rouge-anti-vert −
vert-anti-rouge)/√2, (vert-anti-bleu +
bleu-anti-vert)/√2, i·(vert-anti-bleu −
bleu-anti-vert)/√2, (rouge-anti-bleu +
bleu-anti-rouge)/√2, i·(rouge-anti-bleu −
bleu-anti-rouge)/√2, (rouge-anti-rouge −
vert-anti-vert)/√2 et enfin (rouge-anti-rouge + vert-anti-vert
− 2·bleu-anti-bleu)/√6
… mais je ne sais pas si une telle réponse
m'aurait tellement Éclairé (et cette base, pour standard qu'elle est,
n'en demeure pas moins assez arbitraire).
[#5] Mais il a quand même réussi à m'intéresser à toutes ces choses. À vrai dire, cette entrée est en partie un message écrit à l'intention du David-Madore-de-1992-ou-alentours, c'est la manière dont j'expliquerais à mon moi-plus-jeune un certain nombre de choses que je n'arrivais pas du tout à comprendre à l'époque (et que j'ai quand même fini par comprendre avec le temps).
Le fait est que les gluons sont des vibrations dans un espace de dimension 8 (enfin, 16 parce qu'ils ont deux polarisation, mais oublions ce facteur), que la base est absolument arbitraire, mais ce qui ne l'est pas, c'est la manière dont cet espace de dimension 8 « s'accouple » avec deux espaces de dimension 3 dans le cadre d'une interaction quark-gluon-quark (qui peut être un quark qui émet un gluon, un gluon qui se désintègre en quark-antiquark, ou une paire quark-antiquark qui se désintègre en un gluon ; tout ça est en fait fondamentalement la même chose). Je peux être plus précis : si on choisit une base de l'espace des couleurs faisant des modes vibratoires d'un quark des vecteurs à trois entrées, les l'espace des modes vibratoires des gluons seront les matrices 3×3 anti-hermitiennes (c'est-à-dire égales à l'opposé de la conjuguée complexe de leur transposée) de trace nulle (voyez ici pour une base, expliquant la liste des huit gluons que je viens de donner) ; le fait que les matrices 3×3 anti-hermitiennes correspondent aux éléments infinitésimalement voisins de l'identité dans SU(3) (l'algèbre de Lie tangente, pour être plus correct) est relié à cette idée que le champ gluonique effectue le changement de base, dans l'espace de couleurs, entre des points infinitésimalement voisins.
Bon, mon explication n'est toujours pas hyper terrible, j'ai caché plein de poussière sous le tapis, j'ai tu le fait qu'il y a des espaces complexes et d'autres réels dans l'histoire (disons que les gluons sont des vibrations dans un espace de dimension 8 réel ; les quarks dans un espace de dimension 3 complexe, donc il faudrait compter deux fois la dimension, mais il y a un deux absorbé ailleurs, par exemple dans le fait qu'il y a des antiparticules aussi : si je faisais la vulgarisation en détails j'essayerais d'être moins flou sur tout ça). Si on s'adresse à quelqu'un qui connaît un peu de théorie de la représentation, on peut bien sûr être encore plus précis et dire : la couleur des quarks vit dans la représentation standard de SU(3), la couleur des gluons vit dans la représentation adjointe de SU(3) (qui est le facteur direct non trivial dans le produit tensoriel de la représentation standard avec son dual). En tout cas, je pense que c'est déjà beaucoup mieux comprendre le phénomène de « couleur » que l'idée la plus naïve que j'ai d'abord exposée.
Objection : On pourrait me dire que ma présentation est pourrie parce que j'essaie directement de parler de théories de jauge sur le cas le plus compliqué, SU(3), au lieu de dire au préalable que l'électromagnétisme est une théorie de jauge U(1) (= groupe des nombres complexes de module 1), c'est-à-dire que les particules chargées sont des vibrations dans un espace vectoriel complexe dont la phase (= l'argument complexe) n'a pas de sens physique et même la manière dont la comparaison des phases entre deux points distincts de l'espace est assurée par l'électromagnétisme (et la dépendance de cette comparaison dans le chemin effectué dépend du flux du champ électromagnétique — flux magnétique s'il s'agit de deux chemins dans l'espace — entre les chemins comparés). En fait, autant je comprends qu'on commence par dire ça quand on s'adresse à des gens qui connaissent déjà la physique, autant je ne suis pas persuadé que ce soit très Éclairant en général, puisque, justement, ça ne correspond pas du tout à notre façon d'imaginer l'électromagnétisme que de penser que la charge électrique q est la représentation de U(1) par élévation à la puissance q sur un espace interne qu'on ne voit pas du tout et dont le potentiel électromagnétique est la connexion (personnellement, mathématiquement ça me parle, mais intuitivement je n'imagine pas du tout cet espace interne : encore moins, ce qui n'est pas peu dire, que l'espace des couleurs des quarks). Bon, peut-être qu'il y a une meilleure manière d'exposer les choses, mais je ne la vois pas. En tout cas, maintenant, c'est dit, si vous trouvez que ça vous Éclaire, relisez mon exemple de SU(3) à la lecture de cette précision sur l'électromagnétisme.
Exemple nº2 : la saveur des quarks et la matrice de Cabibbo-Kobayashi-Maskawa
(en fait, c'est exactement pareil que pour les neutrinos, mais vu un peu différemment). Oublions la couleur des quarks (qui concerne les interactions « fortes », médiées par les gluons) et concentrons-nous sur une de leurs autres caractéristiques, la « saveur ». Il y a six saveurs de quarks :bas,
haut,
étrange,
charme,
beauet
vrai(de nos jours on dit plutôt
bottomet
toppour les deux derniers, mais ça ne passe pas en français, même en anglais ça induit une confusion avec les deux premiers qui sont
downet
up, et surtout, c'est beaucoup moins poétique, donc j'insiste pour utiliser
beauet
vrai).
Contrairement à la couleur, ces étiquettes ne sont pas arbitraires.
Ce sont des dimensions naturelles, à savoir les vecteurs-propres de
masse. Le quark vrai
, par exemple, a une masse de 160GeV
environ, le quark beau
une masse de 4.2GeV environ, les autres
sont plus légers encore[#6]. Ce
sont aussi des valeurs propres de la charge électrique : la charge des
quarks bas
, étrange
et beau
vaut −1/3 (i.e., 1/3
fois celle de l'électron), celle des quarks haut
, charme
et vrai
vaut +2/3 ; donc, si on oublie la masse, la charge
électrique distingue deux sous-espaces vectoriels de dimension trois
complémentaires dans l'espace des saveurs des quarks : l'espace
bas⊕étrange⊕beau (espace propre de charge −1/3) et l'espace
haut⊕charme⊕vrai (espace propre de charge +2/3).
