David Madore's WebLog: 2006-03

Vous êtes sur le blog de David Madore, qui, comme le reste de ce site web, parle de tout et de n'importe quoi (surtout de n'importe quoi, en fait), des maths à la moto et ma vie quotidienne, en passant par les langues, la politique, la philo de comptoir, la géographie, et beaucoup de râleries sur le fait que les ordinateurs ne marchent pas, ainsi que d'occasionnels rappels du fait que je préfère les garçons, et des petites fictions volontairement fragmentaires que je publie sous le nom collectif de fragments littéraires gratuits. • Ce blog eut été bilingue à ses débuts (certaines entrées étaient en anglais, d'autres en français, et quelques unes traduites dans les deux langues) ; il est maintenant presque exclusivement en français, mais je ne m'interdis pas d'écrire en anglais à l'occasion. • Pour naviguer, sachez que les entrées sont listées par ordre chronologique inverse (i.e., la plus récente est en haut). Cette page-ci rassemble les entrées publiées en mars 2006 : il y a aussi un tableau par mois à la fin de cette page, et un index de toutes les entrées. Certaines de mes entrées sont rangées dans une ou plusieurs « catégories » (indiqués à la fin de l'entrée elle-même), mais ce système de rangement n'est pas très cohérent. Le permalien de chaque entrée est dans la date, et il est aussi rappelé avant et après le texte de l'entrée elle-même.

You are on David Madore's blog which, like the rest of this web site, is about everything and anything (mostly anything, really), from math to motorcycling and my daily life, but also languages, politics, amateur(ish) philosophy, geography, lots of ranting about the fact that computers don't work, occasional reminders of the fact that I prefer men, and some voluntarily fragmentary fictions that I publish under the collective name of gratuitous literary fragments. • This blog used to be bilingual at its beginning (some entries were in English, others in French, and a few translated in both languages); it is now almost exclusively in French, but I'm not ruling out writing English blog entries in the future. • To navigate, note that the entries are listed in reverse chronological order (i.e., the most recent is on top). This page lists the entries published in March 2006: there is also a table of months at the end of this page, and an index of all entries. Some entries are classified into one or more “categories” (indicated at the end of the entry itself), but this organization isn't very coherent. The permalink of each entry is in its date, and it is also reproduced before and after the text of the entry itself.

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Entries published in March 2006 / Entrées publiées en mars 2006:

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(vendredi)

Fa-ti-gué

C'est en train de devenir une règle : je ne profite pas du tout de mes week-ends, parce que je n'y fais que rattraper le sommeil perdu pendant la semaine.

Mais bon, demain j'organise un important colloque (j'en ai déjà dit un mot), alors il faut vraiment que je me couche tôt, là.

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(mercredi)

Mémoire auditive, japonais, récitation

J'ai une mémoire essentiellement auditive, au moins par opposition à visuelle (je ne parle pas de mémoire conceptuelle ou procédurale). Sans avoir fait des statistiques sérieuses, j'ai l'impression que c'est relativement rare : la plupart des gens me disent, quand ils retiennent un texte par cœur, qu'ils « voient » mentalement le texte écrit, alors que moi, indiscutablement, je l'« entends ». D'autres signes sont également clairs : si on me montre brièvement un arrangement de sept signes géométriques simples (dans le genre carré / rond / triangle / croix), je ne suis pas capable de les reproduire, alors que si on prononce sept syllabes dénuées de sens, je peux sans difficulté les répéter. (Je me tiens à sept, parce que c'est généralement admis comme le nombre le plus commun de cases de stockage pour ce genre de mémoire à court terme, et d'ailleurs peut-être lié à des raisons dans la structure du cortex.) Autre exemple : je connais une cinquantaine de décimales du nombre π (normalement je n'ai pas trop « la mémoire des chiffres », là je les ai apprises quand j'étais petit et jamais oubliées depuis), mais je les retiens comme une contine : trois virgule un quatre un cinq neuf deux six cinq trois cinq, etc., et je serais incapable de prononcer les chiffres groupés diffémment (comme : trois virgule quatorze quinze quatre-vingt-douze soixante-cinq trente-cinq, etc.) ou dans une autre langue (comme : three point one four one five nine two six five three five), alors que quelqu'un qui « verrait » les chiffres défiler pourrait plus facilement les lire dans une autre langue. Accessoirement, il m'est deux fois plus difficile de retenir un zéro qu'un autre chiffre, pour la raison totalement idiote qu'en français le mot « zéro » a deux syllabes !

La chose est assez frappante comme en ce moment (depuis trois-quatre semaines) j'essaie d'apprendre le japonais avec la méthode Assimil (dont le principe, qui me semble globalement très bon, est : commencez par écouter, répéter, lire et comprendre, ne cherchez pas spécialement à apprendre le vocabulaire, essayez juste de vous familiariser avec le texte jusqu'à ce qu'il vous semble naturel, puis passez à la leçon suivante) : la compréhension à l'écoute me vient vite, je retiens énormément de bouts de phrase ou de phrases entières[#], alors que l'écriture me reste décidément opaque (je me suis forcé à apprendre à lire au moins tous les kanas — ce qui ne veut pas dire que je ne mets pas un temps considérable à en reconnaître certains — mais je ne sais même pas les retracer, et pas non plus les kanjis sauf un ou deux). Il faut dire que, là, la méthode incite à la paresse parce qu'elle transcrit systématiquement tout en rōmaji (Hepburn) : du coup, je retape les textes sur mon ordinateur pour pouvoir le relire ensuite en écriture japonaise (mais avec ruby[#2]).

Une conséquence de ma mémoire auditive, c'est que je connais pas mal de textes par cœur. Je veux dire : je ne suis pas du tout du genre à retenir des tables de capitales des pays du monde (quelle est la capitale du Bhoutan ? Timphou — etc.). En revanche, des pages célèbres, des discours, des poèmes, des chansons, oui, tout à fait. Enfin, au total, pas énormément (sans doute moins qu'un acteur qui apprendrait par cœur les répliques d'une seule pièce), mais des textes extrêmement éclectiques. Souvent je n'ai même pas fait d'effort particulier pour apprendre (un jour par exemple je me suis rendu compte que je connaissais les quatre premiers paragraphes de la déclaration d'indépendance des États-Unis alors que je n'avais pas spécialement voulu, je m'étais contenté de la lire attentivement et d'en apprécier la construction). Et j'ai aussi tendance à ne pas oublier ce que j'ai appris : c'est ainsi que je connais encore par cœur un long passage de Pouchkine en russe que javais dû apprendre en terminale, alors qu'il y a beaucoup de mots dont j'ai oublié le sens (parce que le russe, lui, je l'ai beaucoup oublié). Globalement, les choses que j'apprends sont tout de même surtout des répliques théâtrales qui me semblent particulièrement fortes ou célèbres (comme le fameux monologue de la scène 1 de l'acte III de Hamlet ou les scènes 4 et 5 de l'acte I du Cid), des poèmes que j'aime lire et réciter, et, parmi les chansons, des hymnes (on a déjà eu un exemple ici, et, de peur qu'on me prenne pour un dangereux gauchiste parce que je connais les six strophes de l'Internationale (mais en français, pas en russe), je sais aussi les hymnes nationaux anglais, allemand, américain ou canadien) et des paroles de génériques idiots et quelques tubes en tous genres — parce que c'est conçu pour rester facilement en mémoire. D'ailleurs, c'est pareil pour les vers : je crois que j'ai une affinité particulière pour la structure de l'alexandrin, et décidément les sonnets de Heredia passent mieux que de la prose ; je suppose que quelqu'un qui a une mémoire surtout visuelle n'y trouverait pas trop de différence.

Tout ceci est tragiquement inutile, évidemment. Certes, une fois j'ai pu faire impression en maudissant quelqu'un à la manière d'Agrippine (dans Britannicus) : Tes remords te suivront comme autant de furies, etc. Mais généralement on s'aperçoit assez vite que mon répertoire est, finalement, assez pauvre, et que quand je cite Faust, ce sont essentiellement toujours les mêmes vers.

(Et, non, avant que quelqu'un me pose la question, je ne fais pas de théâtre, et je n'ai pas l'intention d'en faire. Même si plein de gens me disent que je devrais.)

[#] En fait, j'avais fait un an de japonais quand j'étais élève à l'ENS : c'est-à-dire que j'avais juste assisté aux cours sans rien chercher à retenir, et évidemment, du coup, il ne m'en est rien resté, à part quelques hiraganas et une unique phrase, この 着物 は 青く ありません — mais je précise que je sais seulement la prononcer, pas l'écrire, justement. Cela signifie : ce kimono n'est pas bleu. Un peu difficile à placer dans la conversation, surtout quand c'est la seule phrase qu'on connaisse.

[#2] Et j'en profite pour déplorer le fait que Mozilla/Firefox ne gère pas du tout le ruby ; et le pire, c'est que s'il y a moyen de contourner cette limitation en faisant du CSS un peu sioux (à base de display: inline-table et autres horreurs), une obscurité dans un point de la norme CSS (sur l'existence d'une ligne de base de certaines boîtes) et un changement d'interprétation dans certaines versions du Lézard font que je n'ai absolument pas réussi à produire un document qui s'affiche correctement partout (l'alignement vertical est aléatoire).

Suite : cette entrée ultérieure est une sorte de suite, de complément ou de redite de à celle-ci (je l'ai écrite alors que j'avais plus ou moins oublié celle-ci).

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(lundi)

Annonce de colloque

À l'occasion du 230e anniversaire de la naissance de Sophie Germain, ce samedi, Gaëtan Leurent et moi-même organisons à l'École normale supérieure un colloque transdisciplinaire mathématiques-informatique-biologie ayant pour sujet :

Variétés de Poisson et Espèces de Manchot

En raison de problèmes logistiques, le programme n'est pas encore tout à fait fixé, ni la salle (cela devrait être la salle Henri Cartan des conférences du 46 rue d'Ulm, à partir de 14h). On espère néanmoins pouvoir assister à un exposé de M. Blondeel sur le thème : Le manchot descend-il du singe ? L'exemple de Linux. M. Leurent devrait également faire une présentation sur : How To Recognize Different Types of Fish From Quite a Long Way Away. Enfin, M. Reutenauer pourrait faire un exposé mais, dans l'immédiat, il nie tout.

