David Madore's WebLog: Une méta-critique des épisodes I-II-III de Star Wars (PAS le nouveau)

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(dimanche)

Une méta-critique des épisodes I-II-III de Star Wars (PAS le nouveau)

Je n'ai pas encore vu l'épisode-que-tout-le-monde-attendait, donc je ne vais pas en parler (et je ne risque pas de spoiler), mais je voudrais profiter de sa sortie pour livrer de nouveau des réflexions décousues à 20 millizorkmids sur la place de l'œuvre de fiction dans l'imaginaire comme je l'avais fait au sujet de Tolkien.

La « trilogie originale » (pour ceux qui vivent vraiment dans une galaxie lointaine, très lointaine, il s'agit des épisodes numérotés IV (A New Hope), V (The Empire Strikes Back) et VI (Return of the Jedi), et qui sont les premiers à être sortis, respectivement en 1977, 1980 et 1983), fait, pour beaucoup de ma génération, partie des référents culturels avec lesquels nous avons grandi, et évoque surtout un sentiment de nostalgie de l'époque : il devient essentiellement impossible de les juger pour leur mérite propre ou même simplement de les regarder d'un œil neuf. Je ne peux pas penser à Star Wars sans penser à toutes sortes de scènes ou de réflexions de mon enfance qui y sont inextricablement liées dans mon esprit : la terreur quand j'ai vu le VI à sa sortie (j'avais six ans) que m'inspirait le personnage de l'Empereur, la confusion dans laquelle j'étais quant au nombre de films constituant la série (il faut dire que la numérotation n'aide pas, et je pensais qu'il y avait au moins six films à voir), ma fascination pour la musique et les efforts que j'ai faits pour la retrouver de mémoire à la flûte à bec, l'excitation quand j'ai enfin pu me faire acheter les VHS en coffret, etc. Je ne peux pas dire que j'aie été un « fan » de Star Wars (je n'ai jamais collectionné les figurines, lu des livres de l'« univers étendu », joué aux jeux de rôles basés dessus ni été capable de dire la longueur d'un star destroyer), mais j'ai certainement vu chacun de ces films au moins douze fois. (En français avant de les revoir en anglais : alors que maintenant je refuse catégoriquement de voir un film doublé, pour ceux-ci spécifiquement, la VF a une certaine valeur nostalgique à mes oreilles. Ceci dit, je ne crois pas que j'aie entendu la version où Luc s'appelait encore Courleciel.)

J'ai eu une sorte d'épiphanie quand, beaucoup plus tard, j'ai vu le film Battlestar Galactica (je parle du film de 1978, pas de la série TV de l'époque et dont il est plus ou moins le pilote, encore moins de la série TV beaucoup plus récente). Ce film est à peu près contemporain du premier Star Wars, je ne sais pas s'il en est fortement inspiré ou si c'est juste le genre de l'époque, mais les costumes sont dans le même style, la musique est dans le même genre, les deux principaux héros ont plein de ressemblances avec Luke Skywalker et Han Solo, et les effets spéciaux sont autant réalisés avec des bouts de ficelle. Et ce film est vraiment mauvais (suffisamment mauvais pour devenir bon au second degré, i.e., un nanar) : c'est comme ça que je me suis rendu compte que Star Wars, au moins son épisode IV (le premier, donc), était franchement nanaresque, mais que son impact culturel forçait à le ranger dans une autre catégorie que Battlestar Galactica.

Je trouve intéressante la danse qui peut se mettre en place entre une œuvre de fiction et notre imagination : avant même que nous ne voyions ou lisions l'œuvre (je l'ai raconté à propos de Tolkien), mais surtout après, quand nous l'incorporons à notre monde des rêves et de la fantaisie. Quand j'étais ado, j'ai écrit un roman(?), Castor et Pollux, dont la trame était inspirée, voire complètement décalquée, de celle de Star Wars (mélangée à un gloubi-boulga métaphysico-ésotérique que je savais pondre au kilomètre à cet âge-là — sans doute faut-il comprendre que l'histoire de Castor et Pollux est une métaphore tarabiscotée pour la manière dont l'œuvre de fiction peut capturer son propre créateur, auquel cas cette métaphore pourrait avoir une certaine pertinence dans le cas de George Lucas) ; d'ailleurs, l'inspiration n'était pas un secret, les chapitres portent les noms des films de Star Wars traduits en latin (! on va dire que je suis parfois un peu autocaricatural). Toutes sortes de fans avaient certainement développé leur propre imaginaire concernant le passé et le futur de l'Univers de Star Wars.