[#6] Bon, il y a plein de subtilités là aussi : la notion de masse d'un quark n'est pas si évidente à définir, elle dépend du « schéma de renormalisation » utilisé, et la masse des quarks légers est très mal connue : essentiellement tout ça est dû au fait que les quarks ne peuvent pas exister seuls, en tout cas à basse énergie, et ce d'autant moins qu'ils sont légers où alors leur masse est noyée dans l'interaction avec les autres quarks. Mais en oubliant tous ces détails, les saveurs des quarks sont des valeurs propres de masse — c'est-à-dire en fait d'interaction avec le Higgs comme je le dirai dans dans mon exemple nº4.
Maintenant, les quarks interagissent avec toutes les forces
fondamentales de la nature, et notamment avec les interactions dites
faibles, médiée par les bosons Z⁰ (que je vais laisser de
côté[#7])
et W⁺/W⁻. Présentation naïve : un
quark charme
(disons) peut émettre un W⁺ et devenir
un quark étrange
(remarquez que la charge se conserve dans
l'histoire : le quark charme avait charge +2/3, le boson W⁺
charge +1 et on se retrouve avec charge −1/3), et plus généralement,
un quark haut, resp. charme, resp. vrai, peut émettre un
boson W⁺ et devenir un quark bas, resp. étrange, resp. beau
(ça peut aussi fonctionner dans l'autre sens avec émission d'un
boson W⁻, mais comme les quarks charme et vrai sont
beaucoup plus lourds que les quarks étrange et beau, il est
énergétiquement plus sensé de le dire comme je l'ai dit) ; ou encore,
un boson W⁺ peut se désintégrer en paire quark + anti-quark
de la forme haut-anti-bas, charme-anti-étrange, ou vrai-anti-beau, un
boson W⁻ en paire bas-anti-haut, étrange-anti-charme, ou
beau-anti-vrai. Tout ça n'est pas totalement faux, mais pas tout à
fait correct non plus. Dans la vision que j'ai présentée, il y a
trois « générations » de quarks (première génération : bas et haut ;
deuxième génération : étrange et charme ; troisième génération : beau
et vrai ; avec à chaque fois un quark négatif, de charge −1/3, et un
positif, de charge +2/3), et l'émission d'un boson W⁺
permettrait de transformer le quark de charge +2/3 en quark de charge
−1/3 de la même génération ; il y aurait conservation du nombre de
quarks de chaque génération. Or ce n'est pas le cas.
[#7] Une raison de les laisser de côté est que les bosons Z⁰ ne changent pas la saveur des quarks (on pourrait tout à fait imaginer ça), qu'un quark, disons, charme, puisse interagir par courant neutre et devenir un quark, disons, haut (dans les deux cas la charge électrique vaut +2/3). Le modèle standard prédit que ça n'existe pas (sous-note en bas de page : au niveau « arbre » des diagrammes de Feynmann ; comme d'habitude, la renormalisation vient foutre en l'air toute la belle simplicité de l'histoire).
On peut améliorer la description naïve que je viens de faire (« l'émission d'un W⁺ transforme le quark de charge +2/3 d'une génération en quark de charge −1/3 de la même génération ») en disant que parfois il prend la fantaisie au quark qui émet un W⁺ de se transformer en quark d'une autre génération, par exemple à un quark charme qui émet un W⁺ de se transformer en quark bas (cela arrive dans environ un cas sur 20) plutôt qu'en étrange. Mais évidemment, ce n'est pas un « hasard », c'est une superposition quantique : quand un quark charme émet un W⁺, il se transforme en une superposition d'environ 0.225×bas + 0.973×étrange + 0.041×beau (la somme des carrés de ces coefficients doit faire 1) ; et si on observe la masse de cette « particule » (i.e., cette superposition de vecteurs propres de masse ; appelons-la un quark « interagit-avec-le-charme »), on trouve dans 0.225²=5% des cas qu'on a affaire à un quark bas, dans 0.041²=0.17% des cas qu'on a affaire à un quark beau, et dans le reste des cas qu'on a affaire à un quark étrange.
C'est-à-dire que bien que les interactions faibles préservent la somme directe de l'espace des saveurs des quarks en quarks négatifs (bas⊕étrange⊕beau) d'une part et (⊕) quarks positifs (haut⊕charme⊕vrai) d'autre part, en revanche, si je choisis la base (haut, charme, vrai) d'un côté, la base qui lui correspond de l'autre n'est pas (bas, étrange, beau), mais elle est légèrement tournée. La matrice de Cabibbo-Kobayashi-Maskawa est la matrice de passage entre les bases (bas, étrange, beau) et (interagit-avec-le-haut, interagit-avec-le-charme, interagit-avec-le-vrai). (Quand on ne connaissait que les deux premières générations, il y avait juste un angle de rotation dans l'histoire, l'angle de Cabibbo, d'environ 13° entre les bases orthonormées (bas, étrange) et (interagitt-avec-le-haut, interagit-avec-le-charme) ; maintenant qu'on connaît trois générations, c'est plus compliqué, c'est une matrice 3×3.) Ça rend le monde vraiment bizarre (c'est une rotation tellement… bizarrement arbitraire), mais c'est essentiel pour faire que les quarks étrange et beau ne soit pas stables (s'il n'y avait pas cette différence de vecteurs propres entre masse et interactions faibles, ils ne pourraient jamais se désintégrer en autre chose).
Je donne juste un exemple pour montrer que même sans rien connaître à la théorie quantique des champs on peut vaguement faire des calculs d'ordres de grandeurs. Considérons le méson D⁰, un hadron constitué d'un quark charme et d'un anti-quark anti-haut. Il n'y a que les interactions faibles qui peuvent changer la saveur des quarks, donc ce D⁰ ne peut se désintégrer que par interactions faibles, ce qui explique qu'il ait une durée de vie relativement longue (pour un hadron) d'environ 4×10−13s ; mais considérons comment il se désintègre le plus souvent : le quark charme émet un boson W⁺ et se transforme en quark interagit-avec-le-charme (donc une superposition du bas, de l'étrange et du beau) ; le W⁺ va lui-même se désintégrer typiquement en positrion et neutrino-de-l'électron ou en muon et neutrino-du-muon, mais peu importe : on va surtout se retrouver avec un méson étrange-anti-haut (appelé K⁻) ou bien bas-anti-haut (appelé π⁻) (le beau-anti-haut est interdit pour des raisons énergétiques : le quark beau est plus lourd que le quark charme), et d'après les chiffres que j'ai donnés plus haut, comme le quark interagit-avec-le-charme est à environ 5% un quark bas et à environ 95% un quark étrange, le bas-anti-haut devrait être environ 20 fois moins probable que l'étrange-anti-haut : je m'attends donc à ce que le D⁰ se désintègre environ 20 fois moins souvent en π⁻ + positron + neutrino qu'en K⁻ + positron + neutrino. Le Review of Particle Properties m'apprend que le D⁰ se désintègre dans 3.53% des cas en K⁻ + positron + neutrino, et dans 0.291% des cas en π⁻ + positron + neutrino, un rapport de 12 ; je trouve que ce n'est pas trop mal pour un calcul aussi simpliste.
