- Call Me by Your Name par André Aciman
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Ce livre m'a fait en quelque sorte l'effet tout contraire de Ready Player One (ils n'ont rien à voir entre eux, mais je les compare parce que je les ai achetés le même jour et que les deux portaient des étiquettes vantant le fait qu'il y avait — ou allait y avoir — un film ; je précise que je n'ai encore vu aucun des deux films). Ready Player One m'avait semblé assez mal écrit et mal construit mais m'a quand même inexplicablement plu, au moins au sens où j'étais assez motivé pour continuer sa lecture : Call Me by Your Name m'a semblé très bien écrit et très bien contruit mais m'a un peu déplu, ou en tout cas suffisamment ennuyé pour que j'aie du mal à le finir.
C'est une histoire d'amour, qui se passe pour l'essentiel sur la côte ligurienne, pendant un été dans les années '80, entre Elio, le narrateur, fils âgé de 17 ans d'un universitaire américain qui a une maison de vacances du côté de San Remo, et Oliver, un doctorant (ou post-doctorant, ou quelque chose comme ça, il a 24 ans) invité par le père d'Elio pour travailler avec lui et l'aider à réviser un livre. A priori je suis plutôt réceptif à ce genre d'histoires (d'ailleurs, cf. ici) ; mais j'ai eu du mal à accrocher. Disons qu'il se passe quelque chose comme la moitié du roman à ne rien se passer : le narrateur fait des nœuds de façon incroyablement compliquée à vouloir draguer l'autre sans accepter de montrer qu'il est intéressé, à vouloir le rendre jaloux et à en être jaloux à la fois, et l'un et l'autre se lancent dans une sorte de one-upmanship académique et culturel qui, à la longue, est juste chiant pour le lecteur (en tout cas, pour moi). Ensuite, ça s'améliore, et il faut avouer que la manière dont l'auteur couvre le jeu un peu fétichiste qui se met en place entre eux ; et, plus simplement, la relation eu égard à la différence d'âge entre les protagonistes est très bien gérée. C'est, par ailleurs, extrêmement bien écrit. Mais je reste sur l'idée qu'à trop délayer l'intrigue, même quand on écrit bien, on finit par produire un roman moins captivant qu'un truc facile où il se passe des choses. (Tout le monde n'est pas Racine à pouvoir écrire un chef d'œuvre sur une histoire d'amour où il ne se passe rien.)
Soit dit en passant, j'ai cru entendre qu'il y avait une sorte de polémique autour de ce roman parce que l'auteur est hétérosexuel et que certains considèrent qu'il n'aurait, du coup, pas le droit ou pas la légitimité d'écrire une histoire pareille. Ou toutes sortes de variantes de cette critique : que ses personnages sont « trop hétérosexuels » (parce qu'il n'y a essentiellement aucune référence à la culture gay telle qu'elle pouvait exister à l'époque où se déroule l'intrigue, ou parce qu'ils sont tous les deux bisexuels et apparemment plus attirés par les femmes en général) ; ou bien que les homosexuels (il faudrait savoir…) sont présentés comme des prédateurs parce que l'un des protagonistes a sept ans de plus que l'autre (pour qu'il n'y ait pas de doute, tel que je comprends le roman, c'est très clairement le plus jeune qui drague le plus âgé). Je trouve ce genre de critiques vraiment idiotes : on ne peut pas à la fois se plaindre que la culture « mainstream » occulte la diversité des formes de sexualité et interdire à un auteur hétérosexuel d'en parler ou bien lui faire des procès en sorcellerie dès qu'il montre, justement, des personnages à la sexualité un peu grise. Et cela fait partie de la potestas quidlibet audendi des écrivains que de parler de ce qu'ils ne sont pas et de ce qu'ils ne connaissent pas comme s'ils l'étaient et le connaissaient. Il se trouve qu'Aciman voulait avant tout raconter une romance d'un été et qu'il a décidé presque par hasard que ce serait entre deux hommes : je ne comprends vraiment pas comment on peut le lui reprocher.
