David Madore's WebLog: 2024-03

Vous êtes sur le blog de David Madore, qui, comme le reste de ce site web, parle de tout et de n'importe quoi (surtout de n'importe quoi, en fait), des maths à la moto et ma vie quotidienne, en passant par les langues, la politique, la philo de comptoir, la géographie, et beaucoup de râleries sur le fait que les ordinateurs ne marchent pas, ainsi que d'occasionnels rappels du fait que je préfère les garçons, et des petites fictions volontairement fragmentaires que je publie sous le nom collectif de fragments littéraires gratuits. • Ce blog eut été bilingue à ses débuts (certaines entrées étaient en anglais, d'autres en français, et quelques unes traduites dans les deux langues) ; il est maintenant presque exclusivement en français, mais je ne m'interdis pas d'écrire en anglais à l'occasion. • Pour naviguer, sachez que les entrées sont listées par ordre chronologique inverse (i.e., la plus récente est en haut). Cette page-ci rassemble les entrées publiées en mars 2024 : il y a aussi un tableau par mois à la fin de cette page, et un index de toutes les entrées. Certaines de mes entrées sont rangées dans une ou plusieurs « catégories » (indiqués à la fin de l'entrée elle-même), mais ce système de rangement n'est pas très cohérent. Le permalien de chaque entrée est dans la date, et il est aussi rappelé avant et après le texte de l'entrée elle-même.

You are on David Madore's blog which, like the rest of this web site, is about everything and anything (mostly anything, really), from math to motorcycling and my daily life, but also languages, politics, amateur(ish) philosophy, geography, lots of ranting about the fact that computers don't work, occasional reminders of the fact that I prefer men, and some voluntarily fragmentary fictions that I publish under the collective name of gratuitous literary fragments. • This blog used to be bilingual at its beginning (some entries were in English, others in French, and a few translated in both languages); it is now almost exclusively in French, but I'm not ruling out writing English blog entries in the future. • To navigate, note that the entries are listed in reverse chronological order (i.e., the most recent is on top). This page lists the entries published in March 2024: there is also a table of months at the end of this page, and an index of all entries. Some entries are classified into one or more “categories” (indicated at the end of the entry itself), but this organization isn't very coherent. The permalink of each entry is in its date, and it is also reproduced before and after the text of the entry itself.

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Entries published in March 2024 / Entrées publiées en mars 2024:

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(dimanche)

Quatre ans après, quelles sont les leçons retrospectives de la pandémie de covid ?

Cela fait quatre ans (un peu plus ou un peu moins selon l'endroit où on se trouve) que nous est tombée dessus une pandémie qui allait durer, et bouleverser nos vies, pendant environ deux ans. Deux ans de covid suivis par deux ans d'après-covid, peut-être que ce confinementversaire est un bon moment pour regarder en arrière.

J'ai déjà raconté sur ce blog comment j'avais vécu ces journées si particulières de février-mars 2020 menant jusqu'au confinement total en France. J'y repense chaque année en cette saison parce que j'aime relire régulièrement mon journal pour me remémorer ce que je faisais il y a 1 an, 2 ans, 3 ans, 4 ans et 5 ans (en général je m'arrête là), donc forcément, en mars, je me retrouve à repenser à la covid[#] et aux confinements. Peut-être que ce n'est pas une bonne idée : je n'ai toujours pas trouvé comment dépasser[#2] le traumatisme de la sensation d'être emprisonné chez moi et d'avoir dû m'échapper comme un voleur pour aller me promener, et il n'est pas sûr que l'exercice mémoriel annuel m'aide. J'y pense aussi à propos de chaque fournée de nouveaux élèves que je vois passer : quelle année de leur scolarité a été bousillée, et quelles lacunes en conséquence ?

[#] Le fait que j'aie en ce moment un méga-rhume, qui, si j'en crois les autotests que j'ai faits, est sans doute le premier rhume que j'ai depuis la pandémie et qui ne soit pas dû à la covid, et que je ne constate franchement aucune différence de symptômes entre rhume covid et rhume non-covid (j'ai de nouveau une toux pénible), m'aide aussi à me remettre dans l'ambiance.

[#2] On peut dire que j'ai le « confinement long » comme certains ont le covid long : notamment, le fait de rester toute la journée chez moi, comme cela m'arrivait souvent avant 2019, ou même simplement de ne pas quitter mon quartier, provoque maintenant en moi rapidement une sensation de malaise et d'angoisse. C'est un comble vu que je n'aime pas non plus voyager loin de chez moi ! En tout cas, si c'est déjà modérément handicapant, cela risque de devenir bien pire avec le temps si je n'arrive pas à dépasser ce phénomène.

☞ Comment écrire l'histoire de la pandémie ?

Mais ce que me fait très justement remarquer un collègue, c'est que, collectivement, nous ne semblons à ce stade pas (encore ?) très enclins à nous replonger dans cet épisode pour en tirer les leçons ou en écrire l'histoire. La pandémie est finie[#3], mais reste encore à en écrire le récit, ainsi que celui de notre réaction à celle-ci — en tout cas, l'histoire collective, plus que la compilation de témoignages individuels.