Sous-exemple : la phase de Kobayashi-Maskawa.
Bon, les choses sont encore un petit peu plus compliquées que ce que j'ai dit. En fait l'espace des saveurs est un espace vectoriel complexe (de dimension complexe 3) ; et même si la « phase complexe » (c'est-à-dire la multiplication par un complexe de module 1) n'a aucune importance, ni même aucune signification physique dans la définition de la base (l'élément de base qu'est « quark haut » n'est défini qu'à une telle multiplication complexe près), le caractère complexe a quand même son importance. En effet, la matrice 3×3 de passage entre les bases n'est pas une matrice de rotation réelle (= élément de SO(3)) mais une matrice complexe unitaire (= élément de U(3), éventuellement SU(3) si on veut) ; il est vrai que les phases complexes de chacune des lignes ou colonnes sont arbitraires, c'est-à-dire qu'on peut les multiplier comme on veut par des complexes de module 1, mais en partant d'une matrice unitaire 3×3 (soit 8 paramètres réels indépendants), même en ayant la possibilité de multiplier chaque ligne et chaque colonne par un complexe de module 1 (ce qui tue 5 paramètres réels : un par ligne et un par colonne, mais en fait un de moins parce que multiplier toutes les lignes ou toutes les colonnes revient au même), il reste quand même un paramètre de plus que dans une matrice de rotation réelle 3×3 (laquelle a trois paramètres, les trois angles d'Euler), un paramètre qu'on ne peut pas absorber et qui a un sens physique. On dit que la matrice de Cabibbo-Kobayashi-Maskawa a trois angles et une phase complexe, appeléephase de Kobayashi-Maskawa; bon, il y a plein de façons de paramétrer la matrice et je ne suis pas sûr que la phase de Kobayashi-Maskawa soit un paramètre défini de façon standard, mais en tout cas il y a bien quatre paramètres en tout qui ont un sens physique.
(Une façon de définir ce dernier paramètre
s'appelle l'invariant de Jarlskog
. Voir
notamment cette
question où je le définis et j'essaie de le comprendre plus
mathématiquement. Notamment, si on sait ce que c'est que
le plan projectif complexe, on peut
s'imaginer qu'on a affaire à deux triangles dans le plan projectif
complexe, le triangle bas-étrange-beau et le triangle
haut-charme-vrai, chacun étant autopolaire, c'est-à-dire que les
distances entre sommets sont toutes π/2 — ce qui rend d'ailleurs
douteux l'usage du terme « triangle » —, et ce qu'on cherche à faire
en écrivant une matrice unitaire modulo les phases complexes, c'est
exprimer le passage de l'un à l'autre, donc l'invariant de Jarlskog
devrait avoir une interprétation géométrique. Bon, je ne sais pas si
ça aide de dire ça comme ça, en fait.)
Ce paramètre supplémentaire qu'est la phase de Kobayashi-Maskawa ou invariant de Jarlskog, et qui ne peut exister qu'à partir de 3 génerations de quarks (s'il y a deux générations, toute matrice unitaire 2×2 peut être rendue réelle orthogonale en multipliant ses lignes et ses colonnes par des complexes de module 1), a de vraies conséquences physiques : la violation de l'invariance CP. L'invariance P, ce serait l'idée que quand on regarde une expérience de physique dans un miroir, cela donne encore une expérience conforme aux lois de la physique : ce n'est pas le cas dans les interactions faibles, par exemple parce que la désintégration d'un neutron émet un antineutrino qui tourne toujours dans le sens de la main droite ; l'invariance C, ce serait l'idée que quand on remplace les particules par leurs antiparticules (et réciproquement), les lois de la physique sont également invariantes : ce n'est pas le cas non plus, parce que les antineutrons, eux, émettent des neutrinos qui tournent dans le sens de la main gauche. L'invariance CP, c'est l'idée que si on fait ces deux changements à la fois — regarder dans un miroir et échanger particules et antiparticules — alors les lois de la physique restent les mêmes ; et elle, elle est « beaucoup plus vraie » que l'invariance C ou l'invariance P séparément, mais elle n'est quand même pas vraie. Et la phase de Kobayashi-Maskawa est intimement liée à cette violation de l'invariance CP, en gros parce que quand on regarde le monde dans un miroir et qu'on échange particules et antiparticules, cela a pour effet de transformer en son opposée la phase en question, et que comme on peut la mesurer, l'invariance CP est brisée. Ce que devrait faire une vulgarisation correctement faite sur le sujet, c'est expliquer tout ça mieux que ce que je viens de faire, et faire le lien avec des expériences réelles qui infirment l'invariance CP ; notamment les fameuses observations sur les kaons (qui sont un bon endroit où parler d'algèbre linéaire : pour les interactions fortes il y a deux kaons neutres qui sont le bas-anti-étrange et l'étrange-anti-bas, et pour les interactions faibles il y a deux kaons neutres qui sont la somme et la différence de ces deux particules divisées par √2, appelés respectivement kaon neutre court et kaon neutre long ; et il y a des vecteurs propres CP qui sont encore un tout petit peu différents du kaon court et du kaon long ; l'article Wikipédia n'est pas mal, mais on doit pouvoir dire tout ça de façon plus accessible).
Pour en savoir plus sur la matrice de Cabibbo-Kobayashi-Maskawa et sa détermination expérimentale, voir ce review par le Particle Data Group ; et sur la violation CP associée, cette autre review (mais tout ça est assez technique).
Exemple nº3 : la chiralité et la masse.
