David Madore's WebLog: Et pendant ce temps-là, la CGPM fait des bêtises et décide de casser le temps sur Terre (ou pas)

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(dimanche)

Et pendant ce temps-là, la CGPM fait des bêtises et décide de casser le temps sur Terre (ou pas)

Youhou, deux entrées dans mon blog cette semaine ! Mais quand ce n'est pas Elon Musk qui fait des bêtises, c'est la CGPM. Décidément, je ne peux pas laisser l'Univers une seconde sans qu'il se mette à déconner !

La 27e Conférence Générale des Poids et Mesures, donc, s'est réunie cette semaine. Elle a adopté sept résolutions (le texte de celles-ci est disponible au lien précédent) : les nº1 (Sur le rapport préparé par le Comité international des poids et mesures sur l'évolution des besoins dans le domaine de la métrologie) et nº2 (Sur la transformation numérique mondiale et le Système international d'unités) sont du blabla qui sert juste à faire jeune, la nº6 (Sur l'adhésion universelle à la Convention du Mètre) est du blabla politique, la nº7 (Sur la dotation du Bureau international des poids et mesures pour les années 2024 à 2027) est de l'administration interne, mais les nº3 à 5 méritent qu'on s'y attarde un peu plus, notamment parce que la nº4 pourrait représenter une révolution dans la gestion du temps (vous pouvez sauter la description des 3 et 5 si ce sont les secondes intercalaires qui vous intéressent ainsi que la question de savoir si le temps va être cassé, mais je vais quand même en dire un mot).

La résolution nº3 (Sur l'extension de la liste des préfixes du SI) crée quatre nouveaux préfixes SI : ronna (‘R’) pour 1027, ronto (‘r’) pour 10−27, quetta (‘Q’) pour 1030 et quecto (‘q’) pour 10−30. On a donc, par exemple, maintenant le droit de dire que le Soleil pèse 1988 quettagrammes tandis que la Terre, elle, pèse 5.972 ronnagrammes, ou encore que la masse de l'électron pèse 911 quectogrammes tandis que le proton, lui, pèse 1673 rontogrammes. C'est complètement ridicule, mais ça ne fait pas vraiment de mal. Ceci dit, je serais vraiment curieux de savoir qui a vraiment pris ces décisions et les a fait avaler aux délégués nationaux à la CGPM, et pourquoi : le moins qu'on puisse dire est que le processus est assez opaque, on ne semble pas avoir accès aux vrais documents préparatoires aux décisions. La seule explication que je trouve quant au nom et symbole des préfixes est ici, et elle n'explique pas grand-chose. Personne n'utilise ces préfixes farfelus (en vrai, la masse du soleil s'exprime en kilogrammes, comme 1.988×1030 kg, la masse des objets astronomiques s'exprime en… masses solaires ; et la masse du proton s'exprime en MeV) ; le plus proche que je trouve d'une explication, c'est que les préfixes « grands » seraient utiles pour des quantités de données (apparemment il y a des gens qui parlent vraiment de zettabytes et qui envisagent déjà quelques ordres de grandeurs au-dessus ?) ; reste donc aussi à ce que quelqu'un (qui ?) formalise les préfixes binaires équivalents robi (préfixe ‘Ri’) pour 290 et quebi (préfixe ‘Qi’) pour 2100, et on pourra dire qu'un quebi-octet vaut 1.268 quetta-octets et le ridicule sera achevé. Mais bon, au moins, ce ridicule ne tue pas, et même, honnêtement, ne fait guère de mal.

La résolution nº5 (Sur la future redéfinition de la seconde) prépare le terrain à une redéfinition de la seconde SI, probablement pour utiliser des fréquences optiques (des fréquences de l'ordre de 1015 Hz ou de la centaine de térahertz) au lieu de la transition hyperfine de l'atome de césium-133 (qui se fait à environ 1010 Hz, très exactement 9 192 631 770 Hz). Il paraît que ces horloges optiques devraient atteindre des précisions encore supérieures aux meilleures horloges atomiques (à fontaine d'atomes de césium ou de rubidium) et possiblement dépasser des précisions de l'ordre de 10−16 partie par partie (de l'ordre de 1 seconde par milliard d'années). Je ne m'y connais pas, mais là, c'est clairement du domaine d'attribution du BIPM (et de la CGPM qui le contrôle) de s'occuper de ça, et c'est très bien.

Reste la résolution nº4 (Sur l'utilisation et l'évolution future de l'UTC), et c'est là que je tique vraiment. Des journalistes ont résumé la chose en disant que la décision avait été prise d'abolir les secondes intercalaires d'ici 2035. Dit comme ça c'est faux[#], comme d'habitude avec les journalistes, ce n'est pas ce que dit le texte de la décision votée, mais ce qui a vraiment été décidé et là où ils veulent en venir n'est pas super clair. Commençons par rappeler le contexte.