Nous espérons que les mesures de sécurité permettront néanmoins l'accès à l'École et que le colloque pourra se dérouler dans de bonnes conditions.

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(samedi)

67

Diantre, ça fait pas mal d'années que j'habite où j'habite, et je viens seulement de remarquer à quel point la ligne de bus nº67 est commode (c'est-à-dire plus que la ligne de métro nº7) pour moi pour aller du côté des Halles.

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(samedi)

Printemps

J'ai passé une fin de semaine de folie, entre ces foutus dossiers qui prennent un temps invraisemblable (j'ai fait un premier envoi pour les endroits où je suis sûr de vouloir aller, afin d'avoir l'esprit un peu tranquille, et j'en expédierai peut-être encore un ou deux autres) et divers enseignements. Et, bien sûr, encore une séance chez le dentiste (mais là, je commence à en voir le bout, et si tout va bien dans dix jours ma couronne sera enfin posée). L'inquiétude concernant une possible occupation de l'ENS est toujours présente, surtout après le récent saccage de l'EHESS (ici en photos). Du coup, pour faire quand même un peu de vraies maths, je me suis trouvé à rester dans mon bureau hier soir jusqu'à 5h30 du matin (si je sors de l'École je ne suis pas sûr de pouvoir y rentrer !) — il faut dire que je butais sur un problème idiot (j'avais un groupe qui aurait dû agir à gauche et qui s'obstinait à agir à droite, parce qu'en fait je confondais deux actions subtilement différentes du même groupe sur le même ensemble) et que je n'aime pas abandonner quand j'ai l'impression de me heurter à un « bug ».

Et ce matin, évidemment, je suis réveillé par les travaux chez mes voisins (apparemment maintenant ils continuent même le samedi…) ; bon, ce n'est pas tout à fait exact, c'est plutôt un coup de téléphone qui m'a réveillé (auquel je n'ai pas répondu, parce que j'ai pour principe de ne jamais répondre au téléphone quand ça me réveille), mais ensuite je n'ai pas pu me rendormir à cause des travaux. Et des (autres) voisins qui parlaient très fort sur leur terrasse (et autant l'isolation entre nos appartements est très bonne autant dès qu'ils sortent sur la terrasse j'entends tout). Bref, j'étais en train de pester contre ce monde qui ne veut pas me laisser dormir tranquille.

Et puis j'ai remarqué que les oiseaux chantaient. Et je me suis alors rappelé que maintenant c'était le printemps. Et alors ma mauvaise humeur s'est calmée. ☺️

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(mardi)

Fragment littéraire gratuit #81 (révélations)

Voici le genre de passages que j'aimais par-dessus tout écrire, il y a dix ou quinze ans — j'aurais très bien pu faire un roman juste pour y mettre cette page ! Bon, j'exagère un peu. Mon intérêt a décru, mais je continue à trouver que ça a son charme. (Quant à l'idée elle-même, elle s'inspire vaguement d'une ou deux idées que j'avais rassemblées pour un jeu de rôles que j'avais envisagé de « masteriser », mais qui ne s'était finalement jamais fait.)

Il n'y avait là personne. La pièce dans un coin de laquelle débouchait le corridor dérobé était la plus vaste et la plus luxueuse qu'Arian ait encore vu dans le palais de Lý. À gauche, une balustrade découvrait la même vue dégagée qu'il avait admirée depuis les toits ; et il devait être immédiatement en-dessous de la terrasse puisque, à droite, la pièce se finissait par l'espèce d'atrium au sol de marbre vert, entourant un carré d'herbe, dont il avait, la veille, remarqué l'ouverture. Une lourde table de chêne flanquée de deux rangées de fauteuils richement travaillés laissait comprendre qu'il devait s'agir d'une salle de réunion. Et à l'extrémité de la table, un pupitre.

Sur lequel se trouvait un livre.

Arian avait compris qu'il devait s'attendre à tout dans cet endroit féerique, mais il n'avait pas cru que le but de sa quête pût être ainsi à portée de main. Il s'approcha du pupitre comme s'il craignait un piège et, constatant qu'il s'agissait bien du Codex, s'inclina respectueusement et en effleura la surface avec dévotion.

— Un livre qui aura causé bien des soucis, n'est-ce pas ? Ne prenez pas peur, Arian, c'est moi qui vous ai envoyé la lettre qui vous a mené ici.

L'homme qui venait de parler ainsi émergea de l'ombre qui le cachait dans le coin de la pièce opposé à celui par lequel Arian était entré, et révéla donc son visage : celui d'un vieillard d'environ quatre-vingts ans, barbu et chauve, mais dont les traits n'étaient en rien usés par le temps, pas plus que le corps toujours robuste. Il était vêtu d'une robe amarante qui ne portait aucun signe.

— Qui êtes-vous ? Savez-vous qui a volé le Livre de Vie ?

— Qui suis-je ? Je ne saurais vous dire à quel point je suis heureux d'entendre cette question, jeune homme. Mais je crois que vous pouvez me reconnaître, car mon visage, vous l'avez déjà vu, surtout vous qui venez de Val : il est reproduit en cent mille exemplaires, il figure sur les pièces de monnaie que votre roi presse, il trône en majesté au centre de chacun de vos temples, et même si c'est tel que j'étais il y a soixante ans, je pense que vous savez…

Saisissant entre ses bras, pour le relever, Arian qui maintenant baisait le sol à ses pieds, il conclut :

— …que je suis celui qui a écrit ce livre.

Portant le garçon, plus qu'il le guidait, jusqu'à un siège, et s'asseyant lui-même en face, celui qui avait été le Dieu de Vie laissa passer un long moment de silence puis, voyant que l'autre ne retrouverait pas si rapidement l'usage de la parole, s'adressa de nouveau à lui :

— Je suis désolé du choc que vous cause manifestement ma vue. J'aurais voulu le prévenir mais ce n'était pas possible. Voilà plus d'un demi-siècle que je suis prisonnier entre ces murs, hôte du seigneur Lý, mon ami d'enfance, le seul en qui je puisse avoir confiance. Vous connaissez évidemment les circonstances dans lesquelles on a cru à ma mort : et vous comprenez maintenant que, lorsque j'ai voulu rectifier l'erreur qu'on avait faite à ce sujet, je n'ai qu'empiré la situation car on m'a vu ressuscité. Vous n'êtes pas au bout de vos surprises, j'en ai peur : êtes-vous prêt à entendre la suite ?

Blême, Arian fit un faible signe de tête affirmatif, et le vieil homme reprit :

— Ce livre, c'est moi qui l'ai écrit, mais c'est aussi moi qui l'ai volé. J'avoue que je suis assez fier de moi : et à quatre-vingt-deux ans, pénétrer dans le Grand Temple de Val pour y dérober l'objet le plus sacré, je crois que ça le mérite. Les hommes de Lý m'ont aidé jusqu'à un point, surtout pour m'éviter d'être reconnu, mais j'ai tenu à faire l'essentiel seul, afin de ne pas leur faire courir le risque des tortures raffinées que le Grand-Prêtre aurait réservées au voleur.

De nouveau, il attendit un moment avant de continuer. Puis, d'un ton grave :

— L'écrire était la plus grave erreur de ma vie et sans doute la plus grave erreur de toute l'Histoire. Je n'ose songer au nombre de morts qu'elle a causées. Mais je crois qu'il n'est jamais trop tard pour réparer ses erreurs, et je prétends maintenant le faire pour celle-ci. Et je compte sur vous pour m'y aider.

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(lundi)

Candidatures, paperasse, déprime

Je suis plongé dans la constitution de mes dossiers de candidature comme maître de conf'. C'est un cauchemar à plusieurs titres. D'abord, savoir où candidater : quel profil correspond à mes thèmes de recherche, est-ce que je veux vraiment aller à tel endroit, est-ce que je ne risque pas d'être déclassé ici si je candidate là (il faut savoir que les commissions de spécialistes ne classent généralement pas les candidats qui ont été classés à un autre endroit, donc il y a des effets pervers de ricochets entre les candidatures), est-ce qu'au contraire je ne risque pas d'être mal jugé si je ne candidate pas à tel endroit, etc. Ensuite, faire les dossiers : pour chaque candidature, il faut fournir une quantité totalement invraisemblable de paperasse, souvent en double (dans chaque enveloppe de candidature on met deux petites enveloppes, une pour chaque rapporteur), parfois en triple — donc déjà il faut au moins 3n enveloppes (à adresser soigneusement !) pour faire n candidatures, et rien que mes rapports de thèse, qui font dix pages, multipliés par 2×10 si je fais dix candidatures, représentent 200 pages de paperasse à dispatcher entre les enveloppes. Je suis en train de craquer nerveusement, et j'en fais des cauchemars.

La chose qui sauve, quand même : discuter avec les collègues (concurrents et néanmoins amis) pour se rendre compte, au moins, qu'on est dans la même galère, et se refiler des conseils sur ce qu'on a compris.

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(dimanche)

L'argent du contribuable, l'argent du consommateur

Il m'arrive assez rarement de regarder la télé. Ce soir, dans un moment de désœuvrement (je ne suis pas allé travailler, parce que j'ai cru qu'on ne me laisserait pas entrer dans mon bureau), je l'ai allumé, et je suis tombé sur l'émission Capital consacrée au patrimoine de l'État (le mobilier national). I.e., on parle beaucoup de l'argent du contribuable, de la manière dont il est employé, du train de vie des ministres (est-il excessif, etc.).

