David Madore's WebLog: 2023-08

Vous êtes sur le blog de David Madore, qui, comme le reste de ce site web, parle de tout et de n'importe quoi (surtout de n'importe quoi, en fait), des maths à la moto et ma vie quotidienne, en passant par les langues, la politique, la philo de comptoir, la géographie, et beaucoup de râleries sur le fait que les ordinateurs ne marchent pas, ainsi que d'occasionnels rappels du fait que je préfère les garçons, et des petites fictions volontairement fragmentaires que je publie sous le nom collectif de fragments littéraires gratuits. • Ce blog eut été bilingue à ses débuts (certaines entrées étaient en anglais, d'autres en français, et quelques unes traduites dans les deux langues) ; il est maintenant presque exclusivement en français, mais je ne m'interdis pas d'écrire en anglais à l'occasion. • Pour naviguer, sachez que les entrées sont listées par ordre chronologique inverse (i.e., la plus récente est en haut). Cette page-ci rassemble les entrées publiées en août 2023 : il y a aussi un tableau par mois à la fin de cette page, et un index de toutes les entrées. Certaines de mes entrées sont rangées dans une ou plusieurs « catégories » (indiqués à la fin de l'entrée elle-même), mais ce système de rangement n'est pas très cohérent. Le permalien de chaque entrée est dans la date, et il est aussi rappelé avant et après le texte de l'entrée elle-même.

You are on David Madore's blog which, like the rest of this web site, is about everything and anything (mostly anything, really), from math to motorcycling and my daily life, but also languages, politics, amateur(ish) philosophy, geography, lots of ranting about the fact that computers don't work, occasional reminders of the fact that I prefer men, and some voluntarily fragmentary fictions that I publish under the collective name of gratuitous literary fragments. • This blog used to be bilingual at its beginning (some entries were in English, others in French, and a few translated in both languages); it is now almost exclusively in French, but I'm not ruling out writing English blog entries in the future. • To navigate, note that the entries are listed in reverse chronological order (i.e., the most recent is on top). This page lists the entries published in August 2023: there is also a table of months at the end of this page, and an index of all entries. Some entries are classified into one or more “categories” (indicated at the end of the entry itself), but this organization isn't very coherent. The permalink of each entry is in its date, and it is also reproduced before and after the text of the entry itself.

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(mercredi)

Les derniers jours de Versailles d'Alexandre Maral et Sept Jours d'Emmanuel de Waresquiel

J'ai fini il y a quelques semaines déjà de lire le premier livre nommé dans le titre de ce billet, mais j'étais trop occupé à ranter sur plein d'autres sujets pour en parler (la manière dont je rédige ce blog rend difficile la rédaction de plusieurs entrées en parallèle, et c'est d'ailleurs un problème avec l'inflation de taille — et donc de temps pour les rédiger — que je n'arrive pas à contrôler).

☞ Les Derniers Jours de Versailles

Les derniers jours de Versailles d'Alexandre Maral (2018, édition revue et augmentée 2022) est un livre qui expose, de façon assez scrupuleusement chronologique, le déroulement de la première année de la Révolution française, dans la ville de Versailles. Autrement dit, il commence le et suit le déroulement des grandes journées de la première phase de la Révolution, et des moins grandes journées entre elles, jusqu'au départ de Louis XVI (le ), puis de l'Assemblée nationale, pour Paris. À de petites exceptions près (parce qu'on ne peut pas complètement s'épargner d'évoquer au moins allusivement ce qui s'est passé ailleurs), l'auteur s'impose cette unité de lieu : Versailles, et uniquement Versailles. Et à part brièvement dans un prologue pour rappeler le contexte, et tout aussi brièvement dans le chapitre final pour évoquer le devenir du château lors de la suite de la Révolution et la vision rétrospective du roi dans l'épilogue, il se tient aussi à cette unité de temps : 1789, et uniquement 1789. En outre, l'auteur s'interdit la prolepse : les événement nous sont narrés tels que vécus au moment où ils se sont déroulés, du moins autant que l'historien peut les reconstituer, mais sans la perspective du recul temporel : l'idée est de restituer, autant que possible, l'enchaînement serré des événements à la lumière de la perception qu'en ont eue les habitants du lieu — souverains, courtisans, députés, citadins. Comme l'explique Maral dans l'introduction de ses Derniers jours de Versailles :

Pour l'historien aujourd'hui, qui connaît la suite de l'histoire, les événements de 1789 ont un sens que leurs contemporains, surtout à Versailles, ont été loin de pouvoir comprendre. En outre, déconcertés par l'enchevêtrement des faits, des questions, des enjeux, ils ont été, dans bien des cas, incapables de développer une analyse critique et d'opérer un tri susceptibles de fonder une conduite rationnelle. Pour autant, sans recul, partielle et partiale, cette vision déformée est dans une certaine mesure plus authentique que la relation faite a posteriori par l'historien. Elle seule permet de comprendre le déroulement de certains faits qui nous surprennent aujourd'hui, comme la séance royale du  […].

La table des matières donnera une idée du contenu :

  • Introduction. C'est donc une révolte ?
  • Prologue. La révolution royale
  • I. Jeudi , la cérémonie de l'ordre du Saint-Esprit
  • II. La France vue de Versailles
  • III. La préparation des états généraux
  • IV. Lundi , la procession d'ouverture des états généraux
  • V. Mardi , la première séance
  • VI. Les états généraux en marche vers l'Assemblée nationale
  • VII. Mercredi , la fin de la monarchie absolue
  • VIII. Samedi , le serment du Jeu de paume
  • IX. Mardi , la séance royale
  • X. Mardi , la prise de la Bastille
  • XI. Mardi , l'abolition des privilèges
  • XII. L'été indien de la monarchie
  • XIII. Mercredi , la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
  • XIV. Les grands débats de septembre
  • XV. Jeudi , le banquet de l'opéra
  • XVI. Lundi , Versailles assiégé
  • XVII. Mardi , le dernier jour de Versailles
  • XVIII. L'Assemblée sans le roi
  • XIX. Tâchez de me sauver mon pauvre Versailles
  • Épilogue. L'année sans pareille
  • Références
  • Index

Alexandre Maral est conservateur général et directeur du centre de recherches du château de Versailles.