[#] Je cite le premier paragraphe de l'article du International Business Times : Scientists and government representatives meeting at a conference in France voted on Friday to scrap leap seconds by 2035, the organisation responsible for global timekeeping said. — À peu près tout est faux là-dedans : sans compter que le terme a conference in France suggère vraiment autre chose qu'une organisation internationale établie depuis 147 ans, ce n'est certainement pas the organisation responsible for global timekeeping, et la décision n'a pas été prise to scrap leap seconds by 2035, ce n'est pas ce que dit la résolution, et même si c'est peut-être l'intention, ce n'est pas clair, comme je vais le dire.

❀✿❀ Les secondes intercalaires ❀✿❀

Historiquement, la seconde était la partie 1 / 86 400 du jour solaire moyen (parce qu'un jour fait 24 heures de 60 minutes de 60 secondes, et 24×60×60 = 86 400). Mais la rotation de la Terre autour d'elle-même est légèrement irrégulière quand on y regarde de très près, et pour plus de précision, la seconde a été redéfinie sur la base de la révolution de la Terre autour du Soleil, puis sur la base d'horloges atomiques, considérablement plus précises, donc sur la base d'une certaine vibration de l'atome de césium-133 : je ne rentre pas dans les détails de ces redéfinitions (voir cette entrée passée), mais en gros, parce que les valeurs ont été basées sur des tables astronomiques établies à la fin du XIXe siècle et elles-mêmes basées sur des observations réalisées entre environ 1750 et 1850, la seconde correspond à la partie 1 / 86 400 du jour solaire moyen non pas maintenant mais grosso modo autour de l'année 1800, et la rotation de la Terre a un peu ralenti depuis. Donc, maintenant que la seconde SI a été définie de façon très très très (très !) précise (et, désolé, il n'est vraiment plus possible de la changer maintenant), le jour solaire moyen fait actuellement plutôt autour de 86400.002 secondes, avec plein d'irrégularités autour de cette valeur (voir ici pour un graphe de l'excès de la durée du jour par rapport à 86 400 s, en millisecondes, sur l'intervalle 1964–2002, avec la décomposition des divers effets : je ne sais pas où trouver des données plus récentes, mais actuellement on est provisoirement retombé en-dessous de 86 400 et je vais y revenir).

Bon, alors, si la seconde SI est telle que la durée du jour moyen fait 86400.002 secondes et qu'on veut diviser le jour en 24 heures de 60 minutes de 60 secondes, il n'y a pas besoin d'être très fort en maths pour se rendre compte qu'il va y avoir un problème. Que fait-on ?

Il y a plusieurs approches imaginables, suivies par différentes échelles de temps : ignorer le problème et compter juste les secondes SI, ou suivre vraiment le Soleil, ou essayer de faire un compromis entre les deux. Respectivement :

  • L'approche j'ignore le problème, je compte juste le temps en secondes est celle suivie par le temps atomique international (TAI) : le temps TAI est simplement un décompte de secondes à la surface de la Terre réalisé par les meilleures horloges atomiques, et il ignore le jour solaire. Il se décale donc progressivement du temps solaire mesuré au méridien de référence (en ayant tendance à avancer puisque le jour solaire moyen est plus long que les 86400s exactement d'un jour TAI, donc TAI avance). Actuellement, TAI est en avance d'environ 37s par rapport au temps solaire qui fait l'objet du point suivant.
  • L'approche j'ignore la seconde, je regarde le vrai temps solaire est celle suivi par le temps universel (astronomique observé), disons UT1. Bon, c'est compliqué, il y a plein de temps universels astronomiques différents (UT0, UT1, UT2, mais plus personne n'utilise UT2 et UT0 est une mesure brute bruitée, donc celui qui importe est UT1 qui apporte des corrections de la nutation et du mouvement des pôles), mais pour simplifier, UT1 est le temps solaire observé par les astronomes au méridien de référence (le 0° de longitude). Du coup, son écoulement n'est pas exactement régulier (parce que la Terre tourne plus ou moins vite selon le moment), ni même prévisible à l'avance, et il ne compte pas en secondes SI, ce n'est même pas vraiment un temps, c'est plutôt un angle de rotation de la Terre. Ce n'est pas non plus un temps pratique à utiliser, parce qu'on ne le connaît vraiment que a posteriori, et il faut faire des observations astronomiques pour ça.
  • Et l'approche faisons un compromis entre les deux. Le compromis actuellement en vigueur, qui porte le nom de temps universel coordonné, UTC (autrefois GMT ou heure de Greenwich), consiste à dire : on compte le temps en secondes SI, mais on ne s'écarte pas trop de UT1 (le vrai temps solaire observé), et si on va s'en écarter trop, on introduit une seconde en plus ou en moins appelée seconde intercalaire pour revenir proche de UT1.

Le temps universel coordonné UTC est la base de l'heure légale partout dans le monde, donc c'est lui qui importe le plus. (L'heure légale en France, par exemple, est UTC plus une heure en hiver, et plus deux heures en été, cf. cette entrée-là sur le sujet. Il y avait un doute sur le Danemark, je crois, qui peut-être utiliserait UT1 et pas UTC comme base pour son temps légal, mais si je me rappelle bien c'est sur la base d'une interprétation assez hasardeuse d'un texte de loi et je pense que personne ne prend ça très au sérieux. On peut aussi faire valoir des différences minuscules — quelques nanosecondes — entre les horloges atomiques maîtresses des différents pays dans la réalisation d'UTC, l'heure UTC finale définitive étant connue a posteriori par un travail de synchronisation très fin entre ces horloges, mais là c'est vraiment du coupage de cheveux en quatre alors que la différence entre TAI, UT1 et UTC, elle, ne l'est pas, 37 secondes ce n'est pas un truc qu'on peut juste ignorer.)

