Parmi les théorèmes mathématiques que je trouve les plus magiques, le théorème de l'application conforme de Riemann est assez haut dans la liste.
Pour expliquer un peu au niveau grand public ce que ce théorème
signifie, il faut d'abord expliquer application conforme
: une
application conforme (ou holomorphe — au niveau
où je me place ce n'est pas la peine de faire de distinction) est
simplement une transformation du plan qui conserve les
angles (orientés). De façon encore plus simple, disons
qu'une application conforme est une application qui préserve
localement les formes sans les aplatir : elle peut plus ou
moins les agrandir ou les rétrécir d'un point à l'autre, mais un tout
petit cercle se transforme en quelque chose qui ressemble à un
cercle, pas à une ellipse (voir plus loin ce que je dis sur
les cartes de la Terre).
Pour ceux qui comprennent un peu plus de maths, je peux dire ceci : une application affine (c'est-à-dire, préservant l'alignement) qui conserve les angles (orientés) est ce qu'on appelle une similitude (directe), c'est-à-dire la composition d'une homothétie et d'une rotation (et éventuellement d'une translation) ; si on voit le plan comme l'ensemble des nombres complexes, alors une similitude (directe) est précisément une application de la forme z↦a·z+b pour certains nombres complexes a et b (le module et l'argument de a déterminant le rapport de l'homothétie et l'angle de la rotation, tandis que b détermine la translation ou le « centre » de la transformation). Une application conforme est une transformation qui, au premier ordre, en tout point, est une similitude (directe), c'est-à-dire, une application (d'une région du plan vers le plan) qui est différentiable et dont la différentielle est partout une similitude (directe) : d'après ce que je viens de dire, cela revient à voir ça comme une application dérivable au sens complexe.
À titre d'exemple, l'application exponentielle complexe, c'est-à-dire l'application qui à un point (x,y) du plan (qu'on peut identifier au nombre complexe z = x+i·y) associe le point (exp(x)·cos(y), exp(x)·sin(y)) (qu'on peut identifier au nombre complexe exp(z)), où ici exp(•) désigne e•, est une transformation conforme. J'ai tenté de la représenter sur la figure suivante :
Sur l'image de gauche, j'ai superposé une grille cartésienne (en vert) et une grille polaire (en magenta) sur le carré [−1;1]×[−1;1], tandis que l'image de droite (que je n'ai pas réussi à persuader Sage de faire à la même échelle) j'ai représenté l'image de cette figure par l'exponentielle complexe. Le fait que cette application soit conforme se voit au fait que les deux familles de lignes vertes, qui sont orthogonales au départ, restent orthogonales à l'arrivée (puisque l'orthogonalité signifie que l'angle est droit, et qu'une application conforme, justement, préserve les angles), ainsi qu'au fait que les 24 demi-droites magenta régulièrement espacées qui rayonnent de l'origine ont des images qui partent avec des angles également régulièrement espacés (ça ne les empêche pas de se courber ensuite pour ne pas rester régulièrement espacées). Comme il ne s'agit pas de n'importe quelle application conforme mais précisément de l'exponentielle complexe, elle a toutes sortes d'autres propriétés : par exemple, l'image de 0 est 1, l'image de 1 est e≈2.718 (bord droit de la grille), les images des droites horizontales (=partie imaginaire constante, en vert) sont des demi-droites partant de l'origine, les images des droites verticales (=partie réelle constante, en vert) sont des cercles centrés sur l'origine, les images des droites passant par l'origine (les radiales magenta) sont des spirales logarithmiques, etc. La fameuse formule d'Euler exp(i·π)=−1 signifie que si j'avais prolongé ma grille (verte) jusqu'à la hauteur ±π l'image se serait recroisée sur l'axe réel négatif (et on aurait perdu l'injectivité de la fonction) ; j'ai d'ailleurs essayé de faire une figure, mais on n'y voit pas grand-chose parce que pendant ce temps la partie radiale va jusqu'à exp(π)≈23.14 ce qui est un peu trop grand[#].