Je suis tout à fait favorable à ce genre d'enquêtes et à la transparence dans ce domaine (l'exemple de la Suède, proposé dans un des reportages, était d'ailleurs fort instructif pour ce qu'on peut atteindre en matière d'économie et de transparence). Mais il y a une chose que je n'ai jamais bien comprise, c'est l'obsession pour l'argent du contribuable par rapport à l'argent du consommateur.

Je m'explique. Une partie de l'argent que je dépense va dans les caisses de l'État, que ce soit par les impôts directs ou par des taxes ; en « échange » (plus ou moins) de cet argent, je reçois des services de l'État. Une autre partie, nettement plus importante, de l'argent que je dépense, va dans les caisses de groupes privés (typiquement, des entreprises), et en échange je reçois différents services ou différents biens de consommation. Dans le premier cas, on parle de mon argent en tant que contribuable, dans le second, en tant que consommateur. Une partie de l'argent du contribuable sert à payer ce que les reportages appellent les ors de la République, les voitures et appartements de fonction des ministres, ce genre de choses ; mais une partie de l'argent du consommateur sert aussi à payer des choses de ce genre : les voitures et appartements des dirigeants des entreprises. Personnellement, je ne vois pas fondamentalement la différence. Or il me semble que pour ce qui est de l'argent public, le niveau de transparence est loin d'être aussi mauvais que pour l'argent privé : il n'est certes pas facile de savoir où vivent les ministres et combien ça coûte au contribuable, mais il est encore plus difficile de savoir où vivent les PDG et combien ça coûte au consommateur, et quand un ministre a un appartement jugé trop luxueux, payé par l'État, et que la presse le révèle, au moins, il est forcé à démissionner, alors que pour un PDG je n'ai le souvenir d'aucune histoire de ce genre (même s'il y a ponctuellement des petits scandales, mais uniquement sur des épiphénomènes locaux). Pourtant, moi, je ne me sens pas vraiment plus gêné par un cas que par l'autre. (Et je précise que je cite les grosses voitures comme un exemple anecdotique : je parle de transparence financière en général.)

La réponse classique serait de dire que je n'ai pas le choix de payer des impôts alors que j'ai le choix d'acheter mes yaourts dans la marque X ou Y. Je trouve ça assez pipo : premièrement, je fais mes achats dans la grande surface la plus proche de chez moi et je n'ai pas de choix à ce sujet (les autres sont trop loin), donc ce que je paie à Champion est exactement pareil qu'un impôt, de mon point de vue, et deuxièmement, de toute façon, je n'ai pas assez d'information pour savoir si l'argent est mieux dépensé quand il rentre dans les caisses de la marque X que de la marque Y, car aucune ne fait preuve de la moindre transparence quant à sa gestion de ses recettes.

Et bizarrement, ça semble normal à la plupart des gens : autant l'État est perçu comme quelque chose qui doit être sous le contrôle de tout le monde (la République est, étymologiquement, la chose publique), sinon les citoyens-contribuables protestent, autant un organisme privé a, moralement, le droit d'être opaque, et ses clients-consommateurs ne s'en offusquent pas, ils regardent juste l'argent qui entre et le service qui sort et considèrent le reste comme une boîte (pun unintended) noire. Attention, je ne dis pas forcément que les entreprises devraient avoir une obligation légale de transparence financière vis-à-vis de leurs clients ! Rendons à César ce qui est à César, à l'État ce qui est la loi : je dis que je trouve malsain de la part de la société de tolérer d'acheter des biens à des fournisseurs dont elle n'exige pas la transparence financière la plus totale, alors qu'elle l'exige des gouvernants de l'État. Malheureusement, ce n'est pas quelque chose qui semble en passe de rentrer dans les mœurs, que de refuser d'acheter un produit lorsque celui à qui on l'achète n'est pas en mesure de fournir un compte-rendu détaillé de ce qu'il va faire avec l'argent qu'on lui verse. (Et je souligne que je me place volontairement dans la situation du client face à un fournisseur et pas de l'actionnaire : car il semble mieux compris que l'actionnaire peut exercer un contrôle sur le groupe dont il est actionnaire, alors qu'il n'y a pas vraiment plus de raison que pour le client. L'actionnaire a le pouvoir de vote dans les assemblées générales, mais le client a le pouvoir de refuser d'acheter, et c'est un contrôle censément au moins aussi efficace.)

Le commerce équitable est un début de réponse, mais il met la charrue avant les bœufs : c'est surtout le commerce transparent que je voudrais voir. Et jusqu'à présent, je n'ai jamais vu un yaourt qui comporterait une étiquette détaillant, à côté des ingrédients (et de façon contractuelle !) la répartition du prix de ce yaourt. S'il y a des associations de consommateurs qui militent pour forcer l'apparition de telles mentions, j'adhère.

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(Saturday)

Gratuitous Literary Fragment #80 (Dungeons and Dragons)

—All right, thou foul, stinking, dragon: thy time is up! I've come to slay thee and cut thee in little pieces.

—Oooooooooh, a beautiful, manly, warrior in shining armor! I knew someday my prince would come.

—Uh, perhaps I wasn't clear enough the first time: I've come to kill thee, not rescue thee. Thou art'nt a damsel in distress. And, in fact, I'm not a prince either: princes, seest thou, are more keen on staying safely in their castle (and on the front cover of tabloids) than on dispatching dragons; so they send underlings like me to do the dirty work. And, lastly, I don't like this sort of chit-chat before fights: so please cut it out.

—I'm sorry. It's just that I think conversation is an important part of foreplay.

I'm sorry… Foreplay?

—Oh, yes, that's always my favorite bit. I mean, if thou wert to start driving thy thick warhammer, thy broad sword, through every orifice in my body, without first allowing me to taste the bliss of foreplay, the caress of plate armor against dragonscale, the mingling smells of (unwashed) human adventurer and dragonbreath, the arousing sight of sweat on skin and leather, I would miss the best of the experience, wouldn't I? Then I would never lubricate properly, and…

Caress? Arousing? Lubricate? Look, dragon, I hate to say this, but I'm afraid we have a bad misunderstanding: I'm here to kill thee, not take part in some kind of pervert game of the sort which is certainly favored by princes and all the avant-garde élite but which I know nothing about, nor do I intend to.

—Oh yes, that's what the others also said. Isn't it part of the role-playing?

—What others?

—The other princes, naturally. Non-princes, that is. Humans. They came for the same reason thou didst.

—The people thou killedst, thou meanest? (Oh, to hell with this idiotic second person singular!) The people you killed, you mean? Verily I will avenge them!

—Killed? Certainly not: I think killing is unethical. They're in here: they live inside my cave, I feed them (a strict vegan diet, again, because I'm opposed to needless killings), and we get to play together as often as we wish. But it gets a bit boring after a time, since the only game they seem good at is the game of begging me to free them and let them return to their families. All role-playing, of course: the only reason I keep them chained is that I've been told it increases the pleasure of… Hey, why art thou running away? Come back! [In a different voice:] Ha, stupid adventurers! Willing to face a dragon, but can't abide the mere mention of lust? Well, my booty is safe.

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(vendredi)

Attention ! obscurité

Je me contente de faire suivre un lien vers un article de The Onion qu'on m'a signalé, parce que je le trouve particulièrement hilarant (il est vrai que je suis bon public pour The Onion, et celui-ci est vraiment typique de leur forme d'humour). Sinon, leurs horoscopes sont géniaux — comme toujours, mais là aussi il faut aimer cette forme d'humour.

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(jeudi)

Pas carnet

Finalement je ne me suis pas pointé à Rive Gauche Carnet : trop timide pour essayer d'identifier et de rejoindre un groupe que je ne connais pas, dans un endroit que je ne connais pas (même si c'est à 20m de chez moi).

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(jeudi)

Comment faire la Révolution — ou pas

Pour ceux qui ne sont pas au courant de l'actualité française, le CPE est un projet du gouvernement Galouzeau (qui vise à créer un type de contrat de travail temporaire, très facilement révocable, que ses adversaires accusent de devoir favoriser la précarité et l'instabilité dans le marché du travail) ; la protestation contre cette mesure prend la forme de manifestations répétées depuis un peu plus d'un mois, et spécialement ces deux dernières semaines.

Je m'abstiendrai de porter un jugement sur le CPE (devoir de réserve, tout ça tout ça ?), mais je voudrais commenter la réaction qu'il a provoqué. D'une part, je suis persuadé que son impopularité est en bonne partie le fruit du hasard : pas tant le fait qu'il soit jugé négativement par les syndicats mais le fait qu'il ait été à ce point remarqué dans l'opinion — car il me semble que des mesures tout à fait comparables ont déjà été adoptées par le passé sans faire autant de remous, simplement parce que personne ne les a montrées du doigt au moment opportun. Car c'est un phénomène général avec l'opinion publique que ce qui l'agite est largement le fruit du hasard, même en politique : il y a toujours une cause quelque part, mais deux causes à peu près identiques peuvent provoquer des effets démesurément différents selon les circonstances fortuites qui entourent la présentation de l'un ou de l'autre. Dès lors, je ne comprends pas pourquoi le gouvernement s'obstine : il n'a pas grand-chose à gagner (on va rarement loin, en politique, à se montrer inflexible) et énormément à perdre (il est vrai que son impopularité est déjà immense, mais les Français, de toute façon, ne retiendront que les derniers dix-huit mois avant l'élection) ; à leur place, même en étant convaincu que le projet est bon, je le retirerais, et je chercherais à introduire des mesures moins susceptibles de braquer l'opinion contre elles.

