David Madore's WebLog: 2011-06

Vous êtes sur le blog de David Madore, qui, comme le reste de ce site web, parle de tout et de n'importe quoi (surtout de n'importe quoi, en fait), des maths à la moto et ma vie quotidienne, en passant par les langues, la politique, la philo de comptoir, la géographie, et beaucoup de râleries sur le fait que les ordinateurs ne marchent pas, ainsi que d'occasionnels rappels du fait que je préfère les garçons, et des petites fictions volontairement fragmentaires que je publie sous le nom collectif de fragments littéraires gratuits. • Ce blog eut été bilingue à ses débuts (certaines entrées étaient en anglais, d'autres en français, et quelques unes traduites dans les deux langues) ; il est maintenant presque exclusivement en français, mais je ne m'interdis pas d'écrire en anglais à l'occasion. • Pour naviguer, sachez que les entrées sont listées par ordre chronologique inverse (i.e., la plus récente est en haut). Cette page-ci rassemble les entrées publiées en juin 2011 : il y a aussi un tableau par mois à la fin de cette page, et un index de toutes les entrées. Certaines de mes entrées sont rangées dans une ou plusieurs « catégories » (indiqués à la fin de l'entrée elle-même), mais ce système de rangement n'est pas très cohérent. Le permalien de chaque entrée est dans la date, et il est aussi rappelé avant et après le texte de l'entrée elle-même.

You are on David Madore's blog which, like the rest of this web site, is about everything and anything (mostly anything, really), from math to motorcycling and my daily life, but also languages, politics, amateur(ish) philosophy, geography, lots of ranting about the fact that computers don't work, occasional reminders of the fact that I prefer men, and some voluntarily fragmentary fictions that I publish under the collective name of gratuitous literary fragments. • This blog used to be bilingual at its beginning (some entries were in English, others in French, and a few translated in both languages); it is now almost exclusively in French, but I'm not ruling out writing English blog entries in the future. • To navigate, note that the entries are listed in reverse chronological order (i.e., the most recent is on top). This page lists the entries published in June 2011: there is also a table of months at the end of this page, and an index of all entries. Some entries are classified into one or more “categories” (indicated at the end of the entry itself), but this organization isn't very coherent. The permalink of each entry is in its date, and it is also reproduced before and after the text of the entry itself.

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Entries published in June 2011 / Entrées publiées en juin 2011:

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(vendredi)

La reproductibilité du succès : un mythe tenace

Un mythe qui me semble très répandu et qui m'énerve particulièrement est l'idée que le succès est juste. Énoncé sous une forme aussi générale (et cela se range alors avec des sophismes comme celui du monde juste), je ne crois pas vraiment qu'on y adhérerait massivement. Mais dans des instances particulières, je suis toujours effaré par le déni avec lequel on a tendance à faire semblant de ne pas croire au rôle prépondérant de la chance.

Sans doute pourrais-je dire des choses sur d'autres formes de succès (qui ne doivent pas forcément moins au hasard), mais ici je veux parler du succès sous forme de popularité, c'est-à-dire, du succès qui se mesure par l'adhésion des masses. Cela pourrait être le succès d'un chanteur populaire ou d'un film ou d'un livre, mais aussi d'une technologie (pensez à un type de téléphone ou à un système d'exploitation), d'un site Web (pensez à un site de rencontre), ou encore la popularité d'un homme ou d'une idée politique, et encore quantité d'autres choses, jusqu'au nombre de vues d'une vidéo sur YouTube. Marginalement, la réussite d'un homme d'affaire ou d'une entreprise (quand cela passe par rendre ses produits connus et appréciés).

En fait, je dois distinguer deux mythes, ou peut-être deux niveaux du même mythe :

  1. L'idée que le succès est le résultat de qualités objectives : c'est-à-dire que l'artiste qui réussit est objectivement meilleur (pour des raisons définissables de façon claire) que celui qui n'en a pas, ou surtout que le produit industriel qui en a en a pour des raisons valables. Disons que c'est le mythe de l'objectivité, auquel on croira sans doute moins dans le domaine de l'art, mais qui est assez répandu pour ce qui est par exemple de la technologie.
  2. L'idée, plus faible mais pas forcément plus juste, que le succès, à défaut d'être le résultat de facteurs objectifs, est au moins reproductible : que si on rejouait l'histoire (en admettant que cela ait un sens, et sinon, qu'on rejoue une histoire extrêmement proche), ce seraient les mêmes personnes ou les mêmes idées qui auraient du succès.

Je crois que ces deux idées sont presque totalement fausses. Bien sûr, il y a une certaine corrélation entre la qualité et la réussite : on peut prédire avec une très bonne certitude que si je me lançais en musique je n'aurais aucun succès. Une corrélation n'est ni un condition nécessaire ni une condition suffisante : ma thèse est que pour chaque chose X qui a du succès, il y en a bien plus qui n'en ont pas et qui non seulement ont les mêmes qualités objectives mais aussi, dans un monde presque semblable auraient pu avoir le succès de X.

La raison pour laquelle on croit au succès, c'est qu'on croit vaguement à l'idée d'un vote : l'idée est celle d'un modèle dans lequel chaque juge potentiel (spectateur, lecteur, électeur, client, quidlibet) examine tous les « candidats à la réussite », en considère les mérites, et apporte son adhésion à celui-ci ou celui-là. Chaque vote est sans doute apporté sur des critères différents, et pas forcément reproductible, mais à force de les accumuler, on aurait un vote (non formalisé mais « avec les pieds ») de la société dans son ensemble, et ce vote définirait une opinion assez sensée. Ce n'est pas un raisonnement idiot : si effectivement on demandait à chacun d'examiner les candidats indépendamment, sans s'influencer les uns les autres, il me semble qu'on obtiendrait bien un choix collectif pas forcément « objectif » ou prévisible, mais du moins sensé et reproductible. Et c'est l'idéal vers lequel on voudrait tendre.

