David Madore's WebLog: J'en ai marre des gens qui veulent censurer Internet

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(jeudi)

J'en ai marre des gens qui veulent censurer Internet

[Dessin représentant l'oncle Sam ayant acheté une boîte étiquetée « control of Internet Speech » ; le vendeur portant un label « corporate media » demande « how would you like this wrapped? » ; derrière lui, deux emballages cadeau, l'un étiqueté « anti-terrorism » et l'autre, « protect kids »]Il y a un dessin de John Jonik (reproduit ci-contre), paru je ne sais pas où[#] autour de l'an 2000, et qui, 25 ans après, est toujours parfaitement d'actualité : régulièrement, des gens ont envie de censurer, contrôler ou policer Internet, et les deux prétextes qui servent le plus facilement à ça sont la lutte contre le terrorisme (à la rigueur ça peut être des petites variations comme le narcotrafic) ou la protection des pitits zenfants (soit sous l'angle de la lutte contre la pédocriminalité soit sous l'angle de la protection de leurs chastes petits yeux).

[#] Je l'avais déjà utilisé l'an dernier dans ce billet, en avouant ne pas savoir d'où il sort exactement. Depuis, mes petits lutins sur Internet m'ont apporté une preuve qu'il date au plus tard de l'été 2001, puisqu'il apparaît dans le numéro de l'été 2001 de l'Alternative Press Review (cette page prétend même qu'elle serait même déjà aussi dans le numéro de l'automne 2000 de la même revue, mais je ne sais pas si c'est très fiable). Mais ce n'est probablement pas le lieu de publication originale. J'ai écrit un mail aux bibliothécaires de l'Université de Pennsylvanie qui semblent avoir dans leurs collections une importante collection de dessins de cet auteur pour leur demander s'ils peuvent me trouver la source précise. J'annoncerai le résultat si ma petite enquête aboutit pour trouver l'origine du dessin et le contexte dans lequel il a été fait.

Ces deux prétextes marchent si bien, évidemment, parce qu'ils combinent toutes sortes de sophismes (l'appel à l'indignation, la fausse dichotomie, l'homme de paille, la culpabilité par association, la vertu ostentatoire) pour produire l'effet suivant : si vous vous opposez aux censeurs, on vous accusera d'être du côté des terroristes ou des pédophiles ou quelque chose comme ça. Les électeurs tombent dans le panneau[#2] avec une constance absolument affligeante : à défaut d'adhérer, au moins ils font confiance au discours des sécuritaristes. C'est ainsi qu'on se retrouve avec toutes sortes de lois d'exceptions sur l'apologie du terrorisme, qu'on veut nous imposer des back doors dans les communications chiffrées ou des IA qui vérifieraient automatiquement s'il y a des images pédophiles dans nos fichiers (what could possibly go wrong?), et autres variations sur le même thème. Et à aucun moment les gens ne rassemblent deux millions de signatures[#3] pour protester. Bref, ce dessin de Jonik n'a pas pris une ride en 25 ans, et il n'a pas l'air parti pour en prendre.

[#2] Je l'ai déjà signalé et je le répète : le terrorisme, en Europe actuellement, est, sinon un non-problème, en tout cas un problème qui ne justifie absolument pas le délire de mesures qu'on consacre à cet enjeu. Mesures qui sont au mieux de la comédie sécuritaire pour pouvoir dire qu'on fait quelque chose (p.ex., le plan Vigipirate en France), et au pire une tactique délibérée pour éroder les droits fondamentaux sous le prétexte de la protection. Et c'est exactement ce dernier point qu'illustre le dessin de Jonik. La réalité c'est que les sécuritaristes ne sont pas les ennemis des terroristes, ce sont leurs alliés objectifs, des symbiotes : les terroristes fournissent aux sécuritaristes les prétextes pour grignoter plus de pouvoir, et les sécuritaristes fournissent aux terroristes l'attention que ceux-ci cherchent à obtenir par leurs actions. (Si on se contentait de traiter les terroristes avec l'attention proportionnée aux morts et blessés qu'ils causent vraiment, on s'en préoccuperait fort peu, en tout cas quelque chose comme 200 fois moins que les accidents de la route. Et du coup il y aurait aussi encore moins de terroristes.) Mais voilà, la stratégie marche, donc les terroriste continuent de terroriser, et les sécuritaristes de grignoter nos droits fondamentaux.