En fait, ce pays vit dans le fantasme permanent de mai '68 : à chaque fois que les étudiants commencent à s'agiter, c'est avec en tête le mème on va faire comme en '68 (je me rappelle par exemple avoir vu un graffiti assez ancien, près de mon lycée, qui posait l'équation x=1968, où x était le numéro d'une année, celle du graffiti, où on a maintenant totalement oublié qu'il y avait des manifestations). Je n'y crois pas du tout : d'une part, mai '68 montre qu'il n'y a pas besoin d'un événement très significatif (comme une mesure particulière du gouvernement) pour déclencher des réactions énormes, d'autre part il prouve au contraire qu'il faut un climat préalable qui n'a pas du tout l'air d'exister en ce moment. Or parmi les motivations des manifestants, outre l'opposition principale au projet, il y a aussi des choses un peu moins reluisantes : certainement des petits cons viennent juste pour casser ou pour le plaisir de foutre le bordel (il y a eu des pertes irréparables dans la bibliothèque des Chartes), mais il y a aussi simplement la recherche de l'aventure (et du rush d'adrénaline lors de la confrontation avec les CRS) et, quelque part, donc, l'idée que on va faire comme en '68 (et peut-être le souhait d'être immortalisé en photo, de devenir un héros à la Cohn-Bendit). Si je suis convaincu que mai '68 a apporté des changements importants et vraiment bénéfiques dans la société française, il nous a aussi apporté cette glorification per se de la révolte étudiante, et peut-être un goût immodéré pour les manifestations — et ça, je ne crois pas que ce soit une bonne chose, parce qu'à banaliser la révolte on est obligé d'y recourir sans cesse. À l'inverse, je me demande si le fantasme de mai '68 n'est pas aussi dans l'autre camp, et comme on sait ce qu'ont donné les élections qui ont suivi les agitations, un théoricien du complot pourrait conclure des choses dans cet ordre d'idées.

Toujours est-il que si je comprends l'intérêt de manifester pour montrer le nombre des opposants à un projet, le principe d'occuper des lieux publics m'a toujours semblé particulièrement crétin (surtout quand on sait que cette occupation va inévitablement donner lieu à des dégradations, même si ceux qui la décident ne sont pas, et ne veulent pas être, apparentés aux casseurs). Qu'est-ce que ça change, concrètement, d'occuper la Sorbonne, Jussieu ou quidlibet, par rapport — disons — à se retrouver simplement tous les jours devant ? Ça change que ça coûte une fortune à l'Université, qui n'est pas bien riche, et que ça emmerde gravement les étudiants qui veulent travailler : et ça, ce n'est pas le genre de choses qui vont faire reculer le gouvernement.

Anecdotiquement, on se demande si l'ENS (nid de gauchistes, tout le monde le sait) va être occupée. L'administration en fait des cauchemars, apparemment, et ça se comprend assez parce que les finances sont catastrophiques (et la directrice essaie désespérément d'obtenir plus de crédits…) et parce que la bibliothèque a des collections vraiment précieuses ; l'École avait déjà été occupée, vers janvier '98, par des chômeurs en révolte (évidemment, ils n'avaient aucune idée de ce qu'était cette École, ce sont des élèves militants qui les avaient convaincus de venir s'y installer) et ça avait fait des dégâts coûteux. Là, apparemment, une AG autoproclamée représentative a gentiment demandé à l'administration de leur fournir une salle à occuper, ce qui a, disons, provoqué une certaine stupeur. Attendons de savoir ce qu'il advient. Quand je suis parti, ils avaient posté des vigiles à toutes les sorties, et ils ne laissaient entrer qu'au compte-goutte.

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(jeudi)

Dur matin

J'ai horreur de ces journées où, rien qu'en me levant et en pensant au nombre de choses que je vais devoir faire, je suis déjà fatigué et je n'ai qu'une idée en tête, c'est me recoucher.

À part ça, la connexion réseau de l'ENS a l'air d'être morte, depuis environ douze heures, donc n'essayez pas de m'écrire un mail (s'il y a quelque chose de vraiment urgent, mettez dmadore[arobase]nerim[point]net en Cc, mais bof, en fait : mieux vaut utiliser le téléphone ou quelque chose comme ça). Ah ben ça vient de se remettre à marcher.

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(mercredi)

XY revit

Il y a quelques années, je m'étais abonné à ce journal. Qui ensuite ne m'avait pas envoyé un seul numéro : j'avais cru qu'ils m'avaient totalement oublié (après avoir encaissé l'argent…), mais je ne me sentais pas assez motivé pour leur casser les pieds à ce sujet, bref, j'ai surtout complètement oublié l'affaire. Et voilà que cet après-midi j'en reçois un numéro dans ma boîte aux lettres, de façon complètement inattendue, accompagné d'un mot expliquant que le journal avait failli cesser d'exister et qu'il reprenait maintenant en espérant pouvoir désormais paraître mensuellement. Bon, je suis peut-être un peu vieux pour le lire (déjà quand j'ai payé pour l'abonnement, et à plus forte raison maintenant), parce que c'est essentiellement pour les djeunz, mais ça va quand même être rigolo de le recevoir. Beaucoup plus rigolo que Têtu, en tout cas, auquel j'ai été abonné pendant un temps mais dont le côté branchouille-snob-vide-de-contenu a fini par me casser les couilles sérieusement. Au moins, XY, lui, ne se prend pas — mais pas du tout — au sérieux. Pour commencer, leur couverture cite… l'article Wikipédia qui leur est consacré : a brazenly honest gay youth mag with rather dark sense of humor.

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(lundi)

L'amphibologie fondamentale du droit

Il est notoire que les gens qui ont un sens de la logique un peu développé ont presque toujours des difficultés considérables à comprendre les juristes (au sens large : tous ceux qui se spécialisent dans la rédaction, l'interprétation et l'étude de la loi et du droit) et à se faire comprendre d'eux. Un de mes amis (informaticiens, donc nettement plus proche du côté « logique ») résumait ça en disant : il faut accepter le fait que le droit a sa propre logique, qui n'est pas du tout la logique mathématique, et qui ne peut être pénétrée que si on abandonne l'idée de raisonner de façon logique (mathématique) ; c'est assez zen, comme façon de dire les choses (en ce sens que le zen lui aussi demande un abandon de la logique pour être compris), mais, bizarrement, j'ai l'impression d'accrocher au zen beaucoup plus que j'accepte au droit. Peut-être parce que le zen ne s'impose pas à moi (c'est moi qui vais le chercher), et prétend être à côté de la logique, alors que le droit, lui, s'impose forcément (on y est soumis, volens nolens) et contredit expressément la logique mathématique à de nombreuses reprises. Je me demande s'il y a des études scientifiques sérieuses qui ont été faites sur le droit du point de vue de la logique modale, par exemple (j'avais déjà vu des tentatives dans ce sens, mais c'était du pipo en boîte).

Toujours est-il que j'ai compris, assez récemment (et à la faveur d'un commentaire que j'ai fait sur un blog fort intéressant mais où il est, finalement, à peu près aussi vain de poster des commentaires que d'apporter des chouettes à Athènes) ce que je crois être une des plus graves différences entre la logique et la logique-du-droit : j'appellerai ça l'amphibologie fondamentale du droit et je vais essayer d'expliquer en quoi ça consiste.

J'avais déjà remarqué que les gens ont souvent du mal avec le maniement des modalités (modalités étant à prendre au sens de la logique modale) : par exemple à distinguer le fait que je pense que X est une mauvaise chose et je pense qu'il est souhaitable que X soit interdit (i.e., beaucoup de gens semblent penser qu'il va de soi que si X est une mauvaise chose cela devrait être interdit : si c'est le cas, je propose une loi pour interdire la stupidité, et il sera intéressant de savoir ce qu'il en ressort ; tout ça pour dire que souvent on prend un malin plaisir à argumenter contre X alors qu'en fait on voudrait argument pour une loi interdisant X ce qui n'est pas du tout la même chose). Mais je veux parler de quelque chose de plus précis ici.

L'amphibologie que je crois avoir comprise concerne un double sens sur le terme autorisé. Plus exactement, le droit semble avoir pour principe que toute chose est soit interdite soit autorisée (et que ce qui n'est pas « positivement » interdit est autorisé) : ce qui, en soit, n'est pas un problème du point de vue logique, sauf si on commence à confondre le sens de X est autorisé (ou j'ai le droit de faire X) qui signifie la loi ne condamnera pas quelqu'un qui commet X et celui qui signifie la loi assurera que chacun a les moyens de réaliser X (et notamment, condamnera quelqu'un qui en empêche un autre de commettre X), le second sens étant a priori beaucoup plus fort que le premier.

Or, ces deux sens (la loi ne m'interdit pas X et la loi garantit que j'aie la possibilité de X), malgré leur très importante différence, sont systématiquement mélangés, ainsi que d'autres sens assez proches ou intermédiaires. Par exemple, quand on dit que le droit au travail est inscrit dans la constitution, le premier sens étant tellement évident (personne ne va être condamné pour avoir travaillé, ça c'est certain…) que c'est sûrement le second qui est en jeu (la société, dans une acceptation un peu floue, c'est-à-dire, concrètement, le gouvernement, devrait veiller à ce que chacun puisse effectivement travailler). Quand on parle de la liberté d'expression, c'est sûrement le droit de ne pas être inquiété pour avoir exprimé ses opinions, mais certains feignent de le comprendre dans le sens qui assurerait un auditoire à cette expression (si vous ne m'écoutez pas, vous bafouez ma liberté d'expression : c'est rarement dit de façon aussi parfaitement idiote, mais on voit cet argumentaire ressortir à l'occasion de gens qui se disent censurés sur un quelconque forum). Quand l'article L211-3 du Code de la propriété intellectuelle affirme que des bénéficiaires de droits ne peuvent interdire (sic !) X (en l'occurrence, la copie privée), c'est censé vouloir dire que X est autorisé dans le premier sens (même si l'auteur dit vous ne pouvez pas copier, cela reste autorisé), mais certains plaignants l'ont compris dans le second sens (si l'auteur prétend empêcher la copie privée, on peut porter plainte contre eux), et la Cour de cassation les a déboutés (c'est ce qu'explique l'entrée mentionnée ci-dessus) mais en faisant cependant semblant de comprendre le droit dans le premier sens ! Bref, la confusion est partout, envahissante et soigneusement entretenue.