☞ Sept Jours

En même temps, il est impossible de parler du livre de Maral sans évoquer aussi, tant leur sujet est proche, celui d'Emmanuel de Waresquiel, Sept Jours (2020), consacré aux journées du  au  et sous-titré La France entre en révolution, que j'ai lu il y a deux ans (et que je n'ai pas relu, seulement rapidement reparcouru, pour écrire ce billet, donc mon souvenir n'est pas forcément exact). Ces deux livres, qui livrent une perspective toute différente, sont complémentaires. La période de temps ciblée par Waresquiel, qui va de la constitution de l'Assemblée nationale jusqu'à la « séance royale » le mardi suivant, est encore plus étroite (une semaine !) que celle que choisit Maral, mais c'est une étroitesse en trompe-l'œil, car le propos de Waresquiel n'est pas de suivre l'ordre chronologique et de rester enfermé dans une unité de temps et de lieu, mais plutôt d'utiliser cette période qu'il considère comme cruciale de la Révolution pour livrer une perspective plus large. Waresquiel écrit dans l'avant-propos de ses Sept Jours :

On l'aura compris, il y a dans ce livre plusieurs scènes. Je ne reste pas à Paris et à Versailles. Je ne me cantonne pas non plus aux sept « premiers » jours de la Révolution. Je regarde en arrière et parfois en avant. Je me promène à travers la France : celle des émeutes parlementaires de juillet 1789, des élections de mars et d'avril 1789, celle des sociétés de pensée, des journaux, des pamphlets et de l'opinion — ce que Jürgen Habermas appelle l'espace public du politique, qui à cette époque arrive à maturité.

Je ne recopie pas la table des matières du livre de Waresquiel parce que c'est un peu long : 82 brefs chapitres, regroupés en trois grandes parties, Le roi ou la nation ?, Nous le jurons et Échec et mat ; mais disons qu'ils sont plus thématiques que strictement chronologiques (exemple de titre de chapitre : Violences électorales — il y parle du climat de peur dans lequel se sont déroulées les élections d'avril 1789). Waresquiel est chercheur à École pratique des hautes études.

☞ Différence d'approche

Disons aussi que Waresquiel s'adresse clairement au grand public (dont je fais partie : ce n'est pas un reproche) : au public féru d'histoire, sans doute, mais probablement pas aux historiens de métier : il écrit comme quelqu'un qui cherche un succès d'édition, donc à captiver son lectorat, et n'hésite pas à livrer sa vision et ses réflexions personnelles ou à jouer de la rhétorique (autre exemple de titre de chapitre : Élections, piège à cons) ; tandis que le livre de Maral semble plus académique, et peut-être même un peu froid par moments : il s'adresse aussi au grand public, bien sûr (ce n'est pas un ouvrage de recherche stricto sensu, comme en témoigne le fait que les références ne sont pas collectées dans des notes en bas de page), mais il garde un style dans lequel je crois reconnaître celui de l'historien habitué aux publications de recherche plus qu'aux éditions grand public (là non plus ce n'est pas un reproche : j'ai aussi l'habitude de lire les publications académiques, et quoique certainement moins souvent en histoire qu'en maths, ça m'arrive).

J'ai beaucoup aimé ces deux livres, même si celui de Waresquiel m'a semblé peut-être plus désordonné si bien que j'ai préféré celui de Maral (mais le problème est peut-être simplement qu'il eût mieux valu les lire dans l'autre ordre, celui de Maral donnant un aperçu solide et précis des faits dans leur contexte chronologique avant de passer à la mise en perspective commentée fournie par le livre de Waresquiel).

(Je vais tenter de restituer dans ce qui suit certaines des informations que j'ai retenues de ces deux livres, surtout pour la partie qu'ils traitent en commun. J'avertis néanmoins que je n'ai pas revérifié chaque information que je donne généralement de mémoire après ma lecture, et qu'il est par ailleurs possible soit que ma compréhension ait été mauvaise soit que ma reformulation ait déformé : donc même en admettant que les livres que je décris soient un reflet parfait de la réalité historique, ce qui suit n'en est sans doute pas un — c'est juste censé être un reflet de ce que j'ai retenu et de ce qui m'a intéressé.)

☞ Sur le caractère de Louis XVI

Même s'ils ne se contredisent pas, l'impression qui résulte (ou du moins, qui en a résulté sur mon esprit) de ces deux livres peut être assez différente, et complémentaire. Par exemple, pour ce qui est du tempérament de Louis XVI, Waresquiel consacre un certain nombre de pages à réfuter la description qui est souvent faite du roi comme bon mais faible et indécis, parfois même décrit comme imbécile : il (Waresquiel) note au contraire qu'il (Louis XVI) était précis et pointilleux, renfermé et amateur de solitude (qu'il trouvait notamment à la chasse), méfiant et parfois brusque, sûr de son pouvoir ; que la bonté dont on parle à son sujet peut être une projection de ses contemporains (reflet de sa popularité) ou un terme que nous comprenons de travers ; qu'il a bien su, auparavant, prendre des décisions importantes (comme renvoyer les ministres hérités de son grand-père, financer la guerre d'indépendance américaine ou abolir le servage) quand il se sentait bien conseillé, mais qu'entouré de ministres pour qui il n'a que peu de sympathie (Necker), face à des problèmes qu'il comprend mal (les finances), incapable de penser autrement qu'au travers le système absolutiste qu'il a hérité de ses prédécesseurs, ne supportant pas la contradiction, et se sentant peut-être puni par le ciel (la maladie puis la mort de son fils), il a été comme paralysé devant la crise. Maral, lui, ne cherche pas à livrer une analyse du caractère du roi, donc c'est plutôt au lecteur de la trouver dans les faits exposés ; mais Louis XVI apparaît comme plutôt animé de bonne volonté et persuadé de celle de la majorité de ses sujets, mais à la fois difficile d'accès et dépassé par les événements. Toutes ces choses peuvent être vraies à la fois : de toute façon, il est difficile de saisir ou décrire brièvement une personnalité, qui a toujours de nombreuses facettes plus ou moins difficiles à relier, même quand nous en sommes proches et familiers, et à plus forte raison celle d'un homme que nous séparent à la fois deux siècles et une position hautement ritualisée : l'historien ne peut que sélectionner ce qu'il choisit de souligner, et le lecteur ne retient lui-même qu'une partie de ce qu'on lui montre. On peut aussi mentionner que Louis XVI était gauche, d'une gaucherie renforcée par son embonpoint ou par le fait qu'il ne portait pas de lunettes alors qu'il en avait besoin (au moins pour lire) ; mais il devait aussi avoir un côté facétieux : il aimait se promener sur les toits de Versailles, et a failli perdre la vie, en mars 1789, en tombant d'une échelle où il s'était amusé à monter lors d'une telle promenade. Comme ses prédécesseurs, il aime énormément la chasse (quand il est contrarié de ne pas pouvoir y aller, il note dans son journal le cerf chassait) : il est possible qu'il ait choisi Versailles (avec toutes les conséquences de la proximité de Paris) pour les états généraux entre autres de manière à pouvoir continuer ses parties de chasse habituelles. Il paraît aussi immensément populaire au sens où même quand on lui retire son pouvoir par petits morceaux, ou qu'on envahit son palais, tout le monde passe son temps à crier vive le roi ! — il est difficile pour moi de comprendre dans quelle mesure c'était sincère ou une expression presque figée, mais en tout cas il semble que ses sujets l'imaginaient plus facilement mal conseillé que malveillant.