Commençons par considérer une particule élémentaire qui n'a pas de masse, mais qui a un « spin » non nul (le spin étant cette propriété fondamentale qui est à la fois un moment cinétique intrinsèque et une forme de symétrie interne) ; alors, comme les escaliers et l'ADN, elle peut tourner dans l'un de deux sens : selon la main droite dans son sens de mouvement, ou selon la main gauche dans son sens de mouvement. (Enfin, « tourner », c'est un abus de langage, mais disons que cas leur moment cinétique est de même signe que celui d'une toupie qui tournerait comme ça. Des raisons de relativité font qu'il n'est pas possible de tourner dans une autre direction, par exemple perpendiculairement au mouvement — je ne rentre pas dans les détails.) Cette mesure du sens de rotation par rapport au sens du mouvement s'appelle l'hélicité, et pour une particule sans masse c'est synonyme de chiralité. Pour les photons, ce sont les deux formes classique de la polarisation circulaire de la lumière. Pour donner un autre exemple, en faisant l'approximation que les neutrinos n'ont pas de masse (ce qui est ce que suppose le modèle standard compris de façon traditionnel, mais on sait maintenant que c'est faux), les neutrinos qu'on observe (ceux qui nous viennent du soleil, disons) sont toujours d'hélicité gauche : ils tournent selon la main gauche dans le sens de leur mouvement. Bref, il y a deux chiralités possibles (même si on peut imaginer une particule sans masse, comme le neutrino du modèle standard traditionnel, qui n'aurait qu'une de ces chiralités), et, pour une particule sans masse, ces deux chiralités — ces deux modes de vibration — ne se mélangent pas, hors interactions éventuelles. Le point critique est que, pour une particule qui est de masse nulle, et qui va donc à la vitesse de la lumière, ça a bien un sens de considérer la rotation dans le sens du mouvement, parce que tout le monde est d'accord sur le sens du mouvement : on ne peut pas aller plus vite que la particule et ainsi la voir aller dans le sens contraire.Pour une particule massive, qui va moins donc vite que la lumière, on peut toujours définir l'hélicité comme la composante du moment cinétique selon la direction du mouvement. L'hélicité se conserve dans le temps. Mais si on va plus vite que la particule, on la voit aller dans le sens opposé, donc tourner dans le sens opposé relativement à son mouvement ; c'est-à-dire que l'hélicité n'est pas invariante par changement de référentiel (contrairement au cas d'une particule sans masse). À côté de ça, il y a une autre propriété, la chiralité (et dont l'hélicité est, pour les particules massives, une approximation) : on peut imaginer ça comme une sorte de propriété intrinsèque de la particule, ou un mode vibratoire particulier : l'électron existe à la fois en chiralité gauche et en chiralité droite ; contrairement à l'hélicité, la chiralité est invariante par changement de référentiel ; mais aussi contrairement à l'hélicité, la chiralité n'est pas constante dans le temps pour une particule massive (elle ne « commute pas au hamiltonien », c'est-à-dire à l'évolution dans le temps, i.e., les vecteurs-propres de chiralité ne sont pas solutions de l'équation d'évolution). Un électron libre « oscille » entre sa version chirale gauche et sa version chirale droite : à vitesse nulle, les deux versions chirales ont la même amplitude dans cette oscillation, mais plus l'électron va vite, plus une composante chirale est importante dans cette superposition et plus l'hélicité se rapproche de la chiralité.
Et ce qui est bizarre, c'est que les interactions faibles n'interagissent qu'avec les quarks et leptons (leptons = électron, muon, tauon, et les neutrinos qui vont avec) de chiralité gauche (et avec leurs antiparticules exclusivement de chiralité droite). Pour le neutrino du modèle standard traditionnel, qui n'a pas de masse, ça veut dire que la variante chirale droite n'interagit avec rien (les neutrinos n'ont ni charge électrique ni couleur, ils ne sentent que les interactions faibles, et la variante chirale droite ne sent pas ça non plus : c'est une particule « stérile »), donc autant dire qu'elle n'existe pas. Maintenant qu'on sait que les neutrinos ont une masse, comme les électrons, ils doivent forcément osciller entre les deux chiralités (en plus d'osciller entre les différentes saveurs si on choisit de les mesurer selon la base neutrino-de-l'électron, neutrino-du-muon et neutrino-du-tauon pertinente pour les interactions faibles).
Ce qui est intéressant dans cette histoire masse = oscillation entre les deux chiralités, c'est que ça se comporte dans le formalisme exactement comme une interaction : le terme de masse (dans ce qu'on appelle le « lagrangien » de la théorie, peu importe ce que c'est) est exactement ce que serait une interaction, sauf que c'est une interaction où une particule entre et une particule sort — par exemple, un électron-chiral-gauche entre et un électron-chiral-droit sort. Cette observation est pertinente parce que c'est comme ça qu'on peut décrire les masses par l'intervention du champ de Higgs : on transforme, en quelque sorte, cette interaction en une interaction à trois, où un électron-chiral-gauche interagit avec le Higgs et devient ainsi un électron-chiral-droit. Mais ce sera mon exemple nº4.
Sous-exemple : neutrinos de Dirac et de Majorana.
Même si j'ai glissé de la poussière sous le tapis, l'idée générale est qu'il y a quatre sortes d'électrons, i.e., quatre dimensions de vibration du champ électronique : l'électron-chiral-droit, l'électron-chiral-gauche, le positron-chiral-droit et le positron-chiral-gauche (le positron étant l'antiparticule de l'électron). L'électron et le positron sont distingués par la charge électrique, donc ne peuvent pas être identiques. Pour ce qui est du neutrino, en revanche, dès lors qu'il a une masse, les choses sont moins claires : il y a une particule chirale gauche, et une particule chirale droite, mais qui dit que l'une n'est pas l'antiparticule de l'autre ? Il y a deux hypothèses possibles pour donner une masse au neutrino : (A) le neutrino de Dirac (ou plus exactement, neutrino ayant une masse de Dirac) se comporte comme l'électron, il y a les quatre dimensions, le neutrino-chiral-droit, le neutrino-chiral-gauche, l'antineutrino-chiral-droit et l'antineutrino-chiral-gauche (tout ça fois trois à cause des trois génerations, mais laissons-les de côté), les interactions faibles interagissent avec le neutrino-chiral-gauche et l'antineutrino-chiral-droit, mais le terme de masse de Dirac permet de transformer le neutrino-chiral-droit en neutrino-chiral-gauche, et l'antineutrino-chiral-droit en l'antineutrino-chiral-gauche ; (B) le neutrino de Majorana (ou plus exactement, neutrino ayant une masse de Majorana) n'a que l'a moitié des dimensions, le chiral-droit et le chiral-gauche (on peut dire que le premier est l'antineutrino et le second le neutrino, si on veut, en tout cas, ils sont antiparticule l'une de l'autre), les interactions faibles interagissent avec les deux, et le terme de masse de Majorana transforme directement l'un en l'autre. Le scénario (B) où le neutrino étant sa propre antiparticule, a des conséquences expérimentales en principe testables, par exemple la désintégration bêta double sans neutrino (jamais observée), ou plus généralement, la non conservation du nombre leptonique. En fait, on peut aussi mélanger (A) et (B), c'est-à-dire avoir à la fois un terme de masse de Dirac et un terme de masse de Majorana, c'est même un mécanisme proposé pour expliquer que la masse des neutrinos soit si légère.Exemple nº4 : le mécanisme de Higgs et la brisure spontanée de la symétrie.
Bon, là ça va être plus long, et peut-être que je m'embourbe complètement.
J'ai expliqué dans l'exemple nº1 ci-dessus que la couleur des quarks, qui est la charge des interactions fortes, « vivait » dans un espace de dimension 3 sans base naturelle (avec pour groupe de symétries SU(3)). Les interactions électrofaibles ont elles-aussi une symétrie interne (de groupe SU(2)×U(1)), mais celle-ci a été « brisée » par la valeur du champ de Higgs très tôt dans l'histoire de l'Univers. C'est quelque chose qu'on peut essayer d'expliquer. L'idée générale est que, sans que que l'espace vibratoire ait changé, la base sur laquelle il est pertinent de le considérer, elle, a changé avec la brisure de la symétrie.