L'idée, à la base, n'est pas absurde, ou au moins, ne le paraît pas : le principe sous-jacent de philosophie du droit serait que seul l'État, à travers la loi, peut restreindre la liberté des individus, et que ce qu'il n'interdit pas est donc non seulement autorisé au sens faible (on ne peut pas être condamné pour cela) mais même autorisé au sens fort (aucun autre membre de la société ne peut prendre sur lui d'interdire, ou, effectivement, d'empêcher, ce que l'État autorise). L'ennui, c'est que (a) ce principe, pour séduisant qu'il est, n'est pas expressément formulé quelque part, et le dégager du droit positif est donc hautement douteux et sujet à quantités de divergences d'interprétation, et (b) au mieux, cela ne peut s'appliquer qu'à certaines valeurs bien particulières de X (déjà, un sous-entendu notable est que X soit au moins « matériellement possible » en un certain sens) et avec des réserves diverses et mal dessinées ; mais le pire, c'est la confusion hantant systématiquement l'utilisation des mots droit, autorisé, licite, permis, etc.

De façon superficielle, on serait tenté de reconnaître l'axiome ◊X⇒◻◊X (tout ce qui est autorisé est obligatoirement autorisé) de la logique modale, généralement appelé Axiome 5, qui a un pedigree tout à fait honorable. Malheureusement, à y regarder de plus près, il ne s'agit sans doute pas de la même modalité dans la partie droite de l'implication (je parle du second modalisateur) que dans la partie gauche, donc je verrais plutôt quelque chose comme ◊X⇒◻⧫X, où le symbole ‘⧫’ dénote une autorisation d'un type différent, et ensuite on s'y perd.

Par ailleurs, les juristes semblent avoir développé tout un arsenal de processus mentaux leur permettant d'éviter de se heurter aux contradictions de leur système (donc, d'en tirer toutes les conséquences au sens de la logique) mais aussi d'éclaircir les ambiguïtés. Par exemple, imaginons que j'essaie d'appliquer, pour aboutir à une absurdité, le principe fondamental dégagé ci-dessus, à l'action X = entrer chez mon voisin : la conclusion serait que soit il m'est interdit de rentrer chez mon voisin soit cela m'est autorisé, non seulement en ce sens que je ne pourrais pas être condamné pour ça mais en ce sens que si mon voisin essaie de m'en empêcher c'est moi qui peux le traîner en justice : manifestement, c'est absurde, et pour le logicien les choses s'arrêtent là — mais pour le juriste on s'en sort en divisant en cas selon que le voisin m'autorise ou non à entrer chez lui, et l'absurdité disparaît. Le principe fondamental vaut donc, semble-t-il, de façon ramifiée (pour la valeur initialement proposée de X il ne tient pas, mais il tient si on divise X en X1 = entrer chez mon voisin avec son accord, qui est autorisé au sens fort, et X2 = entrer chez mon voisin sans son accord, qui est interdit). Je peux simplement dire que je suis incapable de dégager un sens général au principe, qui ne vaudrait pas sans des milliers d'exceptions ou de notes en bas de page.

Et sur un plan plus large, l'observation aporétique que je voudrais en profiter pour faire est la suivante : le droit se trouve coincé entre deux impératifs impossibles à concilier. L'un est celui de s'appliquer aux situations humaines, et tout le mode de pensée des humains, comme l'explique assez bien Marvin Minsky dans La Société de l'esprit (The Society of Mind) est bâti (outre sur les émotions) sur l'analogie et la reconnaissance de motifs, des opérations simples effectuées par des agents mentaux, et certainement pas sur la logique au sens mathématique ; l'autre impératif est d'être raisonnablement rigoureux et prédictif (pour éviter un état d'arbitraire), ce qui impose justement un minimum de logique pour maintenir la cohérence du système. La solution (inévitablement bâtarde) qui a été trouvée est d'appliquer une logique empirique qui n'est pas la logique mathématique, et qui est probablement incompréhensible par elle, mais qui est tout aussi incompréhensible du fonctionnement normal et quotidien de la pensée. C'est une conclusion assez déprimante, je trouve (au moins en ce sens que, primo, je serai éternellement incapable de comprendre le droit, même si je faisais des efforts démesurés pour m'y faire, et que, conséquemment, je dois me considérer comme soumis à un corpus parfaitement opaque et impénétrable de règles incohérentes).

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(dimanche)

Portrait chinois II, le retour (et il n'est pas content)

Un des petits jeux des blogueurs, c'est de se balancer les uns aux autres des petites questions auxquelles on est invité à répondre à son tour — c'est-à-dire à se ridiculiser en cherchant désespérément quelle réponse un peu originale on va pouvoir faire après les 299792458 blogueurs qui sont déjà passés à l'abattoir (pendant que l'initiateur de la chaîne se frotte les mains : hé hé, ouné victimé dé plous est tombée dans moun piége diabolik !). Profitant jusqu'à présent mes immunité naturelles résistance aux questionnaires (+2, augmentée en +4 lorsque je revets mon Talisman de Ruxor), isolement blogosphérique (+5) et faire le mort (+3, augmenté en +42 contre les petits amis potentiels), j'ai toujours pu déjouer habilement ces attaques perfides, mais je sens que le danger s'accroît, alors, dans cette course aux armements caténointerrogateurs[#], je sors mon arme ultime, ma doomsday machine, mon inquisition espagnole[#2], le questionnaire qui fera trembler la blogosphère, et, face à la terreur provoquée par une menace aussi grave, nul ne me défiera plus, et je régnerai en maître incontesté <ici, la voix de Ruxor se perd dans un bredouillage inaudible qui se finit par un rire sardonique>.

Vous connaissiez déjà ce jeu idiot où on vous demande de vous identifier successivement à un objet, à une couleur, à une pierre, à un parfum, etc. ad nauseam ? Vous avez voué aux Gémonies celui qui vous a infligé de répondre à ces sornettes ? Eh bien voici ma terrible vengeance :

Le Portrait chinois II, le retour
Lasciate ogne speranza, voi ch'intrate

Si j'étais une station du métro de Toronto, je serais…
Summerhill.
Si j'étais une note d'une œuvre de Bach, je serais…
…le do dièse à la main gauche sur le troisième temps de la quatrième mesure du prélude en ré majeur (BWV850) de la première partie du Clavier bien tempéré.
Si j'étais une couleur de feu tricolore, je serais…
…orange clignotant.
Si j'étais une norme ISO, je serais…
…ISO 10646, évidemment (vous imaginiez quoi ? ISO 9001 ? exigences de qualité ? ha, ha, ha).
Si j'étais un poison violent, je serais…
…le curare.
Si j'étais un cas de la déclinaison de ἡ πόλις, je serais…
…le génitif duel (τοῖν πολέοιν).
Si j'étais un article du Code pénal français, je serais…
…l'article 225-16-1.
Si j'étais une phrase célèbre d'Oscar Wilde, je serais…
we are all in the gutter, but some of us are looking at the stars (Lady Windemere's Fan, acte III).
Si j'étais un mollusque (de la classe des bivalves), je serais…
…euh, je n'en suis pas déjà un ? Hum, pardon. Dinocardium robustum, alors.
Si j'étais un mot utilisé une seule fois dans The Lord of the Rings, je serais…
persuasion (utilisé dans le chapitre 11 du livre III).
Si j'étais un problème de Sudoku, je serais…
…le suivant :
..1|729|...
...|...|3..
.2.|3.5|.7.
---+---+---
..5|.42|...
...|..1|8..
...|...|75.
---+---+---
197|6.8|.3.
...|..3|6..
..4|2..|.18
Si j'étais un groupe fini simple sporadique, je serais…
…le groupe M24 (de Mathieu).
Si j'étais une forme de tournevis, je serais…
…un Torx (T10, mais c'est pas la taille qui compte, c'est la façon dont on s'en sert).
Si j'étais une raison pour laquelle le poulet a traversé la route, je serais…
why do you need a reason?.
Si j'étais une étoile de magnitude visuelle au moins 4, je serais…
…31 Leo (HD 87837), une étoile de type spectral K3 ou K4 située à à peu près 270 années-lumières d'ici et de magnitude visuelle environ 4.4.
Si j'étais le titre écrit à l'envers d'un poème d'Edna St. Vincent Millay, je serais…
lliH a no noonretfA.
Si j'étais une phrase commençant par si j'étais, je serais…
…celle-ci. (Vous vous y attendiez, hein ?)
Si j'étais une personne dont le nom de famille commence par ‘M’, je serais…
…moi ! Ha, ha, cette fois-ci c'est vrai que je le suis déjà, et tout le monde ne s'en tirera pas aussi facilement !
Si j'étais un non-sequitur complet, je serais…
…mais il faut utiliser un presse-papier solide.

Voilà… maintenant—

(Governor Tarkin:) I think it is time we demonstrated the full power of this station.

—non, je prends pitié des autres blogueurs et je ne désigne pas de victime pour répondre à mon questionnaire. Mais s'il y en a qui sont assez fous, dénoncez-vous, je me ferai un plaisir de vous citer.

[#] Relatif aux interrogatoires en chaînes. Ou quelque chose comme ça.

[#2] Vous ne vous attendiez pas à l'inquisition espagnole, hein ?

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(samedi)

Forces de l'ordre

Avant-hier (jeudi soir), M., un de nos agrégatifs, arrive en K-fêt avec un œil au beurre noir : il s'est retrouvé, du côté de la Sorbonne, entre étudiants et CRS, s'est pris du gaz lacrymogène dans la gueule… En partant, il a entendu deux CRS qui discutaient, et l'un a demandé à l'autre, en parlant de cogner les étudiants : Alors, tu t'es fait plaisir ?

Hier après-midi, je descends à la gare d'Orsay pour aller au séminaire Variétés rationnelles, et il y a une demi-douzaine de policiers sur le quai, pour procéder à des contrôles d'identité. J'étais dans le dernier wagon (le plus proche de la sortie, à Orsay, en venant de Paris), et ils nous laissent passer sans nous retenir, sauf deux personnes à qui ils demandent leurs papiers : justement le Noir et le Beur du wagon.