[#3] Bon, je suis d'assez mauvaise foi, là : j'ai suffisamment répété que le succès et largement un phénomène aléatoire pour ne pas trop lire dans le fait que les Français se soient tout d'un coup découvert un niveau d'expertise élevé au sujet d'un pesticide[#4] alors qu'en général tout ce qui est technique, par exemple tout ce qui concerne Internet, les laisse totalement indifférents. C'est juste que parfois les mouvements de protestation deviennent viraux et parfois non. Mais ce serait quand même bien si, de temps en temps, il y avait un vrai mouvement populaire qui marche pour protéger Internet : ce n'est pas comme si c'était un truc dont personne ne se sert.

[#4] Pour les gens qui liraient ce billet dans l'avenir, il s'agit de l'acétamipride. (Et si vous voulez en savoir plus sur le fond, ce fil semble être une bonne synthèse.)

Entendons-nous bien : je ne prétends pas que l'Internet ne doit obéir à aucune loi, et je ne me prétends pas me poser comme un absolutiste de la liberté d'expression, ne serait-ce que parce que les gens qui affirment l'être sont généralement des petits flocons fragiles dès qu'on les attaque[#5], et aussi parce que je sais que, même à mon échelle microscopique, la modération de contenus est une prise de tête sans fin. Les libertés des uns ont forcément des limites posées par les droits des autres. Disons que j'ai tendance à trouver que la liberté d'expression doit bénéficier d'une acceptation très large. Mais ce n'est pas vraiment le point : le point est que ces lois sont à la fois indignes d'une démocratie, complètement connes, et profondément hypocrites.

[#5] Elon Musk, qui aime bien se décrire par cette phrase, est pour la liberté d'expression absolue… des gens qui sont d'accord avec lui. Sans même parler de la manière dont il plie devant n'importe quel régime (Inde, Turquie) qui lui demande de censurer des choses qu'il n'a pas spécialement envie de défendre, il montre lui-même à tour de bras sa volonté de tout censurer : des chercheurs aux journalistes en passant par tous ceux qui utilisent le mot cis[genre] (qui serait, selon Musk, une insulte(‽)) et votre humble serviteur quand je documente les anomalies de Grok.

Parlons du porno. Pourquoi le porno ? Parce que le porno est le canari dans la mine : quand on va attaquer les libertés fondamentales, il est commode de commencer par quelque chose que peu de gens vont se lever pour défendre parce que c'est embarrassant de le faire. Censurer le porno, c'est commode, parce que les gens qui s'indigneraient avoueraient ipso facto regarder du porno[#6][#7], peu de gens sont prêts à le faire, donc quasi personne ne va défendre le porno, et ça permet aux censeurs de se faire la main.

[#6] Ou en tout cas ils seront soumis au même embarras que s'ils l'avouaient : ils peuvent toujours dire moi je n'en regarde pas, mais sur le principe…, on ne les croira pas.

[#7] Je suis un peu embêté, là, moi, parce qu'en fait je n'en regarde quasiment pas, je trouve ça juste chiant. Je trouve les images suggestives soft bien plus intéressantes à regarder. Mais si je dis ça, on va penser que j'essaie justement de me réfugier dans la posture oh, moi, je ne regarde pas de porno. Or j'aimerais bien dire fièrement que je regarde régulièrement du porno, mais ce serait un mensonge. Du coup, à défaut, plutôt que référencer ce que je regarde, je vais plutôt évoquer ce que j'ai écrit et mis en ligne.

Voilà précisément pourquoi il faut défendre le porno, et rappeler que ce n'est ni illégal ni honteux ni problématique de regarder du porno[#8]. Et porter une attention particulière aux tentatives pour le censurer.

[#8] Bien sûr, ça peut tomber dans l'une de ces catégories sous certaines conditions, mais il n'y a aucune action qui ne puisse devenir illégale, honteuse ou problématique si on ajoute des circonstances imaginées exprès pour.

Pourquoi je parle du porno maintenant ? Parce que la France et le Royaume-Uni ont passé des lois à peu près similaires pour censurer le porno sur Internet (je vais expliquer plus bas pourquoi je parle de censure alors qu'ostensiblement il s'agit juste de protéger les chastes yeux des pitits zenfants).

La loi française est la loi nº2024-449 du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique[#9] ; la loi britannique est la Online Safety Act 2023. Les deux affichent un objectif à peu près semblable : empêcher les mineurs de voir de la pornographie en ligne (la loi britannique semble être plus large dans sa portée et ne se limite pas à la pornographie, mais parlons surtout de ça). Et les deux prévoient des mécanismes de contrôle[#10] de l'âge des internautes, et une obligation d'implémenter ce contrôle pour les sites diffusant des contenus pornographiques. Les deux sont déjà en vigueur, mais on commence seulement maintenant à en voir vraiment les effets (notamment à cause de périodes transitoires prévues pour l'implémentation).

