David Madore's WebLog: Sur la question de mes propres biais

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(jeudi)

Sur la question de mes propres biais

Il arrive assez régulièrement qu'on attire mon attention sur la manière dont ma propre expérience, et les sentiments qui en résultent, peuvent parasiter mon analyse de la situation sanitaire. Une des dernières occurrences est dans les commentaires signés Lama d'une des entrées récentes de ce blog, mais c'est loin d'être la seule fois qu'on m'a dit quelque chose comme David a énormément souffert des confinements, il n'est pas étonnant qu'il argumente contre eux, sur un ton parfois bienveillant, parfois nettement moins. Je ne pense pas qu'il soit intéressant de répondre aux attaques du type David tient tellement à ses petites habitudes de marcher en forêt ou d'aller au restaurant qu'il se lance dans des argumentaires grandiloquents qui ressemblent aux pro-gun américains qui crient à la dictature quand ils s'imaginent qu'on va leur enlever leur flingue (oui, on m'a dit ce genre de choses), mais ceux qui, sans accusation de mauvaise foi ni méchanceté perfide à mon égard, notent la manière dont j'ai personnellement très mal vécu les confinements (je n'ai pas fait le moindre mystère à ce sujet), et s'interrogent sur les biais qui peuvent en résulter soulèvent indiscutablement un point important.

Une réponse un peu triviale (qui n'en est pas moins juste, mais qui n'est pas forcément satisfaisante) consiste simplement à répliquer qu'il faut simplement juger les arguments écrits pour ce qu'ils sont, et pas sur le vécu de leur auteur. Une autre réponse qu'on pourrait faire sur le ton de la blague est d'imaginer ce qu'il faudrait penser d'un avocat qui plaiderait :

Mais, Madame la présidente, vous voyez bien que Monsieur Untel est terriblement biaisé contre mon client : s'il l'accuse d'être un meurtrier, c'est parce qu'il est fou de rage que mon client ait tué son fils.

Je veux dire qu'il y a un certain piquant de trouver que je suis biaisé à penser que les confinements engendrent énormément de souffrance… à cause de la souffrance qu'ont engendré chez moi les confinements. Cette réponse est bien sûr assez superficielle et incomplète (quoique drôle, je trouve), parce que la question de faire un calcul raisonnable est autrement plus complexe que de constater l'existence d'un phénomène qui est maintenant peu contesté (même les confinementistes les plus acharnés admettent qu'il y a des gens qui en souffrent : ce n'est pas spécialement à démontrer, et ce n'est pas ce que je cherche à démontrer). Néanmoins, elle survit sous la forme d'un biais non pas personnel mais d'observation : il va de soi que, donné un ensemble d'arguments parfaitement raisonnables contre un sujet X, ceux qui sont le plus motivés à exposer ces arguments, à les développer et à les publier, sont ceux qui ont un grief contre X, c'est normal et attendu, et cela ne remet absolument pas en cause la validité des arguments ni la bonne foi de ceux qui les avancent (c'est, dans ma blague ci-dessus, la raison pour laquelle le père de la victime se trouve au tribunal). Disons, pour quitter le registre de la blague, qu'il serait assez malvenu de reprocher aux personnes homosexuelles ou transgenre d'être biaisées en dénonçant l'homophobie ou la transphobie : il est normal (regrettable, car tout le monde devrait être attentif aux souffrances des autres) mais normal que ce soient les victimes d'une injustice commise par la société qui soient les premières à la dénoncer. [Ajout () : cf. ce fil Twitter ainsi que celui-ci qu'il cite.]