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(samedi)

Interrogation des graphes

Encore un problème de maths qui m'a fait m'arracher les cheveux… Le problème qui suit me paraît particulièrement séduisant et mystifiant. Je vais tenter de l'expliquer en détails sans supposer de connaissance mathématique particulière.

On considère n points, et on appelle graphe (sous-entendu : non-orienté, sans arêtes multiples et sans arêtes-boucles) sur ces n points la donnée d'un ensemble de paires (non orientés) de points appelées arêtes du graphe : il y a donc n(n−1)/2 arêtes possibles (une pour chaque paire), et chaque graphe a entre 0 et ce nombre-là d'arêtes.

Une propriété des graphes sur les n points considérés sera un ensemble de graphes (ceux qui vérifient la propriété) qui ne change pas par permutation des sommets (isomorphisme), i.e., lorsqu'un graphe a la propriété, tout graphe obtenu en permutant simplement les sommets l'a aussi : ainsi, être connexe (= tout sommet peut être relié à n'importe quel autre par une succession d'arêtes) est une propriété, ou être le graphe complet (celui qui a toutes les arêtes possibles), mais pas avoir une arête entre le sommet 1 et le sommet 2 (parce que cela donnerait un ensemble différent de graphes si on permute le sommet 2 avec le sommet 3, disons) ; en revanche, il existe un sommet relié directement à tous les autres sommets est bien une propriété admise.

Maintenant, fixons une propriété P des graphes sur les n points (admise au sens ci-dessus), et imaginons qu'on cherche à savoir si un graphe inconnu la possède : pour cela, on a le droit d'interroger le graphe en posant des questions du type y a-t-il une arête entre les sommets x et y ? (dont la réponse sera, à chaque fois, oui ou non), éventuellement en adaptant les questions en fonction des réponses précédentes ; évidemment, si on pose toutes les n(n−1)/2 questions possibles (une pour chaque paire {x,y} de sommets), on connaît complètement le graphe, donc on sait s'il possède la propriété P (elle, elle est connue !). On dira que la complexité d'interrogation d'une propriété P est le nombre minimum de questions tel qu'en posant ce nombre de questions on soit sûr (dans le pire cas) de pouvoir déterminer si un graphe quelconque possède la propriété P ou non. Je viens d'expliquer pourquoi la complexité d'interrogation de n'importe quelle propriété P sur les graphes à n sommets est toujours au plus n(n−1)/2 : c'est la complexité maximale.

Par exemple, si P est la propriété le graphe est le graphe complet, la complexité d'interrogation est justement n(n−1)/2 : c'est évident parce, que, pour pouvoir conclure que le graphe est complet, il va bien falloir vérifier que toutes les arêtes sont dedans, ce qui ne peut pas se faire ne moins de n(n−1)/2 questions. Il en va de même d'une propriété du genre le graphe a un nombre pair d'arêtes. Attention, il ne suffit pas de voir qu'un certain algorithme ne permet pas de conclure en n(n−1)/2 questions, il faut s'assurer que tout algorithme d'interrogation du graphe doit nécessairement utiliser n(n−1)/2 questions pour pouvoir conclure sur au moins un certain graphe.

Une autre façon de présenter les choses utilise des jeux : dans ce cas, on fixe la propriété P (ainsi que n, bien sûr), et deux joueurs s'affrontent, Ques et Graf. Le joueur Ques propose deux sommets à Graf, et celui-ci doit décider s'il y a une arête ou non entre eux, puis Ques propose de nouveaux deux sommets, etc. On joue jusqu'à ce que toutes les n(n−1)/2 questions aient été posées (ce qui fixe le graphe). À un moment au cours du jeu, Ques peut faire l'annonce j'ai décidé que P est vraie ou j'ai décidé que P est fausse : bien sûr, si à la fin du jeu cette annonce est incorrecte, Ques a perdu. Il peut toujours attendre la fin des n(n−1)/2 questions pour faire l'annonce en toute sécurité, mais s'il possède une stratégie gagnante dans laquelle il fait l'annonce au bout de N questions, on dira que P a la complexité en questions au plus N.

Il existe au moins deux propriétés (inintéressantes) dont la complexité d'interrogation est strictement plus petite que n(n−1)/2, à savoir 0 : c'est la propriété trivialement vraie (celle qui est possédée par tous les graphes, par définition) et la propriété trivialement fausse (celle qui n'est possédée par aucun graphe) ; on les appellera les propriétés triviales. Le problème est : y en a-t-il d'autres (au moins pour certaines valeurs de n) ? La réponse est oui, mais, bizarrement, il est vraiment difficile d'en donner des exemples. Même si on veut simplement trouver une propriété non-triviale dont la complexité soit ne serait-ce qu'un tout petit peu inférieure à n(n−1)/2, c'est très difficile et je ne connais aucun exemple simple.

J'avais conjecturé que, pour un choix judicieux du nombre k (lié au nombre de Ramsey : en fait, le plus grand k possible tel que n soit strictement inférieur au nombre de Ramsey diagonal de k), et pour n convenable, la propriété il existe k sommets qui sont tous reliés entre eux (forment un graphe complet, également appelé clique) ou dont aucun n'est relié à aucun (forment un graphe vide, également appelé anticlique) serait de complexité strictement inférieure à la complexité maximale (l'algorithme de décision consistant à demander toutes les relations entre n−1 sommets arbitraires, chercher une (k−1)-clique ou -anticlique dedans, et, s'il n'y en a pas, répondre non, sinon, chercher à voir si le sommet restant peut compléter une (k−1)-clique ou -anticlique en k-clique ou -anticlique). En fait, je ne sais pas si ça marche : ça dépendrait de résultats de théorie de Ramsey dont je n'ai aucune idée s'ils sont vrais ou pas.

Mais on m'a donné l'exemple suivant d'une propriété qui se teste en un nombre linéaire (du genre, 3n−6 ; hum, un commentateur me fait remarquer à juste titre que c'est hautement suspect, ça, c'est peut-être plutôt en 6n+O(1)) : elle est assez cinglée. C'est : le graphe est un scorpion, à savoir : il existe trois sommets x, y et z tels que : x est relié à y et à aucun autre sommet, y est relié à x et z et à aucun autre sommet, et z est relié à tous les sommets sauf x. L'interrogation qui permet de conclure que le graphe est un scorpion, en nombre linéaire de questions, n'est pas du tout évidente !

Une conjecture de Karp affirme que toute propriété monotone (disons, qui est reste vraie en ajoutant des arêtes au graphe) et non-triviale a la complexité d'interrogation maximale, n(n−1)/2. Par exemple, le graphe est connexe ou il existe un sommet relié directement à tous les autres sont des propriétés monotones, donc, si cette conjecture est juste, elles auraient la complexité maximale. Mais même pour des propriétés aussi simples, je n'arrive pas à le prouver… (En fait, c'est encore plus embarrassant que ça : j'ai l'impression d'avoir un pipo dans ce sens, mais je n'arrive pas à me convaincre que c'est juste ou que c'est du pipo.)

Et je ne parle pas de questions du genre quel est le plus petit n pour lequel il existe une propriété non-triviale n'ayant pas la complexité maximale ? ou quelle est la plus petite complexité d'interrogation possible pour une propriété non-triviale (en fonction de n) ?

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(mercredi)

Postes (ou pas)

La fatidique liste des postes de maîtres de conférences vacants (ou susceptibles de l'être) est parue au JO. La section qui me concerne est la 25, bien sûr : entre 34 et 54 postes. Auxquels il faut rajouter onze ou douze au CNRS. Et les candidats, il y en a… autour de 260. Hum, ça va pas rentrer, on dirait.

(Bon, d'accord, ces chiffres sont un peu simplistes, déjà parce que les candidats CNRS et MdC ne sont pas exactement les mêmes, parce que des gens candidatent plusieurs années, parce que des gens partent en post-doc et ne candidatent que pour la forme, parce que les sections 25 et 26 ont une intersection, etc. Mais pour ce qui est spécialement de la géométrie algébrique et de la théorie des nombres, il semble qu'il y ait, spécialement cette année, pléthore de gens brillants… Ce qui n'arrange personne.)

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(mardi)

Statistique nippographique

Qu'est-ce que c'est que la liste suivante ? (Précisons que ça se lit de gauche à droite et de haut en bas…)