Au commencement (littéralement au commencement du monde : entre peut-être 10−32 et 10−12 secondes après le Big Bang), les particules élémentaires qui sont maintenant les leptons (leptons = électron, muon, tauon, et les neutrinos qui vont avec) et quarks, et aussi les photons et bosons Z et W et le Higgs, étaient très différentes de ce qu'elles sont maintenant. Déjà, elles n'avaient pas de masse (sauf, dans une certaine mesure, le boson de Higgs lui-même, cf. ci-dessous), donc elles allaient toutes à la vitesse de la lumière. Mais aussi, la description naturelle était complètement différente.
Oublions les trois générations qui compliquent un peu les choses (cf. mon exemple nº2) : sans elles, les particules élémentaires actuelles qui m'intéressent sont les suivantes. Côté fermions (particules de matière), on a l'électron (de charge électrique −1) sous ses quatre dimensions (électron-chiral-gauche, électron-chiral-droit, positron-chiral-droit et positron-chiral-gauche), le neutrino (de charge électrique 0) sous ses deux ou quatre dimensions (le neutrino-chiral-droit, le neutrino-chiral-gauche, l'antineutrino-chiral-droit et l'antineutrino-chiral-gauche : il est possible que seuls les deux du milieu existent), le quark bas (de charge électrique −1/3) sous ses quatre dimensions (comme l'électron) fois trois couleurs si on veut, et le quark haut (de charge électrique +2/3) sous ses quatre dimensions (idem). Côté bosons (particules de force), on a le photon (2 dimensions pour les deux polarisations de la lumière), le boson Z⁰ (3 dimensions parce que comme il est massif il peut tourner dans n'importe quelle direction), le boson W⁺/W⁻ (3 dimensions chacun, l'un étant l'antiparticule de l'autre), et le boson de Higgs (une seule dimension parce qu'il est scalaire) ; je laisse de côté les gluons qui ne vont pas intervenir dans l'histoire. Donc 32 dimensions de fermions (sans compter les trois générations !, mais en comptant la couleur des quarks en décidant que le neutrino-chiral-droit et l'antineutrino-chiral-gauche existent vraiment), et 12 dimensions de bosons.
Maintenant, je vais dresser le portrait des particules élémentaires telles qu'elles existaient à l'époque reculée dont je parle (avant la « brisure spontanée de la symétrie »). Les champs eux-mêmes n'ont pas changé, donc on doit compter le même nombre de dimensions (et même le même nombre de dimensions côté fermions et côté bosons), c'est juste que la manière dont on les organise est complètement différente. Ma description est un peu longue, mais je veux prendre la peine de l'écrire complètement (et de donner des noms différents, et un peu évocateurs, aux particules), parce que personne ne le fait jamais. (Je vais quand même essayer de faire en sorte qu'on puisse la lire en diagonale.)
À l'époque reculée dont je parle, donc, les « mêmes » particules étaient les suivantes :
Déjà, côté fermions, il y avait des particules que je vais appeler les « sénestroleptons » : les sénestroleptons n'avaient pas de masse, donc allaient toujours à la vitesse de la lumière, et tournaient toujours dans le sens de la main gauche (d'où leur nom). En rappelant que j'oublie les trois générations qui compliquent les choses, les sénestroleptons existaient en deux variantes, un phénomène appelé « isospin (faible) » (il faut imaginer ça comme la couleur des quarks ; peut-être qu'« odeur » serait un meilleur terme, en fait), disons « iso-bas » (mentholé ?) et « iso-haut » (musqué ?), mais c'est comme la couleur des quarks, le choix de ces dimensions est, enfin, était à l'époque, complètement arbitraire (et, pire, même pas vraiment reliable d'un point à l'autre de l'espace-temps). On a quatre dimensions de sénestroleptons : le sénestrolepton iso-bas et iso-haut et l'antisénestrolepton idem. Ensuite, il y avait une particule que je vais appeler le dextrélectron (et son antiparticule) et peut-être une particule que je vais appeler le dextroneutrino (et son antiparticule) ; toutes les deux étaient sans masse et tournaient toujours selon le sens de la main droite. À cette époque, le dextrélectron n'avait pas de rapport particulier avec les sénestroleptons (même s'il interagit avec eux) ; le dextrélectron n'avait pas les variantes iso-bas/iso-haut (il n'a pas d'odeur ?) ; idem pour le dextroneutrino, qui n'existe peut-être même pas.
Pour les quarks, c'était à peu près la même histoire : on avait les
sénestroquarks, tournant dans le sens de la main gauche, qui
existaient en deux variantes (odeurs ?), « iso-bas » et « iso-haut »
(fois trois couleurs si on veut se rappeler les couleurs) totalement
interchangeables, et on avait le dextrobas et le dextrohaut, tournant,
eux, dans le sens de la main droite, qui n'avaient pas vraiment de
rapport entre eux ni avec les sénestroquarks. (Et malheureusement
le bas
et le haut
dans dextrobas
et dextrohaut
n'ont, à cette époque en tout cas, rien à
voir avec l'iso-bas/iso-haut : le dextrobas et le dextrohaut
étaient des particules bien distinctes, et qui n'avaient pas la
variante iso-bas/iso-haut.)
Puis il y avait le Higgs, ou peut-être que je devrais l'appeler le
préHiggs, parce que ce n'était pas vraiment le même que maintenant, il
avait quatre dimensions ; il ne tourne pas sur lui-même (il est de
spin nul, ou scalaire
), donc il n'y a pas d'histoire de gauche
ou de droite dans le Higgs, mais à cette époque il y avait un préHiggs
iso-bas, un préHiggs iso-haut (toujours avec la même remarque comme
quoi la distinction entre l'iso-bas et l'iso-haut est arbitraire), et
les anti-préHiggs correspondants. Le préHiggs était une particule
bizarre, en fait, et c'est même abusé de dire que c'était une
particule, ou alors sa masse est imaginaire (certains diront que c'est
une sorte de tachyon, mais ça donne sans doute la mauvaise intuition),
c'est-à-dire que les petites vibrations autour de zéro du champ de
Higgs sont, en fait, instables, et c'est ça qui a causé tout le
changement, mais je vais y revenir.
Puis il y avait des bosons (de spin 1), sans masse, appelés B et W, disons peut-être plutôt préW. Le B ressemblait un peu au photon actuel (lequel en est partiellement l'héritier), il avait deux dimensions de polarisation, et interagissait avec une charge appelée « hypercharge (faible) » assez semblable à la charge électrique. Le préW existait en trois variantes essentiellement indistinguables (de la même façon qu'il y a huit gluons indistinguables de nos jours), fois deux degrés de polarisation, ce qui fait 6 dimensions.
Donc, si on compte les dimensions, côté fermionique on a 4 pour le sénestrolepton, 2+2 pour le dextrélectron et le dextroneutrino (s'il existe), 4×3 pour les sénestroquarks (le 3 est la couleur), 2×3+2×3 pour le dextrobas et le dextrohaut, ça fait 32, le compte est bon ; côté bosons, on a 4 pour le préHiggs, 2 pour le B, et 6 pour le préW, ça fait 12, comme maintenant.