Peut-être, d'ailleurs, tout cet Univers est-il assez malsain. Énormément d'œuvres de fantastique sont manichéennes dans leur construction, mais le mysticisme de Star Wars atteint un niveau de manichéisme vaguement inquiétant — un niveau où le Bien et le Mal ne sont plus le Bien et le Mal pour des raisons précises mais simplement parce qu'ils sont essentiellement le Bien et le Mal, si bien qu'il n'y a plus à s'interroger sur leurs actions ou leurs motivations, et ceci est la base de bien des formes de fanatisme. (Et on peut lire toute l'histoire des épisodes IV-V-VI comme celle de la radicalisation de Luke Skywalker.) Mais ce mysticisme a pour contrepoint des personnages qui ne sont pas tout blancs ou tout noirs (Han dans l'épisode IV, Lando dans l'épisode V, Vader dans l'épisode VI) et le thème de la rédemption est finalement plus fort que le manichéisme. Au final, la culture pop s'est approprié la trilogie avec peut-être plus d'humour et de légereté qu'elle n'en contient elle-même. Je ne vais laisser ici qu'un exemple, mais je pense que c'est un véritable bijou : le court-métrage George Lucas in Love (visible ici sur YouTube), à mon avis la meilleure fan-fiction sur Star Wars, justement parce qu'il n'est pas de la science-fiction (ni, a fortiori, situé dans l'univers de Star Wars).

Et puis George Lucas est arrivé avec ses épisodes I-II-III (en 1999, 2002 et 2005), et il a tout gâché.

Il y a toujours une certaine violence émotionnelle ressentie quand on s'attache à une œuvre de fiction, qu'on en imagine des extensions, et que l'auteur vient, avec son autorité ex cathedra vous raconter quelque chose de différent — vient casser la construction qu'on s'est faite en rêve pour la remplacer par la sienne, « canonique ». (De nouveau, j'ai parlé de mon expérience personnelle avec Tolkien, mais pour donner un autre exemple, cette année, 55 ans après la publication du roman d'origine, est sortie la suite du classique To Kill a Mockingbird : les réactions ont été assez partagées, pas seulement à cause des circonstances un peu bizarres de cette parution, mais aussi parce que cette suite forçait à réévaluer un personnage qu'on avait peut-être jugé trop favorablement.)

Mais dans le cas de la « prélogie » de Star Wars, à cette violence émotionnelle s'ajoute le choc de découvrir à quel point elle est mauvaise de tout point de vue. Mais le problème n'est pas seulement qu'elle est incohérente, mal écrite, mal mise en scène, mal jouée et mal montée (comme le démontrent par le détail les critiques vers lequel je vais faire des liens ci-dessous) : le problème est surtout qu'elle dissone profondément avec la trilogie des épisodes IV-V-VI, pas seulement sur tel ou tel point de l'intrigue mais, ce qui est beaucoup plus grave, sur le ton général de l'œuvre et de l'univers où elle doit se dérouler. Les fans ont été particulièrement heurtés, par exemple, d'apprendre que la « Force », ce machin mystique central à la saga, était en fait créé par des créatures microscopiques appelées midi-chloriens(?), révélation qui semblait casser toute la poésie de la chose — et révélation d'autant plus agaçante qu'elle n'avait absolument aucune sorte d'intérêt pour l'intrigue du film où elle s'inscrivait. Mais ce n'est que la partie émergée de l'iceberg : énormément de choses, dans ces nouveaux films, vient détruire la poésie des anciens en changeant le regard qu'on porte sur ses personnages, parce que le ton général est tellement différent. (Je donne juste l'exemple de Yoda : il était beaucoup plus intéressant de l'imaginer comme ayant toujours vécu sur sa planète marécageuse et pas à la tête d'un conseil dirigeant des jedis — en fait, le ton des films IV-V-VI suggérait plutôt que les jedis n'avaient pas d'organisation centrale ou de conseil dirigeant ; et il était beaucoup plus intéressant d'imaginer que jamais Yoda n'aurait eu besoin d'utiliser une arme, parce que sa puissance est d'une tout autre nature. Tout ceci me semble plus significatif que l'incohérence qu'on peut soulever dans le fait que dans les épisodes V et VI il est clair que Vader n'a aucune idée de l'existence de Yoda alors que dans les I à III les personnages se croisent à de nombreuses reprises.)