[#3] On peut discuter de quand, bien sûr. J'aime bien dire que c'était le , parce que l'attention du monde s'est portée sur un autre problème, mais en vrai je considère que c'était plutôt quelques mois après (printemps-été 2022). Selon l'OMS c'était le , mais hors du cas très spécial de la Chine on ne peut pas vraiment dire que la pandémie ait beaucoup marqué l'année 2022–2023. Quoi qu'il en soit, la fin de la pandémie ne signifie évidemment pas la fin de la maladie : la covid elle-même ne disparaîtra jamais (enfin, pas avant l'extinction des mammifères ou quelque chose de très lointain comme ça). Ce qui a disparu, ce certains n'arrivent pas à enregistrer ce fait, c'est son statut spécial ; ce qui a cessé, c'est qu'on ne regarde plus les graphes de nombre de cas, de nombre d'hospitalisations, de nombre de morts, etc., que nous étions nombreux à scruter presque quotidiennement (ou à compter les vagues).

Certains aspects ont été proprement documentés, c'est vrai. Le déroulement des faits statistiques et strictement médicaux — quand le premier cas a été détecté dans tel ou tel pays, par exemple — est abondamment consigné (cf. par exemple cette chronologie sur Wikipédia et celle-ci par la CDC). On a des statistiques et des graphes de nombre de cas, de nombre de morts, de vaccinations, ce genre de choses, pays par pays, région par région. Je me souviens avoir vu un documentaire intéressant sur la course au développement des différents vaccins : là aussi, la chronologie factuelle est clairement établie.

Cependant, tout ça est à l'histoire de la pandémie ce qu'une succession de récits de batailles serait à l'histoire de la première guerre mondiale : ça en fait partie, mais ce sont des arbres qui cachent la forêt.

Certains éléments historiques font déjà l'objet de polémiques. La question de l'origine du virus SARS-CoV-2, en particulier, a attiré énormément d'attention, à cause de la théorie selon laquelle il résulterait d'un accident de laboratoire (théorie que je qualifierais d'improbable mais pas de déraisonnable — à ne pas confondre avec les théories selon lesquelles il s'agirait d'un événement délibéré et qui relèvent, elles, du complotisme le plus farfelu). À vrai dire je ne trouve pas très intéressante cette question de l'origine du virus, et je ne trouve pas que ça change grand-chose de toute façon ; en revanche la méta-question de pourquoi cet aspect précis de l'histoire de la pandémie semble fasciner tant de gens, et polariser leur opinion, est, pour sa part, beaucoup plus intéressante à mes yeux (et je vais revenir plus bas sur la question de la polarisation de l'opinion).

Une autre chose qui a été étudiée rétrospectivement, notamment à cause de toute la sociologie complotiste qui s'est cristallisée autour, c'est l'« effet gourou » et les médicaments miracles. En France le gourou a été incarné par un certain chercheur médiatique marseillais qui s'est pointé dès le début de la pandémie avec son traitement-miracle dont on a ensuite pu constater que le traitement ne faisait rien du tout ou pire que rien, mais c'était trop tard, le mal était fait, des gens avaient décidé de n'écouter que lui ; puis il y a eu un autre remède censément miracle, tout aussi inefficace. La question de pourquoi les gens croient et veulent croire à ces remèdes miracles, de l'interaction avec les théories du complot, et les mécanismes psychologiques qui font que certains sont plus prêts à accepter un remède qui ne fait rien qu'un vaccin qui fait vraiment quelque chose, sont assez fascinants, mais là aussi, ce n'est qu'une facette de cette pandémie (et finalement rien de vraiment spécifique à elle : le complotisme antivax a une histoire bien plus longue).

Et puis il y a la question des modes de transmission : savoir pourquoi on a cru au début (ou cru qu'on croyait ? ou feint de croire ?) que le virus se transmettait par manuportage, si bien qu'on nous a donné comme consigne abondamment répétée de nous laver soigneusement les mains et qu'on s'est focalisés sur le gel hydro-alcoolique qui ne servait finalement à rien dans une pandémie respiratoire. (Je crois que j'avais vu passer un texte qui expliquait l'origine de cette erreur, mais je ne le retrouve plus.)

C'est d'ailleurs fascinant comme nous aimons regarder les pandémies du passé avec une sorte de condescendance sur les gens d'alors qui faisaient toutes sortes de rituels complètement inefficaces pour se protéger de (disons) la peste, alors que nous avons passé des mois à nous laver très soigneusement les mains, voire à désinfecter ce que nous achetions au supermarché, pour absolument rien. Mais passons.

D'autres aspects de la pandémie, en revanche, ne semblent guère avoir fait l'objet d'une analyse sérieuse.