De même que le photon actuel interagit avec les particules ayant une charge, le boson B interagissait avec les particules ayant une « hypercharge » : cette hypercharge valait −1 pour les sénestroleptons, −2 pour le dextrélectron, 0 pour le dextroneutrino s'il existait (i.e., il n'interagissait pas avec le B), +1/3 pour les sénestroquarks, −2/3 pour le dextrobas, et +4/3 pour le dextrohaut ; on voit de nouveau sur ces chiffres que les sénestroleptons étaient des particules bien différentes du dextrélectron. L'hypercharge valait encore +1 pour le préHiggs, et 0 pour les bosons B et préW (le B n'interagit ni avec lui-même ni avec le préW). J'insiste sur le fait que la notion actuelle de charge électrique n'avait pas de sens à l'époque : ce qui est le plus proche est la notion d'hypercharge. L'hypercharge était conservée dans toutes les interactions. Le boson préW, lui, interagissait avec les particules ayant de l'« isospin », c'est-à-dire les variantes iso-bas/iso-haut, donc concrètement : les sénestroleptons, les sénestroquarks, le préW lui-même, et le préHiggs ; la variante iso-bas/iso-haut est conservée, mais comme pour les quarks actuels c'est un peu difficile à décrire parce que le boson préW porte lui-même de telles variante. Enfin, le préHiggs, lui, interagissait avec tout : avec lui-même, avec le boson B (puisque le préHiggs avait une hypercharge), avec le boson préW (puisque le préHiggs avait les variantes iso-bas/iso-haut), et avec les sénestroleptons, dextrélectron, dextroneutrino (s'il existe, et encore, très faiblement), sénestroquarks, dextrobas et dextrohaut. Mais attention, quand un dextrélectron interagit avec le préHiggs, il se transforme en sénestrolepton : c'est-à-dire que le préHiggs transforme les vibrations dextrélectroniques en sénestroleptoniques ou vice versa ; il transforme de même les sénestroquarks en dextrobas ou en dextrohaut.
Ceci était une description, donc, du monde « avant la brisure spontanée de la symétrie » (un terme qu'il faut que j'explique). Cela peut surprendre : peut-être a-t-on l'impression que le tableau des particules que j'ai dressé est encore moins symétrique que celui du monde (après brisure de symétrie) où nous vivons maintenant : au lieu d'avoir des électrons et des neutrinos qui peuvent tourner dans le sens qu'ils veulent, on a des « sénestroleptons » qui tournent toujours vers la gauche, et des « dextrélectrons » et des « dextroneutrinos » (vous aurez compris que tous ces termes sont de moi) qui tournent toujours vers la droite… ça a l'air très peu symétrique, tout ça ! Pourtant, la symétrie gauche-droite du monde actuel est illusoire : c'est un fait (expérimentalement vérifié) que les interactions faibles ne traitent pas du tout pareil les particules de chiralité gauche ou droite, c'était déjà le cas avant la « brisure spontanée de la symétrie », c'est toujours le cas maintenant — ce n'est pas de cette symétrie-là qu'il s'agit. En revanche, dans le monde actuel, l'électron de chiralité gauche et le neutrino de chiralité gauche sont deux particules bien différentes (elles n'ont pas la même charge, elles n'ont pas la même masse), mais avant la brisure spontanée de la symétrie, c'était la même particule (ou du moins deux variantes « iso-bas » et « iso-haut » de la même particule, que j'appelle « sénestrolepton », comme on a des quarks rouges et verts mais il est impossible de choisir globalement les couleurs) : c'est essentiellement cette symétrie-là (de « groupe de jauge » SU(2)×U(1) [#8]) qui a été brisée. C'est une symétrie portant uniquement sur les particules de chiralité gauche (celles que j'ai appelées sénestroleptons et sénestroquarks) : celles de chiralité droite (dextrélectron, dextroneutrino, dextrobas, dextrohaut) n'ont jamais eu la symétrie en question ; mes noms obscurcissent malheureusement ce fait (parce que je les ai choisis pour garder une certaine correspondance avec les noms « actuels »), mais les particules de chiralité droite n'ont essentiellement aucun rapport avec celles de chiralité gauche si ce n'est que le (pré)Higgs peut les transformer les unes en les autres. Les deux sénestroleptons (iso-bas et iso-haut) sont bien la même particule ; le dextrélectron et le dextroneutrino n'ont pas vraiment de rapport entre eux (d'ailleurs, le premier interagit avec le boson B, le second n'interagit qu'avec le Higgs, et encore très faiblement, et ce n'est même pas certain qu'il ait existé). Cela peut sembler bizarre, maintenant que la symétrie est brisée, de dire que l'électron-chiral-gauche et le neutrino-chiral-gauche sont fondamentalement la même particule alors que l'électron-chiral-droit et le neutrino-chiral-droit (s'il existe) n'ont rien à voir, mais c'est vraiment ça le contenu de la théorie. Je vais essayer de le redire autrement plus bas.
[#8] Pourquoi écrire SU(2)×U(1) et pas U(2), d'ailleurs (ils sont isomorphes) ? Parce que la « constante de couplage » mesurant (dans les unités naturelles) la force des interactions n'est pas la même pour SU(2) (le boson préW) et pour U(1) (le boson B). Le rapport entre les deux (la tangente de l'angle de Weinberg) est d'ailleurs un nombre que le modèle standard ne prédit pas (et qui n'a pas l'air d'avoir une valeur mathématiquement remarquable).
En attendant, que s'est-il passé (environ 10−12 secondes après le Big Bang) ? Le truc est que le préHiggs, était une vibration autour d'une position instable (donc, pas une vibration possible du tout, en fait, puisqu'on ne peut pas vibrer autour d'un état instable). Le zéro du champ de Higgs est un état d'équilibre, mais un état d'équilibre instable. Il y a un dessin obligatoire à faire, là, mais je ne vais pas le faire parce que vous pouvez le trouver en ligne en mille et une variantes : le dessin du « chapeau mexicain » du potentiel de Higgs (en gros, l'énergie en fonction de l'emplacement dans l'espace vibratoire du champ de Higgs), où on voit bien que le zéro (centre de symétrie du chapeau) est instable, puisque c'est un maximum local et pas un minimum local. À très haute température (quelque chose comme 1015K), ça n'a pas beaucoup d'importance, les fluctuations thermiques ont lieu bien au-dessus du niveau de la bosse du chapeau, on peut considérer qu'il s'agit de fluctuations autour de zéro (même si le zéro est instable et donc que le préHiggs, en tant que particule, n'a guère de sens). Mais quand la température diminue, le champ de Higgs ne peut pas rester autour de zéro : il se condense en une valeur d'énergie minimale, c'est-à-dire non nulle, la même dans tout l'espace[#8b], une valeur dans le vide. C'est ce qu'on appelle le condensat de Higgs. (Un condensat en théorie quantique des champs est un champ qui prend une valeur non nulle dans le vide, c'est-à-dire dans l'état d'énergie minimale. Et c'est ce qui fait parfois dire que le vide est rempli de bosons de Higgs : ce n'est pas vraiment ça, les bosons de Higgs sont des vibrations autour de la valeur du condensat, mais c'est vrai que des interactions qui faisaient intervenir le préHiggs se font maintenant, sans autre intervention, dans le vide.)