Sinon, je pourrais mentionner au passage le livre By Nightfall de Michael Cunningham que j'ai lu il y a beaucoup trop longtemps pour en faire un compte-rendu intéressant, mais qui, dans mon esprit, a un certain nombre de ressemblances avec les caractéristiques que j'ai bien aimées dans Call Me by Your Name, sans les longueurs qui m'ont agacées.
- Le Mystère Henri Pick par David Foenkinos
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Je vais être très bref sur celui-ci. C'est un roman articulé autour d'un mystère littéraire (un manuscrit trouvé dans une bibliothèque prétendant être d'un certain Henri Pick, récemment décédé, se fait publier, rencontre un succès inattendu, et on commence à enquêter sur l'auteur). La prémisse m'intéressait, le roman n'est pas trop mauvais, mais sans plus : les personnages n'ont pas beaucoup de profondeur, l'écriture est sans originalité, l'intrigue est assez prévisible. C'est cependant assez distrayant pour, disons, un trajet en train ou en avion. Au moins, c'est assez court pour qu'on n'ait pas le temps de s'ennuyer.
- Ulugh Beg (L'Astronome de Samarcande) par Jean-Pierre Luminet
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Je connais un tout petit peu Jean-Pierre Luminet par mon père (disons que j'ai dû le rencontrer quelques fois, je ne sais pas si lui se souviendrait de moi) ; mais je le connais surtout par son livre de vulgarisation sur les trous noirs, que j'ai lu quand j'étais petit, et qui m'a absolument fasciné (cf. ce que je disais ici sur la vulgarisation scientifique). Apparemment il s'est lancé dans l'écriture de livres sur l'histoire des sciences et plus spécialement de l'astronomie, à travers l'histoire de la vie de différents personnages : Euclide, Copernic, Kepler, Galilée, Newton, et maintenant Ulugh Beg. Peut-être que ce n'était pas le meilleur roman par lequel commencer, parce que j'ignorais jusqu'au nom d'Ulugh Beg, qui est pourtant un des petits-fils de Tamerlan (Temür — je ne sais pas bien comment le nommer), mais je ne savais pas grand-chose de Tamerlan ou des Timourides pour commencer ; ou peut-être au contraire que c'était justement le mieux de commencer par là : en tout cas, ça m'aura donné l'occasion (à la fois en lisant le livre et en le complétant par Wikipédia) d'être un peu moins ignorant, c'est-à-dire moins que totalement, sur la géopolitique de l'Asie centrale autour des XIVe et XVe siècles.
L'auteur précise bien qu'il s'agit d'un roman, certes basé sur des personnages historiques, mais où il n'a pas hésité à inventer quand il ne parvenait pas à reconstituer l'exactitude historique, ni à faire des choix quand elle est incertaine. Le roman suit, en fait, différents personnages : l'astronome Qāḍī Zāda, le shah Rukh (un des fils de Tamerlan), l'astronome Ulugh Beg (fils aîné du précédent et personnage central et éponyme du livre), et le mathématicien al-Kashī (bien connu pour la loi des cosinus). Le début ne m'a pas trop emballé, mais dès qu'il est question des Timourides j'ai trouvé ça plus intéressant. À vrai dire, il n'y a pas des masses de sciences, ni même d'histoire(s) des sciences, il y a plus d'histoires de politique et de luttes de pouvoirs (et de rapports entre science et religion), mais c'est raconté de façon plutôt agréable et qui se lit très bien.
- Les Ondes gravitationnelles par Nathalie Deruelle et Jean-Pierre Lasota
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Là aussi je dois préciser que je connais bien la coauteure de ce livre (nettement mieux que Jean-Pierre Luminet), donc je ne suis pas forcément neutre. Plus généralement, le fait que j'aie rencontré ou côtoyé un certain nombre des acteurs de l'histoire peut aussi jouer dans le fait que je la trouve intéressante (mon père a fait sa thèse d'État, sous la direction d'Achille Papapetrou, sur l'absorption des ondes gravitationnelles par les milieux visqueux ; et même si j'étais trop petit pour m'en souvenir vraiment, j'étais présent à une des sessions de l'école de physique des Houches du début des années '80 où les questions théoriques du sujet ont beaucoup été discutées).