La raison pour laquelle ça ne marche pas du tout comme ça, c'est que les juges (que nous sommes tous) n'émettent pas des jugements indépendants. Nous nous influençons les uns les autres, et ce d'au moins deux façons : (A) dans le jugement lui-même, parce quand quelque chose est recommandé par un ami ou quand nous savons que cette chose a déjà l'adhésion des masses (ou d'une masse à laquelle nous voudrions nous identifier), cela impacte notre jugement, et aussi et surtout (B) dans la découverte, car les « candidats à la réussite » ne sont pas une liste close et que la difficulté principale est de les découvrir, et que la popularité déjà acquise est la meilleure façon de se faire découvrir. Bref, on a affaire à un système instable à cause d'un feedback positif : le succès facilite l'obtention de plus de succès. À partir de là, le hasard joue un rôle prépondérant : donné un certain nombre de choses toutes égales a priori, l'une d'elle commence à emporter un peu de succès, et ce succès fait qu'elle est plus visible, plus découvrable, et qu'on a tendance à la juger plus favorablement, et le succès fait boule de neige.[#] Selon les circonstances, cette part de hasard peut concurrencer ou même noyer totalement le jugement réel idéal (que j'ai défini au paragraphe précédent). Une analyse un peu plus mathématisée de cet effet « boule de neige » se trouve ici.

Une des raisons pour lesquelles nous nous aveuglons à ça est que nous aimerions nous croire à l'abri de ces influences de jugement, c'est-à-dire penser que notre façon de juger est indépendante du jugement des autres (au moins pour le phénomène (A) : il est plus difficile de s'imaginer à l'abri de (B)). C'est pourtant faux, comme il est possible de montrer avec quantités d'expériences où on montre que les préjugés que nous avons sur l'appréciation de n'importe quoi colorent inévitablement notre jugement (voyez notamment dans le livre Predictably Irrational de Dan Ariely, dont j'ai déjà parlé).

Un exemple qui illustre bien le phénomène est ce qui se passe sur le site Reddit. Reddit est un site de partage de liens : les adhérents peuvent soumettre des liens et peuvent voter (positivement ou négativement) pour les liens des autres, les liens sont affichés triés par popularité (c'est-à-dire par nombre de votes positifs moins négatifs, avec une pondération par le temps pour que les vieux liens finissent toujours par disparaître), et c'est surtout à partir de cette liste triée par succès qu'on apporte soi-même son vote ; le même mécanisme fonctionne pour les commentaires. Or tout le monde convient que le succès (et le fait d'arriver au graal de la front page) est largement aléatoire : certes, les choses complètement dénuées d'intérêt (de l'avis collectif) ne monteront jamais haut, mais le même lien, soumis avec le même titre, au hasard des catégories souvent interchangeables dans lesquelles il est posté, ou de l'heure, ou de rien du tout, peut avoir des destins très différents. Cela n'a rien de surprenant : la plupart des gens votant sur les liens le font parmi les liens qui ont déjà reçu bon nombre de votes positifs rapidement — on est vraiment dans le hasard de la boule de neige qui démarre ou pas.

[Ajout () pour des exemples rigolos, on me signale cet article du Guardian, ainsi que celui-ci d'un blong du Monde qui en est presque la traduction. • () Voir aussi cette vidéo sur l'effet « boule de neige » dans la diffusion des mèmes en général. • () Voir aussi cette vidéo par Léo Grasset, résumant certains des mécanismes et biais psychologiques liés au succès des youtubers et la relation avec leur audience, qui discute notamment mon dada du caractère aléatoire du succès.]

[Ajout (, à insérer je ne sais pas à quel endroit dans ce billet) : cette modélisation (qui m'a été signalée sur Twitter), et qui a gagné le prix Ig Nobel 2022 en économie, est intéressante pour appuyer l'idée que le succès n'est pas dû au talent mais essentiellement au hasard (il faut encore que je la regarde de plus près).]

Parfois, on a un troisième mécanisme qui joue en plus des deux (A) et (B) que j'ai mentionnés ci-dessus : ce sont (C) les « influenceurs » meneurs d'opinion (qui sont eux-mêmes « désignés » par un phénomène pas moins aléatoire) dont l'avis a plus d'influence que les autres ; voici un article plus détaillé à ce sujet, et au sujet des phénomènes « viraux » qui en découlent.

Dans le domaine de la technologie, je peux mentionner le succès de Facebook. Celui-ci a eu de nombreux prédécesseurs interchangeables : Friendster, Tribe.net et Orkut pour n'en citer que trois (il y a aussi MySpace, mais il me semble assez différent). Les gens cherchent souvent à expliquer la réussite de Facebook en montrant ses avantages par rapport à ces prédécesseurs : je pense que c'est se fourvoyer, le succès est juste dû au fait que parmi les N sites sociaux interchangeables, celui-ci a eu de la chance et les N−1 autres n'en ont pas eu. Une fois que les gens commencent à rejoindre Facebook, il y a un effet d'entraînement : si tous vos amis y sont, ce n'est pas intéressant de jouer tout seul sur un autre site. Mais au Brésil, c'est Orkut qui a eu du succès (tellement que quand tout le monde s'est mis à parler portugais sur Orkut, ça a fait fuir les autres) : c'est bien le signe de la non-reproductibilité des choses (il n'y a rien dans Orkut qui le rendait intrinsèquement idoine au Brésil). Essayer d'expliquer le génie de Mark Zuckerberg est presque aussi futile qu'essayer d'expliquer le génie d'un gagnant au loto.

Même phénomène dans le show-biz. Peut-on sérieusement croire que si on effaçait de la mémoire des adolescentes prépubères le nom, le visage et la musique de Justin Bieber, et qu'on tentait de nouveau de lancer son succès au milieu de tant d'artistes interchangeables, il réussirait autant ?

((J'ai le souvenir d'avoir vu passer un article décrivant une expérience sociologique dans laquelle les expérimentateurs avaient mis en place plusieurs réseaux sociaux miniatures de gens encouragés à communiquer entre eux dans un même réseau, mais avec isolement complet entre réseaux. Ils leur avaient demandé de juger des morceaux de musique et d'en discuter entre eux, et chaque mini réseau social avait établi son classement des morceaux. Or les morceaux proposés aux différents réseaux étaient les mêmes, la constitution des réseaux était non-biaisée (aléatoire, je suppose), et les classements avaient été très différents, certains morceaux devenant des « tubes » dans un réseau et pas dans un autre. C'est une confirmation expérimentale directe et claire de la non-reproductibilité du succès, malheureusement je ne retrouve plus où j'ai pu voir cet article. Si un de mes lecteurs est plus doué que moi…))

Il est vrai qu'il existe des circonstances où l'entrainement positif du succès par le succès, et donc son caractère instable et aléatoire, est plus ou moins développé. La diffusion actuelle des contenus (notamment musicaux et, dans une moindre mesure car elle est de toute façon plus oligarchique, cinématographique), où la promotion se fait de façon assez centralisée (maisons de disques, gros producteurs de cinéma), amène fortement le star-system. Un système de diffusion qui donnerait moins de rôle à des diffuseurs préétablis (et, disons-le, plus démocratique) favoriserait moins outrageusement ceux qui ont déjà du succès — c'est une des raisons de penser qu'une réforme du copyright jouerait en faveur des petits artistes (ceux qui peinent à se faire connaître) et au détriment seulement de célébrités que le système actuel pousse à un niveau d'exposition (et, de façon pas forcément anecdotique, de richesse) obscène.