Les applications conformes sont aussi utilisées en cartographie : comme on ne peut pas préserver sur une carte (toutes) les distances de la surface d'une sphère[#2], il existe deux des grandes familles de projections cartographiques : celles qui préservent les surfaces (projections équivalentes), quitte à aplatir les formes, et celles qui préservent les angles et les formes (projections conformes), quitte à agrantir ou rétrécir les surfaces. Par exemple, la projection de Mercator ou la stéréographique sont conformes tandis que les projections cylindriques équivalentes ou la projection azimutale équivalente de Lambert sont équivalentes. (Il existe bien sûr des projections qui ne sont ni l'une ni l'autre, soit qu'elles réalisent un compromis entre les deux, soit qu'elles ont d'autres vertus, comme la projection gnomonique qui préserve l'alignement ou la projection orthographique qui est particulièrement parlante parce que c'est la simplement la Terre vue de loin. Pour en savoir plus, voir par exemple ce petit texte sur la cartographie que j'ai écrit il y a assez longtemps.) Soulignons que les projections conformes ont la vertu que si on zoome assez, en n'importe quel point de la projection, on retrouve la vue « naturelle », non déformée, d'une carte locale en cet endroit (mais le niveau de zoom, c'est-à-dire l'échelle locale de la carte, peut varier d'un point à l'autre).
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Ce qui est surprenant, c'est que les applications conformes sont remarquablement rigides. Par exemple, si on définit une application conforme sur un petit disque, elle détermine complètement le prolongement de cette application sur n'importe quel domaine (connexe) plus gros, si tant est que ce prolongement existe — on ne peut donc pas déformer localement une application conforme.
Dans le même genre, il existe peu d'applications conformes bijectives du disque unité (ouvert) 𝔻={z:|z|<1} vers lui-même, au sens où si 𝔻→𝔻 est une application conforme bijective (sa réciproque étant alors automatiquement conforme), elle est automatiquement de la forme z ↦ (a·z+b)/(c·z+d) (appelée homographie ou transformation de Möbius) avec a,b,c,d des constantes complexes vérifiant des conditions faciles à déterminer[#3]. Ces transformations particulières (les homographies qui envoient le disque unité sur lui-même) s'appellent les isométries hyperboliques. Voici une représentation d'une telle transformation (avec a=1−2i, b=−1, c=1 et d=−1−2i — choisis pour envoyer 1, i et −1 sur 1, −1 et −i respectivement) :
Pourquoi ce terme d'isométrie hyperbolique
? En fait, le
disque unité n'est ici que le faire-valoir d'une géométrie un peu plus
abstraite appelée
le plan
hyperbolique, qui possède beaucoup d'analogies avec la sphère dont
il est en quelque sorte le jumeau opposé (voir
un exposé sur la relativité que
j'ai donné il y a tout juste un an pour quelques unes de ces
analogies). Et de même qu'il existe différentes façons de projeter
une région de la sphère sur le plan euclidien, toutes imparfaites
comme je l'ai brièvement rappelé ci-dessus, il existe différentes
façons de représenter ce « plan hyperbolique » dans le plan
euclidien : le voir comme le disque unité ouvert
(modèle
du « disque de Poincaré ») est fortement analogue à la projection
stéréographique[#4] de la
sphère (moins un point) sur le plan dont j'ai parlé ci-dessus —
notamment, cette projection est conforme et conserve aussi les
cercles, mais ne conserve ni les distances ni même les aires : je n'ai
certes pas décrit quelle était la « distance » sur le plan
hyperbolique[#5], mais on peut
la visualiser grâce
aux dessins
de M. C. Escher en se disant que les différentes formes qui pavent
le disque dans un de ses Circle
Limits[#6] sont en
fait toutes de la même taille dans le monde hyperbolique.