Les règles actuellement en vigueur pour UTC sont les suivantes :

  • UTC est toujours décalé d'un nombre entier de secondes par rapport à TAI (il a actuellement exactement 37 secondes de retard : TAIUTC=37s). Autrement dit, il compte des secondes SI comme le font les horloges atomiques, et de la même manière qu'elles (notamment à l'intérieur de la seconde).
  • UTC doit toujours rester dans un intervalle de 1 seconde (voire 0.9s) en plus ou en moins par rapport à UT1 (qui, je le répète, est le temps solaire moyen observé au méridien de référence ; en ce moment, ils sont égaux à moins de 0.05s, mais ça peut monter à une fraction de seconde).
  • Lorsque c'est nécessaire pour réaliser le point précédent, on insère ou retranche une seconde entière à UTC pour le remettre à plus ou moins 1 seconde de UT1. Cette seconde en plus ou en moins porte le nom de seconde intercalaire (positive ou négative) et vient prendre la place juste avant 00:00:00 temps universel, de préférence le 1er janvier, éventuellement le 1er juin, ou si vraiment nécessaire, le 1er mars ou le 1er septembre. Elle doit être annoncée six mois à l'avance.

En cas de seconde intercalaire positive (i.e., insérée, parce que UTC commence à être trop en avance sur UT1), le temps universel coordonné va donc, après 23:59:59 le 31 décembre (disons), passer à 23:59:60 toujours le 31 décembre, puis 00:00:00 le 1er janvier. (Mais ça ce sont des heures données en temps universel, justement, donc à Paris, par exemple, on aurait 00:59:59 puis 00:59:60, puis 01:00:00 tout ça le 1er janvier.) En cas de seconde intercalaire négative (i.e., retranchée, parce que UTC commencerait à être trop en retard sur UT1, mais pour l'instant ce n'est jamais arrivé), on va sauter directement de 23:59:58 à 00:00:00 sans que 23:59:59 existe. Au sein de chaque seconde, les millisecondes (ou microsecondes, nanosecondes, etc.) sont comptées normalement. Enfin, ça, c'est en principe, parce que, en vrai, bon courage pour trouver quelque chose qui va l'afficher correctement.

Ce système était sans doute prévu avec l'idée en tête que les gens ayant besoin d'une précision telle que 1 seconde en plus ou en moins soit importante étaient des scientifiques capables de gérer correctement les choses, et que les autres n'y verraient que du feu, on remettrait juste les horloges très légèrement à l'heure. L'ennui, c'est que les ordinateurs sont devenus de plus en plus précis dans leur capacité à maintenir l'heure, et que beaucoup de gens, entre temps, avaient adopté l'approche on ignore le problème.

Notamment, il y a beaucoup de systèmes informatiques qui, sans avoir forcément besoin d'une heure extrêmement précise, ont besoin de mesurer correctement des délais, et si l'heure saute soudainement de 1 seconde sous leurs pieds, parce qu'ils sont synchronisés avec une source de temps fiable, ils ne vont pas apprécier du tout. Et le problème, aussi, c'est qu'il n'est pas très clair comment on est censé représenter le temps autour de, et encore moins pendant, la seconde intercalaire.

En gros, c'est le bordel.

Le système d'informatique Unix (et en fait, tous les autres, si tant est qu'il y en ait vraiment d'autres, doivent faire essentiellement pareil) utilise comme base de temps le nombre de secondes écoulées en temps universel coordonné depuis le 1er janvier 1970 à 0h temps universel. Le problème c'est que ce n'est pas clair ce que cette définition veut dire, ou en tout cas, elle présente forcément une ambiguïté en cas de seconde intercalaire positive : on essaie de coder un temps sous forme d'un unique nombre, mais ceci cause forcément une ambiguïté au cours de la seconde intercalaire : quand on passe de 23:59:59 à 23:59:60 à 00:00:00, il y a forcément un moment où ce nombre va revenir en arrière, et du coup ce n'est plus possible de récupérer l'information fiable de l'heure qu'il est à partir de ce seul nombre (alors que, en principe, UTC correctement écrit sous forme de date + heure+minute+seconde + fraction de seconde, il permet de représenter n'importe quel temps de façon parfaitement inambiguë, l'ambiguïté apparaît en voulant réduire ce temps en un seul nombre ; si vous voulez les détails archi-détaillés, voyez cette page où j'explique les choses précisément).

Personne n'ayant réussi à se mettre d'accord sur comment réparer le bordel, le bordel persiste.