Mais même un système moins centralisé n'assurerait pas un succès reproductible : prenez la popularité des blogs, par exemple, qui sont vraiment l'idéal non faussé en la matière — il reste que le bouche-à-oreille fait que le succès pousse au succès, et il faut être bien naïf pour s'imaginer que la qualité d'un blog est correctement reflétée par le volume de son lectorat. (J'aimerais persuader, par exemple, Maître Eolas d'ouvrir un second blog, tout aussi anonyme et en gardant secret le fait qu'ils sont du même auteur, sur lequel il posterait le même genre de choses, en choisissant même aléatoirement après avoir écrit une entrée dans quel blog il la posterait, de sorte que ce soit objectivement et indiscutablement la même qualité des deux côtés, pour voir si ce second blog convergerait vers le même nombre de lecteurs que le premier. Je n'y crois pas du tout.)

Un exemple qui se rappelle souvent à moi du hasard du succès, c'est un restaurant qui n'est pas loin de chez moi, le restaurant Gladines sur la Butte aux Cailles. Ce restaurant est bon et bon marché, donc il mérite un certain succès… mais sa popularité est plus que correcte, elle est vraiment ahurissante : les gens se pressent pour y entrer, il y a quasiment toujours une foule qui attend dehors pour avoir une table. Or je sais qu'il y a un bon nombre de restaurants dans le coin qui sont également très corrects (on peut discuter de savoir s'ils sont un peu meilleurs ou un peu moins bons, mais certainement pas dans les proportions indiquées par la foule de la clientèle de Gladines). C'est simplement que ce restaurant a bénéficié d'un bon bouche-à-oreille, relayé par quelques guides, et comme les gens préfèrent toujours aller dans un restaurant recommandé par quelqu'un plutôt qu'essayer au hasard (ce qui se comprend), les effets de feedback positif jouent à fond. Je pourrais aussi évoquer les glaces de la maison Berthillon, qui sont certes excellentes, mais pas au point d'expliquer une popularité aussi ahurissant comparé à d'autres glaciers également (ou presque aussi) excellents.

À ce stade-là, cela m'amène à m'interroger sur les grands succès du passé. Prenons William Shakespeare. Nous le considérons comme meilleur que les autres auteurs de la même époque, que ce soit ceux de rang seulement légèrement inférieur (comme Chris Marlowe ou Ben Jonson) ou sans dote quantité d'auteurs dont on a dû oublier jusqu'au nom. Cela pose la question de savoir si (A) Shakespeare était vraiment objectivement meilleur, ou du moins si (B) son succès parmi ses pairs aurait été reproductible. Je ne sais pas vraiment quoi en penser. Je pense que maintenant il n'y a plus de doute que Shakespeare soit meilleur, mais c'est notamment pour une raison assez subtile : c'est que Shakespeare a tellement influencé notre société et notre culture, que même sans compter ce qui est directement et évidemment sa marque (des phrases que tout le monde pourra reconnaître jusqu'aux plus obscures), il a participé à la définition de ce qui est bien, de ce qu'est un bon auteur, et en fait de ce qu'est l'anglais, si bien que nous qui sommes ses héritiers spirituels n'avons plus la moindre chance de le juger de façon un tant soit peu objective. Autrement dit, il y a des succès dont la question de la reproductibilité ne peut se poser que sous forme d'histoire parallèle, parce que pour ce qui est du présent, ils ont modifié nos valeurs elles-mêmes.

Un exemple évident d'un tel succès, ce serait celui des religions dominantes de la planète. On peut essayer de trouver des raisons objectives pour lesquelles une secte juive messianique de la Palestine romaine a eu un succès aussi ahurissant, et ce n'est pas un exercice sans intérêt (cf. le livre The Evolution of God de Robert Wright dont j'ai déjà parlé), mais il est évident qu'il devait aussi y avoir une bonne part de hasard.

Là je suis tenté de dévier du cadre que je me suis fixé, celui de la reproductibilité du succès, pour évoquer plus généralement la question de la propagation des mèmes — le succès des idées, des concepts, des valeurs et des règles sociales en termes d'adhésion et de popularité. Mais je crois que cela m'entraînerait un peu trop loin.

[#] J'ai d'ailleurs tendance à m'imaginer que le processus de prise de décision individuel est assez semblable à ce processus collectif : que dans notre cerveaux des groupes de neurones jouent à une petite bataille de popularité, avec feedback positif, pas du tout éloigné du système qui fait que nos sociétés font des choix (non reproductibles).

Ajout () : ce billet ultérieur, concernant le mythe du génie, recouvre largement celui-ci et peut en être considéré comme une suite ou un complément.

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(dimanche)

Pour m'endormir, je dois d'abord rêver

[Encore un peu d'introspection autour du sommeil… le jour où je ferai de la classification des entrées de ce blog, ceci en sera certainement un thème majeur.]

C'est un phénomène dont j'ai gagné conscience progressivement, et depuis longtemps, mais qui m'est récemment apparu de façon particulièrement frappante : pour m'endormir, je dois d'abord rêver. Ou plutôt : je ne peux pas m'endormir si je pense à quelque chose de réel, que cela soit une source de tracas (ça c'est très clair et évident, et ça fait longtemps que j'en suis certain) ou de joie, que cela soit un souvenir ou une attente pour l'avenir (une spéculation raisonnable, disons), qu'il s'agisse d'un fait matériel ou d'une réflexion abstraite (comme celle à laquelle je suis en train de me livrer) — n'importe laquelle de ces choses m'empêche de dormir. Même me souvenir d'un livre ou film de fiction (par exemple quelque chose que je viens de lire ou de voir) m'empêche de dormir : mais ici, la frontière est ténue entre me rappeler la fiction d'un autre ou broder la mienne à partir de ça. Ce qui me permet de m'endormir, c'est uniquement de lâcher mon imagination, de cesser de réfléchir pour me mettre à inventer, à vagabonder, bref, à rêver.