☞ La dilapidation de la crédibilité des scientifiques

Notamment, il y a la question des prédictions des épidémiologistes-modélisateurs. Celle-là m'a beaucoup intéressé pendant la pandémie (j'avais par exemple écrit ce billet au sujet des biais systématiques dont ils étaient victimes), mais je trouve qu'on n'en a pas vraiment parlé après. Évidemment, ce qui est bien avec le recul du temps, c'est qu'on peut confronter les prédictions à la réalité : cette analyse rétrospective des modèles épidémiologiques est ce que fait cette page pour ce qui est de la France, c'est très intéressant (et assez frappant pour confirmer le fait que les biais de ces modèles sont systématiques et que les scénarios ne représentent pas du tout une fourchette autour de la réalité). Mais on aimerait voir une étude approfondie de la question : qu'est-ce qui a fait que des modèles largement dépourvus de fondement empirique ont été utilisés pour faire des études présentés au public et aux pouvoir politique comme des prédictions scientifiques[#4] ? (Ces modèles sont certes mathématiquement intéressants, j'ai moi-même joué avec, mais je suis bien placé pour savoir que mathématiquement intéressant ne dit pas grand-chose sur la capacité de prédire le réel, même si on ajoute assez de paramètres pour faire agiter la trompe au proverbial éléphant.)

[#4] Encore maintenant, on continue à voir passer (et reprendre par la presse) des études selon lesquelles les mesures prises en France auraient sauvé tel ou tel nombre de vies. Je résume en quoi consiste cette escroquerie scientifique, qui est substantiellement la même que dans l'article de l'équipe de Ferguson au début de la pandémie. On part d'un modèle profondément inadapté à décrire une pandémie humaine, à savoir le modèle SEIR, auquel on ajoute plus de compartiments pour donner l'impression que c'est plus sérieux, mais sans rien faire pour corriger les hypothèses délirantes intrinsèques au modèle SEIR (que les contacts entre personnes sont aléatoires et équiprobables, que tout le monde est également susceptible à l'épidémie, que les gens ne modifient pas leurs comportements à l'épidémie elle-même, seulement aux mesures prises par en haut, etc. — toutes sortes de choses qui sont démontrablement et évidemment complètement fausses). Ensuite, on postule que la seule chose qui peut réduire la transmission de l'épidémie est une mesure prise parmi un ensemble qu'on a choisi d'identifier (confinements, fermetures d'écoles, etc.), on fait une régression sur la dynamique du modèle pour inférer à partir de ce postulat quelle est la réduction de transmission correspondant à chacune des mesures, et on rédige ça en cachant le postulat et en faisant comme si on avait démontré que telle mesure produit telle réduction de la transmission. Débarrassé de sa sophistication modélisatrice, l'article dit juste j'ai postulé que la cause de ceci était cela, et j'observe l'étendue de son effet. Outre que ces articles ne définissent pas un confinement autrement que comme le paquet de mesures pris par la France entre telle et telle date et dont j'ai postulé qu'il était la cause de l'effet que j'observe, l'escroquerie devient généralement apparente quand on applique exactement le même modèle à la Suède : soit on doit ajouter un paramètre d'ajustement ad hoc qui prend une valeur mystérieusement énorme pour la Suède, soit on décide que la Suède a eu l'équivalent d'un confinement (les Suédois se sont autoconfinés), auquel cas le modèle ne démontre en rien l'utilité des mesures prises en France. (Si on veut, l'ensemble des études épidémiologiques sur l'efficacité des confinements semble surtout démontrer que le terme de confinement est performatif par une sorte de consensus social, mais n'explique en rien ce qui constitue ce terme — à part d'avoir décidé de l'appeler comme ça — ou ce qui crée ce consensus.) Pour ma part, j'aimerais vraiment savoir si les auteurs de ce genre de papiers croient vraiment les conneries qu'ils racontent ou s'ils veulent juste allonger leur liste de publication (ou, plus vraisemblablement, sont de malheureux doctorants à qui on fait faire un vil boulot auquel ils ne croient pas du tout).

Cette question est importante parce que, j'ai déjà exprimé cet avis à diverses reprises, ces prédictions par les épidémiologistes-modélisateurs dont le grand public a pu mesurer combien elles étaient imbues d'une confiance excessive, ont endommagé la réputation de la science dans son ensemble. Et à une époque où, dans toutes sortes de domaines, nous avons cruellement besoin qu'on écoute ce que la science et les scientifiques ont à dire, ces gens ont fait un mal fou en mettant en avant des prédictions dont tout le monde pouvait mesurer immédiatement combien elles étaient fausses.