(Je vois deux approches principales pour réparer les choses, pas forcément incompatibles car le système peut parfaitement fournir plusieurs standards de temps différents à la demande du programmeur qui l'interroge. Ma proposition, faite au lien précédent, consiste à changer très légèrement le temps renvoyé par le système au sein de la seconde intercalaire, pour donner un nombre de millisecondes, microsecondes ou nanosecondes qui dépasse 1000, 1 000 000 ou 1 000 000 000 pendant cette seconde, ce qui restaure le caractère inambigu de l'information complète secondes et milli/micro/nano-secondes ; et bien sûr, si on ignore la fraction de seconde, ce n'est pas pire que le bordel actuel. La proposition de Google, décrite ici, consiste à lisser la seconde intercalaire sur une période de 12h+12h avant et après la seconde intercalaire, c'est-à-dire qu'on aurait un temps « lissé » qui coïncide avec UTC 12h avant la seconde intercalaire et 12h après, et qui bat un tout petit peu plus lentement dans le cas d'une seconde intercalaire positive, ou un tout petit peu plus vite dans le das d'une seconde intercalaire négative, pendant les 86 401 ou 86 399 secondes entre les deux, pour faire croire qu'il s'agit de 86 400 secondes. Cette proposition garantit aussi l'inambiguïté du temps, et elle me semble parfaitement sensée, je pense juste qu'il ne faut pas l'appeler UTC ni la faire passer pour telle mais qu'il faut la standardiser comme un temps différent, qu'on pourra ensuite incorporer dans des standards informatiques ; et on doit quand même fournir au programmeur le moyen de demander la vraie valeur de UTC, ou d'ailleurs de TAI. Mais le fait est que les informaticiens n'arrivent pas à se mettre d'accord — voir notamment les réponse à ce tweet, par exemple ici et et et et encore pour quelques branches intéressantes mais qui tournent parfois au dialogue de sourds — sur ce qu'il faut faire exactement, et comme chacun code dans son coin sur la base de ses idées sur ce qu'il faut faire parce que les standards sont plus ou moins contradictoires, le bordel ne se résout pas, à la limite il empire. Voir aussi cette page pour une description de ce qui peut se passer et ce qu'on peut y faire.)

Et tout ça n'est pas que théorique : l'insertion d'une seconde intercalaire avant le 1er juillet 2012 a causé, suite à un bug dans le noyau Linux (pour simplifier, un décalage entre deux horloges internes), le fait que tous les systèmes Linux affectés tournaient à 100% d'utilisation du processeur jusqu'à ce qu'ils soient redémarrés (ou que leur heure soit reréglée manuellement), ce qui s'est vu de façon très significative dans la consommation électrique des datacenters. (Voir ici et ici pour une explication détaillée du bug.) Bon, maintenant ce bug a été réparé, et normalement les secondes intercalaires ne devraient pas provoquer trop de dégâts, mais il faut quand même compter sur le fait que, pendant en gros au moins une journée après, les horloges risquent d'être désynchronisées jusqu'à une seconde. Et on ne sait jamais si de nouveaux bugs ne sont pas introduits : c'est très difficile à tester puisque, justement, ça n'arrive qu'une fois tous les six mois à quelques années selon la manière dont la Terre décide de tourner.

Bref, les secondes intercalaires causent problème, c'est indéniable. Ma position est que la bonne approche est de corriger ces problèmes, et pour ça il faut fouetter les informaticiens pour qu'ils se mettent d'accord sur des standards clairs et qu'ils les implémentent. Il n'y a aucune raison pour qu'on ne puisse pas avoir une heure précisément correcte, à quelques millisecondes près (précision typique sur un PC ayant une connexion réseau correcte), en permanence, y compris juste avant, pendant et juste après la seconde intercalaire ; il n'y a aucune raison pour que l'horloge de mon ordinateur n'affiche pas 00:59:60 quand il est 00:59:60 heure de Paris, et si elle ne l'affiche pas (or elle ne l'affichera pas), selon moi, c'est un bug, et ce bug doit être corrigé (et en même temps, si je décide de jouer un fichier musical de 60 secondes juste 30 secondes avant la seconde intercalaire, il doit durer 60 secondes, disons de 00:59:30 à 01:00:29, et pas 61 secondes, et s'il dure 60 secondes ou qu'il y a un artefact dans la manière dont il est joué, c'est aussi un bug). Mais bon, indiscutablement, en l'état actuel, il y a des problèmes nombreux (mais pas catastrophiques pour autant, sauf peut-être pour les traders qui font du trading haute fréquence).

Ceci dit, tout ça concerne les secondes intercalaires positives, celles où on insère une seconde additionnelle, parce que c'est la seule chose qui s'est jamais produite jusqu'à présent. Qu'arrivera-t-il en cas de seconde intercalaire négative, si on retranche une seconde ?

À mon avis, rien de bien mal. Les conséquences devraient être moindres que l'insertion d'une seconde : l'horloge fera un saut vers l'avant au lieu d'un saut vers l'arrière, et voyager dans le temps vers l'avenir est toujours moins problématique que voyager vers le passé ; l'ordinateur se comportera, au pire, comme s'il avait freezé pendant une seconde, il n'y aura pas d'ambiguïté sur le temps, bref, rien de grave. Mais je comprends qu'on puisse s'en inquiéter.