Maintenant, j'ai essayé d'être toujours assez clair dans ce que je disais et de séparer ce qui est l'analyse d'une situation objective, par exemple les confinements n'ont certainement pas un effet aussi important que ce que leurs défenseurs allèguent (il n'est même pas si clair que ça qu'ils en aient un distinct de la réaction spontanée de la population) ou il est déraisonnable de prétendre que les confinements en France aient sauvé des centaines de milliers de vies car aucun pays au monde, quelle que soit la politique qu'il ait choisi, n'ait vu un tel niveau de mortalité ou encore il n'est pas imaginable qu'on puisse éliminer le covid à ce stade, et une opinion morale ou politique, par exemple il est raisonnable de se donner comme objectif de minimiser la somme de la durée de vie espérée perdue par personne à cause des morts covid et du nombre de jours de confinement autoritaire ou le fait d'exiger de remplir une attestation pour sortir de chez soi et d'envoyer la police les contrôler est une approche inacceptable de la santé publique, une méthode de régime totalitaire, et fait faire à la France un pas irréversible vers un tel régime. Il est normal que les affirmations de cette seconde catégorie soient influencées par mon expérience ; les premières ne devraient pas l'être, mais évidemment, personne n'est naïf au point d'imaginer que ce que nous croyons vrai scientifiquement ne soit pas influencé par les opinions que nous avons sur ce que nous voudrions être vrai : ça n'a rien de spécifique à moi, ce qui ne veut pas dire que je ne doive pas (comme tout le monde, donc) m'en méfier.

Maintenant, il serait malhonnête de ma part de ne pas me livrer à l'exercice d'introspection de mes biais alors que je suis prompt à les dénoncer chez les autres : j'ai déjà à plusieurs reprises souligné le fait que les épidémiologistes sont naturellement enclins à donner une importance exagérée à l'épidémie parce que c'est leur spécialité et à ignorer que la crise est bien plus grave qu'une crise sanitaire mais est généralement une crise de société parce que ce n'est pas leur spécialité ; j'ai souligné qu'ils sont aussi biaisés dans leurs modèles parce qu'ils ne savent pas modéliser les effets sociaux et les ignorent donc purement et simplement ce qui conduit à des prédictions biaisées toujours dans le sens du pessimisme ; j'ai souligné qu'il y a un biais à écouter ces épidémiologistes en se disant que c'est normal d'écouter « les experts » et d'oublier que quand ils appellent au confinement ils ne sont spécialement compétents pour juger des effets que ces confinements auront sur la société (comme je le disais sur Twitter, c'est comme si on confiait à des économistes spécialistes de questions financières l'étude de la dette publique, on ne doit pas s'étonner, ensuite, qu'ils proposent de sabrer dans les services publics) ; j'ai souligné que les médecins en général avaient souvent le biais consistant à privilégier la préservation de la vie à n'importe quel prix au lieu de celle de la qualité de la vie ; et j'ai souligné que les hommes politiques prenant les décisions de confinement avaient eux aussi toutes sortes de biais par leur position : le biais lié à l'injonction générale en politique de faire quelque chose plutôt que rien, le biais dû au fait qu'ils ont plus de chances d'être traînés en justice pour homicide involontaire que pour abus de confinement, le biais lié au fait qu'ils ne sont absolument pas impactés par les confinements qu'ils mettent en place (les ministres seront toujours libres de circuler où ils veulent et comme ils veulent) alors qu'ils sont plutôt plus exposés que d'autres à l'épidémie (par leur nombre de contacts et souvent par leur âge) et, pour une fois, leur fonction ne les protège pas, le biais lié à leur mépris tout tout ce qui est loisirs ou question de bien-être de la population, et surtout, bien sûr, le biais lié à leur tendance générale à l'autoritarisme.

Si on reconnaît que tout le monde a des biais (et un devoir de chercher à les combattre même si on sait qu'on n'y arrivera jamais vraiment), c'est une chose. Si on vient dénoncer les miens sans se préoccuper de ceux que j'ai évoqués ci-dessus, c'est, si j'ose dire, un méta-biais qui devrait amener à se poser soi-même des questions.