C'est un peu étrange, parce que les rêves (ou du moins ceux que je me rappelle) viennent plutôt plus tard dans la nuit, dans les phases suivantes du sommeil : les premières phases sont pour moi plutôt lourdes et plus confuses qu'imaginatives (et, globalement, assez déplaisantes — j'ai déjà expliqué ça) ; mais cela colle assez bien avec le fait que j'arrive beaucoup plus facilement à me rendormir quand je dors depuis un moment et que j'ai commencé à rêver : il me suffit d'imaginer la suite du rêve, j'y rentre assez facilement, et cela me permet de me rendormir.

Je suis en tout cas assez convaincu que les fonctions de pensée et d'imagination sont nettement (et peut-être spatialement séparées) séparées dans le cerveau. La séparation est surprenante, en fait : si je réfléchis à ce que je ferai demain ou dans une semaine, je suis en train de penser, et je ne pourrai pas dormir ; mais si à partir de là je divague et que je pars des choses qui pourraient arriver pour non plus en construire un scénario raisonnable ou même espéré mais des fantaisies, cela devient de l'imagination. Pendant longtemps, je me suis endormi en m'imaginant que les personnages des romans que j'écrivais devenaient réels et rentraient dans ma vie, à moins que ce soit moi qui rentrasse dans la leur et qui rendisse visite à leur monde (ce fragment littéraire est plus qu'un peu inspiré de ces pensées — même si elles ne sont pas forcément érotiques).

Toujours est-il que c'est à double titre que le moindre tracas (ou, en fait, la simple présence d'un réveil allumé à côté de moi) m'empêche de dormir : il y a l'aspect tracas lui-même, qui me fait m'agiter et m'empêche de dormir pour cette raison (il suffit que je pense à une contrariété pour avoir trop chaud dans mon lit), mais il y a aussi l'aspect rappel à la réalité qui m'empêche de m'évader.

Je me demande à quel point ceci est général, ou si c'est juste mon cerveau à moi qui fonctionne comme ça. Lecteurs, à quoi ressemblent vos pensées au moment de vous endormir ?

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(dimanche)

Droit pénal comparé, quelques réflexions décousues

Pour tenter de trouver une réponse à une question que je me posais récemment, je me suis acheté un livre de droit pénal comparé (avec ce titre, par Jean Pradel, chez Dalloz dans la collection des Précis, 3e édition 2008). J'ai ajouté à mon entrée passée quelques précisions sur la question précise que je m'y posais (celle du cumul des peines), même si je ne m'estime pas encore totalement Éclairé.

Je suis un peu déçu. D'abord par le peu de place accordé dans une librairie spécialisée en droit (en l'occurrence la librairie Dalloz de la rue Soufflot) au droit comparé (en fait, je n'ai pas du tout trouvé de rayon de droit comparé : le livre de droit pénal comparé était rangé sous droit pénal) ; peut-être parce que ça n'intéresse pas tant les juristes positifs (que j'aime ce terme…) mais seulement les philosophes du droit : seulement, en fait, cela devrait intéresser tout le monde, parce que le droit comparé devrait à mon avis être une question politique suprêmement importante (au vu de la diversité des droits existants sur la planète, quel est le meilleur, ou du moins, quel est celui dans le sens duquel nous voulons voir évoluer le droit de notre pays ?). Ensuite, par le fait que, justement, la question semble abordée avant tout du point de vue descriptif (tel pays fait gnagnagna, tel autre pays fait blablabla), sans qu'on se demande au juste pourquoi les choses sont ainsi et ce qui est préférable ou du moins quels sont les arguments utilisés pour défendre gnagnagna et ceux utilisés pour défendre blablabla, ou encore quelles sont les conséquences heureuses ou malheureuses observées de tel et tel système. Enfin, je suis déçu de voir que beaucoup de livres de droit comparé ont l'air vraiment mal maintenus à jour, et j'en ai vu un certain nombre qui continuent à parler (malgré une édition supposément récente) de droits des pays socialistes (sic : et je pense qu'ils ne faisaient pas seulement référence à la Chine et Cuba). Ceci étant, le livre que j'ai acheté n'est pas mauvais (même si l'auteur ne semble pas trop savoir s'il veut rester au niveau purement descriptif ou s'il a le droit de se livrer à quelques remarques d'ordre politique pour affirmer que tel système souffre de tel inconvénient), et il est en tout cas fort clairement écrit.

C'est quelque chose qui, mentalement, a tendance à m'énerver, que l'arbitraire des choix opérés par le droit d'un pays. On est censé croire, paraît-il, que dans une démocratie les lois émanent de la volonté des peuples, et en particulier que les systèmes juridiques sont des conséquences soit de décisions rationnelles soit au moins de la sensibilité diverse des peuples et de leur préférence pour tel ou tel mode de fonctionnement. Mais le croit-on vraiment ? Croit-on vraiment que la distinction entre common law et droit codifié correspond à une différence de sensibilité entre les peuples anglo-saxons et les peuples latins ou germaniques ? Ou que la dualité en droit français entre justice judiciaire et justice administrative émane de la volonté du peuple et pas juste d'un accident de l'histoire ? [#] On comprend qu'on n'ait ni l'envie ni la possibilité de changer ce que des siècles d'histoire ont accumulé comme tradition juridique, mais sur des questions plus étroites, on se demande s'il est pertinent que chaque législateur (notamment en Europe) fasse de son côté sa petite tambouille à inventer des solutions ad hoc au lieu de chercher à s'harmoniser sur des principes issus d'une réflexion internationale.

Je suis peut-être ingénument fouriériste en suggérant cela, mais j'ai tout de même l'impression qu'il serait utile que les spécialistes du droit comparé, éventuellement alliés dans le cadre d'un think tank à des personnalités plus politiques, publiassent des textes de droit idéal, c'est-à-dire des propositions in abstracto de ce que pourrait être le droit (constitutionnel, pénal, civil, etc.), décliné en différentes variantes, dans un pays idéalement respectueux des droits de l'homme ou de tous autres principes incarnés par le think tank en question. Ceci fournirait une référence claire pour le législateur qui, ensuite, voudrait appliquer ces principes dans son droit positif. Je ne sais pas si de tels recueils de droit idéal existent, mais si c'est le cas, ils sont pour le moins discrets.