[#9] Toutes autres choses mises à de côté, cette manière de donner aux lois des titres performatifs bien-pensants est absolument insupportable. Le titre est l'injure qui s'ajoute à la blessure du contenu de cette loi.

[#10] On peut défendre la loi française en ce qu'elle a prévu des contraintes sur le mécanisme de contrôle de l'âge qui tentent un peu sérieusement de respecter la vie privée des Internautes, en imposant une contrainte de double anonymat (le site qui fait la vérification ne doit pas savoir pour quel site il le fait, et le site qu'on consulte ne doit pas connaître l'identité de la personne qui demande la vérification ; le texte technique est ici). Ceci est louable. Malheureusement, pour l'instant, tout ça est du pur vaporware : il n'y a aucun standard derrière, aucun protocole en place, aucune communication ni coordination avec les autorités légitimes pour créer des normes sur Internet (comme l'IETF ou le W3 Consortium) : la France a imaginé son petit truc dans son coin en se croyant propriétaire d'Internet, et évidemment, ça ne peut pas marcher. Le Royaume-Uni, plus pragmatique, n'impose pas grand-chose, et évidemment c'est un désastre (et tout le monde cherche toutes sortes de moyens pour contourner les mesures).

Et surtout, ces deux lois sont révoltantes, complètement connes, et profondément hypocrites.

Ce serait vraiment bien s'il pouvait y avoir des adultes au parlement pour empêcher ces insupportables gamins de députés[#11] de tout le temps essayer de casser Internet. Sérieusement, retirez-leur ce jouet ! Ou donnez-leur en un autre, je ne sais pas. Mais qu'ils foutent la paix à Internet.

[#11] Comme j'écris ce billet à l'arrache, je n'ai pas eu le temps de rechercher comment avaient voté les différents groupes parlementaires dans cette histoire, pour savoir qui doit avoir honte. Mais sur ce genre de sujets, d'habitude, ils sont tous aussi déplorables les uns que les autres.

Je ne dis pas que l'objectif affiché soit fondamentalement stupide : je peux comprendre qu'on veuille éviter que les mineurs aient trop facilement accès à du contenu pornographique sur Internet.

Mais je voudrais faire une première remarque à ce sujet : c'est que la pornographie est très loin d'être le pire de ce qu'on peut trouver sur Internet. Si on pense protéger les mineurs sur Internet et que la première idée qu'on a à l'esprit est qu'ils risquent de voir du porno, on a un sérieux problème de priorités.

Et de toute façon, aucune sorte de mesure par un code d'accès ne va pouvoir fonctionner, parce que les accès pourront toujours être partagés d'une manière ou d'une autre. Interdire un site aux mineurs, c'est juste… techniquement impossible parce que ça ne veut rien dire.

Maintenant, si on veut vraiment accomplir un objectif un peu sensé dans ce genre d'idée, je pense que le plus raisonnable est de mettre les bons outils techniques dans les mains des parents. Par exemple, comme tous les abonnements Internet fixes en France viennent avec une « box », on peut inciter les fournisseurs d'accès à fournir des proxys filtrants sur leur box qui permettraient de filter l'accès de certains appareils de la maison à certains sites selon des listes prédéfinies ou personnalisables. De même, les opérateurs mobiles pourraient fournir des abonnements avec de tels filtres parentaux. Mettre les outils dans les mains des parents[#12] permet de faire prendre les décisions de quoi accepter ou pas par quelqu'un qui a plus de chances de pouvoir la prendre intelligemment que le législateur. Il faut juste leur proposer les bons outils, et là, je peux imaginer que les autorités agissent pour standardiser ces outils ou s'assurer qu'ils soient largement disponibles. On peut éventuellement demander un certain concours des sites Web eux-mêmes par exemple en standardisant (mais en passant par les autorités compétentes, comme le W3 Consortium) des en-têtes pour déclarer le contenu potentiellement pornographique ou inadapté aux mineurs (qui serait alors bloqué au niveau du proxy de la box, ou du navigateur, ou équivalent).

[#12] Je ne dis pas que les parents sont forcément parfaits, mais qu'on ne peut de toute façon pas faire sans leur concours. Si des parents décident que leurs enfants peuvent voir du porno, ce sera juste impossible de les en empêcher.

Une partie de tout ça existe déjà, en fait. Pourquoi, du coup, a-t-on besoin d'une nouvelle loi ?