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(samedi)

La dystopie des applications sur smartphone

La cause immédiate de l'écriture de ce billet est que la chaîne de salles de sports où je pratique la musculation (Neoness) a décidé de changer le contrôle à l'entrée de ses clubs et semble[#] maintenant exiger qu'on bippe au portique avec son smartphone sur lequel on aura installé une app qu'ils proposent, plutôt que de simplement présenter une carte de membre comme c'était le cas avant. L'app en question est notée 1.6 étoiles sur 5 en moyenne sur le Play Store d'Android (et je rappelle que le minimum est 1 étoile, pas 0, donc 1.6 étoiles sur 5 doit en fait se comprendre comme 0.6/4, ou 3/20 si on veut), ce qui donne une idée de combien les gens l'aiment, mais à la limite ce n'est pas mon problème : ce qui me préoccupe est plutôt la question de savoir dans quelle mesure il est acceptable d'une part, et légal d'autre part, d'exiger aux clients d'un club de sport, et plus généralement aux gens voulant pratiquer telle ou telle activité ou bénéficier de tel ou tel service, d'installer une app sur leur smartphone (et donc, pour commencer, d'avoir un smartphone permettant d'installer ladite app). Et de façon plus large, je veux réfléchir (réfléchir voulant dire : ranter de façon incohérente[#2]) sur la manière dont les apps pour smartphone nous enchaînent dans ce qui ressemble de plus en plus à une dystopie.

[#] J'écris semble ici, parce que tout est extrêmement confus à ce stade : peut-être que des nouvelles cartes (compatibles avec leur nouveau système) seront censées être disponibles pour les gens qui ne veulent pas utiliser leur smartphone, peut-être qu'elles sont « juste » en retard, peut-être qu'elles seront payantes, rien n'est clair. (Si elles sont payantes, je trouve complètement anormal qu'on me demande de payer un nouveau badge pour accéder à un club de sports dont j'ai déjà payé — comptant — l'inscription annuelle. Mais bon, ça m'emmerde beaucoup moins que de devoir installer une app sur mon téléphone, donc si le choix est entre payer ~15€ pour une nouvelle carte ou installer une app, je préfère payer ; et si le choix est entre payer ~15€ pour une nouvelle carte ou me faire rembourser le temps restant sur mon abonnement, je préfère aussi payer.) ❧ La raison pour laquelle tout ça n'est pas clair est que la première fois que j'ai voulu entrer et qu'on m'a dit que l'ancienne carte ne marchait plus et qu'il fallait installer une app j'ai dit je n'ai pas de smartphone avec moi et on m'a laissé passer ; et la seconde fois je voulais quand même savoir si ça marchait, donc j'ai badgé avec leur app de m●rde. Je ne voulais pas m'engueuler avec le préposé à l'entrée, qui n'y est pour rien et dont ce n'est pas le boulot : j'attendrai de voir si je peux parler au responsable du club. Mais comme le cas précis de Neoness n'est qu'un prétexte pour parler du problème de façon plus large, peu importent ces détails.

[#2] Et avec quantité de digressions présentées sous la forme de notes. D'ailleurs, tant que j'y suis à digresser, il faudrait un jour que je trouve un terme en bon français bien de chez nous pour remplacer le franglicisme ranter. Peut-être déblatérer ?

☞ À qui les apps mobile rendent-elles service ?

Il y a une app pour ça nous promettait le slogan qui nous a fait passer dans la seconde phase de la téléphonie mobile, celle où on est passé du téléphone mobile de base qui servait juste[#3] à échanger des appels et des SMS et peut-être à prendre des photos, à un appareil à tout faire, indispensable accessoire pour tant de nos activités quotidiennes. Notez bien que je ne me plains pas en soi de l'avènement du smartphone : avoir Internet tout le temps dans la poche me rend vraiment service (pour consulter Wikipédia ou quelques autres sites Web, utiliser des cartes, accéder à distance à des fichiers sur mes propres ordinateurs), et je ne regrette pas le bon vieux temps. Et même s'agissant des apps, il y en a quelques unes qui me sont vraiment utiles[#4].

[#3] Bon, en fait il y a eu très tôt des sortes d'applications sur les téléphones pré-smartphone : certains jeux étaient préinstallés sur le téléphone, et sur certains on pouvait installer d'autres choses. Mais comme ces téléphones n'avaient qu'un accès limité à Internet (et qu'Internet sur mobile coûtait la peau du c●l), peu de gens installaient quoi que ce soit ; et comme en plus les téléphones étaient peu compatibles entre eux, il n'y avait pas de vrai écosystème d'apps comme il y a maintenant sous Android et iOS. Il aurait été impensable à plus d'un titre, à cette époque, d'exiger une app sur téléphone pour quoi que ce soit.

[#4] Notamment, comme je le disais dans ce billet, OsmAnd pour avoir des cartes hors ligne, QuickDic pour des dictionnaires hors ligne, Signal comme application de messagerie, PlanetDroid pour connaître l'heure de lever et coucher du soleil et de la lune, et quelques autres de ce genre.

Mais quand même, on est en droit de se demander : à qui les téléphones cherchent-ils à rendre service ?

Une amie m'avait fait la remarque (ça devait être à l'ère pré-smartphone) que les téléphones mobiles rendaient surtout service aux gens qui cherchent à vous joindre — et pas forcément à vous si vous êtes de ces personnes qu'on cherche à joindre plus souvent qu'elle ne cherche à joindre les autres : on présente ça comme un outil fabuleux, et parfois il l'est, mais ça peut aussi être un mécanisme d'asservissement, notamment à l'obligation sociale d'être tout le temps joignable[#5].