Bien sûr, quantité d'autres œuvres de l'histoire du cinéma ont été « gâchées » par une suite ou un prequel merdiques. Généralement, cependant, cela vient plutôt du studio, qui veut exploiter la franchise, que du réalisateur supposément visionnaire. Il est bizarre qu'ici ce soit George Lucas qui ait saboté sa propre œuvre. (En prétendant, d'ailleurs, avoir suivi ce qui était sa vision dès l'origine : je dois dire que je ne le crois pas du tout. Je ne le crois même pas quand il prétend qu'il avait décidé ce qui se passerait dans l'épisode V lorsqu'il tournait le IV ou le VI quand il tournait le V — si c'était le cas, je pense qu'il n'aurait pas laissé quelques scènes qui prennent rétrospectivement un parfum suspect d'inceste.)

Mais mon propos n'est pas de me plaindre que les épisodes I-II-III de Star Wars sont mauvais : ça ne sert à rien de tirer sur les ambulances. Cela pourrait être plus intéressant d'essayer de comprendre pourquoi ce fiasco : comment se fait-il qu'un créateur disposant de moyens essentiellement illimités et sans aucune contrainte pour exprimer son imagination ni quiconque pour le contredire produise quelque chose d'aussi nul ? Une explication est que c'est justement la difficulté qui fait que l'art est intéressant ; une variante, plus terre-à-terre, est que personne n'osait signaler à George Lucas (comme il était le grand chef, à la fois réalisateur, superproducteur et clé de tout le financement), fût-ce diplomatiquement, que ses idées étaient nulles, si bien qu'il s'est retrouvé complètement déconnecté de la réalité ; ou peut-être qu'il était tellement obnubilé par les possibilités offertes par les effets spéciaux et par tout ce qui apporterait de l'argent en produits dérivés qu'il ne voyait plus que ça. Ou peut-être enfin que les épisodes IV-V-VI ne sont finalement pas mieux que les I-II-III (ni que Battlestar Galactica) mais que nous les jugeons différemment parce que nous nous y sommes habitués et qu'ils sont devenus des références culturelles ? Je ne sais pas. Mais en tout cas, il peut être intéressant d'étudier un peu en détails ce qui n'allait pas bien : critiquer des mauvaises œuvres d'art peut être finalement plus instructif que louer les bonnes. (Et peut-être que dans les cours de litérature on devrait un peu faire la place, au milieu des Shakespeare, Goethe et Racine, pour des écrivains médiocres ou carrément mauvais, afin d'expliquer justement pourquoi ils ne sont pas Shakespeare, Goethe ou Racine. Ou pourquoi les écrivains mauvais ne sont même pas médiocres. Ou pourquoi certains sont encore plus que mauvais. Mais je digresse.)

Bref, je voudrais ici proposer des liens vers trois critiques des épisodes I-II-III de Star Wars qui me semblent vraiment intéressantes : après tout, si s'est farci les sept heures de ces films, autant chercher à comprendre ce qui n'allait pas avec, surtout que ça peut être très drôle d'énumérer les contradictions et les invraisemblances. En fait, ces critiques sont en elles-mêmes des œuvres très construites qui peuvent presque se regarder comme des films. (D'ailleurs, s'agissant de celle de Mr. Plinkett, il y a eu des critiques de la critique, même si je suis tenté de critiquer ces critiques de la critique en disant qu'elles n'étaient généralement pas terribles.)