Parmi les domaines où règne la plus grande confusion, si j'en crois mon livre, il y a celui de la définition précise du rôle et de l'action du ministère public. Dans certains pays le ministère public est seul à pouvoir mener une poursuite pénale, dans d'autres tout citoyen peut le faire, ou parfois seulement la victime d'une infraction ou certaines personnes ou associations plus ou moins visées ; dans certains cas et dans certains pays la victime peut obliger le ministère public à poursuivre, ou au contraire le lui interdire… Dans certains pays, le ministère public est tenu de poursuivre les infractions dont il a connaissance, dans d'autres il a le pouvoir discrétionnaire de classer sans suite, mais il bien sûr des exceptions et des exceptions aux exceptions. Parfois le ministère public a des pouvoirs spéciaux, parfois il est une partie au procès comme une autre. On a l'impression que personne ne sait très bien à quoi doit servir au juste le ministère public, et s'il doit être une sorte de juge-avant-le-juge, autorité indépendante, ou d'avocat de l'État (mais non, les avocats qui défendent l'État dans les pays où on peut l'attaquer en justice ne sont pas les mêmes que ceux qui représentent au pénal le ministère public), ou de représentant de la collectivité… on ne sait pas non plus bien s'ils doivent forcément accuser, ou s'ils doivent rechercher la vérité et d'éventuelles preuves à décharge, ou quoi. (En France, il arrive bien que le ministère public plaide la relaxe si l'action judiciaire est menée par une partie civile. Mais en fonction de quoi un parquetier décide-t-il cela ?) Doivent-ils diriger l'enquête de police ou la surveiller, ou encore représenter l'accusation face à la défense comme parties égales devant un magistrat enquêteur indépendant ? On ne sait même pas si les agents du ministère public doivent être indépendants, ou doivent obéir aux ordres de leur hiérarchie, et dans ce cas quel doit être le sommet de cette hiérarchie (si c'est le ministère de la Justice et si seul le ministère public a le pouvoir de lancer des poursuites, on a un évident problème quand il s'agit de poursuivre le ministre de la Justice ou un autre membre du gouvernement). Et évidemment il y a la question houleuse de savoir si ces gens doivent être élus. Bref, comme je le disais, il y a une immense confusion : à peu près tout le monde semble d'accord sur le fait qu'il faut un ministère public (pour que puissent avoir lieu des débats contradictoires devant un juge impartial, il faut forcément une accusation), mais le consensus s'arrête là, même si on se place à l'intérieur d'un système plus étroit (par exemple : procédure accusatoire ou inquisitoire). Une fois constatée cette grande diversité dans le rôle ou la compréhension du rôle du ministère public, il faut peut-être se demander : qu'est-ce qui fonctionne le mieux ? et quels sont les avantages de tel ou tel système ? ne devrait-on pas chercher une convergence ou une synthèse entre des pays dont les systèmes ne sont pas a priori trop incompatibles pour commencer ? Malheureusement, je reste totalement ignorant là-dessus.

Je pourrais raconter quelque chose de semblable sur la façon dont fonctionne les voies de recours contre une décision de justice (en France, essentiellement, l'appel et la cassation, plus éventuellement la révision d'un procès). Même sans aller chercher dans le détail des noms des cours, le fonctionnement le plus basique du système de recours (ou d'ailleurs la simple prémisse qu'on peut interjeter appel après un procès criminel) sont sujets à d'innombrables variations qui semblent plus traduire des imaginations ayant vagabondé au hasard des accidents de l'histoire qu'une réflexion sensée sur la façon dont on veut fabriquer un système juste avec aussi peu d'arbitraire que possible.

Bon, cette entrée de blog devient aussi bordélique et décousue que le chaos que je prétends dénoncer, donc je devrais la terminer ici. Je termine quand même par un lien qui n'a que très peu de rapport avec ce que je disais, mais sur lequel je suis tombé en cherchant des informations sur des sujets connexes : un article de Lord Mance sur la « Constitution » du Royaume-Uni qui évoque des questions intéressantes de droit constitutionnel et de hiérarchie des normes, et leur application au droit judiciaire.

Et aussi une question naïve qui me vient à l'esprit : si aux États-Unis un prévenu reconnaît sa culpabilité (parce que les charges contre lui sont complètement évidentes) mais souhaite bâtir toute sa défense autour de circonstances atténuantes, comment le système fonctionne-t-il ? Toutes les descriptions que je lis des différents systèmes judiciaires américains semblent indiquer qu'on doit soit plaider non-coupable (ce qui semble incohérent si on admet sa culpabilité) soit plaider coupable (ce qui implique de négocier la sentence avec le procureur et de ne pas pouvoir ensuite faire appel, ce qui n'est pas admissible si on souhaite justement faire valoir une circonstance atténuante que le procureur ne reconnaît pas forcément, ou faire appel si on n'est pas d'accord avec ce que le procureur propose).

[#] À ce sujet, j'aimerais voir le résultat de l'expérience suivante : devant des jurys de citoyens de différents pays du monde, d'éminents juristes et spécialistes de tous les pays viendraient débattre pour exposer de façon simple, puis défendre ou critiquer, les différents grands choix qui existent entre les systèmes juridiques ; puis le jury de citoyens de chaque pays devrait voter (de façon éclairée par le débat venant d'avoir lieu) sur ce qui lui semblent les meilleurs principes de droit, et on pourrait mesurer si oui ou non cela correspond aux choix que le pays en question a effectivement pris, et en renouvelant l'expérience suffisamment de fois (pour estomper les accidents dus aux hasards du débat) on pourrait mesurer si oui ou non la démocratie fonctionne vraiment : après tout, c'est quelque chose d'amenable à l'expérience. (Et pas seulement dans le domaine du droit, d'ailleurs, je ne prends ça que comme exemple.) Mais là je touche à un autre sujet sur lequel je me suis promis de ranter un autre jour, à savoir l'arbitraire et la non-reproductibilité des choix collectifs, donc je ne m'étends pas plus.

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(lundi)

Énergie nucléaire et autres trolls radioactifs

☞ Le débat (si on peut l'appeler comme ça) sur l'énergie nucléaire est un champ de bouses de trolls que mes nerfs ont la plus grande difficulté à supporter : dès qu'il montre sa tête hideuse, à la télé par exemple, j'ai tendance à éteindre le poste pour ménager mon cœur des palpitations provoquées par l'affichage ostentatoire de la connerie. Je me demande donc quelle sorte de masochisme me pousse à en parler ici — mais malgré toute ma patience, il vient un point où je cède à l'envie de répondre à la bêtise (et aux trolls). D'autant que, dans les rares débats que je m'efforce d'écouter quand même, ceux-là même avec qui je suis d'accord sur le fond ont toujours l'air de sortir les arguments les plus implacablement idiots ou sans importance (grâce au nucléaire, nous avons l'énergie la moins chère d'Europesoupir), cela me désole. Il est vrai que pour avancer des arguments meilleurs, il faut quasiment obligatoirement commencer par hurler vous êtes vraiment trop cons, et que ça ne se fait pas, surtout si on est un peu un homme politique, de dire ça à ses électeurs, même quand c'est vrai ; c'est un des gros problèmes de la démocratie.