(Le mathématicien Coxeter, qui est responsable de l'intérêt d'Escher
pour la géométrie hyperbolique, en parle un peu au début
de cette
vidéo. | Ajout
(): on me signale en
commentaire cette page
avec beaucoup d'autres dessins et animations très bien faits du plan
hyperbolique.) Le plan hyperbolique a la propriété que ses seules
transformations conformes bijectives sont, en fait, des isométries
(applications préservant la distance
hyperbolique)[#7], ce qui
explique qu'on utilise ce terme d'isométries hyperboliques
pour les applications conformes du disque sur lui-même.
[Ajout : pour en savoir plus sur la géométrie hyperbolique, voir les entrées ultérieures suivantes : 1, 2, 3 (plus ou moins indépendantes), et celle-ci pour des illustrations de différentes projections ; voir aussi les jeux de labyrinthe hyperbolique que j'introduis ici, là et là, et dont j'explique le fonctionnement dans des transparents disponibles ici.]
Il faut que je souligne en passant que les cercles concentriques sur la figure ci-dessus ne sont pas régulièrement espacés pour la géométrie/distance hyperbolique (d'ailleurs, le plus extérieur est infiniment loin, puisque c'est lui qui borde tout le disque unité) : ils ont été dessinés pour rendre la transformation plus parlante, mais c'est tout (en revanche, il est bien vrai que la distance hyperbolique entre les cercles successifs, si elle n'est pas la même d'un cercle à l'autre, est la même à chaque endroit du cercle, et est la même sur les deux figures ; et les radiales, elles, sont régulièrement espacées puisque la projection est conforme).
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Mais je reviens au théorème de l'application conforme de Riemann.
Son énoncé est le suivant : si U est une
région ouverte, connexe et simplement connexe du plan ou de
la sphère (ouverte, connexe et simplement connexe
, pour les
non-mathématiciens, signifie une région d'un seul tenant, sans trous,
bord exclu), et si U n'est pas le plan tout entier, la
sphère tout entière ou la sphère privée d'un unique point, alors il
existe une transformation conforme bijective entre U et le
disque unité ouvert 𝔻. De plus, cette transformation est
essentiellement unique : si on fixe un point z₀
dans U et une direction partant de z₀, il existe
une unique application conforme bijective de U sur 𝔻
envoyant z₀ à l'origine et envoyant la direction choisie
sur la direction des abscisses positives (ou, si on préfère, les
différentes transformations conformes dont je parle sont reliées les
unes aux autres par des isométries hyperboliques).
Ceci signifie, du coup, que le disque unité 𝔻 n'a rien de spécial : l'intérieur d'un carré ou d'un rectangle, l'intérieur d'une ellipse, ou même l'extérieur d'un cercle, carré, rectangle ou ellipse y compris le point à l'infini (si on les voit comme des régions de la sphère par la projection stéréographique, le « point à l'infini » signifiant le point depuis lequel on projette, ils sont bien simplement connexes), ou d'ailleurs l'extérieur de l'ensemble de Mandelbrot, sont, en fait, tous « conformément identiques » au disque unité. Tous ces domaines ont aussi une unique distance hyperbolique, c'est-à-dire qu'on pourrait refaire les dessins d'Escher sur chacun de ces domaines[#8]. Je n'ai pas le talent d'Escher, mais j'ai fait faire à Sage les figures suivantes :
En bleu, la transformation de la grille circulaire (la même que dans les figures précédentes, à gauche) par l'unique transformation conforme du disque vers l'intérieur de l'ellipse/carré qui envoie l'origine sur l'origine (centre de symétrie) et préserve les directions à l'origine ; en rouge, l'image d'une grille circulaire prolongée (dix cercles régulièrement espacés pour la distance euclidienne et 24 radiales régulièrement placées) par l'unique transformation conforme de l'extérieur du cercle vers l'extérieur de l'ellipse/carré qui envoie l'infini sur l'infini et préserve les directions à l'infini. (Évidemment, les transformations ne sont plus conformes au bord : dans le cas du carré, par exemple, au bord, on fait correspondre un angle droit, un coin du carré, avec un angle plat, un point du cercle — mais je vais reparler du bord plus loin.)