☞ La vision romancée de l'Histoire

Les deux livres viennent corriger, ou au moins préciser, la vision de la Révolution française qui m'a été présentée à l'école quand j'étais petit, mais aussi dans la fresque télévisée d'Enrico et Heffron dont j'ai déjà parlé ici et dont j'ai déjà dit qu'elle avait fixé dans ma tête les traits de Louis XVI à ceux du personnage joué par Jean-François Balmer. (J'ai vu d'autres fictions ou documentaires sur la période, bien sûr. Et j'ai certainement lu un certain nombre d'autres choses depuis, au moins des pages Wikipédia — qui sont elles-mêmes de qualité assez variable d'un sujet à l'autre ou d'une phrase à l'autre dans la même page — mais ça n'a pas forcément autant marqué mon esprit.) Forcément, une présentation scolaire ou télévisuelle va simplifier les choses et, en simplifiant, va grossir le trait : dans la série de 1989, si Louis XVI garde une certaine complexité, beaucoup d'autres choses ou personnages sont réduit au point d'en perdre toute profondeur : Necker est présenté comme le ministre intègre sans ambition personnelle et qui a tout compris, et les députés du tiers-état agissent comme un seul homme (en l'espèce, Mirabeau, incarné par Peter Ustinov). Et la séance royale du , dans cette fiction, voit Louis XVI venir juste dire je déclare nulles et inconstitutionnelles les décisions de la prétendue Assemblée nationale qui s'est réunie malgré mes ordres ; je suis l'unique garant du bien de mon peuple, et si vous m'abandonnez dans une si belle entreprise, alors c'est vous qui serez abandonnés, et pas moi ! je vous ordonne de vous disperser sur-le-champ et de vous rendre demain matin dans les chambres affectées à vos ordres respectifs pour y reprendre vos séances — ce n'est qu'un prétexte pour représenter l'affrontement verbal qui n'est que trop connu (et dont les deux livres que je décris ici consacrent un certain temps à analyser l'historicité) entre Dreux-Brézé et Mirabeau (la légende fait dire à ce dernier nous sommes ici par la volonté du peuple et nous n'en sortirons que par la force des baïonnettes, et dans la série il le dit sous les applaudissements). La vérité est bien plus complexe, évidemment : Necker était lui aussi un homme complexe, ambitieux et soucieux de son image et de sa popularité (et qui a tenu à écrire sa propre version des choses après les faits, laquelle n'est pas forcément conforme à la réalité) ; les députés du tiers-état se disputaient tout le temps sur tout ; et la séance royale a vu Louis XVI proposer d'authentiques concessions, même si elles étaient trop tardives, trop hésitantes et très en-deçà de ce que les députés du tiers réclamaient, mélangées à une tentative de fermeté ; et Mirabeau n'a sans doute pas parlé du peuple dans son adresse à Dreux-Brézé (peut-être plutôt de vœu de la nation) et peut-être pas non plus de baïonnettes (mais de force matérielle ?), et d'ailleurs tout le monde n'était pas content qu'il prenne ainsi la parole, au nom d'une assemblée dont il n'était pas le président, et en utilisant des termes inutilement discourtois.

C'est peut-être le principal problème des représentations que nous voulons nous construire de l'Histoire, parce que nous aimons que les choses aient un sens clair, parce que nous aimons les fictions où les personnages tiennent leur rôle et où les scénaristes savent où ils vont : que d'oublier que, dans la réalité, les gens hésitent et changent d'avis, les événements sont brouillons et naissent au moins aussi souvent de malentendus et de hasards que de confrontations, et que ces dernières aboutissent parfois à des compromis boiteux et confus et pas toujours des victoires claires. Nous oublions aussi combien les gens ont du mal à se comprendre les uns les autres, tant leurs modes de pensée ou leur éducation peuvent différer. Je ne suis pas historien, mais j'ai suffisamment vécu et observé l'actualité pour savoir combien la réalité fait un mauvais film et combien les humains sont mauvais pour communiquer, et il n'y a aucune raison de croire que ç'aurait été différent il y a 234 ans ou 1000. Le livre de Maral, sans être lui-même mal écrit, rend très bien le caractère « mal écrit » de l'Histoire.

☞ Difficulté à communiquer

L'année 1789 à Versailles est intéressante en ce qu'elle concentre tous les malentendus. Il y avait d'énormes attentes autour de la convocation des états généraux (qui n'avaient pas été réunis depuis 175 ans), mais tout le monde attendait quelque chose de différent (le roi, Necker, les députés de chaque ordre et au sein de chaque ordre, le peuple…) et ces incompréhensions ont éclaté au grand jour. Les députés (et pas seulement ceux du tiers-état) ne comprennent pas ce monde étrange qu'est la cour de Versailles, avec ses codes archaïques et incompréhensibles, ses querelles de préséance, ses intrigues et ses jeux de pouvoir, dans lequel Louis XVI est enfermé.

Il y a par exemple cette scène surréaliste, le , où Bailly, qui est alors doyen des communes — c'est-à-dire de la chambre du tiers-état — et pas encore président de l'Assemblée nationale, cherche à rencontrer le roi pour savoir quand celui-ci pourra recevoir une députation, et qui montre bien la difficulté à s'adresser à lui : Bailly va d'abord voir Necker pour lui demander conseil, ils vont ensemble au palais, Necker voit le roi et revient avec la réponse que Louis XVI veut bien recevoir Bailly, mais à condition de passer par le ministre en charge des états généraux, c'est-à-dire le garde des sceaux[#] Barentin ; Bailly va donc trouver Barentin chez lui, mais Barentin est sorti dîner, et il rentre tard, et quand quand Bailly et Barentin vont ensemble au palais, cette fois c'est le roi qui est parti (à Meudon, pour voir le dauphin qui est mourant). À un autre moment (je ne retrouve plus le passage), Bailly, qu'on devine un peu excédé, demande s'il n'y a pas moyen qu'il puisse voir le roi à tout moment et sans passer par le ministre (surtout que Barentin justement est fort mal disposé à son égard) : on lui répond que (dans le langage de l'étiquette de la cour, qui remonte à Louis XIV), avoir accès au roi à tout moment cela s'appelle les entrées familières, et qu'il n'y a que je ne sais plus qui (la gouvernante des enfants de France ?) qui a eu les entrées familières au cours des dernières décennies. On repense au film Ridicule (que je recommande vivement au passage), dont le cœur de l'intrigue est, justement, la difficulté d'accéder au roi.