Je veux avancer l'idée que le but de ce genre de lois n'est pas, en fait, de protéger les mineurs (je viens d'expliquer comment il aurait fallu s'y prendre pour ça), mais de développer des nouveaux moyens de pouvoir censurer Internet, et que les mineurs ne sont que le prétexte. (Encore une fois, cf. le dessin de Jonik.)

Revenons un poil en arrière. Les États ne sont pas les seuls à pouvoir ou à vouloir censurer Internet. C'est le grand point aveugle de beaucoup de discussions sur la liberté d'expression que de s'imaginer que la censure ne peut venir que de la force publique : elle peut tout à fait venir de forces privées, et ce n'est pas moins effectif ni moins problématique.

On pensera bien sûr aux grands réseaux sociaux ou moteurs de recherche : Facebook, Twitter, TikTok, Google (ce dernier aussi bien comme moteur de recherche que comme propriétaire de YouTube), etc., disposent des moyens de faire effectivement disparaître toutes sortes de contenus d'Internet. Et du coup ils ont un grand pouvoir de censure.

Les créateurs de contenu sur YouTube, par exemple, doivent soigneusement éviter de parler de certains sujets (dont, évidemment, le sexe) ou même de prononcer certains mots, de peur que leurs vidéos ne soient recommandées à personne, et/ou soient « démonétisées ». Comme en plus, les sujets tabous ne sont explicitement listés nulle part et peuvent changer de façon complètement arbitraire et sans prévenir, les créateurs pratiquent l'auto-censure en s'interdisant certainement bien plus que ce que la plate-forme ne considère comme problématique… mais c'est peut-être justement voulu de la part de cette dernière de pousser à l'auto-censure sans pouvoir être directement accusée de censurer les contenus (déni plausible ; d'ailleurs, c'est aussi pour cette raison que YouTube préfère dérecommander et/ou démonétiser que d'effacer complètement la vidéo : ça paraît plus soft, même si en pratique ça revient au même).

Mais il y a des acteurs auxquels on ne pense pas forcément. Par exemple les grands acteurs du paiement à distance : Visa, Mastercard, Stripe et PayPal. Car dès que qu'un créateur a besoin de se faire payer (ce qui est aussi un sac de nœuds, mais j'en ai déjà parlé), il doit passer par un ou plusieurs de ces géants. Qui ont donc un pouvoir effectif de censure (en rendant une activité impossible à rentabiliser). Et comme ils ont la pudibonderie frileuse, il est particulièrement facile de les faire censurer tout ce qui ressemble de près ou de loin à du porno : encore une fois, le canari dans la mine. C'est exactement ce qui s'est produit très récemment quand un groupe puritain australien a fait pression sur ces prestataires de paiement pour qu'ils censurent des jeux en ligne jugés pornographiques.

La morale est… je ne sais pas exactement, mais en tout cas, la censure à l'âge de l'information est quelque chose de bien plus complexe que quand on a commencé historiquement à parler de liberté de la presse : maintenant ce n'est plus juste le roi : plein d'acteurs peuvent censurer, en quelque sorte tout le monde est un potentiel censeur[#13], et ce à divers niveaux, soit directement, soit plus indirectement, soit par des pressions insidieuses sur d'autres acteurs ou sur l'opinion publique ou en poussant à l'auto-censure. Pour comprendre la dynamique, il ne faut pas regarder que les intentions affichées, il faut regarder les effets réels.

[#13] Ceux qui utilisent le verbe cancel ont, en fait, assez bien compris le phénomène. Le problème c'est que les gens qui utilisent ce mot ont tendance à être terriblement hypocrites — en mode recherche de paille alors qu'ils ont une poutre dans l'œil — sur les formes de cancel qui les dérangent, comme Elon Musk dont j'ai déjà évoqué le cas dans une note plus haut, ou des Républicains américains qui crient à la « censure woke » en même temps qu'ils font eux-mêmes disparaître plein de livres des bibliothèques des écoles qu'ils gèrent. Ils ont compris le phénomène pour s'en resservir eux-mêmes comme arme, mais il faut leur reconnaître ceci, ils ont effectivement assez bien compris les mécanismes.

Je reviens donc aux lois française et britannique sur le porno en ligne, qui prétendent vouloir protéger les mineurs. Évidemment, quand on soumet un site à une tracasserie administrative infinie, le site va juste préférer fermer complètement, ou rendre inaccessible le contenu porno, qu'implémenter une norme incroyablement compliquée de vérification d'âge. Et l'auteur de la loi ou de la tracasserie administrative infinie aura le prétexte du déni plausible : ah mais je ne prétendais pas interdire complètement le porno en ligne en France, juste interdire son accès aux mineurs, et d'ailleurs nous avons créé une norme de 34 955 pages permettant la vérification d'âge, c'est le choix du site de ne pas l'implémenter.

