David Madore's WebLog: Histoire des droits en Europe de Jean-Louis Halpérin

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(jeudi)

Histoire des droits en Europe de Jean-Louis Halpérin

Je viens de finir de lire le livre Histoire des droits en Europe (de 1750 à nos jours) de Jean-Louis Halpérin (dans sa nouvelle édition sortie en 2020, collection Champs Histoire chez Flammarion). Peut-être est-il pertinent pour la critique qui va suivre de préciser que je l'ai lu aux toilettes. Ce n'est pas un reproche ni une façon de dire que le droit m'emmerde : c'est juste que je laisse volontiers dans mes toilettes des livres dont la structure se plie sans trop de problème au fait que je pourrai reprendre et interrompre la lecture à n'importe quel moment. Il se trouve par ailleurs que j'aime bien lire, en dilettante, des choses sur l'histoire du droit ou le droit comparé (cf. par exemple cette entrée ou celle-ci), ce qui peut expliquer des choix un peu inattendus : un de mes amis rigolait de voir le livre Histoire du droit pénal et de la justice criminelle de Jean-Marie Carbasse dans mes toilettes, mais il était plus aride que celui dont je veux parler ici.

Le livre de Halpérin entreprend une tâche assez titanesque : dresser un portrait comparé de l'histoire des droits en Europe depuis le début de la période contemporaine. C'est-à-dire que malgré la restriction sur l'époque (seulement depuis 1750, même s'il y a quelques évocations rapides des périodes antérieures) et sur la géographie (l'Europe), il s'agit de faire rien de moins que l'histoire de toutes les branches du droit dans tous les pays d'Europe depuis deux siècles et demi. C'est assez fou, et il faut admettre qu'il ne s'en tire pas mal. Forcément, traiter quelque chose d'aussi colossal en moins de 500 pages format poche oblige à s'en tenir au minimum, mais il réussit assez bien la synthèse, et j'ai appris beaucoup de choses intéressantes, — que je me suis empressé d'oublier.

Je ne sais pas bien quel est le public visé. Étudiants en droit ? sans doute pas, parce que l'auteur n'utilise pas le plan ultra-analytique typique des ouvrages de droit français, copié sur les textes de codes, divisés en parties, titres, chapitres, sections et autres subdivisions sans intitulé jusqu'au paragraphes numérotés consécutivement comme si c'étaient des articles de code (hiérarchie qui rappelle un peu l'étiquetage des degrés de la classification du vivant) : le livre de Halpérin est juste divisé en parties et en chapitres, pas plus. Étudiants en histoire peut-être plutôt, parce qu'il ne parle pas de ce que dit le droit mais aussi des relations entre les droits et la société, l'histoire des combats pour obtenir tel ou tel droit (même si ce n'est pas le cœur de son sujet), etc. Ou simplement le grand public : le livre est tout à fait lisible par tout le monde, même si évidemment tout le monde ne le trouvera pas forcément très intéressant.

La principale difficulté a manifestement dû être d'établir un plan : quand il y a au moins trois grandes dimensions à parcourir simultanément (la branche du droit, le pays et la période historique), il n'est pas évident de savoir dans quel ordre prendre les choses ! Faire une partie par branche du droit ? Suivre un plan strictement chronologique, quitte à passer sans arrêt d'un domaine à un autre ? Traiter les pays ou les groupes de pays les uns à la suite des autres ? Ici, il a choisi un compromis entre le plan thématique et le plan chronologique : la première partie (le renouvellement du cadre normatif) parle de la transition des anciens régimes vers des institutions parlementaires et aussi du mouvement de codification du droit, jusque, en gros, la première guerre mondiale ; la seconde partie (attentes sociales et orientation du droit) traite en autant de chapitres du développement et de l'évolution du droit du travail, du droit commercial, du droit de la famille et des personnes, et de l'organisation du droit lui-même (pensée et professions juridiques) sur une période qui va très grossièrement de 1850 à la première guerre mondiale (même s'il déborde dans un sens ou dans l'autre selon ce qui est pertinent pour le sujet évoqué) ; la troisième partie (ruptures et divergences) évoque essentiellement la période de 1914 à 1945 et s'organise par types de pays (URSS, états libéraux, états fascistes ou fascisants) ; enfin, la quatrième partie (confluences et pluralismes) traite de l'après seconde guerre mondiale selon une organisation thématique (démocratie, état-providence, droit des personnes, naissance du droit européen). Une annexe vient compléter le tout en évoquant très brièvement quelques thèmes transversaux : droit des étrangers, mariage (un thème déjà évoqué à plusieurs reprises dans le corps du livre), organisation et procédure administrative, organisation judiciaire, peine de mort, prisons, procédure civile, procédure pénale. Je trouve qu'avoir réussi à organiser tant de choses dans un plan qui, finalement, tient assez bien la route, est en soi presque un exploit.

L'exercice, bien sûr, a ses limites : si je devais retrouver quelque chose, je crois que j'aurais du mal (malgré un index très — presque trop — fourni). Mais le plan a la vertu qu'on peut lire le livre d'un bout à l'autre sans avoir l'impression d'une trop grande aridité ni répétition, et qu'on peut aussi picorer dedans sans devoir sans arrêt chercher ce qui a été dit avant sur tel ou tel sujet. (Et, globalement, c'est un livre qui se lit très bien aux toilettes — encore une fois, ce n'est pas un reproche.)

Bon, si j'ai appris beaucoup de choses sur plein de sujets, je me suis empressé de les oublier : à partir de quand et sous quelle forme le droit de grève a-t-il été reconnu dans les différents pays d'Europe ? comment l'égalité des droits entre femmes et hommes s'est-elle mise en place et quand et comment le divorce a-t-il été reconnu ? quand est apparue la notion de société à responsabilité limitée ? quand a-t-on mis en place des élections locales dans les différents pays européens, et à quels niveaux ? Voici quelques unes des questions dont j'ai trouvé des réponses dans ce livre, ainsi que bien d'autres, mais j'ai été incapable de la retenir, parce qu'il y a vraiment trop de complexité historique et géographique (chacun de ces droits a eu une histoire différente d'un pays à un autre, et des spécificités locales). Mais je suis quand même content d'avoir été brièvement moins bête, et certainement d'avoir tué quelques idées fausses au passage.

Vu le faible prix que coûte un livre de poche (16€), et le faible encombrement que cela représente, je pense vraiment pouvoir recommander de l'acheter si on n'a ne serait-ce qu'un peu de curiosité autour de ces questions. Mettez-le aux toilettes, au pire ouvrez-le au hasard, vous apprendrez bien des choses, même si c'est pour les oublier aussitôt.

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