J'ai tout récemment commencé la lecture de deux livres que je crois déjà pouvoir recommander (il s'agit de nonfiction — comment diable est-on censé traduire ça en français ? — et du genre qu'on n'a pas spécialement de raison de lire dans l'ordre, donc je ne les « finirai » peut-être pas vraiment, ou pas clairement, ce qui m'incite d'autant plus à ne pas attendre ce moment hypothétique pour donner mon avis).
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Le premier (que j'ai trouvé en flânant chez W. H. Smith dimanche soir) s'appelle The Evolution of God (ISBN 978-0-349-12246-5[#]), de Robert Wright. Il s'agit d'un essai sur l'évolution[#2] des trois grandes religions monothéistes, du concept de Dieu dans celles-ci, et de leurs croyances de façon plus générale. Il ne s'agit pas à proprement parler d'un livre d'histoire, mais plutôt d'un livre à thèse, à mi-chemin entre l'histoire (de la pensée) et la philosophie (de la religion), écrit par un auteur qui est probablement athée, ou agnostique entre l'athéisme et le déisme sans confession ; les idées qu'il expose paraîtront probablement choquantes à un Juif, Chrétien ou Musulman très traditionnel, mais ne sont pas une attaque aussi frontale que celles de Dawkins dans The God Delusion : pourtant, je pense qu'elles sont bien plus « dangereuses » pour ces religions, parce qu'elles explorent la façon dont celles-ci sont nées et dont leurs préceptes n'ont pas toujours été les mêmes.
Wright consacre un chapitre aux religions naissantes, un au monothéisme juif, un à l'invention du christianisme, un à l'islam, et un qui semble plus général et plus philosophique sur l'avenir des religions. Je n'ai pour l'instant lu que le passage sur le christianisme (j'ai commencé par là) et le début de celui sur le judaïsme, mais ce que j'ai lu m'a beaucoup intéressé, et j'ai trouvé le point de vue de l'auteur assez séduisant.
Concernant le christianisme, Wright cherche à reconstituer quelles
ont pu être les croyances du Jésus historique (sur le compte duquel il
expose quelque chose de pas incohérent avec ce que je
proposais ici
et là, d'ailleurs, même s'il ne
s'intéresse pas tant au personnage qu'à ses idées) et comment
elles ont ensuite été revues par les évangélistes et par Paul de Tarse
(aka Saint Paul
). Il est assez convainquant, par exemple,
lorsqu'il explique que Jésus, dans le courant millénariste/messianique
juif, ne promettait certainement pas un paradis céleste
et après la mort mais la venue du Royaume de Dieu de son
vivant (ou en tout cas du vivant de ses disciples :
cf. Marc 9:1)
et sur Terre ; et que cette promesse a été revue et corrigée
(en faveur d'un paradis plus céleste, après la mort, et d'un Royaume
de Dieu plus symbolique) après évidemment le décès du prédicateur et
après que le Royaume de Dieu tardait décidément à se réaliser. Il est
aussi convainquant quand il défend l'idée que Jésus ne prêchait
certainement pas l'amour universel et l'égalité entre les hommes, mais
mettait clairement les Juifs en premier dans le Royaume de Dieu, les
Gentils n'ayant leur place que comme serviteurs qui ramassent les
miettes
(cf. Marc 7:25–29),
et que l'idée n'est venue aux Chrétiens que quand ils (notamment Paul
de Tarse) ont voulu cimenter cette religion et l'exporter aux
non-Juifs. Je ne rends cependant pas justice à Wright en résumant ces
thèses de façon aussi succincte. Je souligne que l'évolution qu'il
trace est celle des idées des premiers Chrétiens : il ne s'aventure
pas dans, par exemple, dans la théologie au Moyen-Âge, et évoque à
peine le Concile de Nicée — ce n'est pas le sujet qui le
préoccupe.
Concernant le judaïsme, son intérêt est d'étudier la façon dont le royaume d'Israël est passé du polythéisme à la monolâtrie puis au monothéisme, en inventant un dieu unique qui réalise la synthèse entre des divinités telles que El et Baʿal (l'un ayant défini le dieu de la bible tel qu'il est quand il est nommé sous ce même nom, l'autre ayant influencé sa version sous le nom de Yhwh). Là aussi, je trouve qu'il défend bien ses idées, par exemple quand il signale le parallèle entre l'assemblée des dieux évoquée au Psaume 82 (81 en grec) et le conseil des dieux que préside le dieu El. J'attends de finir ce chapitre et de lire celui sur l'islam pour me prononcer plus complètement.