Or doncques on peut facilement prévoir ce qui arriva : Pornhub, par exemple, a fermé complètement l'accès à son site à la France ; leur explication à ce sujet est publiée ici. (Et dans la demi-heure qui a suivi, les abonnements aux VPN permettant d'utiliser le réseau d'un autre pays ont bondi en flèche. Parce que si pas grand-monde n'est prêt à se lever pour dire moi je regarde du porno et je veux qu'il reste accessible depuis la France, quand il s'agit de voter avec ses pieds, ou en l'occurrence avec son VPN, là il y a du monde.)

De même, Twitter, pardon, 𝕏, enfin, le truc de l'autoproclamé absolutiste de la liberté d'expression, semble avoir bloqué l'accès à tous les tweets potentiellement pornos (selon une définition très large), je crois même comprendre qu'il a fait ça dans toute l'Union européenne (ainsi que le Royaume-Uni). Évidemment il n'y a aucun mécanisme de vérification de l'âge. Pour l'instant on peut rigoler sur Bluesky mais il est hautement probable que la même chose se produise de ce côté-là.

Quant à Reddit, il semble qu'ils aient classifié tout le contenu LGBTQ+, même sans aucune connexion sexuelle (par exemple des groupes de soutien gays, lesbiens ou trans), comme « pornographique », et qu'il soit inaccessible au Royaume-Uni (je ne comprends pas bien s'il y a moyen de faire vérifier son âge pour y accéder quand même, mais s'agissant de groupes de soutien aux mineurs LGBTQ+, s'ils sont restreints aux majeurs parce qu'étiquetés comme « porno » on comprend que ça revient fonctionnellement à les fermer).

Et il est possible que même Wikipédia devienne inaccessible au Royaume-Uni (et pas inconcevable que la même chose se produise en France), parce que, oui, il y a des choses sur Wikipédia qui peuvent être classifiés comme pornographiques ou inapproprié pour les mineurs, et Wikipédia n'a pas les moyens de passer par les chicaneries administratives que leur imposeront le Royaume-Uni et/ou la France, sans parler des ~200 pays qui pourraient décider d'adopter des lois aussi stupides, ni pour trier son contenu ni pour payer un système de vérification d'âge.

Alors évidemment les défenseurs de ce genre de lois auront beau jeu de présenter la carte du déni plausible, de dire qu'ils n'avaient pas du tout l'intention de provoquer ces conséquences, que leur loi ne censure pas le porno elle veut juste protéger les mineurs et que des dispositions permettent la vérification d'âge (ou encore, que ce sont les sites en question qui sont les méchants censeurs, pas leur loi). Certains des députés ayant voté pour la loi sont effectivement peut-être des idiots utiles qui croient vraiment ça. Mais quand les conséquences étaient aussi éminemment prévisibles (et que, comme je l'ai fait remarquer plus haut, on pouvait arriver bien plus efficacement au résultat affiché avec des moyens offerts aux parents), je vais risquer de me couper sur le rasoir de Hanlon en disant que beaucoup de gens qui défendaient cette loi savaient pertinemment ce qu'ils faisaient[#14]. Évidemment que si on impose à Reddit de bloquer son contenu porno (à peine de sanctions grotesquement élevées) il va surcatégoriser et considérer tout ce qui est LGBTQ+ comme du porno[#15], parce que ça on ne lui a justement pas interdit de le faire, et, franchement je ne suis pas sûr que Reddit soit le méchant, ou en tout cas le seul méchant, dans cette histoire.

[#14] Peut-être aussi qu'ils avaient acheté des actions dans des compagnies fournissant des VPN (ou reçu des pots-de-vin de leur part), d'ailleurs.

[#15] C'est un grand classique de considérer n'importe quel thème LGBTQ+ comme porno ou inapproprié aux mineurs (comme si notre simple existence risquait de choquer les enfants). Et pas seulement aux États-Unis comme on pourrait se l'imaginer : au Royaume-Uni aussi.

Je le répète, le porno est le canari dans la mine. Si quand ils sont venus censurer le porno vous ne dites rien parce que vous ne regardez pas de porno (ou plus probablement, n'osez pas dire que vous en regardez), eh bien quand ils viendront vous censurer il ne restera plus personne pour protester.

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