Samedi je vais anéantir mon bilan carbone excellent depuis sept ans et demi (je n'ai voyagé qu'en train pendant ce temps) en allant aux États-Unis. Comme j'imite assez mal la masse en rang serré des pauvres et fatigués aspirant à la liberté, ce sera seulement pour de petites vacances avec ma belle-famille. Mes parents viendront nourrir les peluches. Mon passeport est prêt.
(Je ne posterai donc probablement pas sur ce blog d'ici après Noël. Parce que si on avait un réseau de communications capable de faire traverser l'Atlantique à de l'information à la vitesse de la lumière, ça se saurait, n'est-ce pas ? Enfin, sauf si je décide de dumper une entrée mathématique à moitié finie ou deux, juste pour m'en débarrasser.)
Je suis un immense angoissé des voyages. Pas du vol en avion en lui-même, mais plutôt de l'idée d'oublier de faire ou de prendre quelque chose d'important avant de partir. (Certes, nous n'allons pas exactement au milieu de nulle part, mais je peux imaginer plein de choses qui seraient difficiles à trouver sur place pour une raison ou une autre, comme je ne sais quel médicament pour Ruxor hypocondriaque, ou trop chères à remplacer.) Ou au contraire, de prendre quelque chose auquel je tiens et dont les mesures de sécurité incompréhensibles du transport aérien m'obligeraient à choisir entre abandonner ou rater mon vol. (Par exemple si mon portable n'avait plus de batterie au moment où il faut l'allumer pour prouver que c'est un vrai.) Ou de me faire voler mes bagages — ou qu'ils se retrouvent à Rio ou Shanghai. Ou que ma carte de crédit ne fonctionne pas. Ou qu'elle se fasse voler (enfin, plutôt, que son numéro se fasse voler dans un pays qui n'a toujours pas progressé jusqu'à la technologie « carte à puce »). Ou que l'hôtel n'ait pas enregistré notre réservation. Ou que pour des raisons idiotes je n'arrive pas à prendre une offre téléphonique prépayée me permettant d'avoir partout l'accès Internet nécessaire à ma survie (parce que Orange France facture les connexions données depuis les États-Unis à environ 14000€ le giga-octet, et non, ce n'est pas une blague : je ne trouve même pas les mots pour dire à quel point c'est du vol). Ou que nous manquions notre correspondance à Toronto (vu que le vol Paris→Toronto que nous prenons a une heure de retard quasiment tous les jours en ce moment, c'est hautement envisageable). Ou que je tombe malade dans ce pays où il soit impossible soit hors de prix de voir un médecin (bon, nous avons pris une assurance médicale spécifique, mais elle ne doit couvrir que les vrais cas d'urgence, pas une grippe). Ou d'attraper des punaises de lit dans l'avion ou l'hôtel. Bref, mon cerveau est très fort pour me préfigurer toutes sortes de contrariétés possibles.
Au moins je n'ai pas l'anxiété de ne pas connaître la langue de l'endroit. Mais elle est remplacée par celle d'aller dans un pays qui me semble souvent exceptionnellement archaïque, et dont les bizarreries vont (à part ce que j'ai déjà dit sur le système bancaire ou médical) de choses pittoresques et inoffensives comme le fait que les gens continuent d'utiliser un système d'unités tribales apparemment surgies d'un livre de heroic fantasy, à des manifestations plus inquiétantes comme le fait que ces mêmes gens croient nécessaire de s'armer comme s'ils étaient des aventuriers de Donjons & Dragons, mais avec des armes à feu plutôt que des épées (qui auraient au moins le mérite de la classe). Il n'est pas étonnant que dans un pays qui se croit comme ça en plein médiéval fantastique finisse par pratiquer la torture comme on se l'imagine. Mais bon, au moins, je ne commets pas le grave crime d'être de couleur, ça devrait faciliter les éventuelles interactions avec la police.