Mais il y a des différences importantes entre mes biais et ceux que j'ai évoqués deux paragraphes plus haut. La principale, qui n'est peut-être pas très pertinente épistémologiquement mais qui l'est pour ce qui est de leur impact, est que je ne suis pas en position de pouvoir : je ne suis ni ministre, ni membre d'un quelconque scientifique, ni même un de ces invités qui tournent en boucle sur les plateaux télé ; toute l'influence que j'ai est celle d'un geek qui écrit de longs rants sur un blog que pas grand-monde ne lit ; encore, si je donnais des mauvais conseils, on pourrait m'accuser d'empirer l'épidémie, mais ma position a toujours été que tous ceux pour qui se confiner n'est pas une souffrance, et dans la mesure où leur situation le permet, devraient le faire librement, et pour ce qui est de mon propre exemple je suis probablement un des Français les plus responsables (en ce sens que je ne vois essentiellement personne à part mon poussinet et ma maman de temps en temps), donc on ne peut même pas m'accuser d'inciter à l'irresponsabilité. Je ne dénonce pas spécialement les biais de Jean-Paul Twitto, pro-confinement, je dénonce ceux des figures de pouvoir. Il y a autrement plus d'enjeu à constater que le gouvernement se dote d'un conseil scientifique où les épidémiologistes et virologues sont abondamment représentés mais pas un malheureux psychiatre, psychologue ou spécialiste des droits de l'homme ; ou que le ministre de la santé essaie de tirer des larmes à l'Assemblée nationale en évoquant les gens qui souffrent de la maladie, mais pour ceux qui souffrent du confinement il n'a que le mépris de cette blague qui me reste décidément en travers de la gorge tant elle est insultante, tant elle retourne le couteau dans la plaie, s'il y a bien quelque chose qui n'est pas obligatoire dans cette période, c’est d'être malheureux.

(Bon, entre temps, les défenseurs du zéro covid ont réussi à adopter une position à la fois tellement extrême, et en même temps faisant croire qu'elle s'oppose aux confinements, qu'ils ont à la fois déplacé la fenêtre d'Overton et brouillé les cartes : à force qu'ils se plaignent que le gouvernement français refusait le confinement, ils ont réussi l'exploit de faire oublier que le gouvernement français, s'il a certes infléchi un peu sa position, a déjà confiné pendant des mois toute la population du pays, et continue à le confiner une bonne partie du temps, et une partie de la population quasiment tout le temps. Quand je m'oppose aux confinements, je veux être bien clair sur le fait que je ne m'oppose pas qu'aux confinements à venir mais aussi à ceux de mars à mai et de novembre, et donc au gouvernement qui les a décrétés.)

Je digresse ici pour souligner une fausse équivalence qui m'est insupportable qui est de dire quelque chose comme certes, les confinements font des malheureux, mais la covid aussi (et d'en déduire la nécessité d'une sorte d'équilibre entre les deux, comme si on compensait un malheur en lui ajoutant un autre malheur) : c'est oublier que si le virus est d'origine naturelle (enfin, naturel ne veut pas dire grand-chose, mais c'est un machin inanimé contre lequel on ne peut pas vraiment ressentir de colère : au pire, ou au mieux, on peut en adresser à l'imbécile qui a voulu manger de la soupe au pangolin ou du tartare de chauve-souris ou je ne sais quoi, mais même celui-là on ne sait pas qui c'est et ce n'est peut-être pas ça qui s'est produit), le confinement est un désastre d'origine complètement humaine, et les responsables en sont bien identifiés, ce sont justement ces gens qui passent sur les plateaux télé à parler de choses dont ils ne sont pas spécialement qualifiés à mesurer l'impact. Je crois que je l'ai déjà dit, mais cela mérite d'être répété : on peut être utilitariste (et, pour simplifier, je le suis), ce n'est pas pour autant qu'on acceptera sans broncher de voir quelqu'un dévier le tramway dans votre direction parce qu'il y a (ou parce qu'il pense qu'il y a — et a fortiori si on croit qu'il se trompe) moins de gens qui sont ligotés aux rails de ce côté-là. Si certains peuvent être en courroux contre un virus qui s'en fout ou contre le fait qu'on n'ait pas suivi leur plan préféré pour lutter contre la pandémie, ma haine va à des gens bien identifiés qui m'ont emprisonné et ont détruit ma vie de façon directe, et qui ont le culot de me rappeler que je n'ai pas d'obligation à être malheureux.