[#5] On peut dire la même chose des mails, qui ont créé la norme sociale qu'on est « censé » les lire en moins de 24h, ce qui représente aussi un sacré asservissement.

Il en va de même des apps sur mobile : parfois elles sont effectivement là pour vous rendre service, mais souvent elles rendent surtout service à la personne qui a créé l'app : il y a du vrai[#6] dans l'adage que si c'est gratuit c'est que c'est vous qui êtes le produit.

[#6] Ce n'est pas toujours vrai, heureusement, il y a des gens qui ne sont pas des connards et qui développent bénévolement des logiciels libres ; mais comme je l'ai déjà signalé l'écosystème des smartphones est extrêmement pourri et tourné vers la recherche du profit, et il n'y y a que très peu de logiciels libres : quasiment toutes les apps (même des choses qui ont dû demander cinq minutes à écrire) sont soit payantes soit infestées de pubs soit destinées à rendre plus service à l'entité qui les a développées qu'à la personne qui les installe. Et c'est vraiment une question de culture, parce que dans le monde des ordinateurs ce n'est pas ça qui manque, les programmes, mêmes complexes, qui sont libres, gratuits, sans pubs et développés sans arrière-pensée malsaine.

Globalement parlant, si on essaie de vous inciter à installer une app, c'est probablement que vous ne devriez pas installer cette app ; et la note incroyablement basse de l'application Neoness que j'évoque plus haut en est une bonne illustration. C'est un petit peu exagérément simplifié, mais il y a de ça. Les apps vraiment utiles pour moi (exception faite de celles de Google, qui sont un peu à part parce que ce sont de toute façon eux qui développent Android donc ils ont un intérêt plus subtil dans l'affaire), j'ai dû découvrir leur existence par moi-même, on n'a pas essayé de me convaincre de les utiliser (bon, peut-être quelques amis dans le cas de Signal, mais en tout cas pas les gens à l'origine de l'app).

☞ Apps mobiles vs. webapplications

Il y a un dessin de xkcd qui résume très bien les choses : il montre un popup sur un site Web pour mobile qui affiche Want to visit an incomplete version of our website where you can't zoom? Download our app! et les deux choix sont OK ou No, but ask me again every time. Ceci mérite quelques commentaires. Pourquoi au juste tient-on à nous faire installer une app mobile plutôt que passer par un site Web ? Je n'ai pas forcément la réponse complète, mais j'ai des éléments de réponse qui doivent couvrir l'essentiel des cas. (Je renvoie à mon long billet de vulgarisation pour les généralités sur le Web et son fonctionnement technique qui sont plus ou moins pertinentes ici.)

D'abord, il est vrai qu'il y a des choses qu'on peut faire dans une app et pas dans un site Web. Mais la différence n'est pas aussi prononcée qu'on pourrait le croire : comme je l'explique dans le billet que je viens de lier, le Web moderne permet à tout site de se comporter comme une véritable application ; en gros, un site Web est une app qui tourne sur votre navigateur comme n'importe quelle app mobile en est une qui tourne sur Android/iOS : il y a des différences techniques comme le fait que l'app Web est normalement écrite en JavaScript alors que l'app mobile est écrite en Java pour Android ou Objective-C pour iOS, mais peu importe. Et de fait, on trouve des exemples d'applications assez complexes sous forme de sites Web, de la suite bureautique (Google Docs) à des jeux en passant par toutes sortes de réseaux sociaux. (Comme il est beaucoup plus pénible de diffuser des apps pour ordinateurs fixes que pour mobiles, beaucoup de services qui veulent pouvoir être accessibles sur fixe et sur mobile, comme les réseaux sociaux, ont une app mobile en plus d'un site Web, ce qui interroge forcément sur l'utilité de la première.) Et on aurait tort, aussi, de croire que le JavaScript tournant dans un site Web est forcément significativement plus lent qu'une app mobile : bon, peut-être que pour des choses extrêmement critiques la différence est pertinente mais certainement pas pour 99% des apps qu'on utilise normalement sur smartphone.

Alors il est vrai que certains éléments du smartphone ne sont pas forcément utilisables depuis un site Web. Mais même sur ce plan la différence n'est si claire : après tout un site Web peut demander, par exemple, à consulter la position relevée par le GPS (évidemment, votre navigateur vous demandera votre permission avant de permettre à l'application Web de l'obtenir ; et d'ailleurs, le système d'exploitation mobile vous demandera aussi votre permission avant de permettre au navigateur de l'obtenir). Un site Web doit aussi pouvoir demander la permission d'accéder à la caméra du téléphone, ou à son microphone. Je ne sais pas s'il y a des mécanismes (API) d'accès aux accéléromètres ou autres capteurs de ce goût, et il n'y a probablement pas moyen de faire du NFC ou du Bluetooth un peu fin, mais on voit quand même qu'il y a une certaine flexibilité dans ce qu'on peut faire en JavaScript depuis une page Web (et donc en utilisant, en quelque sorte, le navigateur comme un système d'exploitation mobile).