[#8b] Précision/ajout :
On me fait en commentaire l'objection suivante : comment est-il
possible que le champ de Higgs se soit condensé à la même valeur
partout dans l'Univers alors que l'Univers était déjà causalement
non-connexe (i.e., trop grand pour pouvoir transmettre l'information à
la vitesse de la lumière entre n'importe quel point et n'importe quel
autre) 10−12 secondes après le Big Bang ? Je n'ai pas une
réponse complètement satisfaisante à ça. Une partie de la
réponse est que (a) l'intensité du champ de Higgs dans le
vide est imposée par le fait que c'est la valeur du minimum d'énergie,
donc celle-ci ne pose pas de problème, et (b) pour ce qui est de
la direction, ça n'a pas vraiment de sens de se demander si
le Higgs a la même direction en plusieurs endroits de l'Univers, parce
qu'on peut toujours fixer arbitrairement la direction « interne » en
tout point, quitte à modifier en conséquence les champs
du W et du Z (c'est le sens d'une symétrie de
jauge
, que j'essaie — mais mal — d'expliquer un peu plus loin).
Mais je ne suis quand même pas très satisfait de cette partie (b) :
certes, on peut par « changement de jauge » absorber une différence de
direction du champ de Higgs dans les champs du W et
du Z, mais il y a quand même un contenu physique à la
question : je prends un électron dans une région de l'Univers, je la
transporte dans une autre région de l'Univers, est-ce que c'est
toujours un éléctron ? (Selon qu'on a une variation de la direction
du champ de Higgs ou qu'on a absorbé celle-ci dans les champs
du W et du Z, la raison sera différente : dans
un cas ce sera parce que la particule sera différente par rapport au
Higgs, dans l'autre, parce qu'elle aura « reçu un W en
chemin », mais l'expérience a quand même un sens. Certes, on ne peut
pas transporter l'électron entre des régions causalement séparées de
l'Univers, mais il doit quand même y avoir des interfaces quelque part
si le champ de Higgs n'est pas constant partout.) Or je ne crois pas
que ce soit possible qu'il y ait des étendues macroscopiques où le
champ du W ou du Z prenne des valeurs non
nulles… Bref, je n'ai pas de réponse satisfaisante à l'objection : je
pense que ce que j'ai dit est une partie de réponse, mais il me manque
d'autres pièces pour la compléter.
Or l'espace vibratoire du Higgs avait, initialement, cette symétrie qui faisait qu'on ne pouvait pas distinguer iso-bas et iso-haut. Une fois que le Higgs s'est condensé en une valeur bien définie, la symétrie est brisée : on a le champ de Higgs comme « boussole » pour définir une direction privilégiée dans l'espace iso-bas/iso-haut. Et même, du coup, deux directions perpendiculaires (iso-bas et iso-haut)[#9].
[#9] On fait la
convention que le Higgs pointe dans la direction « iso-bas », qui est
la direction interne de l'électron-chiral-gauche et du
quark-bas-chiral-gauche. Mais en fait le Higgs intervient dans les
interactions à la fois par sa direction et par sa direction
perpendiculaire, donc s'il y a bien un choix de deux directions
perpendiculaires, il n'y en a pas une qui soit vraiment privilégiée
par rapport à l'autre. (Je signale ce point parce qu'il m'avait
complètement échappé jusqu'à ce que j'écrive cette entrée, en y
repensant je me suis demandé mais comment le Higgs peut-il donner
une masse au quark haut s'il a la direction iso-bas ?
, et en me
documentant j'ai vu qu'il y avait cette subtilité qui m'avait
échappé : que la représentation standard de SU(2) est isomorphe à son
dual.)
L'électron-chiral-gauche est la variante du sénestrolepton qui a l'orientation iso-bas, et le neutrino-chiral-gauche est la variante qui a l'orientation iso-haut : si ces particules nous semblent maintenant très différentes, c'est juste que la valeur du champ de Higgs dans le vide a créé cette dissymétrie : l'une est la direction du Higgs et l'autre est la direction perpendiculaire. Plus exactement, le Higgs s'est figé dans une valeur qui est prête à transformer (si j'ose dire) les dextrélectrons en une certaine variante du sénestrolepton, donc on appelle ces deux particules « électrons », et les dextroneutrinos en l'autre variante du sénestrolepton, donc on appelle ces deux particules « neutrinos ». Il n'y avait pas, avant brisure spontanée de la symétrie, une variante du sénestrolepton qui avait plus d'affinité pour le dextrélectron et une qui avait plus d'affinité pour le dextroneutrino, mais après brisure spontané de la symétrie, le champ de Higgs incite à faire les identifications que je viens de dire. La même chose vaut pour les quarks, où a priori il y avait d'un côté des sénestroquarks (complètement symétriques) et de l'autre des dextrobas et des dextrohaut (n'ayant rien à voir), mais une fois que le Higgs s'est figé, on va dire : les sénestroquarks qui interagissent avec les dextrobas via la valeur condensée du Higgs, je les appelle « quarks bas », et ceux qui interagissent avec les dextrohauts « quarks hauts » — c'est bien le Higgs qui a causé cette identification, pas la théorie sous-jacente.
Si le champ de Higgs donne une masse aux particules, disons l'électron (cette association du sénestrolepton dirigé dans le sens d'isospin du Higgs et du dextrélectron), c'est justement parce qu'il est capable de convertir un électron-chiral-gauche en électron-chiral-droit et vice versa, et j'ai essayé d'expliquer (à l'exemple nº3) que la conversion d'un chiral-gauche en un chiral-droit est justement ce que fait la masse d'une particule.
Pour ce qui est des bosons, il y a aussi des bouleversements. L'hypercharge cesse d'être une quantité conservée, parce que le champ de Higgs est présent dans le vide et a une hypercharge, donc on peut prendre ou donner de l'hypercharge du vide, ça n'a plus de sens. Donc, plus d'hypercharge conservée. En revanche, si on prend juste la bonne combinaison entre l'hypercharge et l'isospin de sorte que le Higgs n'en ait pas, alors on obtient une quantité conservée : cette quantité s'appelle la charge électrique (et le Higgs, par définition, n'en a pas) ; la charge électrique est la même que l'hypercharge (à un facteur ½ près qui est une convention historique) pour les particules qui ne parlaient pas au boson préW : dextrélectron (il avait une hypercharge de −2, du coup l'électron a une charge de −1), dextrobas et dextrohaut — en revanche, le dextroneutrino n'avait pas d'hypercharge, donc il n'a pas de charge (et si le neutrino-chiral-droit interagit, c'est uniquement en se transformant en neutrino-chiral-gauche par la faible masse du neutrino). Le boson de Higgs est uniquement l'oscillation du champ de Higgs dans la direction du gradient de potentiel (donc il y en a un seul, et il a une masse). Les oscillations du champ de Higgs dans la direction perpendiculaire… bon, c'est plus compliqué.
