Je n'aime pas trop, en général, les « chaînes de blogs » (où quelqu'un pose une question ou bien propose un défi que tout le monde reprend ensuite), mais voici une question qui me tient assez à cœur, donc j'invite les blogueurs qui me lisent à y répondre (et à m'envoyer un lien vers leur entrée, que je rajouterai ici — ça me fera aussi l'occasion de découvrir de nouveaux blogs) ; les non-blogueurs ont aussi le droit de répondre, bien sûr, dans les commentaires. Bref, il s'agit de répondre à ceci :
Les dieux ont préparé un enfer et un paradis à votre intention particulière : pouvez-vous décrire à quoi ils ressemblent ?
Quelques remarques sur cette question : d'abord, il n'est pas
demandé d'être cohérent (par exemple, se demander ce qui se passe au
bout de cent trillions d'années, et si on finit par s'ennuyer), encore
moins matériellement concevable — il s'agit plutôt de se mettre
dans une perspective de rêve malheureux et heureux, de présenter une
vision complètement naïve et instinctive, sans trop de questions.
S'agissant de l'enfer, évidemment, on peut imaginer toutes sortes de
supplices particulièrement cruels, le but n'est pas de décrire le plus
atroce mais celui qui vous serait propre, et peut-être
faut-il s'inspirer de cette citation de Kazantzakis dans la
Dernière Tentation du Christ (citation dont je rappelle que je cherche toujours
l'original) : Les portes du Paradis et de l'Enfer sont côte à côte,
identiques toutes les deux.
En ce qui me concerne :
Je commence par décrire mon enfer, ce que je ne peux faire qu'en termes abstraits, car il est sans cesse en mouvement : il s'agit justement de me placer dans des situations toujours différentes, désagréables sans être vraiment atroces, de sorte que je finis par m'y habituer, mais à chaque fois que je m'y habitue, précisément, je suis placé dans un endroit différent. À chaque fois que je m'attache à quelque chose ou à quelqu'un, ce quelque chose ou ce quelqu'un disparaît. Jamais on ne me renseigne sur l'avenir, de sorte que je suis toujours dans le doute sur ce qui va m'arriver, mais je me forme des espoirs qui sont sans cesse déçus. À cette peur, cette incertitude et ce doute s'ajoutent un ennui profond, viscéral, rendu d'autant plus insupportable qu'on sent qu'on devrait faire quelque chose, mais toute possibilité en est trompée, car dès que je commence à le tenter, la possibilité m'en est soustraite.
À présent voici mon paradis, présenté dans des termes beaucoup plus concrets (de façon abstraite, je l'ai déjà expliqué : le paradis, c'est les autres). Je suis dans un palais gigantesque, à la fois labyrinthique (on ne se lasse jamais de l'explorer) et pourtant familier (je m'y sens parfaitement chez moi) ; il a des portes et des fenêtres qui donnent sur toutes sortes de lieux pourtant très distants, notamment une baie vitrée au sommet d'une tour d'où on a une vue dégagée sur une ville dans laquelle je peux sortir me promener, d'autres sur des parcs, tandis qu'un autre côté donne sur une terrasse ensoleillée comme au milieu des champs de la Toscane dans un été perpétuel ; la maison héberge également une très grande bibliothèque (imaginez plutôt des livres neufs que de vieux poussiéreux), et, bien entendu, quantité de tableaux noirs pour pouvoir faire des maths . Il va sans dire que le palais serait toujours parfaitement propre, et que la cuisine regorgerait des meilleurs plats, apparus de nulle part. Mais surtout, je ne suis seul que quand je veux l'être : j'ai, pour compagnie, un joli garçon que j'aime, et aussi tous mes amis et mes proches et même tous ceux que j'admire et que je veux rencontrer ; personne ne disparaît jamais (ou ne tombe malade) ni ne se fâche, et nous avons un temps infini pour deviser de toutes les choses que l'on peut savoir et de quelques autres, autour de repas délicieux. (Bizarrement, je remarque que les ordinateurs ne jouent presque aucun rôle dans mon rêve de paradis : peut-être parce qu'ils sont l'instrument du diable et n'ont donc aucune place au ciel, peut-être parce que je les conçois essentiellement comme des instruments de communication et que dans ce paradis je pourrais toujours parler aux gens face à face.)