Je reviens à l'instant des obsèques d'un collègue, récemment retraité, et décédé la semaine dernière à la suite d'une longue maladie contre laquelle il avait combattu courageusement — et en continuant à faire des maths jusqu'au bout. Je ne me sens pas très doué dans l'art de composer des oraisons funèbres et je ne pense pas qu'un blog soit un bon endroit pour le faire, mais j'éprouve quand même le besoin de m'exprimer, donc je veux juste dire un tout petit mot sur une facette particulière de la personnalité de Gérard qui, en plus de son humour, me faisait spécialement apprécier sa compagnie. Je ne sais plus qui me suggérait cette idée que les hommes sont, dans leurs rapports sociaux, comme des objets de grande dimension que chacun de leurs proches perçoit dans une projection légèrement différente et sans forcément soupçonner la diversité de ce que les autres peuvent voir. Voici donc ma toute petite pièce du puzzle.
En un mot : éclectisme. Gérard avait comme moi le goût de
s'intéresser à toutes sortes de choses au-delà des maths : de la
physique à la linguistique et à la politique en passant par la
biologie, la théologie ou encore l'histoire des sciences. Sans jamais
avoir peur d'avouer son ignorance pour poser les bonnes questions. Le
rituel social des matheux que j'apprécie le plus
est celui du café où chacun de nous
à tour de rôle apporte une tablette de chocolat que nous partageons en
même temps que nos interrogations saugrenues sur le monde qui nous
entoure. Comme je le disais naguère, l'intérêt du café n'est donc pas
tant le breuvage consommé que la conversation qui l'accompagne. On
peut partir d'un problème de maths rigolo et se retrouver rapidement à
faire toutes sortes de blagues et à se demander s'il y a une
étymologie indo-européenne commune, le souffle
, entre le
surnom mahātmā
de Gandhi et le verbe atmen
en allemand (Gérard aimait beaucoup proposer des rapports
étymologiques ; et sur ce point précis, je n'y croyais pas mais son
intuition était la bonne). Tôt ou tard, je finis toujours pas sortir
mon mobile pour regarder Wikipédia ou Wiktionary, et là, Gérard me
chariait gentiment : ça y est, on a réussi à lui faire sortir
Wikipédia : alors, que dit l'Oracle ?
. Je lisais ce que j'avais
compris, et aussitôt nous repartions sur de nouvelles
interrogations.
Voilà, c'est peut-être dérisoirement anecdotique comparé à d'autres choses comme sa descendance académique, mais c'est ça qui va me manquer le plus : So long, Gérard, and thanks for all the coffee!