J'ai un problème pour me repérer dans le temps, même quand il s'agit des événements de ma propre vie : je me rappelle bien les choses qui se sont passées, mais, quand il n'y a pas un lien de causalité clair entre elles, j'oublie très rapidement quand, et même dans quel ordre elles se sont passées. Je tiens un journal factuel de ma vie depuis 2001, mais il faut vraiment que je m'y réfère (ou à ce blog) si je dois retrouver, par exemple, en quelle année mon poussinet a fait son stage à Toronto, ou si c'était avant ou après l'élection présidentielle de 2007 (bon, en l'occurrence, c'est une question piège, c'était pendant, mais vous voyez l'idée : je ne retrouverai la réponse qu'en vérifiant la date ou en me rappelant qu'il a eu des problèmes pour faire une procuration, etc.). (Ajout : voir aussi cette entrée ultérieure à ce sujet.)
Et pour ce qui est de l'Histoire, avec une grande ‘H’ ensanglantée, c'est bien pire. C'est un sujet qui m'intéresse — je ne dirais pas non plus qu'il me passionne, mais j'aimerais arriver à en avoir une vision un peu panoramique — mais je n'ai pas la mémoire pour. Principalement pour deux raisons : (1) comme je viens de le dire, je n'arrive pas bien à replacer deux faits dans le temps quand ils n'ont pas un lien causal clair (ou alors il faudrait apprendre toutes les dates, mais je suis encore plus mauvais pour ça), et (2) j'ai tendance à confondre deux événements ou deux séries d'événements semblables. Tout cela me donne l'impression de naviguer dans un labyrinthe de faits tous semblables sans pouvoir m'y repérer.
Idéalement, j'aimerais apprendre les choses en commençant par une vision très grossière d'un bloc d'espace-temps (un siècle dans un pays, disons) ou d'un phénomène, et préciser au fur et à mesure. Malheureusement, la précision fait (forcément) apparaître des choses qui contredisent l'idée de départ ou de multiples sous-blocs identiques (la faction A l'emporte sur B, puis B reprend la main, puis de nouveau A l'emporte sur B et cela ressemble beaucoup à la première fois), et du coup on ne s'y retrouve plus.
En mathématiques, il est fréquent que des branches de la discipline ressemblent à des labyrinthes de petits théorèmes tous semblables (ajout : voir une entrée ultérieure pour un exemple de ce phénomène). Généralement la solution pour s'y repérer est de retenir ce qu'il faut de démonstration de chacun pour voir où elles divergent, ce qui oblige à mettre en lumière cette différence ; a priori, a partir de là, on peut (enfin, on devrait pouvoir) retrouver soi-même les théorèmes. En Histoire, on ne peut rien faire de semblable : les faits sont ce qu'ils sont, on ne peut pas les retrouver, il faut les mémoriser. Le fait que je me renseigne sur les différents sujets au hasard des associations d'idées et certainement pas dans l'ordre chronologique n'arrange évidemment rien.
(Et je ne parle même pas des difficultés liées à la conjonction de l'Histoire et de la Géographie, du genre, savoir à quoi ressemblait la carte de l'Europe à telle ou telle date, ce qui implique non seulement d'avoir une assez bonne idée de quels événements de nature territoriale se sont produits avant, et ce dans chaque pays, mais aussi de les relier géographiquement.)
Si j'essaie de m'y retrouver dans la guerre des Deux-Roses, par exemple, mon premier souci est que je confonds les deux maisons (ce n'est pas seulement que je ne sais jamais qui de Lancastre et d'York est la rose rouge et qui est la rose blanche — ce qui n'a vraiment aucune importance, en fait, sauf pour la culture générale — mais surtout que j'oublie dans quel ordre elles l'ont emporté). Mais ce n'est que le premier souci : je confonds les différents rois (même sans chercher à retenir leurs liens de filiation, qui de Henri VI et d'Édouard IV est de Lancastre et qui est d'York, qui est celui qui avait des problèmes mentaux et qui est celui qui a fait exécuter l'autre). Je confonds les différentes phases : la victoire Yorkiste de 1455 avec celle de 1460 et celle de 1461 ; ou les batailles de 1459–1461 avec celles de 1469–1471 (je ne prétends de toute façon pas retenir les dates). Et, pire encore, je confonds la guerre des Deux-Roses elle-même avec les complications ultérieures dans la maison de York, c'est-à-dire la lutte entre Édouard IV et Henri VI avec celle entre Richard III et Édouard V, la bataille de Towton avec celle de Bosworth : comme on dit, l'histoire ne se répète pas, elle radote. Et je confonds toutes les pièces de Shakespeare appelées The $n-th part of King $first_name the $number. Avec tout ça, j'en ressors complètement embrouillé. Certes, je peux à un moment donné relire calmement les (toujours très longs) articles des encyclopédies, me faire des petits dessins ou tableaux synthétiques — je sais que j'aurai de nouveau tout oublié trois jours plus tard.
La guerre des Deux-Roses est un exemple où il est particulièrement facile de se perdre, donc j'espère quelque sympathie de mon lecteur, mais pour moi toute l'histoire ressemble à ça. À chaque fois que deux événements ou séries d'événements se succèdent vaguement dans le même sens, je vais confondre les deux : la paix d'Augsbourg et les traités de Westphalie (un siècle d'écart, quand même !), la guerre de succession d'Autriche et la guerre de Sept Ans, les révolutions de 1830 et celles de 1848, les différentes partitions de la Pologne, ou encore les également nombreuses défénestrations de Prague (ha, ha, only serious). En ce moment je lis Le Cimetière de Prague d'Umberto Eco, et je me rends compte que non seulement je ne sais vraiment pas grand-chose sur la façon dont s'est faite l'unité italienne, mais du peu que je savais je mélangeais tout : le couronnement de Victor-Emmanuel en 1861 et la prise de Rome en 1870, et peut-être même l'unité italienne et l'unité allemande. Certainement on doit pouvoir apprendre à éviter les confusions en rentrant plus dans les détails, jusqu'à ce que les choses soient clairement et profondément différentes (je n'en suis quand même pas à confondre la première et la seconde guerres mondiales, après tout), de même qu'on doit pouvoir arriver à replacer les événements dans le temps en apprenant des anecdotes qui forcent un lien causal, mais j'ai une mémoire trop limitée pour ce genre de choses, ou trop peu de patience.
Faute de quoi, je me contente de lire des articles Wikipédia un peu
au hasard et parfois de me dire ah tiens, je confondais
complètement X et Y
. Ou souvent : ah
tiens, j'avais déjà remarqué que je confondais
complètement X et Y, et j'étais de nouveau en
train de le faire
. (Bien sûr, encore plus souvent, je me rends
simplement compte que j'étais crassement ignorant, mais ça me gêne
beaucoup moins : l'ignorance est beaucoup moins gênante que la
confusion.)