Ces figures ont d'ailleurs une interprétation naturelle en électrostatique : si on imagine une ellipse, respectivement un carré, formé de conducteur (dans un monde à deux dimensions) et qu'on place une charge en z₀ (ici choisi au centre de symétrie), les lignes tracées sur cette figure sont des équipotentielles et des lignes de champ du champ électrique causé par cette charge. (Noter cependant que les équipotentielles ne sont pas également espacées en potentiel, et que les lignes de champ à l'intérieur sont choisies pour leur direction partant de la charge alors que celles à l'extérieur sont choisies pour leur direction partant de l'infini — ce ne sont donc pas les mêmes.) On voit ainsi la manière dont la présence du conducteur déforme le champ (et on voit apparaître l'effet de pointe qui sera en quelque sorte « expliqué » par la mesure harmonique dont je vais parler plus bas).
Ajout () : À l'occasion d'une question sur MathOverflow, j'ai mis ici le code qui a servi à générer ces graphiques (je ne sais pas pourquoi je ne l'avais pas publié au moment d'écrire cette entrée).
Quelques remarques supplémentaires sur ces figures :
- L'ellipse a ses foyers en ±1. La formule qui m'a servi pour l'intérieur est tirée de cet article et de celui-ci (du moins quand j'ai eu fini de me battre avec les intégrales elliptiques, qui semblent avoir autant de notations et de conventions différentes qu'il y a d'auteurs). Bizarrement, la formule pour l'extérieur de l'ellipse est sacrément plus simple que celle pour l'intérieur : z ↦ ((a+b)/2)·z + (a−b)/(2·z) où a,b sont le demi-grand-axe et le demi-petit-axe.
- Pour le carré, la formule est celle de la formule de Schwarz-Christoffel, à la fois à l'intérieur et aussi (avec des petits changements faciles, du moins quand j'ai eu fini de me battre avec les déterminations des racines carrées) à l'extérieur. Elle fait aussi intervenir des intégrales elliptiques incomplètes de première espèce (et, pour l'extérieur, aussi de seconde espèce).
En général, calculer l'application conforme pour une forme donnée est très difficile (voir ce livre pour tout ce que vous voulez savoir sur le sujet et bien plus encore). Même pour quelque chose d'aussi simple qu'une ellipse ou un carré, il faut se battre avec des intégrales elliptiques. On peut néanmoins, en principe, calculer l'application par approximations successives en utilisant la méthode de Koebe (définie dans cet article, et expliquée aussi dans la partie 2.8 du livre lié ci-dessus). Bizarrement, le calcul de l'application pour l'extérieur de l'ensemble de Mandelbrot est remarquablement simple, à tel point que c'est plus ou moins ce que tout le monde utilise pour colorier l'extérieur de l'ensemble de Mandelbrot !