Comment se pourrait-il qu'il y eût des secondes intercalaires négatives si la durée de rotation de la Terre est supérieure à 86 400 secondes ? Eh bien le truc est qu'elle est irrégulière, et parfois elle accélère (même si on sait qu'à long terme elle a tendance à ralentir sous l'effet des marées). Or en ce moment, c'est le cas, et la différence UT1TAI, qui a tendance à diminuer, diminuait de plus en plus lentement, rendant les secondes intercalaires de plus en plus rares (donc de plus en plus difficiles à débugguer !) et depuis juin 2020, en gros, UT1TAI augmente, c'est-à-dire que UT1 avance plus vite que TAI, c'est-à-dire que la durée du jour solaire est (temporairement !) plus courte que 86 400 secondes SI, et si ça continue on va devoir introduire une seconde intercalaire négative, la première du système. (Voyez ce graphique qui représente la différence UT1UTC, celle qui est censée rester entre −1s et +1s : chaque discontinuité est une seconde intercalaire qui a été ajoutée pour rester dans l'intervalle, la partie verte de la courbe est la partie passée (observée), la partie rouge est une prévision à court terme. Voir aussi le graphique sur cette page qui montre la différence UT1TAI, en rouge, et UTCTAI, en blanc.)

Je ne sais pas si on a une idée de combien de temps cette bizarrerie va durer (la Terre qui tourne très légèrement plus vite que la référence), mais moi, en tout cas, je n'en ai pas.

✿❀✿

Bon, alors, qu'a décidé la CGPM cette semaine ? Le problème c'est que le texte de la résolution ne dit pas grand-chose, et il faut lire entre les lignes. Le voici reproduit in extenso :

Résolution 4

Sur l'utilisation et l'évolution future de l'UTC

La Conférence générale des poids et mesures (CGPM), à sa 27e réunion,

rappelant que

  • le Temps universel coordonné (UTC) est une échelle de temps produite par le Bureau international des poids et mesures (BIPM) ayant la même marche que le Temps atomique international (TAI) mais différant du TAI par un nombre entier de secondes seulement,
  • le décalage d'un nombre entier de secondes est dû au fait de maintenir l'accord entre l'UTC et l'échelle de temps qui est calculée à partir de l'angle de rotation de la Terre (UT1),
  • lorsque la différence (UT1UTC), telle qu'observée par le Service international de la rotation terrestre et des systèmes de référence (IERS), a une valeur prédite proche de 0,9 seconde, une seconde intercalaire est introduite selon la procédure décrite dans la Recommandation UIT-R TF.460-6 du Secteur des radiocommunications de l'Union internationale des télécommunications (UIT-R),

rappelant par ailleurs que la CGPM à sa 26e réunion (2018)

  • a déclaré que l'UTC est l'unique échelle de temps recommandée comme référence internationale et qu'elle est à la base du temps civil dans la plupart des pays,
  • a recommandé à toutes les organisations et unions concernées de travailler ensemble afin de parvenir à une compréhension commune des échelles de temps de référence, de leur réalisation et de leur dissémination, l'objectif étant d'examiner les limites actuelles de l'amplitude maximale d'UT1UTC afin de répondre aux besoins des communautés d'utilisateurs actuelles et à venir,

saluant la signature d'un protocole d'accord entre le BIPM et l'Union internationale des télécommunications (UIT) qui confirme que les deux organisations continueront à travailler en commun afin d'améliorer l'accès à l'UTC,

notant que

  • la valeur maximale acceptée pour la différence (UT1UTC) fait l'objet de discussions depuis de nombreuses années car l'introduction de secondes intercalaires qui en découle crée des discontinuités qui risquent de provoquer de graves dysfonctionnements d'infrastructures numériques essentielles, telles que les systèmes globaux de navigation par satellite (GNSS), les systèmes de télécommunication et ceux de transmission d'énergie,
  • les opérateurs de réseaux numériques et systèmes GNSS ont développé et appliqué différentes méthodes d'introduction des secondes intercalaires qui ne suivent pas de normes convenues,
  • la mise en œuvre de ces différentes méthodes non coordonnées menace la résilience des capacités de synchronisation qui étayent des infrastructures nationales critiques,
  • l'utilisation de ces différentes méthodes génère par ailleurs de la confusion, ce qui compromet la reconnaissance de l'UTC comme unique échelle de temps de référence et remet en question le rôle des laboratoires nationaux de métrologie (et laboratoires désignés) comme sources de traçabilité aux étalons métrologiques nationaux et internationaux,
  • les récentes observations de la vitesse de la rotation de la Terre indiquent qu'il pourrait être nécessaire d'introduire pour la première fois une seconde intercalaire négative, ce qui n'a jamais été envisagé ou testé,
  • le Comité consultatif du temps et des fréquences (CCTF) a conduit une étude approfondie auprès d'institutions métrologiques, scientifiques et technologiques, ainsi qu'auprès d'autres parties prenantes, dont les réponses confirment la position selon laquelle des mesures doivent être prises afin de résoudre la question des discontinuités de l'UTC,

reconnaissant que l'utilisation de l'UTC comme unique échelle de temps de référence pour l'ensemble des applications, y compris les réseaux numériques avancés et les systèmes satellitaires, requiert de définir de façon claire et sans ambiguïté l'UTC comme une échelle de temps continue disposant d'une chaîne de traçabilité parfaitement comprise,

décide que la valeur maximale pour la différence (UT1UTC) sera augmentée au plus tard en 2035,

demande au CIPM de consulter l'UIT, ainsi que d'autres organisations qui pourraient être concernées par cette décision, afin de préparer les actions suivantes :