[#] Ajout () : Barentin est qualifié de garde des sceaux dans le livre de Maral (où il joue un rôle important), et de chancelier dans celui de Waresquiel (où il apparaît assez peu). Il me semble que c'est Maral qui a raison : Wikipédia (qui n'a pas toujours raison, mais en l'occurrence n'a probablement pas inventé ce truc, et d'ailleurs je l'ai aussi lu ailleurs) explique que le chancelier était nommé à vie : si le roi voulait confier les sceaux (et le ministère de la justice) à quelqu'un d'autre, ce quelqu'un d'autre était nommé garde des sceaux. (Bon, on peut légitimement se poser la question de pourquoi cette règle visiblement pénible était maintenue, mais c'est une autre question.) Or le chancelier, en 1789, devait encore être Maupeou, nommé en 1768 par Louis XV (et qui avait à la fin du règne de ce dernier mené un « coup » contre les parlements, parlements que Louis XVI avaient ensuite restaurés dans leurs prérogatives, ce qui est possiblement une cause de la convocation des états généraux).

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(vendredi)

Parlons de Paris-Saclay et de son « campus urbain »

Cela fait maintenant presque quatre ans que l'école où je travaille a déménagé pour s'installer au milieu de nulle part, à Palaiseau, sur le plateau de Saclay, j'ai un petit peu parlé de ce déménagement (et surtout du fait que, quand nous y sommes arrivés, c'était dans un bâtiment à moitié fini au milieu d'un vaste champ de boue), mais je devrais parler plus largement de « Paris-Saclay » de ce que sont les différents projets et entités qui ont ce nom, et de pourquoi le « campus urbain » est un échec à plus d'un titre.

Avertissement préalable : Il va de soi que tout ce que je raconte dans ce billet (et plus généralement dans ce blog) représente mon avis personnel exprimé à titre individuel et privé, et ne traduit rien sur les positions de mon employeur (Télécom Paris). Par exemple si je dois dire que déménager de Paris à Palaiseau était une invraisemblable connerie, c'est mon avis à moi, et je ne m'exprime pas au nom de Télécom Paris, ni de l'Institut Polytechnique de Paris, ni de l'établissement public d'aménagement Paris-Saclay, ni du Gouvernement français, ni de qui que ce soit d'autre que ma pomme. Au fait, si vous faites partie des gens qui ont besoin de ce genre d'avertissement, il vous est interdit de lire au-delà ce ce paragraphe. Lisez plutôt ceci : Paris-Saclay est un merveilleux incubateur à idées, un écosystème d'innovations sans pareil dans le monde, et je suis reconnaissant envers les gouvernement successifs qui ont porté ce projet d'avoir impulsé cette dynamique de synergies et de m'avoir donné la chance d'y travailler.

Méta : Comme souvent quand je me donne un sujet pas très bien délimité au départ, je suis parti un peu dans tous les sens. J'espère que le plan qui suit permet quand même de s'y repérer dans ce billet, et qu'il n'est pas aussi confus que la complexité administrative du sujet que j'aborde. Mais parlant de plans :

Note au sujet des cartes : Dans ce qui suit, je vais régulièrement faire référence à des emplacements géographiques en utilisant les mots ici sur la carte et un lien : à chaque fois, il s'agit d'un lien vers OpenStreetMap où j'ai placé un marqueur à l'endroit dont je parle (endroit approximatif quand il s'agit d'une zone : j'ai alors cherché à mettre le marqueur à peu près au milieu de la zone, ou sur un endroit particulièrement important, pas toujours avec succès). Comme je ne sais pas faire de carte synthétique, j'encourage à suivre ces liens si on veut espérer suivre de quoi je parle et qu'on ne connaît pas la déjà géographie du lieu. (À toutes fins utiles, je rappelle que les liens sur ce blog ne s'ouvrent pas dans un onglet séparé, donc utilisez le clic du milieu si vous voulez éviter de toujours faire des allers-retours.) • D'autre part, j'ai fait le choix de positionner le marqueur toujours sur la même carte zoomée de la même manière (enfin, il y en a deux, une première quand je parle du plateau de Saclay dans son ensemble, et une deuxième quand je parle du « campus urbain »). Comme l'étendue de la carte montrée par OpenStreetMap dépend de la taille et résolution de la fenêtre de votre navigateur, il se peut que vous deviez dézoomer pour trouver le marqueur sur lequel j'attire l'attention : ce n'est pas idéal, mais je préfère ça plutôt que de choisir un niveau de zoom ou un centrage différents à chaque fois, ou un zoom très large pour tous, qui ferait qu'on n'y verrait rien ; d'ailleurs, le fait de devoir dézoomer pour trouver certains marqueurs permettra de prendre conscience qu'ils sont en-dehors du cœur de la zone dont je parle.

Table des matières

Le plateau de Saclay : un peu de géographie et d'histoire

Situation géographique

Commençons par la situation géographique, parce que ça c'est facile. Voyez ici sur OpenStreetMap, ici sur Google Maps et ici et là sur GéoPortail pour des cartes — en principe toutes les quatre à la même échelle — permettant de suivre ce que je vais raconter. C'est la première (carte OpenStreetMap) sur laquelle je vais ajouter des marqueurs montrant des emplacements précis dans ce qui suit (cf. la note au sujet des cartes plus haut).