D'ailleurs, c'était l'idée derrière Firefox OS, un système d'exploitation pour mobile que Mozilla avait commencé à développer (j'ai brièvement eu un téléphone sous ce système, mais malheureusement il est mort — le système d'exploitation, je veux dire, pas le mobile) : le téléphone faisait tourner essentiellement une seule chose, à savoir Firefox, et la frontière était totalement abolie entre un site Web et une application Firefox (OS). Notamment, on pouvait tester une application sans l'installer, puisque de toute façon la procédure d'installation ne faisait que rendre l'application disponible en local, mais sans changement fondamental par rapport à utiliser directement le site Web. Le système de permissions était très bien fait (il était très en avance sur Android, et il a été partiellement repris par ce dernier), et donnait un bon contrôle à l'utilisateur. Bref, ce système d'exploitation mobile aurait été (du point de vue de l'utilisateur) tellement meilleur qu'Android et iOS — si seulement le succès n'était pas une question d'argent — et c'est une tragédie[#7] que Mozilla n'ait pas eu les moyens suffisants pour lui tailler une place dans l'écosystème mobile. Mais on sait déjà que le monde informatique favorise les oligopoles de la médiocrité.

[#7] On pourrait quand même espérer une forme de retournement de la chance sous la forme suivante : que les navigateurs Web finissent par adopter les interfaces permettant de faire depuis une page Web tout ce que Firefox OS aurait permis (y compris une forme de copie locale du site), si bien que Firefox sur Android puisse servir de facto de Firefox OS (la couche Android n'étant là que pour prendre de la place) ; et que progressivement les gens prennent l'habitude de refuser d'installer des apps sur mobile et exigent des sites Web. Malheureusement, on ne semble pas trop en prendre la voie. Et comme Google a la main à la fois derrière Android et derrière le navigateur Chrome, il ne se prive pas pour abuser de sa position dominante ; côté iOS, c'est encore pire puisque, jusqu'à ce que l'Union européenne n'oblige Apple à rendre un peu de liberté à ses utilisateurs (et encore, Apple n'y a consenti, sous la menace légale, que dans l'Union européenne), le seul navigateur possible sur iOS était celui d'Apple, Firefox pour iOS n'étant qu'une couche de vernis autour.

☞ Pourquoi on veut nous faire installer une app

Mais je digresse. Ce que je veux dire, en tout cas, est que dans la grande majorité des cas, ce que je cherche à faire est faisable uniquement dans une app et pas dans un site Web n'est pas la vraie raison pour laquelle on cherche à vous faire installer une app — si tant est que ce soit mis en avant, c'est plutôt un prétexte. (Il y a bien quelques cas où il me semble légitime qu'une app sur smartphone soit nécessaire pour accéder à un service : par exemple un système de location de voitures, mais je vais y revenir.)

La vraie raison est pour laquelle on cherche à nous pousser à utiliser une app surtout à chercher dans deux choses. D'abord, une app il faut l'installer, alors qu'un site Web on se contente de le visiter (comme je le dis ci-dessus, Firefox OS prévoyait un mécanisme par lequel des webapplications auraient permis une copie locale, ce qui serait d'ailleurs souhaitable pour plein de raisons, mais en l'état, un site Web il n'est consultable qu'en ligne). Du point de vue de l'utilisateur ça peut effectivement être une raison légitime, si l'application est destinée à pouvoir servir même là où on n'a pas forcément de couverture réseau — mais la plupart des apps mobiles ne marchent de toute façon pas sans accès au réseau, donc ce n'est pas vraiment ça. Du point de vue du concepteur de l'app, le fait d'obliger l'utilisateur à l'installer lui donne une métrique, le nombre de téléchargements de l'app, et les commerciaux aiment bien les métriques à maximiser et à mettre en avant sur leurs présentations PowerPoint : téléchargements égale visibilité égale pouvoir, ou quelque chose comme ça.

L'autre chose, c'est surtout qu'une app donne plus de pouvoir qu'un site Web, et je parle là de pouvoir de s'opposer à l'utilisateur ou de le contrôler. Par exemple, mais ce n'est qu'un exemple d'un phénomène plus large, il est beaucoup plus difficile de bloquer les pubs dans une app mobile que de bloquer les pubs dans un site Web.

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(dimanche)

Sur le dangereux mythe du « génie »

Quand l'an dernier j'ai écrit un billet sur l'intelligence artificielle je me suis dit que je devrais en faire un aussi sur l'intelligence naturelle — pour expliquer, en gros, que je trouve que, sans nier que des gens différents réfléchissent de façon différente, l'intelligence est un terme tellement vague et fourre-tout qu'il ne veut plus rien dire du tout, et qu'en gros à chaque fois que quelqu'un essaie de s'en servir c'est une tentative d'escroquerie. Je n'exclus pas de faire ce billet un jour ultérieur, mais je voudrais commencer par un sujet proche quoique légèrement différent : le mythe du génie. Je ne veux pas parler ici des djinns des Mille et Une Nuits, mais des gens supposés avoir des capacités exceptionnelles dans un domaine intellectuel, artistique, militaire, politique, commercial, ou quelque chose de ce genre.