Bref, le nucléaire est victime d'une sorte d'hystérie collective, qui fait le contrepoids à ce qu'on pensait de la radioactivité quand elle a été découverte (et où on vendait des potions au radium pour renforcer les os ou autre charlataneries). Le fait est que je ne sais même pas bien ce qu'« on » reproche au juste au nucléaire.

Je sais en revanche très bien ce que je reproche aux énergies fossiles : et c'est avant tout la production de CO2 quand on les brûle. Mon propos n'est certainement pas de dire le nucléaire, c'est bien, c'est de dire que les reproches faits au nucléaire sont tellement insignifiants (je vais y venir) en comparaison avec ceux qu'on doit faire aux énergies fossiles que se concentrer dessus revient vraiment à s'inquiéter d'un robinet qui fait parfois ploc-ploc alors que la maison est en train d'être emportée par un ouragan : ce n'est pas bien que le robinet fasse ploc-ploc, mais il faudrait peut-être avoir un sens des priorités.

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(dimanche)

Les technologies qui donnent envie de s'en servir

Le principe de l'utilisation d'un outil, et en particulier d'un outil technologique, normalement, c'est que le besoin précède, et détermine, le choix de l'outil. En pratique, je pense que c'est loin d'être toujours le cas, et il y a des marteaux qui, quand vous les avez en main, vous donnent envie de chercher partout les clous. Ce n'est pas toujours une bonne chose (quand on utilise un outil inapproprié à une tâche juste pour le plaisir de se servir ce cet outil), mais ça peut l'être (quand on fait quelque chose de vraiment utile parce qu'on avait le marteau qui démangeait la main).

Je ne sais pas si c'est le cas de tous les geeks, mais l'informatique me fait souvent cet effet. Souvent, quand je lis la description des zillions de programmes, bibliothèques, ou autres formes de technologies qui sont à la portée de mon ordinateur, cela me donne envie d'en faire quelque chose — n'importe quoi, juste pour m'en servir — dans le même genre qu'un enfant à qui on montre un joujou tout neuf (« tout neuf » parce que c'est surtout quand je découvre de nouvelles features que je ressens ça). C'est particulièrement vrai, en ce qui me concerne, pour les technologies du Web : le Web 2.0 est plein de strass et paillettes, moins visuelles que celles de celui de 1996, mais beaucoup plus attractives pour les geeks. Quand je lis les nouvelles features de telle ou telle version de JavaScript, par exemple, ou tout ce qu'on peut faire avec HMTML5, SVG, CSS et compagnie, ça donne envie de jouer avec… Et même, j'avoue ça comme une perversion dont j'ai un peu honte, Java me donne envie de le tripoter dans tous les sens.

Mais pour faire quoi ? Le problème, c'est que dès qu'on regarde de plus près ces bijoux en caoutchouc qui brillent comme des vrais, on se rend compte qu'ils sont, justement, en caoutchouc, et que tout ce qu'il y a autour est beaucoup moins reluisant : tel standard prévoit telle feature extrêmement amusante, mais elle n'est implémentée nulle part, ou de façon incohérente avec le standard, ou il manque un autre truc qui rendrait la feature utilisable, ou le fait de s'en servir casse autre chose (du genre, les pages Web dynamiques, c'est joli, mais ça met en défaut plein de mécanismes d'historique ou de reflow des navigateurs Web), ou plein d'autres briques sont tout simplement mal foutues (en HTML, les événements, ah, comment ont-ils réussi quelque chose d'aussi cassé ?), ou encore il faut être à deux jouer avec tel nouveau gadget (IPv6, ou tel ou tel nouveau caractère Unicode scintillant 😻). Ou on rencontre des problèmes qu'on a soi-même mis en place (l'architecture idiote et obsolète que j'utilise pour ce blog et que je n'en finis pas de ne pas me décider à réécrire ne me permet pas vraiment de profiter de tous les gadgets que je voudrais, que ce soit pour jouer avec du HTML plus moderne ou avec des pages dynamiques). Quand par miracle les choses marchent comme spécifié, on rencontre des tonnes de problèmes d'efficacité. Il y a des bibliothèques entières écrites pour contourner les problèmes des briques d'en-dessous, comme jQuery ou Node.js. Peut-être même y a-t-il des bibliothèques pour contourner les problèmes de ces bibliothèques : tout d'un coup ça ne sent plus bon le bonbon frais, ça ne donne juste plus envie de mettre les mains dans le cambouis.

Du coup, je ne code rien. Au moins, les maths, ça scintille moins, mais la beauté du temple grec ne disparaît pas quand on regarde de plus près. (⇜Hum, en fait, je ne crois pas du tout ce que je dis, là. Il y a plein de cambouis dans les maths aussi.)

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(mercredi)

Un point de grammaire : le participe passé

Quand j'étudiais la grammaire à l'école quand j'étais petit, j'étais toujours déçu de l'insistance mise sur la structure plutôt que sur la sémantique. Pour prendre un exemple qui n'a pas de rapport avec le schmilblick dont je vais parler après, si je dis dans la rue, je viens de voir quelqu'un qui ressemble à un acteur américain, cela peut vouloir dire deux choses : soit que ce quelqu'un avait une tête générique d'acteur américain (à supposer qu'il y ait des traits de visage caractéristiques des acteurs américains en général), soit que je pense à un acteur précis, que je ne nomme pas (peut-être n'en suis-je même pas capable) et qu'il ressemble à cet acteur-là ; j'interprète cette différence, même si c'est discutable, comme une ambiguïté sur l'article un, dont il ne suffit pas de savoir qu'il s'agit d'un article indéfini, il y a plusieurs façons d'être indéfini. Si on n'apprend pas aux enfants à voir ce genre de subtilités, ils vont être tout perturbés de découvrir que dans une autre langue, ces deux phrases se disent sans doute de façon différente (en l'occurrence, je n'ai pas d'exemple en tête de langue qui distingue bien les deux, même si en anglais on peut jouer sur la distinction entre an American actor et some American actor ; mais dans ma tête j'ai vraiment deux sens très différents, et je pense que c'est important pour l'apprentissage des langues).