Le plateau de Saclay, donc, c'est une étendue géographique de grosso modo 11km (d'ouest en est) par 6km (du nord au sud) centrée à peu près autour de la commune de Saclay et située à 19km de Paris dans la direction du sud-ouest (pile-poil) et 8km au sud de Versailles, et faisant partie de l'ensemble plus vaste du Hurepoix. Comme son nom l'indique, c'est un plateau : au nord-est il est limité par la vallée de la Bièvre (le long de laquelle est construite une branche de la ligne C du RER par Bièvres et Jouy-en-Josas, ici sur la carte) ; au sud, il est limité par la vallée de l'Yvette, dite vallée de Chevreuse (le long de laquelle est construite une branche de la ligne B du RER, par Orsay ici sur la carte et Gif-sur-Yvette) ; au sud-ouest, le plateau de Saclay est limité par la vallée de la Mérantaise, un affluent rive gauche de l'Yvette (toutes ces rivières coulent d'ouest vers l'est, donc on parle ici de la rive droite de la Bièvre et gauche de l'Yvette+Mérantaise). La limite nord-ouest n'est pas claire, ou est arbitraire, parce que les sources de la Bièvre et de la Mérantaise sont justement dans le coin ; du point de vue physique on ne rencontre pas de vallée en allant jusqu'à l'agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines : il peut être raisonnable de fixer la limite à la route départementale 938 (qui relie Châteaufort à Buc, ici sur la carte) ou, plus loin, à la route départementale 91 (qui relie Voisins-le-Bretonneux à Satory, ici sur la carte, dézoomez si nécessaire) de manière à inclure aussi l'aérodrome de Toussus-le-Noble et le Technocentre Renault de Guyancourt. Mais de toute façon, je vais essentiellement parler de la partie sud du plateau de Saclay (le campus urbain évoqué plus bas se situe autour d'ici sur la carte).

Si je faisais correctement mon travail, je dirais quelque chose sur la géologie, mais j'avoue être complètement nul en géologie, et quand je lis des termes comme des formations superficielles plio-quaternaires aux marnes supragypseuses de l'éocène supérieur, mes yeux partent dans le vague. Notons quand même que la couche la plus importante, les sables de Fontainebleau (oligocène inférieur) explique la présence d'anciennes carrières de grès en plusieurs points de la vallée de Chevreuse, dont celle de la Troche (ici sur la carte) au bord du plateau de Saclay et d'ailleurs sur le chemin entre la gare du Guichet et mon bureau.

Les communes situées au moins partiellement sur le plateau de Saclay sont (en tournant grosso modo en spirale à partir de Saclay) : Saclay, Bièvres, Vauhallan, Igny, Palaiseau, Orsay, Gif-sur-Yvette, Saint-Aubin, Villiers-le-Bâcle, Toussus-le-Noble, Buc, les Loges-en-Josas et Jouy-en-Josas ; celles-ci se répartissent entre deux départements, l'Essonne (91) pour la plupart, et les Yvelines (78) pour les autres.

Deux routes importantes traversent le plateau : la quasi-autoroute qu'est la nationale 118, du nord-est au sud, et la départementale 36 d'ouest en est ; ces deux routes se coupent, ainsi que plusieurs autres, en un grand carrefour routier, un peu à l'ouest du centre-bourg de Saclay, ici sur la carte, appelé Christ de Saclay en raison d'une statue visible ici sur Google Street View, et qui sert de direction sur les panneaux routiers. (Le carrefour en question est ancien puisqu'il apparaît déjà sur l'atlas de Cassini vers 1770 : voici sur Géoportail. Il a été complètement réaménagé en 2020 pour transformer un giratoire en de multiples intersections à feux.) J'ai utilisé ce Christ de Saclay comme centre des cartes du plateau de Saclay que je lie ci-dessus et ci-dessous.

Histoire ancienne et curiosités

Je ne sais pas depuis quand le plateau est déboisé (le haut Moyen-Âge ?), mais il est depuis longtemps d'utilisation agricole : ce sont des terres très fertiles, et un certain nombre de grandes fermes associent leur nom à la toponymie et se laissent ainsi retenir même lorsqu'elles ne sont plus actives : fermes de Villebois, de la Vauve, du Moulon, d'Orsigny, du Trou Salé, de Villeras, de Favreuse pour citer les principales. La ferme de Viltain (au nord du plateau, à Jouy-en-Josas, ici sur la carte) est non seulement encore en activité, c'est un gros élevage de vaches laitières, ils ont ouvert un point de vente directe au public (de leurs produits et de produits locaux) et proposent aussi des activités de cueillette selon la saison. Parmi les autres curiosités historiques, on peut citer au moins deux petits châteaux : celui de Corbeville (ici sur la carte) et celui de la Martinière (ici sur la carte ; à ne pas confondre avec un autre château de la Martinière, pas loin de là mais hors du plateau — oui, c'est confusant), et une abbaye bénédictine féminine pas du tout ancienne, l'abbaye du Limon à Vauhallan (ici sur la carte). Il y a aussi des fortifications militaires construites après la défaite de 1870 dont il ne reste pas grand-chose mais quand même au moins une batterie à la pointe sud-est du plateau (ici sur la carte) qui a l'air de servir de lieu d'urbex ; cependant, ces fortifications du XIXe peuvent expliquer le choix d'emplacements pour installer certains organismes, notamment le centre d'essai propulseurs de la DGA là où était le fort de Villeras (ici sur la carte), et l'ONERA là où était le fort de Palaiseau (ici sur la carte), je vais en reparler. Sinon, ce n'est pas de l'histoire mais c'est une curiosité du coin que je ne sais pas où signaler, on peut mentionner le nouveau radôme de l'aviation civile, ici sur la carte, qui est par conception le bâtiment le plus élevé à la ronde, et du coup on le voit de loin (ajout  : comme on me le signale en commentaire, on le voit ici sur Google Street View) ; à ne pas confondre avec l'ancien radôme, qui est un petit peu plus à l'est (ici sur la carte et ici sur Google Street View).

Mais ce qui caractérise surtout ce plateau depuis le XVIIe, c'est l'aménagement que l'ingénieur Thomas Gobert lui a imposé, à la demande de Colbert, dans les années 1680 : de manière à alimenter en eau les jardins de Versailles, Gobert conçoit tout un système de rigoles, d'aqueducs et d'étangs destinés à collecter l'eau du plateau et l'amener à Versailles. Pour ceux qui veulent en savoir plus sur ce sujet, et sur l'alimentation en eau des jardins de Versailles plus généralement, je recommande l'excellent dossier (bref mais étonnamment complet) écrit sur ce sujet en 2006 par un conseiller municipal de Saclay : Le système hydraulique du plateau de Saclay par Serge Fiorese. Pour résumer, cependant, diverses rigoles collectaient l'eau qui ruisselle sur le plateau et l'acheminaient dans deux lacs adjacents (l'un est, si je comprends bien, naturel quoi qu'il ait été aménagé, et l'autre est artificiel), les étangs de Saclay, tout juste au nord du Christ de Saclay (ici sur la carte, ici sur Google Street View, séparés par une digue qui supporte maintenant la départementale 446) ; cette eau était ensuite amenée, par un système d'aqueducs souterrains (ligne des puits, aqueduc de Saclay, aqueduc des Gonards) mais aussi un magnifique aqueduc aérien (les arcades de Buc, ici sur la carte, dézoomez si nécessaire, et ici sur Google Street View, qui enjambent la vallée de la Bièvre) en direction de Versailles. L'aménagement par l'homme de ce plateau ne date donc pas d'hier. (Tout ce système a cessé d'être actif : l'eau est maintenant détournée vers la Bièvre, et si les étangs de Saclay existent toujours et servent de réserve ornithologique, plusieurs des autres lacs artificiels créés par l'œuvre de Gobert ont été réduits, modifiés ou complètement asséchés comme l'étang du Trou Salé. Il reste que la rue qui passe juste en bas de mon bureau s'appelle boulevard Thomas Gobert en l'honneur de ce Monsieur.)