J'arrête là cette digression, qui tend plus à justifier que mes biais sont légitimes que le fait qu'ils n'existent pas, et peut sans doute amener à conclure d'autant plus fortement que ces biais doivent être importants (tout légitimes qu'ils sont). Mais on peut aussi considérer ce fait : si je dois me retenir constamment de partir en litanie d'insultes contre les membres du gouvernement ou du conseil scientifique, si je m'interdis d'exprimer le fond de mes sentiments à leur sujet, c'est aussi ce qui me force à une réflexion finalement plus contrôlée (fût-elle grandiloquente).

Une autre différence que je peux souligner est que mes biais ne sont pas préalables : avant 2020, je n'avais aucun avis particulier sur la manière de gérer une pandémie ou de ne pas le faire, alors que les épidémiologistes, eux, en avaient (et donc, comme je le rappelle plus haut, des biais liés à leur intérêt professionnel) : le fait d'avoir très mal vécu le confinement peut être considéré comme une observation expérimentale qui s'inscrit dans la démarche générale de réflexion sur le sujet, que j'ai abordé comme j'aborde quantité de sujets sur ce blog — si j'en ressors avec une opinion sur la question, cette opinion n'est pas, du moins, un préjugé : il est normal de se former une opinion à la découverte des faits, ce qui n'est pas normal est, pour reprendre une comparaison judiciaire, d'entrer dans la salle du tribunal avec un avis préalable sur l'issue du procès.

Et à la limite, si j'avais des biais préalables, on pouvait plutôt penser qu'ils étaient dans le sens d'être favorable à un contrôle très strict de l'épidémie : je suis moi-même assez hypocondriaque voire nosophobe, j'avais au début de la pandémie deux parents (mon père est décédé entre temps, sans rapport avec le covid) très vulnérables ; en tant que geek grincheux qui passe plein de temps le nez à 30cm d'un écran d'ordinateur on eût pu imaginer que je fusse de ceux qui disent que les jeunes fêtards n'avaient qu'à bien se tenir et que la sociabilisation pouvait très bien se faire en ligne ; et en tant que propriétaire d'un appartement parisien raisonnablement grand (deux dans le même immeuble, d'ailleurs, dont un avec jardin, et même si c'est transitoire je pouvais très bien profiter du jardin), on pouvait se dire que je ne serais pas parmi les premiers à souffrir de l'enfermement ; et enfin, je n'ai pas de gosses à l'école, donc ça ne me touche pas personnellement que les écoles élémentaires, collèges et lycées soient ouverts ou fermés, et en ce qui concerne mon propre travail, je peux dire que c'est d'un grand confort de me lever 30min avant de faire cours, en survêt, de me mettre devant mon ordi, et de faire cours à travers zoom sans devoir me farcir un aller-retour à Palaiseau. Donc on peut dire que j'avais plein de raisons de défendre les confinements !

Quoi qu'il en soit, ce n'est pas vraiment le propos. Il est pertinent pour moi de me demander si le fait d'avoir souffert des confinements a formé des biais qui obscurcissent mon jugement ; je ne crois pas que ce soit pertinent de la part de qui que ce soit d'autre de m'interroger sur le sujet, mais je peux donner quelques éléments de la réflexion que je me suis faite pour moi-même, qui n'ont pas pour but de me justifier envers autrui mais d'illustrer la démarche.