Bref. Il s'agit d'un livre de vulgarisation sur les ondes gravitationnelles, expliquant ce qu'elles sont en général et l'origine du concept et de leur prédiction, et retraçant l'histoire et la technique de leur détection, à la fois du côté des théoricien et de celui des expérimentateurs. Mais quand je dis
vulgarisation
, il faut quand même préciser que ce livre entend manifestement s'adresser à des lecteurs ayant un bagage minimal en physique (disons, sachant ce qu'est une énergie, une force, la loi de Newton, ce genre de choses), pas vraiment à Madame Michu : c'est intéressant parce que cela recouvre justement des choses que j'évoquais tout récemment à propos de la communication scientifique et de l'intérêt d'occuper les niveaux intermédiaires entre « parler à Madame Michu » et « s'adresser aux spécialistes du même domaine ». Je suppose qu'un certain nombre de lecteurs de mon blog peuvent être intéressés par ce genre d'ouvrages.Sans aller jusqu'à écrire des équations, le livre rentre assez précisément dans les détails de tout un tas de questions autour du concept et de la détection des ondes gravitationnelles. Par exemple sur le débat autour de l'existence même des ondes gravitationnelles et de la question de si elles véhiculent de l'énergie (le concept même d'énergie étant, en relativité générale, assez épineux) et la controverse autour de la validité de la formule du quadrupôle d'Einstein. Ou sur la difficulté à mener les calculs aussi bien théoriques (symboliques) que numériques, et comment on y remédie. Ou sur l'histoire de Joseph Weber et de ses premiers détecteurs (qui n'ont rien détecté du tout, mais il l'a cru). Ou sur l'histoire technique et administrative de la mise en place des détecteurs LIGO et Virgo (y compris l'obtention des subventions). Ou encore, et j'ai trouvé ce passage particulièrement intéressant, sur les questions sociologiques et épistémologiques autour du fait qu'il avait été décidé d'injecter des faux signaux dans les détecteurs (pour tester la capacité à les démasquer, mais au risque de laisser subsister un doute sur le fait que tel ou tel signal soit bien réel). Certains passages souffrent peut-être du défaut d'entrer un peu trop dans les détails (personnellement, les histoires de financement ne me fascinent pas tant que ça), mais on peut facilement les sauter, les différents chapitres et sous-chapitres du livre étant organisés de façon suffisamment claire pour qu'on se raccroche facilement.
(Pour ceux qui veulent une histoire des ondes gravitationnelles avec un peu de formules mais quand même pas trop, je suis tombé sur cet article, qui peut très bien se lire en complément de certains passages du livre de Deruelle et Lasota.)
- La Mille et Deuxième Nuit par Théophile Gautier
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Je sais que ça ne se fait pas d'écrire des critiques de classiques parce que les classiques sont des livres que tout le monde est censé avoir déjà lu (et que personne ne veut lire) et que c'est tabou d'en dire du mal, mais je suis tombé par hasard sur ce recueil, publié par Folio, de quatre nouvelles de Théophile Gautier autour du thème général approximatif du « double amour » (je n'ai pas compris si c'était Gautier ou l'éditeur qui avait fait le choix de regrouper précisément ces nouvelles-là ensemble) : Laquelle des deux, La Chaîne d'or, La Mille et Deuxième Nuit et Le Chevalier double. C'est plutôt amusant à lire.
Depuis, j'ai commencé à lire Le Spectre d'Atacama, un roman d'Alain Connes, Danye Chéreau et Jacques Dixmier (le premier et le troisième étant bien connus comme mathématiciens ; en fait, j'avais déjà lu des nouvelles de science-fiction de Dixmier, et même si je n'avais pas été emballé, les idées étaient intéressantes : du coup, là, j'étais curieux). Sinon, au rayon des romans co-écrits par des gens qu'on n'imaginait pas forcément comme romanciers, j'avoue que j'ai succombé au hype et acheté le roman The President is Missing de Bill Clinton et James Patterson, et peut-être même que je le lirai.