Le mythe du génie existe sous différentes variantes. Il y a par exemple le mythe du petit génie, c'est-à-dire du génie précoce : je me sens particulièrement enclin à démystifier celui-là parce qu'on a plus ou moins essayé de me faire passer comme tel quand j'étais ado, ce qui a certainement nui à mon développement émotionnel et à mes chances de construire des relations humaines saines[#] (heureusement j'avais des amis solides qui n'étaient pas victimes de ce mirage) ; donc maintenant, à chaque fois que j'entends parler d'un « petit génie » je pense surtout qu'on est en train de casser les chances d'un gosse d'avoir une enfance normale en le traitant comme une bête de foire[#2].

[#] Je veux dire que non seulement cette illusion du petit génie tendait à me mettre à l'écart des autres comme « le mec bizarre », mais ça m'encourageait à me justifier à moi-même ma mise à l'écart parce que je vaudrais mieux qu'eux, — et donc à faire de moi un petit con prétentieux. Les choses sont évidemment plus complexes et plus nuancées que cette présentation simpliste (je n'ai certainement pas été ostracisé pendant ma scolarité, même si j'ai largement été considéré comme bizarre ; et si on est en droit de penser que je suis resté un petit con prétentieux j'espère avoir changé au cours des 30 dernières années), mais il me semble que laisser des enfants croire qu'ils sont des petits génies, ou laisser leurs pairs le croire d'eux, ne peut que nuire à leur épanouissement.

[#2] Il y aurait aussi tout plein d'autres choses à dire sur le concept de haut potentiel intellectuel, qui semble plus en vogue parce que petit génie ne fait pas très scientifique, et parce que c'est superficiellement plus modeste (et plus difficilement falsifiable puisque c'est juste du potentiel). À mes yeux, c'est un concept tout aussi nuisible, mais sans doute plus une escroquerie orientée vers les parents tout prêts à croire que Chérubin a un grand potentiel c'est-à-dire qu'il est très spécial. Comme je ne suis pas parent, et que ce terme ne semblait pas trop utilisé quand j'étais gosse, je ne m'étends pas là-dessus.

Mais il y a aussi le mythe du grand génie, c'est-à-dire quelqu'un qui fait quelque chose d'inaccessible à tout autre, qui a des éclairs de fulgurance (coups de génie) pouvant aller jusqu'à transformer l'Humanité (ou tout un domaine scientifique, artistique, etc.) : celui qui laisse vraiment une marque dans l'Histoire.

Quand je dis que c'est un mythe, ce n'est évidemment pas une affirmation scientifique précise : la notion étant mal définie pour commencer, il est difficile de prendre une position qu'on puisse assujettir à un test statistique : les génies existent-ils ?. Mais disons que je ne vois rien sous cette notion qui ne puisse s'expliquer par une combinaison de motivation et d'efforts ordinaires, de chance, et surtout d'un énorme effet de sélection et mirage de la célébrité dans la manière dont nous aimons repenser le passé pour en faire de jolies histoires — ainsi que d'un effet « boule de neige » dont je dois reparler.

L'Histoire avec une grande ‘H’ est une aventure collective : mais une aventure collective, c'est difficile à raconter, donc quand notre culture la digère pour en recracher un narratif, elle tend volontiers à chercher des héros (et des anti-héros) autour desquels centrer le récit. Dans certains domaines ces figures qui servent à cristalliser l'Histoire peuvent être celles qui ont beaucoup de pouvoir, beaucoup de courage, ou que sais-je encore : quand il s'agit d'écrire l'histoire des sciences ou des arts, ce sont les « génies ». C'est tellement plus commode de raconter les choses en les coalesçant autour d'une poignée de noms emblématiques (auxquels on peut dédier ensuite une rue ou ériger une statue[#3]) que de regarder la réalité forcément brouillonne et irrégulière du progrès, que nous succombons à ce mythe avec enthousiasme.

[#3] Quelque part il faut aussi que j'écrive un billet pour protester contre cette manie de nommer les choses d'après des gens et de leur ériger des statues. Au mieux c'est planter des arbres pour cacher la forêt. Au pire, on découvre que ces gens qu'on a érigés en icônes ont des côtés moralement pas très reluisants (et nous en avons certainement tous, quoique certains plus que d'autres évidemment) : et tout d'un coup on est embarrassé d'avoir cette rue ou cette statue qui font tache.

Pour être clair, je ne cherche pas à nier que, disons, Léonard de Vinci (pour prendre un exemple un exemple archétypal du « génie ») était un très grand peintre et un très grand ingénieur. Mais il est à l'image de sa Joconde qui focalise les regards de millions de touristes venus au Louvre pour voir ce tableau et nul autre : une sorte de délire collectif qui voudrait nous faire oublier la forêt pour ne voir que cet arbre.