Ajout () : On me fait remarquer que l'étang du Trou Salé et les arcades de Buc, entre autres endroits plutôt au nord du plateau de Saclay (ainsi qu'un laboratoire scientifique aux desseins maléfiques), apparaissent, avec des illustrations éminemment précises, dans un album (S.O.S Météores) de la série Blake & Mortimer d'Edgar P. Jacobs : voir cette petite enquête pour une comparaison dessins/réalité.

Mais ce n'est pas de ce passé lointain, tout passionnant qu'il est, que je veux parler ici, mais de l'aménagement du plateau de Saclay au XXe siècle, et notamment l'installation d'établissements scientifiques.

L'histoire scientifique : première phase (1950–1976)

Cette phase de l'histoire du plateau de Saclay remonte au tout début des années 1950. Le CEA (créé en 1945 et dirigé scientifiquement par Frédéric Jolliot-Curie) déménage dès 1951 dans ce qui est maintenant son plus grand centre de recherche, à l'ouest du Christ de Saclay (ici sur la carte ; il est à cheval sur les communes de Saclay, Saint-Aubin et Villiers-le-Bâcle) : c'est notamment là que sera construit le premier réacteur nucléaire français à eau lourde en 1952, et un accélérateur de particules. À peu près au même moment, la DGA choisit les terrains du fort de Villeras adjacent aux étangs de Saclay pour installer son centre d'essais des moteurs et hélices (ultérieurement renommé en centre d'essai propulseurs, ici sur la carte), et l'ONERA les terrains du fort de Palaiseau (ici sur la carte) pour son laboratoire des bancs d'essai. En parallèle, le CNRS (lui aussi dirigé par Frédéric Jolliot-Curie) a racheté en 1946 le château de Button à Gif-sur-Yvette (dans la vallée de l'Yvette, ici sur la carte) et a commencé à installer des laboratoires dans ce domaine au cours des années 1950. Et à peu près au même moment, complètement de l'autre côté du plateau, dans la vallée de la Bièvre, l'INRA installe un centre de recherches à Jouy-en-Josas dans le domaine du château de Vilvert (ici sur la carte).

Mais le tournant majeur de ce qu'on peut qualifier de campus scientifique vient avec l'implantation de la Faculté des Sciences d'Orsay (qui deviendra ultérieurement une des UFR de l'Université de Paris-Sud XI, maintenant dissoute dans l'Université Paris-Saclay) : le terrain est choisi en 1954 par l'achat du domaine de Launay (ici sur la carte le château du domaine), au départ pour y installer de seuls laboratoires (cyclotron de l'équipe de Frédéric Jolliot-Curie — toujours lui ! — et accélérateur linéaire de l'équipe d'Yves Rocard), mais dès la fin des années 1950, le manque de place à Paris amène à installer aussi des enseignements à Orsay, et le campus se développe substantiellement au cours des années 1960, principalement dans la vallée (sur les communes d'Orsay et Bures-sur-Yvette) mais avec une extension sur le plateau (partie dite du Moulon, environ ici sur la carte, toujours sur la commune d'Orsay, et qui pose le départ du campus urbain Paris-Saclay dont je vais parler plus bas).

Un extension du CEA, l'Orme des Merisiers est inaugurée au milieu des années 1960, au sud du site principal, sur la commune de Saint-Aubin (ici sur la carte).

D'autres installations notables ont lieu au cours des années 1960 et 1970. L'École des hautes études commerciales de Paris (HEC) que je mentionne bien que ce ne soit pas un établissement scientifique au sens étroit, déménage en 1964 au nord du plateau de Saclay, à cheval entre Jouy-en-Josas et Saclay (ici sur la carte). L'Institut d'optique théorique et appliquée (IOTA ou Sup'optique) s'installe en 1966 sur le plateau, au sein du campus de la fac d'Orsay (ici sur la carte). L'école supérieure d'électricité (Sup'élec, maintenant CentraleSupélec) déménage sur le plateau en 1975, pas loin de Sup'optique (ici sur la carte, sur la commune de Gif-sur-Yvette). Et surtout, en 1976, c'est l'École polytechnique (l'X) qui quitte ses locaux de la Montagne Sainte-Geneviève à Paris pour s'installer sur le plateau de Saclay, de l'autre côté de la N118, à Palaiseau (ici sur la carte).

Voilà pour un très bref résumé de l'histoire de la première grande phase d'installations d'établissements scientifiques sur le plateau de Saclay (et dans la vallée adjacente) : des établissements de recherche isolés installés au début des années 1950, le développement de la faculté des sciences d'Orsay au cours des années 1960, et l'installation de plusieurs grandes écoles dans les années 1960 et 1970. Je tire essentiellement ces informations du travail de mon amie historienne Émilia Robin, qui raconte tout ça bien plus en détails son carnet de recherches Orsay-Saclay auquel je renvoie pour les précisions et références (et s'il y a quelque chose qui diffère entre ce que j'ai résumé et ce qu'elle explique, c'est évidemment elle qui a raison). Et si vous préférez les explications sous forme de vidéos, elle a mis ça sur YouTube : , , , .