La première chose est de se demander si ma position a changé entre avant et après le confinement (ce qui peut laisser croire que ce changement serait l'effet de la souffrance psychologique). Or si on relit cette entrée de ce blog, écrite à un moment où nous n'avions pas encore été confinés, et où je pensais l'épidémie considérablement plus grave (ou en fait surtout, plus rapide) que ce qu'elle a été, je prends clairement position en faveur de laisser circuler le virus ; et cette entrée (et le ton sur lequel elle est écrite) doit aussi servir pour rappel que je n'ai pas fait ce choix à la légère. Entre temps, on a découvert que le risque de débordement des hôpitaux était très largement surestimé (sur l'ensemble de la planète, il ne s'est produit qu'en une poignée d'endroits très atypiques, et même pas spécialement des endroits qui ont refusé les confinements), et que les pays qui choisissaient de ne pas confiner ne s'en sortaient pas significativement plus mal que ceux qui le choisissaient, donc il est normal que je sois encore plus convaincu du bien-fondé de ma position, indépendamment de ce que j'ai vécu personnellement.

La seconde chose est de se demander si ma position est cohérente avec ma position dans d'autres domaines où je suis moins directement impliqué émotionnellement. Je pense par exemple à la lutte contre le terrorisme : je ne suis pas spécialement concerné personnellement par la question, ne me sentant pas spécialement menacé par la menace terroriste mais n'étant pas non plus de la population discriminée par l'arbitraire policier accompagnant ce genre de mesures. Or ma position concernant la lutte contre le terrorisme et la lutte contre la covid est tout à fait analogue dans le rejet de l'illusion sécuritaire qui masque en fait un autoritarisme dangereux. Comme autre exemple de cohérence de mes positions, je pourrais mentionner la « guerre » contre les drogues : je ne suis vraiment pas concerné à titre personnel parce que je ne consomme aucune substance psychotrope illégale (et pas non plus d'alcool ou de tabac) et je ne vis pas non plus dans des endroits où l'économie est fortement liée au commerce de telles substances, et pour parler simplement, en ce qui me concerne moi-même, je m'en fous complètement que le cannabis soit illégal ou pas, pourtant je trouve que l'approche culpabilisatrice et répressive est une illusion de contrôle et une fausse route gravement dommageable à notre société, de la même façon que les confinements. Ma position concernant le covid est également cohérente avec celle sur le SIDA : prôner l'abstinence, montrer du doigt une sous-population qu'on désigne comme responsable de l'épidémie, n'est pas une approche qui marche. Je pourrais enfin dresser un parallèle un peu plus lointain avec l'austérité économique : l'idée qu'il faut accepter des sacrifices importants immédiatement pour assainir une situation (dette, propagation du virus) qui tournerait sinon à l'exponentielle incontrôlée est quelque chose que je regarde avec beaucoup de soupçon, surtout quand on confie la décision à ceux qui sont par leur métier enclins à ne regarder qu'un côté des choses.

Bref, il me semble que mon opinion sur les confinements est tout à fait cohérente avec ce que je pense sur d'autres sujets avec lesquels je peux dresser un parallèle, et s'inscrit dans une position générale soucieuse des libertés individuelles qui n'a rien à voir avec le fait que j'aie souffert des mesures précises appliquées en France.

Enfin, un troisième contrôle du fait que ma position contre les confinements n'est pas trop biaisée par mon ressenti personnel consiste à regarder ce qu'on pensait du sujet avant cette pandémie. J'ai déjà fait référence au plan pandémie grippale qui ne propose pas du tout ce moyen d'action, et je n'ai pas non plus trouvé de recommandations de confinements en cas de pandémie émanant, par exemple, de l'OMS. Et l'article Disease Mitigation Measures in the Control of Pandemic Influenza de Inglesby &al. (publié dans Biosecurity and Bioterrorism (4)) écrit : The negative consequences of large-scale quarantine are so extreme (forced confinement of sick people with the well; complete restriction of movement of large populations […]) that this mitigation measure should be eliminated from serious consideration. (Je cite ce passage-ci, mais il y en a d'autres qui sont tout aussi pertinents.) Alors bien sûr, tout ça concerne la grippe et pas la covid, mais il n'y a pas spécialement d'hypothèse faite qui s'appliquerait à la grippe et qui serait invalidée par le fait que le covid n'est pas la grippe ; et en tout cas, il n'y a pas de différence énorme ni de contagiosité ni de létalité. J'ai donc plutôt l'impression que ma position est tout à fait en ligne avec ce qu'on estimait pré-2020, à tête reposée, donc, pas dans la panique de la crise, et pas en ayant la pression de faire mieux(?) que les Chinois, et que s'il y a des gens qui ont changé de position sous l'effet de l'émotion, ce n'est pas moi.