の に る ン と は た い し を で て が な 年 ス れ ル 日 ト イ リ か あ ア す ら ラ う っ り こ も さ ク 月 ッ ま 大 タ ド 本 シ く ジ よ ロ レ き 学 フ ん カ 国 テ 道 一 人 ム マ 中 市 駅 つ ィ め バ プ そ コ お け ウ オ 線 用 行 者 グ 県 メ え 部 ど デ ビ 地 サ や ニ 東 キ わ 名 チ ナ 合 上 作 出 山 田 エ ャ 時 生 場 ブ ュ 高 だ 会 子 ち 事 代 町 み 画 関 ダ 車 後 パ ズ 川 第 ェ 分 ミ 間 新 長 鉄 動 発 定 的 業 目 戦 立 号 せ 方 内 前 社 成 島 野 物 通 自 小 ハ 同 手 ョ 所 ノ 京 校 北 家 連 主 ガ 下 ば 現 モ 法 三 語 体 利 開 ネ セ 村 ツ 在 文 和 放 化 じ 送 機 海 世 西 入 外 記 ペ 都 番 原 多 神 理 対 ベ ポ ボ 電 全 数 特 ソ 見 像 以 当 式 へ 教 設 除 公 平 組 ァ 性 水 区 明 ピ 力 ワ 最 度 等 金 ろ ほ 二 政 位 び 表 ケ 路 木 ゴ 治 口 南 ホ 回 元 言 実 ず 形 書 要 ギ 削 面 郡 女 ヴ 正 使 品 期 王 初 気 経 選 科 系 項 民 天 岡 軍 点 制 空 音 ゲ ザ 置 有 加 能 交 曲 近 知 議 広 州 ひ 重 別 取 来 界 楽 信 松 運 ヤ 演 井 む 変 意 身 次 版 ふ 美 優 宮 産 保 阪 石 不 勝 結 義 共 史 古 台 府 持 員 武 覧 士 ょ 球 歴 頼 朝 他 話 集 編 ヒ 活 ォ ゆ 十 称 型 工 際 戸 論 福 城 受 造 条 続 参 指 げ 歌 太 土 務 相 呼 売 無 藤 登 依 付 局 改 団 馬 権 院 説 安 光 流 由 崎 種 存 べ 屋 列 園 総 橋 急 統 映 解 心 術 郎 始 営 昭 基 域 建 少 移 門 構 ぶ 転 紀 英 館 ユ 役 直 製 字 類 題 属 計 賞 向 終 愛 進 星 真 速 津 両 ヨ 報 谷 男 江 影 千 支 常 ご 決 様 問 技 寺 ね 旧 考 備 格 得 葉 四 伝 可 引 佐 思 任 八 止 育 約 強 港 皇 器 状 店 浜 白 吉 良 兵 氏 河 投 情 官 死 研 隊 伊 先 命 料 量 五 及 族 起 調 規 各 万 反 周 判 色 乗 容 装 過 客 管 再 久 ヘ 認 味 接 単 ゃ 沢 声 競 録 陸 果 施 青 観 件 究 協 彼 示 必 帝 曜 横 泉 住 米 半 側 ぐ 旅 森 ゼ 撃 鳥 著 党 載 予 応 火 例 頭 円 図 風 ぎ 央 達 領 般 根 着 衆 波 更 監 質 今 商 師 艦 異 九 争 食 収 済 督 独 確 歳 素 親 辺 花 係 試 岩 切 宇 派 賀 洋 配 奈 降 限 富 撮 継 廃 専 司 庫 提 徳 室 豊 航 護 将 復 衛 走 足 尾 離 比 準 修 御 越 級 ゅ 害 座 芸 資 温 銀 打 態 宗 照 込 退 清 秋 母 博 父 程 藩 株 攻 船 夫 細 併 赤 含 企 差 漫 象 倉 去 追 勢 志 令 防 黒 為 未 消 省 殺 百 念 玉 停 ぼ 林 職 積 与 残 源 査 響 境 渡 香 劇 張 築 守 験 完 増 之 首 飛 落 警 陽 導 担 六 春 挙 好 従 帯 非 換 若 里 供 児 闘 助 処 ヶ 読 感 概 雄 略 然 典 展 坂 臣 聞 想 医 満 率 視 浦 環 ヌ 鹿 魔 価 違 章 創 末 悪 何 検 遺 庁 暦 普 永 夜 革 竹 介 蔵 評 詞 聖 帰 複 個 了 ざ 巻 池 づ 便 割 毎 瀬 舞 諸 ゥ 病 極 断 堂 写 察 ぞ 街 証 奏 羽 群 裁 秀 深 述 告 仕 隣

Réponse : ce sont les 800 caractères japonais (kanas ou kanjis) les plus fréquents, et par ordre décroissant de fréquence, sur la Wikipédia japonaise (y compris Wikibooks, Wikinews, Wikiquote et Wikisource, en fait, mais tout ça ne pèse pas bien lourd face au bloc de la Wikipédia).

Bon, comme je ne parle pas japonais, je ne peux pas faire de commentaire spécialement intelligent là-dessus. (Pourquoi avoir fait les statistiques sur le japonais, alors, me demanderez-vous ? D'une part, parce que le résultat est plus joli à regarder, d'autre part, parce que c'est plus facile de délimiter les caractères en japonais que les mots en français ou en anglais.) Enfin, même sans connaître grand-chose au japonais, on voit quand même que c'est bien tiré d'une encyclopédie, parce que le caractère ‘年’ (qui signifie année) est quand même furieusement surreprésenté (c'est le premier caractère non-phonétique qui apparaît, suivi de jour, puis mois). Il serait intéressant de comparer cette liste à celle des 1945 kanjis réputés d'usage courant.

Pour ce qui est des premiers signes, je peux donner les comptes précis dans le corpus (pour qu'on se fasse une idée de la décroissance de la fréquence, sachant que par ailleurs le 800e caractère ci-dessus est environ 200 fois plus rare que le premier) :

6116775
3478483
3306430
2767617
2710066
2681245
2642990
2634559
2574059
2342774
2255772
2188925

Visiblement, une part significative de la langue japonaise est constituée de ‘の’ (c'est un signe qui se prononce no et qui sert notamment à former une particule grammaticale marquant la relation) ; d'ailleurs, pour celui qui ignore tout du japonais, c'est le signe le plus évident à chercher et le plus facilement reconnaissable pour détecter qu'un texte est effectivement en japonais.

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(lundi)

Fragment littéraire gratuit #79 (artefact)

Je m'empare de la chose, curieux de savoir ce qui va se passer. Au début, je ne remarque rien, si ce n'est que l'apparence en est un peu bizarre, plus que ce qu'il semblait de loin. Inquiétante, même : bien qu'elle n'ait aucune forme clairement définie, un peu comme dans ce test avec des taches d'encre sur le papier où l'on doit identifier des images, je me rends compte que je crois reconnaître un œil — ou une main desséchée. Soudain, j'ai l'impression qu'on m'observe, j'ai la sensation d'une présence dans mon dos : je me retourne, mais il n'y a rien, je regarde de nouveau la chose, et son apparence me semble maintenant vraiment effrayante, comme le mystère qu'elle recèle. Il y a quelque chose d'affreusement inhumain dans ces excroissances fractales, dans ces couleurs grises et dans cette texture rugueuse : plus je la scrute, plus j'ai le sentiment que d'un instant à l'autre je vais comprendre le secret de ce que j'observe et que ce secret est abominable. Or voilà qu'un son strident se fait entendre, qui vient d'un recoin obscur de la pièce : à ce moment précis, je sens s'ouvrir la porte de l'épouvante, libérant en moi les peurs les plus profondes, les peurs ancestrales — la peur du noir, la peur de l'inexpliqué et de l'inexplicable —, ces monstres qu'on croit vaincus par la civilisation mais qui ne sont que mal endormis dans une cachette dans les racines de notre inconscient, attendant leur heure et ne donnant qu'un pâle reflet de leur présence dans nos pires cauchemars. La chose que je tiens dans les mains, maintenant, est le centre de cette terreur, elle me brûle les mains comme un démon incarné. Enfin, je parviens à la lâcher, elle retombe lourdement sur son socle : et presque aussitôt le monde redevient sensé, je comprends que le son que j'ai entendu est celui d'un ventilateur qui s'est mis en route, je m'aperçois que la pièce n'est pas si mal éclairée que ça, et qu'il n'y a rien qui me menace.

— 4′25″, me dit alors François. Pas mal : la plupart des gens ne tiennent pas autant. C'est à peu près le temps au bout duquel les lapins meurent de trouille si on les laisse attachés.

En silence, il me tend un anxiolytique, que j'accepte volontiers. Pendant que je l'avale, j'ose de nouveau regarder ce qui m'a causé une telle émotion : je ne comprends pas, son apparence est certainement étrange, mais pas à ce point terrifiante. Je demande :

— Alors, qu'est-ce que c'est que cette chose ?

— Ça c'est ce que nous voudrions bien savoir, oui : comment ça peut stimuler comme ça le système limbique. Pour l'instant, personne n'en a la moindre idée. Au fait, je te conseille de dormir avec la lumière allumée, cette nuit.

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(dimanche)

Et si je me re-socialisais ?

Il y a à peu près trois ans, au moment où j'ai commencé ce blog, j'avais une certaine vie sociale : par exemple, je fréquentais une (voire deux) associations d'étudiants gays&lesbiennes, je traînais sur des canaux IRC (je veux dire, des canaux où les gens se rencontrent parfois en vrai, ils ne se contentent pas de se parler virtuellement), je lisais un bon nombre de blogs, et je sortais régulièrement (au moins pour me promener). Et puis, je ne sais pas bien comment, mais sans doute à cause de périodes de déprime que j'ai traversées, je me suis isolé de tout ça. Un des prétextes que j(e m)'avance est que « je n'ai pas le temps », mais, en fait, le temps a une bizarre propriété d'élasticité qui est que quand on arrête de faire certaines choses parce qu'on est débordé, on est toujours aussi débordé après qu'avant, donc ça doit pouvoir marcher à l'envers. Bref, en ce moment, je me trouve trop coupé du monde, il faut que je fasse un effort pour m'y replonger (au moins dans la mesure où je l'ai déjà fait par le passé).

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(vendredi)

Qu'est-ce que j'ai dans la gorge ?

J'ai quelque chose de coincé dans la gorge. Je m'en suis rendu compte ce matin pendant mon TD parce que ma voix a cassé plusieurs fois et j'avais du mal à parler fort alors que normalement je n'ai pas spécialement de problème avec ça, puis je me suis aperçu que j'étais enroué, que j'avais des problèmes à chanter certaines notes (dans les aigus de la voix « de poitrine ») ou même à monter le ton en parlant, que je toussais pas mal comme si j'avais quelque chose qui me gênait à expectorer, et à plusieurs reprises dans la journée alors que j'étais en train de bâiller (ou simplement de respirer par la bouche) j'ai eu un hoquet soudain parce que j'avais l'impression que j'allais avaler quelque chose ou bien que quelque chose me chatouillait l'intérieur de la trachée.

Je me demande bien ce que ça peut être… Un candidat serait une arête de poisson, parce que j'ai mangé du poisson hier midi et j'ai eu à un moment l'impression d'avaler une arête : mais je ne vois pas pourquoi elle ne m'aurait pas du tout gêné pendant tout le temps jusqu'à ce matin. (L'aventure m'est arrivée une fois quand j'étais petit, de me planter une arête de poisson dans la gorge. Mais ça m'avait vraiment fait mal. Là, il n'y a pas de douleur, juste une gêne insistante par moments.)