◯
Il se passe des choses intéressantes quand on considère l'application conforme bijective (essentiellement unique, comme je l'ai dit) du disque unité 𝔻 sur un domaine U comme expliqué ci-dessus, et qu'on cherche à la prolonger au bord. Pour un domaine pas trop affreux, les choses se passent bien, l'application se prolonge jusqu'au bord et définit un paramétrage du bord de U par le cercle unité (puisqu'il s'agit de la valeur au bord d'une fonction holomorphe sur le disque unité, ce paramétrage se voit tout naturellement par son développement de Fourier et c'est d'ailleurs en réfléchissant à ça que je me suis récemment rappelé ce théorème). On l'appelle parfois paramétrage harmonique. Si on regarde mes figures précédentes, où ce paramétrage se lit en prolongeant les lignes radiales jusqu'à l'ellipse/carré qui sert de bord, on voit d'ailleurs que le paramétrage harmonique « par l'intérieur » n'est pas le même que celui « par l'extérieur », et que le paramétrage harmonique « par l'intérieur » passe plus de temps (les radiales sont plus serrées) dans les régions plus proches de l'origine[#9]. Ou on peut parler de mesure harmonique pour la mesure correspondante (i.e., je choisis une direction aléatoire depuis l'origine du disque unité ouvert, je la suis jusqu'à toucher le bord du disque, et je considère le point du bord de U où j'atterris : ceci définit une mesure de probabilité sur ce bord ; ou, en termes de physicien, je pars de ma charge dans une direction aléatoire et je suis une ligne de champ jusqu'à rencontrer le conducteur). De façon peut-être surprenante (mais finalement assez naturelle quand on pense à une marche aléatoire dans le plan hyperbolique), cette mesure peut aussi se décrire par le procédé suivant : on prend une marche aléatoire qui part de z₀∈U (le point qu'on a choisi pour correspondre à l'origine du disque), et on arrête cette marche aléatoire dès qu'elle touche le bord de U : la mesure de probabilité que ceci défini (le point où on s'arrête) sur le bord de U est la même que la mesure harmonique donnée par l'application conforme (et on comprend donc que cette mesure est beaucoup plus concentrée aux endroits du bord proches de z₀, parce que la marche aléatoire a beaucoup plus de chances de s'arrêter là ; a contrario, si le domaine a un isthme, les régions du bord situées au-delà de cet isthme auront très peu de poids pour la mesure harmonique).
Je devrais logiquement parler un peu de ce qui se passe quand on
essaie de paramétrer de la sorte le bord de l'ensemble de Mandelbrot
(par l'extérieur, en partant de l'infini selon une certaine direction
et en suivant la « ligne de champ »,
ou rayon
extérieur, jusqu'à toucher l'ensemble de Mandelbrot) : on ignore
encore — je crois — si on peut toujours prolonger ce rayon jusqu'au
bord de l'ensemble de Mandelbrot, mais on sait que c'est possible si
l'angle est un multiple rationnel d'un tour (2π), et,
mieux, on peut prévoir sur quel type de point on va atterrir (par
exemple, est-ce une antenne, est-ce le cul d'un mini-ensemble de
Mandelbrot, etc.) en fonction de la combinatoire du rationnel
en question : j'en parlerai peut-être une autre fois, mais à défaut,
je renvoie à cet article
de Milnor (dont j'ai trouvé la lecture fascinante) ainsi
qu'au livre
de Karsten Keller sur ce qu'on appelle l'ensemble de Mandelbrot
abstrait
.
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[#] Mais ce nombre exp(π)≈23.14 (ou sans doute plutôt son carré, exp(2π)≈535.5) est vraiment une constante fondamentalement naturelle dans l'histoire : si une application conforme transforme les droites horizontales en radiales (=demi-droites partant de l'origine) et les verticales en cercles, et si on considère un carré (aux bords horizontaux et verticaux) de taille telle que les images des bords horizontaux coïncident, alors forcément les images des bords verticaux sont deux cercles dont le rapport des rayons vaut exp(2π)≈535.5.
[#2] On a tendance à étudier les projections cartographiques en faisant semblant que la Terre est une sphère, parce que le problème est mathématiquement plus satisfaisant et intéressant sous cette forme. Néanmoins, si on veut considérer la Terre comme un ellipsoïde oblate, on peut encore trouver des projections conformes : en fait, il suffit d'utiliser la latitude conforme à la place de la latitude et de faire semblant qu'on a affaire à une sphère avec cette fonction comme latitude, et ensuite toute projection conforme de la sphère donnera une projection conforme de l'ellipsoïde (j'en ai déjà parlé). Et en fait, même si on prend une forme encore plus compliquée pour la Terre (mais ayant tout de même la topologie d'une sphère !), on pourra toujours trouver une façon de l'envoyer de façon conforme sur une sphère : c'est le phénomène de la platitude conforme des surfaces.