  • proposer une valeur maximale pour la différence (UT1UTC) qui permettra d'assurer la continuité de l'UTC pendant au moins un siècle,
  • préparer un plan de mise en œuvre d'ici 2035 au plus tard de la valeur maximale proposée pour la différence (UT1UTC),
  • proposer une périodicité pour l'examen par la CGPM de la nouvelle valeur maximale après sa mise en œuvre afin que la CGPM garde le contrôle de l'applicabilité et de l'acceptabilité de la valeur appliquée,
  • rédiger une résolution décrivant ces propositions qui sera soumise pour adoption par la CGPM à sa 28e réunion (2026),

encourage le BIPM à travailler avec les organisations concernées afin d'identifier la nécessité de mettre à jour les différents services qui disséminent la valeur de la différence (UT1UTC) et afin de vérifier que la nouvelle valeur maximale est correctement comprise et utilisée.

Bon, tout ce verbiage légal est ce que ça dit, maintenant le problème est d'essayer de décoder ce que ça veut dire !

Ce qui est clair est qu'on va augmenter la tolérance sur l'écart UT1UTC, i.e., permettre de dépasser les ±1s actuellement demandées (idéalement ±0.9s, et en pratique même ±0.8s réalisées). Oui mais pourquoi, jusque combien, et jusque quand ?

Je vois deux en gros interprétations possibles :

  • soit l'idée est vraiment d'abandonner les secondes intercalaires (et là la question se pose de savoir : oui mais pour faire quoi à la place ? et la résolution n'y répond clairement pas, sauf pour dire on va y réfléchir),
  • soit l'idée est juste, de façon plus technique, d'éviter les secondes intercalaires négatives en les annulant avec une seconde intercalaire positive (cf. ci-dessous).

Si c'est la seconde interprétation qui est la bonne, ça me semble tout à fait sensé. L'idée serait qu'on risque d'avoir une seconde intercalaire négative, on ne sait pas quelles conséquences informatiques ça aura, alors pour éviter le bordel, il vaut mieux laisser la différence UT1UTC passer au-dessus de 1s, sachant que de toute façon, à long terme, le jour va quand même (re)devenir plus long que 86 400 s, et la différence finira par redescendre. Autrement dit, on sait qu'on aura de toute façon, à long terme, plus de secondes intercalaires positives que négatives, alors on peut éliminer complètement les négatives en ne les faisant pas, sachant qu'il y aura toujours une positive pour annuler le problème : on s'épargne deux changements d'une seconde, une sautée et une insérée, quitte à augmenter un peu la tolérance sur UT1UTC. Si c'est ça l'idée, c'est tout à fait raisonnable.

À l'appui de cette interprétation modérée il y a la phrase les récentes observations de la vitesse de la rotation de la Terre indiquent qu'il pourrait être nécessaire d'introduire pour la première fois une seconde intercalaire négative, ce qui n'a jamais été envisagé ou testé qui suggère que c'est bien ça le problème qu'on cherche à éviter (et le fait que la décision intervienne maintenant, justement quand UT1TAI se met à augmenter un peu). Il y a aussi cette phrase de Patrizia Tavella (directrice du département du temps au BIPM) citée par le International Business Times : the connection between UTC and the rotation of the Earth is not lost, UTC remains related to Earth — qui suggère que l'idée n'est pas d'abandonner les secondes intercalaires entièrement.

À l'appui de la première interprétation, plus radicale, il y a le résumé qu'ont fait des journalistes que les secondes intercalaires allaient être supprimées. Mais bon, les journalistes ne comprennent rien à ce qu'ils écrivent, et leurs articles sont de toute façon toujours contradictoires. En tout cas, si c'est ça l'idée, reste à savoir pour quoi faire à la place :

  • soit il s'agit de casser complètement la connexion entre UTC et le Soleil (donc UT1), ce qui est le plus simple informatiquement mais ce qui est aussi incroyablement radical (c'est abandonner l'idée vieille de millénaires de ce que c'est que l'heure) et ça ne semble pas vraiment être l'esprit (surtout qu'il est quand même toujours question dans la résolution d'une différence maximale UT1UTC, et pour garantir ça il faut bien un mécanisme de resynchronisation),
  • soit il s'agit de dire on va autoriser la différence UT1UTC à filer pour l'instant, et les générations ultérieures s'occuperont du problème qu'on leur laisse (en introduisant des minutes intercalaires ? des heures intercalaires camouflées comme un changement d'heure ?), ce qui est très dans l'esprit de ce qu'on fait pour le réchauffement climatique (kick the can down the road), donc tout à fait possible du genre de décision complètement stupides que les organismes internationaux peuvent prendre,
  • soit il s'agit d'introduire un nouveau mécanisme de synchronisation entre UTC et UT1, ou simplement de donner les mains libres à l'UIT pour en décider un en relaxant une contrainte technique, sans vraiment se mouiller quant à ce que ce nouveau mécanisme serait, mais bon, là aussi, c'est reporter le problème à plus tard.