J'ai souvent défendu, ici et ailleurs (par exemple dans ce vieux billet — que je devrais peut-être réécrire —, ou en passant dans celui-ci), la thèse selon laquelle c'est un mythe que le succès (sous toutes ses formes : popularité, reconnaissance, réussite en affaires, etc.) serait mérité plutôt qu'être essentiellement dû au hasard. Un mythe qui, à mes yeux, découle de notre volonté de croire à l'inévitabilité et une forme de morale dans l'Histoire (sophisme du monde juste). S'agissant spécifiquement de la Joconde, on sait très bien que sa popularité est le fruit de divers accidents largement indépendants de sa qualité : un texte écrit en 1869 par Walter Pater, et son vol en 1911 (voir par exemple cette vidéo et cet article de Britannica pour l'histoire de la célébrité de cette œuvre précise). On peut assurément penser que la Joconde est un très beau tableau, mais il n'est pas tenable une seule seconde de prétendre qu'il est tellement exceptionnel qu'il éclipse à lui seul quasiment tout le reste du contenu du Louvre : les gens veulent le voir parce qu'il est célèbre, et il est célèbre parce que tant de gens le voient et en parlent et réutilisent son image — c'est un effet « boule de neige ».

Les réseaux sociaux modernes favorisent grandement cet effet « boule de neige » de la célébrité et du succès en général : une histoire devient « virale », comme on dit, en petite partie à cause de son intérêt intrinsèque, mais énormément à cause du fait que plus elle est reproduite plus elle a de chances d'être reproduite de nouveau. Il en va de même de toutes les métriques de ce genre : le nombre d'abonnés d'un compte YouTube, par exemple. Et on sait très bien que ce n'est pas reproductible (donc pas intrinsèque) parce qu'on a quantité d'exemples de situations où plusieurs personnes ont tweeté exactement la même chose, mais l'une des copies a eu un succès planétaire et pas l'autre : il n'y a pas plus de logique à ça qu'au fait que de deux boules de neige, l'une peut déclencher une avalanche et l'autre pas. La qualité peut aider à rencontrer la popularité, il y a sans doute une corrélation, mais elle n'est ni vraiment nécessaire, ni certainement suffisante. (Il y a d'ailleurs des gens qui dont la raison d'être célèbre est justement d'être célèbres, du genre Kim Kardashian.)

Mais ce n'est pas tellement ce caractère aléatoire du succès qui m'intéresse ici. C'est déjà un peu plus le mythe du mérite, que nous construisons autour parce que nous n'aimons pas croire au hasard, parce que nous avons le cerveau tellement câblé à chercher des causes et des corrélations que nos ancêtres ont inventé des dieux qui régissent l'Univers en cherchant des motifs dans la météo ou d'autres phénomènes naturels.

Le mythe du mérite n'est nulle part aussi frappant que dans le fantasme autour du supposé génie des milliardaires en affaires, et notamment des milliardaires de la tech.

Il y a plein de gens qui sont persuadés que puisque Bill Gates, Steve Jobs, Jeff Bezos, Mark Zuckerberg et maintenant souvent Elon Musk, sont aussi riches, c'est forcément que ce sont des génies visionnaires. C'est fascinant à quel point ce mythe est fort : on ne devient pas l'homme le plus riche du monde par chance m'a-t-on dit régulièrement. Ben si, évidemment que c'est possible : même si tout le monde passait sa vie à jouer au casino, il faudrait bien qu'il y ait une personne la plus riche du monde, et ça ne signifierait pas qu'elle ait la moindre capacité à prédire le mouvement de la boule de la roulette.

Le mirage des milliardaires s'explique parfaitement par l'effet de sélection : des tas de gens ont parié leur argent sur des tas de projets d'entreprises qui avaient une certaine chance de réussir et une certaine chance de se planter, et c'était essentiellement imprévisible parce que le succès est imprévisible et essentiellement aléatoire : l'essentiel de ces gens ont juste perdu leur argent, et on ne s'intéresse qu'à ceux qui ont réussi, donc par définition ils ont réussi, et il n'y a rien à expliquer à part qu'on s'intéresse à eux parce qu'ils ont réussi. Si on veut expliquer le pourquoi eux, on peut dire qu'ils étaient en général riches pour commencer (pas forcément multi-milliardaires, mais au moins passablement riches), ce qui leur a permis d'emprunter assez pour investir beaucoup, voire investir de façon répétée dans des projets risqués sans risquer de se retrouver sur la paille alors que des gens moins riches avaient une seule chance dans la vie. (Encore une fois, évidemment, il y a plein de gens riches qui ont investi beaucoup et se sont plantés — et pas retrouvés sur la paille mais juste un peu moins riches qu'ils ne l'étaient — mais on n'en parle pas trop, parce qu'on ne fait pas une étude statistique sérieuse.)

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