Là, il faudrait vulgariser correctement ce qui est, justement, le méchanisme de Brout-Englert-Higgs. J'avoue qu'à ce stade-là d'une entrée déjà très longue, je capitule un peu, et c'est un peu ardu : il faut expliquer plus correctement que je ne l'ai fait la différence entre une symétrie (globale) et une symétrie de jauge, expliquer que ce que j'ai dit avec l'histoire du chapeau mexicain était quand même plutôt la description d'une brisure spontanée de symétrie à la Nambu-Goldstone, et que le mécanisme de Brout-Englert-Higgs est plus subtil (la symétrie n'est pas vraiment brisée, ou plutôt, la symétrie est brisée mais la jauge ne l'est pas — quelque chose comme ça), et d'ailleurs lors de la confirmation expérimentale de l'existence du Higgs, beaucoup de gens ont essayé de produire ces explications et je ne sais pas si c'était un grand succès. • Très sommairement : une symétrie de jauge, c'est que non seulement l'espace vibratoire a des directions (« internes ») dans lesquelles il n'y a pas de choix naturel de base, parce qu'il y a un groupe de symétries (SU(3) dans le cas de la couleur, SU(2)×U(1) dans le cas des interactions électrofaibles), mais en plus, si vous faites un choix de directions en un point de l'espace-temps et que vous le transportez en un autre point, la base à laquelle vous arrivez dépend du chemin suivi, et la dépendance dans le chemin suivi est précisément mesurée par le champ de jauge (le champ des gluons, ou le champ électrofaible) ; en fait, on peut toujours fixer arbitrairement la direction « interne » en tout point, quitte à modifier en conséquence les champs du W et du Z (il s'agit d'un degré de liberté illusoire). Donc quand le champ de Higgs se condense à une valeur non nulle, il choisit certes une direction dans l'espace interne, mais cette direction était de toute façon fixable en redéfinissant les champs : donc autant les petites vibrations dans d'amplitude du champ (vibrations dans le sens de la pente du chapeau mexicain) donnent des bosons de Higgs, autant les petites variations de direction s'absorbent dans les bosons « de jauge » que sont le W et le Z, et en contrepartie il leur donne une masse. (Quant à la partie des symétries qui n'a pas été brisée par la valeur du champ de Higgs dans le vide, elle n'acquiert pas de masse et devient l'électromagnétisme et le photon.)
OK, ce que je viens de raconter était sans doute incompréhensible si on ne savait pas déjà ce dont il était question. Donc, à ce sujet, je capitule : pour fournir une explication correcte, il faudrait en écrire beaucoup plus que ce que j'ai envie d'écrire en ce moment. Mais je pense que c'est possible toujours à un niveau assez modeste (même s'il faut dire que, pour ce qui est des symétries de jauge, des notions sur la théorie des groupes de Lie compacts et leurs représentations — ou en tout cas SU(3) et SU(2)×U(1) — seraient bien utiles). Pour ceux qui connaissent une quantité raisonnable de maths et qui veulent en savoir plus sans apprendre de théorie quantique des champs, en restant uniquement au niveau de la théorie classique des champs, je peux recommander le livre de Валерий Анатольевич Рубаков [V. A. Rubakov], Классические калибровочные поля, traduit en anglais sous le nom Classical Theory of Gauge Fields (notamment les chaptres 4–6 et 14) ; j'ai trouvé ce livre très rigolo à lire (en anglais, je l'avoue).
Pour dire quand même un mot sur les bosons : le photon est une combinaison linéaire entre le boson B et la variante/direction d'isospin du boson préW qui laisse invariante la direction du Higgs, la combinaison[#10] étant telle qu'elle n'interagit pas avec le Higgs, tandis que le boson Z⁰ est la combinaison orthogonale entre le même boson B et la même variante du préW ; les autres variantes du préW deviennent les bosons W⁺/W⁻. Bon, ce n'est pas terriblement clair non plus tout ça.
[#10] On introduit l'angle de Weinberg à ce sujet : c'est l'angle θ tel que le potentiel électromagnétique soit A = cos(θ)·B + sin(θ).W₃ et que le champ correspondant du boson Z soit Z = −sin(θ)·B + cos(θ).W₃, où B est le champ du boson B et W₃ la composante du préW qui laisse invariante la direction du Higgs. Cet angle θ (dont le cosinus est le rapport des masses du W et du Z) vaut environ 29°, encore une de ces constantes bizarres (comparer à l'angle de Cabibbo de l'l'exemple nº1 ci-dessus) exprimant le fait que les interactions faibles sont « penchées » de façon bizarre. (J'ai vaguement le souvenir qu'un physicien célèbre a demandé si Dieu n'était pas ivre le jour où il a conçu les interactions faibles, mais je ne retrouve pas la phrase exacte ni de qui il pouvait s'agir.)
Il vaut sans doute mieux que j'arrête là. Mais si au moins j'ai réussi à faire un peu passer l'idée que, quand l'univers était très chaud, non seulement les électrons, neutrinos, quarks et bosons Z/W n'avaient pas de masse, mais en plus ils étaient organisés différemment, que l'électron-chiral-gauche et le neutrino-chiral-gauche étaient la même particule (sénestrolepton) et de même le quark-haut-chiral-gauche et le quark-bas-chiral-gauche, alors que l'électron-chiral-droit, l'éventuel neutrino-chiral-droit et les différents quarks chiraux-droits étaient des particules n'ayant pas grand-chose à voir (ni entre eux ni avec les précédents), et que pourtant tout ça était plus symétrique, eh bien ce sera déjà ça.
TOnotDO :
Pour aller vraiment plus loin, il faudrait évoquer les phénomènes véritablement quantiques : le vide de la chromodynamique quantique et les condensats qui vont avec et qui donnent l'essentiel de leur masse au proton et au neutron (ce n'est pas le Higgs, qui n'est responsable que de la — faible — masse des quarks « nus »), le problème CP fort (et le mystérieux « angle du vide » de la chromodynamique quantique) ; la question des anomalies, comme l'anomalie chirale, et le lien avec la topologie (notamment le très mystérieux sphaléron qui crée des particules out of thin air à partir de superpositions quantiques d'invariants topologiques du champ électrofaible). Mais pour tout ça, je n'ai ni le courage ni vraiment la compétence.Ajout () : Je
dois sans doute
mentionner l'article
introductif The Algebra of Grand Unified Theories
de John Baez et John Huerta (je pense surtout à la section 2, qui
parle du modèle standard : après, il va au-delà), destiné aux matheux,
et qui entreprend d'exposer des choses qui recoupent pas mal celles
que j'ai racontées (avec plus de théorie des représentations et un peu
plus de précisions).