Je ne sais pas ce qu'il faut comprendre. Il est possible (plausible, même) qu'il y ait des désaccords internes sur la manière de régler le problème et qu'il a été voté une résolution a minima, et c'est pour ça qu'elle ne dit rien. C'est bien pour ça que j'aimerais un peu plus d'ouverture de la part du BIPM, parce que, là, c'est furieusement opaque.

Inutile d'expliquer que je trouve complètement con de regrouper les secondes intercalaires par paquets de 2, de 5, de 60, ou, pire, de 3600 (camouflée sous forme de changement d'heure en décalant tous les fuseaux horaires : c'est l'idée la plus invraisemblablement stupide de l'Univers, mais ça a été proposé) : si c'est douloureux informatiquement d'insérer une seconde au temps universel, ça l'est autrement plus d'en insérer une minute (et une heure, c'est juste complètement cinglé).

L'idée de décider que ce sera à des générations ultérieures de prendre une décision est, bien sûr, encore pire. Ça revient à dire qu'on ne sait pas gérer la merde maintenant, alors on va l'accumuler tant qu'elle n'est pas problématique pour nous, et léguer un beaucoup plus gros paquet de merde aux générations ultérieures qui sera alors vraiment ingérable. Mais malheureusement c'est le genre de conneries que nous sommes parfaitement capables de faire.

L'insistance sur la continuité de UTC dans le texte de la résolution suggère que la solution envisagée (au moins par certains) est peut-être d'introduire un mécanisme différent de synchronisation, par exemple des secondes élastiques (mais ce mécanisme a été utilisé avant l'introduction des secondes intercalaires, et je crois qu'il ne donnait pas vraiment de satisfaction non plus). Peut-être de délayer la seconde sur 24h comme le propose Google ? Ou carrément sur 1 an, ce qui la rendrait largement insensible à la plupart des usages ne relevant pas de la métrologie ? Le problème avec toute solution de ce genre, c'est qu'il faudra réécrire tous les systèmes informatiques qui traitent de près ou de loin la gestion du temps, et la dissémination de l'écart TAIUTC, pour implémenter le nouveau système, et si vous pensiez que gérer les secondes intercalaires était difficile, vous n'avez rien vu.

Bref, je ne sais pas. J'espère que les gens du BIPM ne sont pas complètement stupides et que la bonne interprétation est juste qu'ils veulent éviter les secondes intercalaires négatives qui ne servent pas à grand-chose, mais j'ai peur qu'ils aient vraiment décidé de casser complètement le temps universel coordonné parce qu'ils ne voient les choses que par la lorgnette métrologique et ne connaissent pas l'astronomie, l'informatique, etc.

Il faut bien être clair, il n'y a pas trente-six possibilités :

  • soit on abandonne complètement l'idée de synchroniser UTC avec le soleil (UT1), et donc, par exemple, de pouvoir calculer des heures de lever et de coucher du soleil, ce qui est quand même une révolution dans l'histoire de l'Humanité (et il me semble qu'une telle révolution doit être décidée par un peu plus que quelques délégués nationaux dont le pouvoir de décision à ce sujet est douteux, cf. ci-dessous),
  • soit on garde un mécanisme de resynchronisation discret comme les secondes intercalaires, et il faudra bien qu'il y ait des discontinuités (et il est douteux qu'on puisse faire moins douloureux que par sauts de 1s : si c'est plus gros, ce sera bien plus douloureux, et en-dessous d'une seconde ce ne sera pas moins douloureux pour les ordinateurs mais ce sera plus fréquent),
  • soit on trouve un mécanisme de resynchronisation continu, ce qui change la durée de la seconde (pas forcément de la seconde SI, ce qui est impensable, mais peut-être de la seconde UTC en étalant les différences à UT1 sur un jour comme le propose Google ou carrément sur un an), mais ça demande de réécrire tout le code informatique du monde et/ou d'avoir à gérer plusieurs secondes différentes, et je doute que ce soit plus simple.

On ne peut pas avoir le beurre (la synchronisation avec le Soleil) et l'argent du beurre (la seconde telle qu'on l'a définie dans le SI) : c'est un fait de la nature que la durée du jour solaire varie et ne vaut pas 86 400 secondes SI. Ce serait bien que la CGPM se fût exprimée clairement, dans sa résolution, sur le fait qu'ils préfèrent le beurre ou l'argent du beurre.