Quand j'étais à l'école primaire et qu'on nous a fait un cours sur la voix passive, avec un exemple qui ressemblait peut-être à le veau est nourri par la vache, j'ai demandé à l'institutrice : comment se fait-il qu'on n'analyse pas cette phrase comme un attribut du sujet (sujet le veau, verbe est, attribut nourri, complément du participe passé utilisé comme adjectif par la vache) ? Elle a dû me faire la réponse que font les adultes quand les enfants posent une question qui les emmerdent, la pire réponse possible pédagogiquement : parce que c'est comme ça. Pourtant, le problème que je soulevais sans le savoir était un problème très intéressant, et elle aurait pu en profiter pour me faire remarquer que la phrase française la porte est fermée a deux sens bien différents, l'un dans lequel il s'agit d'une phrase passive indiquant une action en cours (la porte est fermée en ce moment par deux gardes armés, elle est en train d'être fermée), l'autre dans lequel il s'agit d'un attribut indiquant un état (la porte est fermée, elle n'est pas ouverte, elle est peut-être même fermée à double tour et verrouillée). En grammaire française, on analyse cette différence comme une différence de structure (verbe passif versus attribut), mais en fait il serait peut-être plus pertinent de s'interroger sur le sens du participe passé.

La vérité est que le participe passé, en français, peut être trois choses : passé actif, passé passif ou même, ce qui est un peu ironique pour un participe qui se prétend passé, présent passif. De plus, quand il a un sens passé, il peut avoir le sens d'un passé d'action ou d'un parfait c'est-à-dire du résultat présent d'une action passée (ce que j'appellerai l'ambiguïté d'aspect, plus loin).

Une langue de grammaire de type indo-européen qui fait des distinctions un peu fines distingue au moins quarte sortes de participes : le présent actif, qui indique que le nom complété accomplit l'action représentée par le participe, le présent passif, qui indique qu'il la subit, le passé actif, qui indique qu'il l'a accomplie, et le passé passif, qui indique qu'il l'a subie. Ceci est très approximatif, bien sûr, pour plein de raisons : les temps peuvent être relatifs ou absolus, par exemple (i.e., présent signifie-t-il en même temps que l'action principale de la phrase ou au moment où le locuteur parle ? je pense que pour un participe c'est toujours relatif, mais je n'y mettrais pas ma main à couper) ; ce que signifie accomplir ou subir une action n'est pas très clair pour des actions sans complément et plus ou moins involontaires (je prendrai l'exemple de tomber plus bas) ; et il peut y avoir des complications dues à la confusion entre temps et aspect. Mais au moins en première approximation, cette distinction est utile.

Un exemple de langue ayant la distinction quadruple est le russe : si mes souvenirs de russe sont corrects, лю́бящая де́вочка (présent actif) signifie une petite fille qui aime, люби́мая де́вочка (présent passif) signifie une petite fille qui est aimée, [по]люби́вшая де́вочка (passé actif) signifie une petite fille qui a aimé et полю́бленная де́вочка (passé passif) signifie une petite fille qui a été aimée. Sauf qu'en fait ces sens sont assez approximatifs : pour commencer, comme le suggère le [по] entre crochets, je glisse un peu de poussière sous la table, à savoir le fait que les verbes russes existent sous deux aspects, appelés l'imperfectif (qui envisage l'action pour elle-même) et le perfectif (qui envisage le résultat de l'action) ; c'est une question un peu byzantine de savoir si ce sont deux verbes qui vont ensemble, l'un perfectif et l'autre imperfectif ou bien un verbe qui a deux formes : toujours est-il qu'ici люби́ть est le verbe imperfectif et полюби́ть le verbe perfectif, que les participes présents actif et passif ne peuvent se former que sur l'imperfectif, le participes passé passif que sur le perfectif, et que le participe passé actif peut se former sur l'imperfectif ou le perfectif (avec une distinction du genre la petite fille qui aimait vs. la petite fille qui a aimé) ; ce n'est ni très logique ni très satisfaisant pour l'esprit ou l'orthogonalité voix/temps/aspect, mais c'est comme ça. En plus, le participe présent passif a aussi un sens du genre la petite fille aimable, et en l'occurrence surtout la petite fille préférée. Bref, avec les langues, les choses sont toujours Plus Compliquées®.

Une autre langue qui a la distinction quadruple est l'esperanto : knabino amanta (présent actif) signifie une petite fille qui aime, knabino amata (présent passif) signifie une petite fille qui est aimée, knabino aminta (passé actif) signifie une petite fille qui a aimé et knabino amita (passé passif) signifie une petite fille qui a été aimée. Il y a aussi des participes futurs. Sauf que, de façon plus surprenante pour une langue artificielle, l'esperanto s'est lui aussi enferré dans des confusions temps/aspect, ou peut-être temps relatif / temps absolu, sous la forme d'une controverse entre l'atismo et l'itismo ; pour faire bref, les atistes ou temporistes ont la logique derrière eux et traduisent il est né par li estis naskata, litéralement il a-été étant-en-train-d'être-né, alors que les itistes ou aspectistes ont Zamenhof derrière eux (l'inventeur de la langue, qui ne s'est apparemment pas rendu compte qu'il était illogique) et traduisent il est né par li estis naskita, litéralement il a-été ayant-été-né. L'académie de l'esperanto (oui, ça existe…) a tranché en faveur des derniers, et de toute façon je ne suis pas certain que l'esperanto puisse vraiment se targuer d'avoir un usage vivant (s'il en a un, il utilise en fait d'autres constructions).

Le grec ancien a une pléthore de participes, parce qu'il y a non pas deux voix (active et passive) mais trois (active, moyenne et passive, la voix moyenne ayant en fait un sens actif mais soit réfléchi soit accompli avec un sens d'intérêt pour soi-même, le sens exact dépendant du verbe), et une multitude de temps (notamment présent, aoriste et parfait, l'aoriste insistant sur l'aspect ponctuel d'une action alors que le parfait insiste sur le résultat présent d'une action passée). On a donc des choses comme φιλοῦσα κόρη (présent actif) pour une jeune fille qui aime, φιλουμένη κόρη (présent passif) pour une jeune fille qui est aimée, φιλήσασα κόρη (aoriste actif) pour une jeune fille qui aima, φιλησθεῖσα κόρη (aoriste passif) pour une jeune fille qui fut aimée, πεφιληκυῖα κόρη (parfait actif) pour une jeune fille qui a aimé, πεφιλημένη κόρη (parfait passif) pour une jeune fille qui a été aimée. Mais je ne saurais pas préciser les nuances très exactes dans le sens de tout ça.

