David Madore's WebLog: L'homme grâce auquel le jour fait 86400.002s

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(mardi)

L'homme grâce auquel le jour fait 86400.002s

J'ai appris aujourd'hui, en consultant l'omniscience distribuée sur Internet que le personnage du professeur Moriarty, l'Adversaire [comment on dit arch-nemesis en français ?] de Sherlock Holmes, est en partie inspiré du personnage réel de l'astronome Simon Newcomb, l'homme à qui nous devons que la seconde soit trop courte. Ceci mérite quelques explications.

La vision naïve de la seconde, c'est 1/(24×60×60), soit 1/86400 d'un jour, le jour étant entendu comme la période moyenne de rotation de la Terre relativement au Soleil (ou période synodique), entendu que relativement aux étoiles lointaines (jour sidéral), il y a une différence de 1 jour par an. L'ennui c'est que la rotation de la Terre n'est pas uniforme, elle possède toutes sortes d'irrégularités complexes, à la fois localement et à long terme (un ralentissement séculaire). Pour fixer la seconde dans le Système International d'unités (comme la durée de 9192631770 périodes de la radiation correspondant à la transition entre les niveaux hyperfins de l'état fondamental de l'atome de césium 133, définition de 1967), il a bien fallu faire un choix : si la durée du jour augmente progressivement (d'environ 1.64 millisecondes par jour par siècle) et, dépassant actuellement les 86400 secondes par jour (d'environ 2 millisecondes) nous oblige à insérer de temps en temps une seconde intercalaire dans l'année, à quel moment le jour a-t-il été de 86400 secondes ? A-t-on choisi un jour précis pour dire ceci sera le jour qui définira la seconde ? Non.

La réponse vient de l'astronomie, car c'est l'astronomie qui sert à définir le jour. En 1895, Newcomb a publié des tables de la position des planètes intérieures et notamment de la Terre (ses Tables of the Sun) : ces tables sont basées sur une synthèse d'observations réalisées sur une longue période (environ de 1750 à 1850), utilisées pour corriger des théories et de tables planétaires antérieures, notamment les Tables du Soleil de Le Verrier. (La correction que Newcomb apporte à la théorie du Soleil de Le Verrier est de l'ordre de la seconde d'arc pour l'année 1900.) Les tables de Newcomb utilisent, pour leur calcul, entre nombreux autres éléments orbitaux, la formule L = 279°41′48″.04 + 129602768″.13·T + 1″.089·T² pour la longitude géométrique moyenne du Soleil mesurée par rapport à l'écliptique et l'équinoxe de la date (les astronomes parlent un peu chinois, et ce n'est pas facile d'expliquer au juste ce qu'est la longitude géométrique moyenne, mais c'est le paramètre principal à partir duquel on calculera la position apparente du Soleil) : ici, T est censé être le temps, mesuré en siècles juliens (c'est-à-dire de 36525 jours exactement) écoulé depuis le 0 janvier 1900 à 12h heure solaire moyenne de Greenwich (autre langage codé, le 0 janvier 1900 est bien sûr le 31 décembre 1899, mais peu importe ; cet instant porte le nom de J1900). L'heure solaire moyenne étant, ultimement, la seule façon de mesurer le temps jusqu'alors, ceci relie la rotation de la Terre à la révolution de la Terre, en faisant l'hypothèse qu'il y a 86400 secondes dans un jour. Comme les observations utilisées couvrent principalement la première moitié du XIXe siècle (et la fin du XVIIIe), il s'agit en fait du jour moyen sur cette période.

En 1952, l'Union astronomique internationale a défini le temps des éphémérides comme celui pour lequel la formule utilisée par Newcomb (ci-dessus) est exacte : on a donc en quelque sorte inversé la relation, cette fois, T est défini comme le temps tel que la longitude moyenne du Soleil L soit donnée par la formule ci-dessus. En 1960, la (11e) Conférence générale des Poids et Mesures utilise ce temps pour définir la seconde, comme la fraction 1/31556925.9747 de l'année tropique pour le 0 janvier 1900 à 12h du Temps des éphémérides. La seconde est donc, dès lors, reliée à la révolution de la Terre en utilisant la formule de Newcomb (la valeur 31556925.9747 secondes de temps par révolution est l'inverse du facteur 129602768.13 secondes d'arc par siècle julien utilisé ci-dessus). Cette définition de la seconde est difficile à comprendre et à réaliser : en 1967, la (13e) Conférence générale des Poids et Mesures la remplace par la définition actuelle utilisant les transitions hyperfines de l'atome de césium, en choisissant un nombre qui approche le mieux que possible la seconde antérieure (ce choix avait été fait autour de 1958 lors du lancement du temps atomique international).

Pour résumer : Newcomb a utilisé une formule basée sur les observations sur la période 1750–1850, mesurées évidemment en temps solaire moyen sur cette période, cette formule a été utilisée pour définir le temps des éphémérides et la seconde qui va avec, et cette seconde a été utilisée pour définir l'actuelle seconde SI qui est la base du temps atomique. Donc le jour moyen qui a servi a définir la seconde est grosso modo celui de la période de ces observations.

Maintenant, on peut revenir sur la durée du jour : voici par exemple à quoi ressemble la courbe de la longueur du jour (exprimée en millisecondes de différence par rapport à 86400s, le jour en question étant, techniquement, celui du temps universel UT1), et voici à quoi ressemble la différence entre le temps universel UT1 (basé sur le vrai temps solaire) et le temps universel coordonné (basé sur le temps atomique international, la correction prenant depuis 1972 la forme de secondes intercalaires, qui se voient comme des discontinuités sur ce graphe). Le jour moyen actuel est plus long que 86400s d'une à deux millisecondes, et si Newcomb n'y est pour rien dans le fait que le jour n'est pas constant, c'est lui qui sans le savoir en a fixé la durée exacte (enfin, celle de la seconde). On peut même revenir sur les valeurs historiques de la durée du jour, dont voici une table approximative pour la période 1623–2008. À cause de toutes les fluctuations périodiques, il est très difficile de dire quelle vraiment le moment où le jour valait vraiment 86400 secondes, ni même de désigner la tendance séculaire à long terme : la valeur du ralentissement de 1.64 millisecondes par jour par siècle est plus conventionnelle qu'autre chose.

Par ailleurs, s'agissant du temps des éphémérides par rapport au temps atomique international, comme ce dernier a été synchronisé non au premier, mais au temps universel UT2, en 1958, on s'est retrouvé avec un stupide terme constant de 32.184 secondes entre les deux. Le temps des éphémérides est maintenant replacé par le temps terrestre, qui est réalisé par le temps international et défini comme TAI+32.184s.

Un jour je vous raconterai les emmerdes que causent les secondes intercalaires dans le monde de l'informatique.

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