[#3] Spécifiquement : que les quatre nombres complexes a′ = a+b+c+d, b′ = −i·a+i·b−i·c+i·d, c′ = i·a+i·b−i·c−i·d et d′ = a−b−c+d n'aient que des rapports réels. [Ajout : de façon plus simple : à une constante près, a et d sont conjugués complexes l'un de l'autre, et b et c le sont.]
[#4] Il faut prendre garde au fait qu'il existe une autre représentation habituelle du plan hyperbolique comme le disque unité ouvert : le modèle de Beltrami-Klein : alors que le modèle du disque de Poincaré est analogue à la projection stéréographique de la sphère (=projection centrée depuis un point de la sphère sur le plan équatorial), le modèle de Beltrami-Klein est analogue à la projection gnomonique de la sphère (=projection depuis le centre de la sphère sur un plan tangent à celle-ci), et comme elle, elle n'est pas conforme mais a la vertu intéressante de rendre l'alignement (hyperbolique/sphérique) par l'alignement (euclidien). Ainsi, alors que les droites hyperboliques, dans le modèle du disque de Poincaré, deviennent des arcs de cercles orthogonaux au cercle unité (servant de cercle à l'infini), dans le modèle de Beltrami-Klein elles restent des droites ; notons que les points à l'infini de la droite sont les mêmes (=sont projetés au même endroit) dans les deux modèles.
[#5] Si on choisit de représenter le plan hyperbolique par le modèle du disque de Poincaré, la distance hyperbolique entre le point représenté à l'origine et le point d'affixe z (avec |z|<1, donc) est donnée par : 2·arctanh(|z|) (où arctanh est la fonction réciproque de la tangente hyperbolique ; certains omettent le 2 devant cette formule, qui est juste une question de convention) ; quant à la distance entre le point d'affixe u et celui d'affixe v, elle est donnée par la même formule avec z = |u|·(v−u)/(u−|u|²·v).
[#6] Cirkellimiet
? Je n'arrive
pas à savoir si Escher donnait des noms en néerlandais ou en anglais à
ses œuvres.
[#7] Ceci rompt un peu le parallèle avec la sphère (il existe des transformations conformes de la sphère sur elle-même qui ne sont pas des isométries sphériques — c'est-à-dire des bêtes rotations de la sphère : en projection stéréographique, ce sont toutes les homographies qui ne vérifient pas une condition spéciale sur les coefficients analogue à celle de la note #3 sauf que cette fois on définit le groupe spécial unitaire SU(2)). Mais cette différence entre la sphère et le plan hyperbolique doit surtout se comprendre comme d'origine topologique plutôt que géométrique. [Ajout : On peut aussi interpréter cette différence en notant que la sphère est un R-espace symétrique, ce que le plan hyperbolique n'est pas ; voir cet article de Takeuchi sur les « transformations basiques » des R-espaces symétriques, qui sur la sphère sont les transformations conformes.]
[#8] Escher lui-même a fait un Square Limit / Vierkantlimiet. Mais je ne sais pas s'il correspond vraiment à un pavage pour la distance rendant l'intérieur du carré conforme au plan hyperbolique.
[#9] Je me suis demandé si, par hasard, quand on place l'image z₀ de l'origine à un foyer de l'ellipse, le paramétrage de l'ellipse harmonique obtenu en prolongeant au bord l'application conforme ne serait pas miraculeusement le paramétrage donné par la loi des aires de Kepler (intuition fondée sur le fait que j'avais gardé le vague souvenir que l'équation de Kepler pouvait se résoudre en termes d'intégrales elliptiques — en fait apparemment ce n'est pas le cas). Mais les miracles mathématiques n'ont pas toujours lieu : le paramétrage harmonique passe beaucoup plus vite à l'aphélie que le paramétrage donné par la deuxième loi de Kepler.