En latin l'éventail des participes est nettement plus réduit. On a le participe présent, qui est un participe présent actif, et le participe passé, qui est passé passif : amans puella signifie la jeune fille qui aime tandis que amata puella signifie la jeune fille qui a été aimée. Je souligne bien ce sens passé et passif du participe passé latin : amatus sum ne signifie pas je suis aimé mais j'ai été aimé (pour je suis aimé, c'est : amor). Il y a cependant des verbes, dits déponents, qui se conjuguent avec des formes passives mais un sens actif : dans ce cas, le participe passé a un sens actif, locutus signifie ayant parlé, à côté du participe présent loquens signifie parlant (et pour ajouter à la confusion, il y a des verbes semi-déponents, qui ont une forme active au présent et passive au parfait, mais pour les participes dont je parle de toute façon ça ne change rien par rapport aux verbes complètement déponents).

Le français dérive du latin, mais le sens du participe passé y est beaucoup moins clair. Si j'écris abandonné par ses amis, il se retrouve seul, le participe passé a un sens passé passif : le personnage a été abandonné par ses amis, et je pourrais rendre le sens passé passif plus clair en remplaçant par ayant été abandonné par ses amis ; idem pour : ici repose Pat Icipe, terrassé par la folie de la grammaire, où visiblement Pat a été terrassé avant de reposer ici. En revanche, si j'écris c'est un garçon au naturel charmant et aimé de tous ceux qui le rencontrent, le participe a clairement un sens présent passif (il est aimé de tous en même temps qu'il est au naturel charmant ; soulignons d'ailleurs que rien ne changerait si je mettais le verbe à l'imparfait, c'était un garçon…) ; idem pour ébloui par la lumière, il ne voit pas ce qui l'entoure. Ce n'est pas une question de verbe, mais de contexte : les pierres traînées jusque là ont été disposées en pyramide est passé passif, tandis que les pierres traînées jour et nuit sur de longues distance finissent par s'abîmer est présent passif. Enfin, dans beaucoup de phrases, on ne sait pas très bien si le sens est présent ou passé : trahi par tous ses proches, il ne sait plus vers qui se tourner (est-il ayant-été-trahi ou en-train-d'être-trahi ?), criblé de balles, il s'effondre (les balles le criblent-elles encore quand il s'effondre ? ça n'a pas vraiment d'importance, en fait), enhardi par nos encouragements, notre champion a triomphé de ses adversaires (l'enhardissement est-il simultané ou antérieur au triomphe ?). À cette confusion sur le temps s'ajoute une confusion sur l'aspect : la porte fermée la veille ne peut pas être de nouveau ouverte marque une action tandis que la porte aujourd'hui fermée à double tour ne peut pas être ouverte sans la clé marque un état, qui est à peu près, mais pas exactement, le résultat de l'action vue comme passée (la différence est surtout frappante quand on observe la façon dont le complément de temps la veille ou aujourd'hui s'applique).

Ceci concerne essentiellement les verbes conjugués avec l'auxiliaire avoir. Pour ceux qui utilisent être, le sens du participe passé est encore différent, puisque cette fois il est actif (ou plus exactement, il est dans la seule voix que le verbe autorise, mais cette voix s'appelle normalement la voix active, même si l'action est plus subie qu'agie) : dans la phrase tombée par terre, la grand-mère ne peut se relever, la grand-mère tombe par terre puis ne peut pas se relever, le participe a donc un sens passé actif. Ces verbes sont en quelque sorte analogues, sémantiquement, des verbes déponents du latin : le participe passé n'a pas de sens passif. Il n'y a pas pour eux d'ambiguïtés sur le temps : je ne crois pas que le participe passé français puisse jamais avoir un sens présent actif (pour ça, il y a un participe présent). Pour illustrer ce fait de façon frappante, je peux donner l'exemple du verbe descendre, qui peut se conjuguer soit avec être soit avec avoir selon le sens qu'on lui donne, ce qui permet au participe descendu d'avoir : un sens présent passif dans la phrase la poubelle descendue par Madame Martin lui échappe des mains et tombe dans l'escalier ; un sens passé passif dans la phrase la poubelle descendue le matin par Madame Martin n'a toujours pas été vidée par les éboueurs ; ou un sens passé actif dans la phrase descendue dans son jardin, Madame Martin profite d'un moment de détente ; en revanche, pour un sens présent actif, on utilise le participe présent : descendant dans le jardin, Madame Martin tombe dans l'escalier et se blesse. En revanche, même dans les verbes conjugués avec être, l'ambiguïté d'aspect subsiste : comparer les phrases mon grand-père, mort aujourd'hui en fin d'après-midi, était un homme bon et mon grand-père, mort aujourd'hui depuis dix ans, est enterré au cimetière de Montparnasse.

L'allemand améliore la logique et la clarté des choses, par rapport au français, en donnant au participe passé un sens toujours passé (et, comme en français, actif ou passif selon que l'auxiliaire régissant sa conjugaison : ein gefallener Engel a le même sens passé actif qu'en français un ange tombé) ; du coup, pour construire le présent passif, on utilise l'auxiliaire werden, dont le sens normal est devenir : die Tür wird geschlossen, littéralement la porte devient [ayant-été-]fermée, donc la porte est en train d'être fermée (alors qu'en français on doit utiliser cette périphrase en train d'être pour insister sur le côté présent passif et non passé passif). Cela permet du même coup de résoudre l'ambiguïté aspectuelle dans une phrase verbale (comme en français) : die Tür ist [heute] geschlossen indique que la porte est [aujourd'hui] dans l'état fermé alors que die Tür ist [gestern] geschlossen worden (où le verbe werden est lui-même utilisé au passé) indique que la porte a été fermée [hier]. (En revanche, dans le contexte d'une apposition, je crois qu'on ne peut pas faire cette distinction : dans les deux cas, il s'agit de die geschlossene Tür ; et théoriquement, die heute geschlossene Tür peut signifier la porte qui a été fermée aujourd'hui, die Tür, die heute geschlossen worden ist, ou bien la porte qui est aujourd'hui dans l'état fermé, die Tür, die heute geschlossen ist. De même, lorsque le participe passé a un sens actif, on ne peut pas faire la différence aspectuelle : er ist gestorben signifie, comme en français, qu'il est mort ou bien qu'il est mort.)

Ceci dit, même en allemand, je pense que par exemple geliebt (le participe passé du verbe lieben, aimer) peut s'employer dans un sens présent passif, comme aimé en français : il est certainement préférable d'écrire er wird geliebt à er ist geliebt pour il est aimé, mais meine geliebte Frau signifie, que je sache, ma femme que j'aime (maintenant) et pas ma femme que j'ai aimé par le passé. Donc même en allemand, la logique peut parfois être sacrifiée au prix de l'expressivité de la langue.

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