[#] Une question qui me tracasse depuis un moment : quel lien « canonique » utiliser quand je parle d'un livre ? Je n'aime pas trop en fournir un vers Amazon ou un autre vendeur de ce genre, parce que je n'ai pas de raison de leur faire de la pub ; il n'y a pas toujours de site Web officiel du livre, et même s'il y en a un j'ai peur que ce genre de site soit moins pérenne que mon blog ou que l'ISBN ; je fournis généralement un lien vers le gadget-à-ISBN de Wikipédia, mais je ne trouve pas celu-ci très pratique. Que faire, alors ? Je me pose aussi un peu la même question pour les films, d'ailleurs : jusqu'à présent j'ai adopté la politique de faire toujours des liens vers leur entrée dans IMDB, mais je commence à me dire que ce n'est pas forcément le plus neutre.
[#2] J'imagine que le mot est choisi à dessein comme clin d'œil aux cinglés qui rejettent les théories fondamentales de la biologie pour des raisons religieuses.
★
L'autre livre (que j'ai reçu ce matin) n'a aucun rapport : il s'agit d'un traité en trois volumes sur la prononciation de l'anglais et de ses accents, Accents of English de J. C. Wells (ISBN 978-0-521-29719-6 pour le volume 1, 978-0-521-28540-7 pour le volume 2, et 978-0-521-28541-4 pour le volume 3). Ceux qui pensent que le sujet est aride se trompent !
Je connaissais déjà J. C. Wells parce qu'il est aussi l'auteur de
l'excellent Longman
Pronunciation Dictionary
(ISBN 978-1-4058-8118-0
pour la 3e édition), que je recommande également très
vivement (c'est le seul dictionnaire que je connaisse à donner
fiablement la prononciation britannique et américaine, en l'occurrence
en alphabet phonétique, ainsi que de nombreuses variantes, et des
statistiques de préférences dans les cas où il y a des doutes).
Néanmoins, ce Pronunciation Dictionary
reste limité à la Received Pronunciation
anglaise et à la prononciation américaine synthétique connue sous le
nom de General American
. Son
livre Accents of English ne se limite pas à
ça : il décrit soigneusement les différents accents britanniques (dans
le volume 2), mais aussi (dans le volume 3), les différents accents
américains, canadiens, australien, néo-zélandais, sud-africain,
indiens[#3] et plus.
Il serait facile de rendre la chose complètement illisible : devant la masse de voyelles de l'anglais, et la masse d'accents qui existent, on a vite fait de se perdre. Ce qui est remarquable avec le livre de Wells, tel qu'il m'apparaît après un examen encore peu approfondi, c'est qu'il arrive à faire la synthèse d'une masse de faits disparates de façon qu'on s'y retrouve. Chose que je n'ai probablement pas réussi à faire dans une entrée récente de ce blog, qui ne parlait pourtant que d'un tout petit groupe de voyelles !
Le volume 1 est introductif et peut se suffire à lui-même : il
présente la problématique générale, évoque la définition de ce qu'est
un accent
et la manière dont ils diffèrent, puis il décrit les
accents standards Received Pronunciation
et General American
et la façon dont ils
diffèrent, la phonémique (notamment des voyelles) et l'évolution
historique. Je pense que ce livre est très précieux pour quiconque
s'intéresse à la phonétique et veut apprendre à « parler l'anglais
correctement » (quoi
que correctement
veuille
dire). Les volumes 2 et 3 décrivent ensuite en détail les accents
anglais de différentes parties du monde, comme je l'ai expliqué, avec
toujours beaucoup de soin (par exemple j'y trouve une explication très
claire et soigneuse du
fameux Canadian
rising qui fait que les Américains croient souvent,
complètement à tort, que les Canadiens
prononcent about
comme ils
disent a boot
).
[#3] Je mets des pluriels un peu au hasard, puisqu'il n'est pas clair ce que signifie le fait d'avoir un ou plusieurs accents dans un pays. Mais dans sa section consacrée au Canada, Wells consacre une sous-section particulière à Terre-Neuve, alors que pour ce qui est de l'Australie, s'il mentionne évidemment des différences, il ne distingue pas une région particulière.