Ça m'inquiète un peu, quand même, surtout que ça a l'air d'empirer avec le temps (rien jusqu'à ce matin, mais là je le remarque de plus en plus souvent). J'essaierai de voir un médecin demain, mais un samedi ça risque de ne pas être évident (une application de la loi de Murphy, c'est qu'à chaque fois que j'ai un problème de santé c'est juste avant ou au début du week-end), mais je ne vois pas trop ce qu'il pourrait faire (je doute qu'un généraliste lambda soit équipé pour pouvoir pratiquer une laryngoscopie).

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(vendredi)

Fragment littéraire gratuit #78 (théories du complot)

— C'est exactement ce que font les prestidigitateurs : ils attirent ton attention sur l'endroit où il n'y a rien à voir, en te faisant croire que c'est là qu'il se passe quelque chose d'important, et pendant que tu cherches à regarder par là, de façon discrète mais pas invisible, ils opèrent leur tour ailleurs. Les théories du complot, donc, c'est de la poudre qu'on jette aux yeux du peuple pour qu'il ne voie pas ce qui est visible en focalisant ses yeux où il n'y a rien d'intéressant.

— Tu veux dire qu'elles sont créées exprès ?

— Ça me semble évident. Prends les Protocoles des Sages de Sion, par exemple. C'était effectivement un complot, mais pas des Juifs : on sait que c'est un faux monté par la police secrète du tsar, et qui a servi à provoquer ou à justifier des pogroms. Pourquoi ? Sans doute parce qu'en 1903 la révolution commençait à gronder, et qu'il fallait en détourner le peuple en créant un ennemi imaginaire : les Juifs avaient bon dos pour ça. C'est peut-être la même chose qui avait été tentée lorsque, un peu plus d'un siècle plus tôt, on a commencé à raconter des histoires délirantes sur les Illuminés de Bavière, censés menacer le monde : en fait c'était une pauvre secte sans importance, et je suis sûr que la raison de les monter en épingle était qu'on pressentait la Révolution française.

— Et maintenant ?

— Maintenant on nous sert de la théorie du complot à toutes les sauces. Regarde l'évolution : dans les Caves du Vatican, c'est une escroquerie ; dans Le Pendule de Foucault, la théorie du complot devient réalité et prend de court ceux qui l'ont lancée : et voilà que cette fiction-là elle-même semble devenir réalité avec le Da Vinci Code. Qui, bizarrement, fait un tabac, en entretenant soigneusement la confusion sur la part de réalité et de fiction.

— Tu crois que Dan Brown est employé pour distraire les gens de ce qu'ils devraient vraiment voir ? Tu crois qu'une révolution se prépare ?

— Pour Dan Brown, je ne sais pas. Mais quand on nous fait croire à un complot islamiste je crois surtout qu'on veut attirer notre attention ailleurs que là où elle devrait se porter.

— C'est très habile, comme façon d'essayer de passer au niveau méta, mais malheureusement tu retombes là où tu étais : tes théories du complot sur les théories du complot elles ne dépassent pas ce que tu dénonces. Et elles ne sont même pas originales : c'est tristement banal, de se plaindre que les néoconservateurs américains exploitent l'épouvantail Ben Laden pour leurs propres intérêts ; et c'est plutôt là que s'incarne, actuellement, le mème de la théorie du complot.

— Et si je passe à un niveau méta de plus…

— …alors ce n'est plus du tout crédible. N'oublie pas, dans ta théorie, la vérité doit être visible : qui aurait intérêt à faire croire que les néoconservateurs sont derrière tout ? Personne, ça ne colle pas. On ne peut pas les présenter comme une menace secrète à l'ordre établi puisqu'ils sont l'ordre établi.

— On pourrait prétendre que la Chine…

— On pourrait prétendre que la Chine s'arrange pour disséminer des théories du complot selon lesquelles les Américains s'arrangent pour disséminer des théories du complot selon lesquelles l'Iran veut contrôler le monde ? Tu as fumé. Je ne dis pas que les théories du complot sont parfois elles-mêmes utilisées comme instrument de manipulation : mais elles n'ont pas besoin de ça pour naître — elles sont un épiphénomène des comportements humains comme, à la limite, la violence, qui peut certainement être instrumentalisée mais qui peut aussi naître d'interactions sans avoir été planifiée par qui que ce soit.

— Et pourquoi ?

— Parce que nous refusons de croire au hasard. Là, si tu veux une constante de la psychologie humaine, c'est bien ça : la certitude que tout ce qui arrive est forcément un signe, donc une intention. Prends quelqu'un qui a « réussi » dans la vie, qui est devenu très riche ou très puissant : il va publier ses mémoires pour expliquer comment il est arrivé là, quels sont ses secrets, et on va croire que c'est à cause de ça, parce qu'il avait des bonnes méthodes ou des bons secrets, qu'il a réussi. Même quelqu'un qui vit très vieux, on va lui demander le secret de sa longévité. Mais en réalité, il n'y a pas de secret, il y a juste des milliers ou des millions de gens au départ, qui essaient tous de réussir, et le hasard en choisit un, pas parmi les plus mauvais, certes, mais pas non plus le meilleur dans un sens précis, et au lieu de comprendre ça comme ça on cherche à trouver les raisons de son succès. Or cela n'existe pas. Et c'est exactement le même genre de raisonnement qui nous conduisent à croire aux théories du complot : si quelque chose arrive, il faut bien que ça ait été voulu, calculé, planifié.

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(jeudi)

Feuilles de TD

Je rédige intégralement (énoncés et corrections) les feuilles des TD que je donne à l'ENS : outre que ça rend service aux élèves (enfin, j'espère…), c'est important pour moi, parce que je ne veux pas me pointer en me disant que je sais faire tel ou tel exercice et en me rendant compte finalement que non, il y a un détail qui m'a échappé ou que j'ai oublié ou un petit problème dans l'énoncé. (En DEUG je n'avais pas ce souci, mais là, le niveau est quand même un petit peu plus élevé…) Ça prend tout de même beaucoup de temps.

Je comptais cette année réutiliser les mêmes feuilles que l'an dernier. Mais voilà que je ne suis pas content des exercices que j'ai donnés, et j'en cherche de nouveaux… Je n'en suis toujours pas très content, en fait : là, pour illustrer les concepts d'algèbre tensorielle, symétrique et extérieure, qui ont beau être des notions excessivement classiques et importantes, je n'ai pas vraiment réussi à trouver des choses qui me satisfassent, ni par moi-même ni en fouillant dans des livres. (La solution de facilité, c'est, comme toujours, d'aller chercher dans les sorites au niveau n+1 les exercices du niveau n : mais je pense que pédagogiquement ce n'est pas bon.)

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(mercredi)

Travaux et bruit

Des nouveaux voisins emménagent dans un appartement situé deux étages au-dessus du mien (mais directement au-dessus, je crois). Ils ont prévenu l'immeuble qu'ils faisaient faire des travaux, qui dureraient deux mois, et qui risquaient certainement d'occasionner quelques désagréments inévitables (langue fleurie usuelle) dont ils étaient désolés. De fait : ce matin j'ai été durement réveillé par des coups de marteau.

Du coup, pendant une longue heure où je n'arrivais ni à me décider à me lever (vraiment trop fatigué — je suis resté jusqu'à trois heures du matin sur un calcul idiot) ni à pouvoir me rendormir, j'ai mille fois maudit ces voisins (prolégomènes à toute relation de bon voisinage future) et je me suis posé des questions métaphysiques graves. Du genre : pourquoi en au moins deux millénaires de perfectionnement du clou et du marteau n'a-t-on pas encore inventé le marteau silencieux[#] (ce qui serait un gain important non seulement pour l'environnement sonore mais aussi en énergie parce qu'éviter que 99% de l'énergie dépensée parte sous forme d'ondes sonores ce serait bien) ? Ou bien : pourquoi notre civilisation n'a-t-elle pas encore atteint le stade de raffinement où les ouvriers pourraient commencer leur journée de travail à un moment un peu plus humain que l'aurore ? Ou encore : est-ce que j'arriverais à persuader le syndic de payer les ouvriers de ces nouveaux voisins à rester bras croisés jusqu'à 9h30 tous les jours ? Ou plus pragmatiquement : est-ce que ça vaut la peine que j'aille habiter deux mois chez mes parents ?

Un de mes problèmes c'est que c'est risqué pour moi d'utiliser des boules Quiès (ou autres variantes comme les tampons de mousse) : j'ai un défaut d'évacuation du cérumen dans le conduit auditif qui fait que je risque de me retrouver avec un bouchon permanent (genre, -20dB sur l'oreille concernée, c'est vraiment problématique), qu'il faut alors faire ramollir au Cérulyse® avant de le faire retirer par un ORL (et c'est encore plus compliqué si j'ai irrité le conduit auditif). Bon, là, j'ai fini par prendre le risque, et j'ai vaguement pu dormir jusqu'à 10h.

En fait, si en 2000 ans de technologie notre civilisation n'a pas encore inventé le marteau silencieux, elle a quand même inventé de l'électronique qui permet de faire de la compensation de bruit : i.e., on prend un haut-parleur couplé à un micro et on lui fait émettre le son négatif de ce qu'il reçoit (enfin, c'est l'idée un peu simplifiée, ça), pour l'annuler. Ça existe en version casque, mais bon, ce n'est vraiment pas utilisable pour dormir (autant aller chercher dans l'artillerie lourde à ce moment-là). Ce que je me demande c'est si c'est trouvable en version portative : un petit ensemble micro + haut-parleur qu'on poserait quelque part et qui ferait autour de cet endroit une sphère de silence. Je pense qu'on doit pouvoir réaliser ça, de nos jours, mais je ne sais vraiment pas si c'est effectivement produit et, le cas échéant, où m'en procurer.

[#] Et je ne parle pas de la perceuse, parce que là c'est le contraire : avant l'invention de ce truc, on avait les vilebrequins qui devaient quand même faire furieusement moins de bruit.

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