Cette phase qui dure du début des années 1950 au milieu des années 1970 nous amène à l'état de la région que j'ai connue quand j'étais petit (j'ai grandi essentiellement à Orsay, et mon père a travaillé dans un laboratoire de l'École polytechnique puis à la fac d'Orsay). Je peux résumer ainsi la situation géographique du futur « campus urbain » : la fac d'Orsay dans la vallée, qui s'étend un peu sur le plateau (partie Moulon, à l'ouest de la N118, avec notamment Sup'optique et l'IUT d'Orsay) ; un peu à l'ouest de ça, un peu à l'écart Sup'élec (et l'Orme des Merisier) ; de l'autre côté de la N118, à Palaiseau, Polytechnique, mais pas grand-chose entre les deux. Les autres grands établissements que j'ai nommés sont de toute façon d'accès strictement contrôlé (certainement le CEA, le centre d'essais de la DGA et l'ONERA ; mais je crois qu'on ne rentre pas non plus sur le campus de HEC comme dans un moulin), donc ils n'ont que peu d'interaction avec le reste. En fait, même le campus de Polytechnique (qui était de toute façon plutôt isolé du reste) était en principe d'accès contrôlé dans les années 1980, il n'y a vraiment que la fac d'Orsay qui était ouverte à tous vents.

La situation n'a, je crois, que peu évolué entre 1976 (déménagement de l'X) et le début des années 2000.

Ajout / complément () : J'aurais dû ajouter ici que, dès les années 1960–1970 il y avait des projets ambitieux de développement du Moulon et de l'espace Corbeville-Palaiseau (avec des idées autour de la recherche de l'excellence), c'est-à-dire de la zone actuellement qualifiée de « campus urbain » (cf. plus bas), et, dès ce moment-là, il y avait les germes de la division que je vais évoquer plus bas entre les deux parties, ouest et est de la N118, avec à l'ouest l'Université et des écoles en convention avec l'Éducation nationale, et côté est les projets d'installation de Polytechnique et de ses écoles d'application (Mines, Ponts, Agro…). (Merci, de nouveau, à Émilia Robin pour m'avoir apporté ces précisions que j'espère ne pas avoir déformées au passage.)

Autre ajout () : J'aurais aussi dû mentionner l'installation du synchrotron SOLEIL à l'Orme des Merisiers (à proximité immédiate du centre du CEA, ici sur la carte) en 2006. Comme quoi il n'est pas vrai que rien n'a bougé sur le plateau entre 1975 et 2010.

Le réveil vers 2010

Je ne sais pas ce qui a fait que les choses se sont réveillées vers 2010. Il semble que plein de projets de fusion, regroupement, rapprochement ou déménagement d'établissements d'enseignement supérieur ou de recherche qui avaient été formulés peut-être 50 ans plus tôt ont été soit redécouverts soit indépendamment réinventés, ou en tout cas que des idées semblables ont réémergé et, cette fois, elles sont allées plus loin que le stade de l'idée. Toujours est-il qu'autour de 2010 les choses se sont remises à bouger sérieusement.

Peut-être que Nicolas Sarkozy y est pour quelque chose : je ne sais pas si c'est une lubie personnelle qu'il a eue de faire du plateau de Saclay une Silicon Valley à la française (je ne sais pas de qui est l'expression, mais elle a couru à ce moment), ou si quelqu'un lui a soufflé l'idée, ou s'il a repris quelque chose qui traînait dans les cartons et qui a surnagé pour une raison aléatoire à ce moment-là. En tout cas, Sarkozy a fait un discours à Palaiseau le dans lequel il annonce une opération d'aménagement du campus Paris-Saclay, portée par Valérie Pécresse (alors ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche) et notamment le déménagement de plusieurs grandes écoles : l'Agro, Centrale, l'ENSAE, l'ENS Cachan et Télécom. Tous ces déménagements ont effectivement eu lieu (Centrale a fusionné avec Sup'élec pour devenir CentraleSupélec, et l'ENS Cachan est devenue l'ENS Paris-Saclay). Mais il annonce aussi d'autres choses, comme des installations communes aux établissements (il évoque d'ailleurs explicitement les cantines), et aussi une ligne de métro Versailles-Saclay-Massy. Je vais revenir sur plusieurs de ces points.

Dans le cas de Télécom Paris, notre directeur de l'époque a annoncé au personnel qu'il réfléchissait à l'opportunité de déménager, avant de finalement prendre sa décision (je ne me rappelle malheureusement plus du calendrier exact) : je ne sais pas dans quelle mesure il a vraiment eu une décision à prendre ou si le gouvernement lui a forcé la main, mais nous avons tous eu l'impression que les dés étaient pipés.

En tout cas, c'est en 2010 (par la loi 2010-597 relative au Grand Paris et le décret 2010-911 relatif à l'Établissement public de Paris-Saclay) qu'est créé l'Établissement public de Paris-Saclay, ultérieurement renommé Établissement public d'aménagement de Paris-Saclay (dans le cadre de la loi Métropoles de 2014). Qu'est-ce que c'est que ce truc ?

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(vendredi)

Sur la « gauche » et la « droite » et le spectre politique

Introduction

Je n'aime normalement pas parler politique ; du moins, pas de politique en général : ce n'est pas que je n'aie pas d'opinions qu'on peut qualifier de politiques sur des questions précises, ni même que je n'aime pas les défendre, et par ailleurs je m'efforce lors des élections de trouver quelqu'un pour qui voter selon une estimation marginale largement pifométrique de ma fonction d'utilité, mais je ne suis pas sûr d'être capable d'étendre ces opinions ponctuelles (dont je ne suis même pas sûr qu'elles ne se contredisent pas les unes les autres), ni cette fonction d'utilité (largement pifométrique), en un système global cohérent, et quand bien même je m'en sentirais capable, je n'ai pas envie de faire l'effort de construire une charpente idéologique pour le soutenir et une trame argumentative pour les défendre. Du moins c'est ce que je pense qu'il faudrait faire pour discuter de bonne foi de questions politiques, et je constate que tout le monde n'a pas de tels scrupules.

Du coup, à défaut de parler de politique, je vais parler d'opinions politiques et de leur classification, ou de leurs tentatives de classification. Et notamment d'un truc qui est peut-être la racine de toute mon incompréhension de la politique : cet axe prétendument essentiel qui définit deux camps opposés, la « gauche » et la « droite », une division qui a son origine dans la position qu'ont adoptée les députés lors des premières assemblées de la Révolution française, et qui a été généralisée presque jusqu'à classifier l'ensemble des opinions politiques de tous les pays du monde à toutes les époques du monde, bigre, un tel niveau de généralité suggère que cette typologie doit être terriblement fondamentale et qu'il est hautement important de la comprendre.

Mais à vrai dire, je ne comprends pas cet axe. Ou du moins, je comprends plein d'instances de la division gauche-droite (et je ne nie pas qu'elles soient pertinentes voire importantes), mais il me semble qu'elles sont distinctes les unes des autres, c'est-à-dire que chaque fois que quelqu'un utilise l'un de ces deux termes, il a en tête une division différente, dépendant de ses propres idées politiques et/ou de la question en cours de discussion, et que c'est une manœuvre oratoire, plus ou moins inconsciente, de glisser des questions qui n'ont rien à voir les unes avec les autres, ou seulement un rapprochement sociologique ou émotionnel, derrière l'un ou l'autre terme gauche ou droite, l'autre servant alors de dépotoir ou de repoussoir.