À ce propos, l'émotion en question, pouvant expliquer que certains se mettent à défendre les confinements, peut être la peur, bien compréhensible, de l'épidémie, mais d'autres choses aussi : après avoir subi les confinements, cela pourrait être le syndrome de Stockholm ou encore l'entêtement lié aux coûts irrécupérables (le fait de se dire que si on a fait tout ça il fallait bien que ce soit pour quelque chose, parce que c'est trop horrible d'imaginer qu'on a confiné pour rien — je pense qu'il y a beaucoup de gens qui raisonnent sans s'en rendre compte sur ce mode-là).

Voilà, maintenant je répète qu'il ne s'agit pas là pour moi de me défendre (je n'ai pas à le faire) mais d'expliquer comment je contrôle pour moi-même mes propres biais en même temps que je cherche à détecter ceux des autres.

Maintenant je ne veux pas non plus donner l'impression de prétendre que mon opinion sur le sujet des confinements est « objective » : déjà la question de savoir si les confinements ont un effet est assez mal posée, mais savoir s'ils font plus de bien que de mal est évidemment une question qui repose sur énormément de subjectivité dans la fonction d'évaluation de ce qui est « bien » ou « mal » : il va de soi que si on considère que la seule chose qui compte est de minimiser le nombre de morts covid on aura un jugement d'ensemble différent de si on considère que le confinement est une forme d'emprisonnement qui bafoue gravement les droits fondamentaux.

Il me semble donc pertinent de considérer la question comme une question de société clivante comme celles qui divisent la droite et la gauche en politique, au sens où il n'y aura pas de réponse objective ou scientifique ultime, mais ça n'interdit pas pour autant le débat dans lequel chacun défend son opinion, et bien sûr, même s'il n'y aura pas de réponse objective à quelque chose comme la gauche vaut-elle mieux que la droite ? ou les confinements font-ils plus de mal que de bien ? il y en aura à certaines questions évoquées au cours du débat (ne serait-ce que si on ne fait rien, à telle date il y aura tant de morts), et bien sûr on peut toujours chercher à combattre ses propres biais ou ceux des autres (comme l'idée d'être un millionnaire temporairement dans l'embarras). Attention, en faisant un parallélisme avec l'axe gauche-droite je ne prétends pas, et je pense même tout le contraire, qu'il serait plutôt de gauche ou plutôt de droite d'être favorable aux confinements : ce sont des questions tout à fait orthogonales, et si on peut argumenter selon les principes de telle ou telle opinion politique (par exemple en disant que les confinements ont causé énormément d'injustice sociale ou ont fait énormément de mal à la prospérité économique du pays), je crois complètement stupide l'idée selon laquelle si on est de gauche on doit être favorable aux confinements (je prends cet exemple parce que c'est surtout ça que j'ai tendance à entendre).

C'est notamment pour ces raisons que je tiens à utiliser le terme confinementisme : qu'on soit d'accord avec sur le fond ou pas, il faut reconnaître que le confinementisme (et sa forme la plus extrême, le zéro covid) est une idéologie et pas une conclusion scientifique. Je n'ai rien contre le fait qu'on exprime des opinions idéologiques (même si, quand elles se proposent d'emprisonner des dizaines de millions de personnes, je me sens fondé à les combattre avec la plus grande force), mais ce que je rejette le plus fortement, c'est qu'elles tentent de passer pour un consensus scientifique, une sorte de conclusion objective à laquelle serait arrivés des savants dénués de tout biais. Donc, qu'on s'interroge sur mes biais à moi et sur leur origine est légitime, mais à condition d'enquêter tout aussi scrupuleusement sur ceux des personnes qui tiennent l'idéologie contraire.

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