Bon, une autre question qui se pose, si l'idée est, disons, de supprimer complètement les secondes intercalaires et de déconnecter UTC du Soleil (l'idée la plus radicale), c'est si la CGPM a le droit (au sens légal) de prendre une décision pareille. Ses pouvoirs lui viennent de la Convention du mètre de 1875, et au-delà de la définition de la seconde (qui est déjà un peu au-delà du texte, de la Convention, parce que celui-ci ne lui donne vraiment attribution que sur le mètre et le kilogramme), je ne vois rien dans ce traité qui les autorise à prendre des décisions sur la mesure du temps (ça me semble très clair, par exemple, qu'une réforme du calendrier grégorien ne serait pas dans ses attributions)[#2]. L'autre organisme (mentionné dans la résolution de la CGPM) qui s'est autocratiquement arrogé le droit de réguler le temps, c'est l'Union internationale des télécommunications (UIT), mais je vois encore moins dans le traité fondateur de celle-ci (la Constitution et Convention de l'UIT) ce qui lui donnerait le droit de prendre des décisions relatives à ce sujet. J'ai quand même tendance à trouver que la décision de déconnecter le temps et le Soleil, c'est une décision assez énorme, qui ne peut pas être légitimement prise par un comité de représentants nationaux de niveau très secondaire sur la base d'une extrapolation hasardeuse des attributions de l'institution ou d'une attribution fonctionnelle. Bon, d'un autre côté, si la CGPM et/ou l'UIT a pris une décision ultra vires, je n'ai aucune idée de quel recours peut exister pour les empêcher de casser complètement le temps universel coordonné : c'est un peu malheureux, ça.

[#2] Bon, c'est un peu compliqué. Historiquement il y avait un organisme clair dont c'était les attributions : le Bureau International de l'Heure, fondé en 1912 (et officialisé en 1919), physiquement sis à l'Observatoire de Paris, et placé sous l'égide de l'Union astronomique internationale, et c'est lui qui a établi le temps universel coordonné et défini les règles de fonctionnement de ce dernier. L'ennui c'est que le Bureau International de l'Heure n'existe plus, il a été dissous en 1987, et ses attributions ont été réparties, mais je n'arrive pas à trouver par quels textes exactement, entre le BIPM (pour la définition de la seconde) et l'IERS (pour le maintien du temps universel coordonné, lui aussi sous l'égide de l'Union astronomique internationale) ; c'est l'IERS qui décide l'insertion de secondes intercalaires, même si c'est l'UIT qui dissémine le temps universel coordonné. Donc j'ai tendance à en conclure que l'organisme qui a le pouvoir de supprimer les secondes intercalaires ou de changer les règles régissant UTC, maintenant que le BIH n'existe plus, c'est l'IERS. Évidemment, l'IERS n'ayant pas de représentants de tous les pays comme la CGPM, c'est un peu délicat politiquement. Mais disons qu'à défaut de conférence internationale ad hoc façon COP, il me semble qu'il faudrait — politiquement sinon juridiquement — au moins un consensus entre tous ces organismes (et au moins un vote de l'Union astronomique internationale) pour changer les règles, et j'ai tendance à imaginer que les astronomes vont tiquer un peu plus que les métrologues à l'idée de renoncer à pouvoir prédire les heures de lever et de coucher du Soleil. Il serait aussi intéressant de savoir ce qui se passe si l'IERS décide de jouer à la guerre et continue à publier tranquillement des annonces de secondes intercalaires en ignorant les décisions de la CGPM et/ou de l'UIT (et si les serveurs NTP honorent ces décisions).

Quoi qu'il en soit, l'idée d'abandonner le lien de l'heure avec le Soleil au motif que les informaticiens ne savent pas insérer une seconde dans le décompte du temps sans tout casser, ça me semble la plus triste justification possible. Ça me fait penser à cet adage (parfois attribué à Kepler, mais il semble que ce soit peut-être plutôt de Voltaire) selon lequel les protestants (qui refusaient le passage au calendrier grégorien) préféraient être en désaccord avec le Soleil plutôt qu'en accord avec le pape. Si la CGPM décidait de supprimer de même les années bissextiles en reportant à plus tard ou à jamais la décision de comment se resynchroniser avec les saisons, trouverait-on ça normal ? considérerait-on qu'elle en a le pouvoir ?

Ajout () : Ici un fil Twitter explicatif de quelqu'un qui semble avoir trouvé plus de documents préparatoires ou de travail du BIPM que moi, et qui arrive à la conclusion que le but est vraiment de supprimer les secondes intercalaires, et qui semble défendre cette idée. (Noter mes réponses à des parties de ce fil, ici sur l'heure GPS dont je ne comprends vraiment pas en quoi elle représente une menace sur UTC alors que c'est juste le nombre de secondes TAI écoulées depuis un certain moment, et ici sur l'illusion absolument déraisonnable qu'en reportant le problème à plus tard on le rendrait plus facile.)

Ajout () : Encore un fil Twitter (ici sur ThreadReaderApp), en anglais cette fois, où je redis beaucoup des choses expliquées dans cette entrée, mais en un peu plus court et peut-être plus synthétique (et une chose ou deux en plus).

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