  • D'abord, il y a la critique par CinemaSins (Everything Wrong With) : à savoir ❄ épisode I partie 1/2, ❄ épisode I partie 2/2, ❄ épisode II partie 1/2, ❄ épisode II partie 2/2, ❄ épisode III partie 1/2 et ❄ épisode III partie 2/2 (ça fait au total environ 25min par épisode). Ils font des critiques de toutes sortes de films, toujours de façon linéaire, c'est-à-dire en montrant des extraits du film, dans l'ordre de celui-ci, et en marquant des choses qui ne vont pas comme des « péchés », qui vont du totalement anecdotique à l'incohérence majeure — ils ne se prennent pas du tout au sérieux et ne cherchent pas à hiérarchiser leurs critiques ni à les regrouper en quelque chose de synthétique, mais ça n'empêche pas que certains des reproches sont extrêmement bien vus, et que c'est globalement très rigolo à regarder. (Par ailleurs, celui qui dit la critique parle très très vite, et on est souvent obligé de faire une pause pour relire la phrase en sous-titre avant d'arriver à la comprendre.)
  • Ensuite, il y a celle par « Mr. Plinkett » de RedLetterMedia, personnage fictif qui mérite lui aussi son analyse sur Wikipédia : à savoir ❄ épisode I partie 1/7, ❄ épisode I partie 2/7, ❄ épisode I partie 3/7, ❄ épisode I partie 4/7, ❄ épisode I partie 5/7, ❄ épisode I partie 6/7, ❄ épisode I partie 7/7, ❄ épisode II partie 1/3, ❄ épisode II partie 2/3, ❄ épisode II partie 3/3 et ❄ épisode III (le découpage est différent à chaque fois, mais il y en a pour environ 1½ heure par épisode — oui, c'est très long). Cette critique est très bizarre, parce qu'elle fait souvent des blagues complètement décalées, des longues digressions et des non sequitur (non sequuntur ?), mais surtout, elle est prononcée par une voix exprès insupportable (dans le genre mec bourré qui articule mal), celle d'un personnage fictif (Mr. Plinkett) qui est censé être un psychopathe qui enferme et torture des femmes dans sa cave : le tout est vraiment étrange, mais ça n'empêche la critique d'être très juste et très détaillée, soulignant à la fois des erreurs ponctuelles et des problèmes d'ensemble, ne se contentant pas de montrer pourquoi tel ou tel élément d'intrigue est incohérent mais aussi, par exemple, pourquoi le film ne permet pas aux spectateurs d'« accrocher » aux personnages. • [Ajout ()] Pour ceux qui ne veulent pas regarder plus de quatre heures de critiques, ici (1h19′22″ dans la critique de l'ép. III) commence un passage assez court (<10′) qui souligne un point qui me semble particulièrement juste et frappant sur la manière dont Lucas traite les acteurs et les dialogues dans cette prélogie ; et ici (2′12″ dans la partie 3 de la critique de l'ép. II) commence un passage encore plus court (<4′), mais encore une fois extrêmement juste, sur le problème fondamental à ce que Yoda utilise un sabre laser.
  • Enfin, je veux pointer vers une critique un peu différente parce qu'elle est constructive : ici, il s'agit d'expliquer comment ❄ l'épisode I, ❄ l'épisode II et ❄ l'épisode III auraient pu être meilleurs (ça dure respectivement 12′, 16′ et 24′). C'est-à-dire qu'avec essentiellement les mêmes personnages, et en ne changeant pas de façon fondamentale l'intrigue, il réussit à raconter une histoire considérablement meilleure et plus cohérente que celle que Lucas a produite (avec même un storyboard pour l'illustrer). Et même si elle n'est pas aussi drôle ou aussi sarcastique que les précédentes, je trouve que cette critique est finalement la plus cinglante : peut-être que la meilleure manière de montrer que quelque chose est mal fait est de le refaire soi-même correctement.

Ajout () : Je dois encore faire un lien vers la théorie amusante proposée par le webcomic Wondermark : il faut imaginer que les épisodes I-II-III ne représentent pas forcément des événements qui se sont vraiment déroulés dans l'univers de Star Wars mais qu'ils sont une fiction de cet univers, ayant autant de rapport avec la réalité de l'ascension et de la chute de Vader que Pocahontas avec les événements historiques dans notre univers.

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