Bref, ce billet rassemble différentes tentatives que je fais pour mettre de l'ordre intellectuellement, et pour moi-même, dans ce bordel. Mais il s'agit de tentatives, forcément teintées par mes propres idées, qui restent largement infructueuses : non seulement on n'est pas obligé d'être d'accord avec ce que je vais dire, mais ce billet n'est pas d'accord avec lui-même et va se contredire[#]. J'assume ces contradictions : je ne prétends pas avoir une réponse à la question de ce que sont la gauche et la droite ou ce qu'elles devraient être, je ne prétends même pas avoir une réponse à la question de ce que les gens entendent par là, je ne fais que lancer des idées en l'air pour illustrer mon incompréhension. Caveat lector, donc.

[#] Comme j'aime bien le dire, je ne suis pas un système formel, donc si je me contredis moi-même, je ne disparais pas dans un pouf de logique ; c'est mon droit le plus strict d'avoir, consciemment ou inconsciemment, des opinions (ou des préférences) contradictoires et de les exprimer, et si vous n'aimez pas ça, c'est votre problème, pas le mien.

Table des matières

L'axe entre « moi » et l'homme de paille

☞ Juste pour éclaircir un point de terminologie au cas où il serait douteux, ce que j'appelle homme de paille (i.e., épouvantail rhétorique), c'est le sophisme consistant à déformer la position d'autrui pour la rendre caricaturalement repoussante, ou pour la réfuter (brûler un homme de paille), alors qu'en fait personne ne tient la position telle qu'elle a été présentée. (Enfin, l'homme de paille fait référence à la caricature ainsi utilisée pour faire peur ou la faire brûler, et, par métonymie, au sophisme que constitue la manœuvre, et qui est sans doute le sophisme le plus répandu de toute la politique.)

La première chose, à laquelle je fais allusion dès l'introduction ci-dessus, est que cet axe gauche-droite semble toujours prendre la direction qui arrange la personne qui parle. Mais c'est un peu plus pervers que ça : la personne s'identifie typiquement à un de ces deux camps, attribue à ce camp les idées qui sont les siennes et le définit par ces idées, et regroupe l'ensemble de toutes les opinions opposées sous l'étiquette du camp opposé, sans se soucier si ces opinions ont la moindre cohérence idéologique. Autrement dit, pour beaucoup de gens, la définition de l'axe gauche-droite est simplement la distance à ses propres opinions politiques (que la personne a rangées dans l'une de ces cases).

Typiquement, donc, j'ai discuté avec quelqu'un qui se définissait de gauche, je lui ai demandé de m'expliquer ce qu'était la gauche pour lui, il m'a donné un tas d'idées qui étaient les siennes et qui formaient un ensemble idéologiquement cohérent (quelque chose comme : opposition au capitalisme, redistribution des richesses, protection de l'environnement). Très bien, lui ai-je dit, maintenant peux-tu m'expliquer ce qu'est la droite ? Et là les idées étaient absurdement incohérentes les unes avec les autres, allant du libéralisme économique au protectionnisme nationaliste : je lui ai fait remarquer cette incohérence, et il a commencé à trouver des explications extrêmement tarabiscotées justifiant qu'on peut penser telle et telle chose simultanément. Ce qui n'est pas complètement faux (de toute manière, en politique plus qu'en tout autre domaine, les gens arrivent à penser des choses incohérentes), mais il n'en restait pas moins que la seule véritable logique derrière les idées qu'il considérait comme de droite et que ce n'étaient pas les siennes, et il ne s'était visiblement jamais vraiment intéressé à ces idées ou à leur logique interne.

Je pense que le sophisme que je décris ci-dessus semble un peu plus couramment répandu chez les militants se réclamant eux-mêmes de la gauche, que la situation symétrique, mais je l'ai rencontrée aussi. C'est donc une expérience intéressante à mener à chaque fois que quelqu'un utilise l'un des deux mots « gauche » ou « droite » en politique : lui demander auquel elle se raccroche et, si elle fait une réponse (j'évoquerai plus loin les gens qui le refusent), si elle peut décrire raisonnablement précisément l'idéologie de l'autre camp : beaucoup de gens en seront spectaculairement incapables (ou se contentent de fourre-tout complètement vagues comme la droite est le camp de l'ordre, la gauche cherche à forcer l'égalité de tous — ce sont des hommes de paille ridicules merci d'avoir joué).

Bref, très souvent, les deux camps politiques sont simplement « les gens d'accord avec moi » et « tous les autres, que je regroupe dans un seul blob infâme auquel je ne comprends rien, et qui me sert de repoussoir ou d'homme de paille dans les arguments ».

Mais d'où vient ce sophisme ? D'abord, du rejet de la fameuse injonction de Sūn Zǐ sur l'art de la guerre, de connaître son ennemi (c'est-à-dire le connaître vraiment, tel qu'il est, et surtout tel qu'il pense, bref, ne pas se créer des hommes de paille) : mais en politique, connaître son ennemi cela signifie écouter son discours, et c'est dangereux parce qu'on risquerait de voir qu'il n'est pas si incohérent ni si repoussant, il est bien plus confortable émotionnellement de le ranger dans le blob infâme et incohérent « pas d'accord avec moi ».

Il y a aussi l'erreur logique consistant à penser que si B contredit A et que C contredit A aussi, alors B et C doivent vaguement être d'accord entre eux (ou peut-être qu'ils le sont secrètement et que leur opposition de façade est un plan diabolique pour contrer A), erreur logique qui est à la base de la « pensée de dimension 1 » qui veut imaginer qu'il n'y a que deux avis frontalement opposés sur n'importe quelle question, ou, à la rigueur, des opinions intermédiaires entre les deux.

Mais il y a une autre raison, sans doute, qui est que politiquement on a tendance à parler à des gens qui sont relativement proches de soi (ne serait-ce que parce que sociologiquement on a tendance à être entouré de telles personnes, et que la discussion est plus longue et sans doute plus productive avec elles, ce qui ne veut pas dire qu'elle soit moins agitée). Du coup, personne dans la discussion ne se réclame de l'« autre camp », et celui-ci sert simplement de support d'anathème pour accuser l'autre d'en faire partie s'il dévie de la pureté idéologique qu'on cherche à défendre.

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