David Madore's WebLog: Le petit rituel des séminaires

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(vendredi)

Le petit rituel des séminaires

Cet après-midi, j'ai assisté à trois heures d'exposés : une d'un groupe de travail géo.alg/crypto à Télécom (dont je suis vaguement un co-organisateur) et deux du séminaire Variétés rationnelles (qui pourrait s'appeler séminaire-des-élèves-de-Colliot-Thélène). Les séminaires de mathématiques (et probablement de beaucoup d'autres disciplines, mais je n'en ai pas vu assez pour pouvoir conclure de façon ferme) obéissent à un petit rituel qui m'agace (et que j'ai insisté pour éliminer à notre groupe de travail à Télécom) : ce rituel fait qu'il y a dans un exposé de séminaire deux personnes jouant un rôle distingué : l'orateur (ou conférencier), évidemment, qui est celui qui parle l'essentiel du temps, mais aussi quelqu'un qui est normalement un des organisateurs du séminaire et que j'appellerai (faute de connaître un nom plus standard à ce rôle) le maître de cérémonie (on pourrait aussi dire : le présentateur). Quand il y a plusieurs organisateurs d'un séminaire, ils exercent généralement la fonction de maître de cérémonie à tour de rôle, car ce rôle ne peut pas être collégial. Le maître de cérémonie doit impérativement être distinct de l'orateur : aujourd'hui, au séminaire Variétés rationnelles, comme un des organisateurs du séminaire était absent et que l'autre était un des exposants, il a fallu qu'une autre personne (en l'occurrence, Colliot-Thélène) joue ce rôle.

Le rôle en question, donc, est tout à fait rituel : lorsque le séminaire va commencer, le maître de cérémonie prononce l'incantation propitiatoire (quasiment verbatim) : Nous écoutons maintenant $nom_du_conférencier, qui va nous parler de $titre_de_l_exposé. Lorsque l'orateur a fini de parler, le maître de cérémonie dit sobrement merci, et l'assistance peut applaudir (cependant, au séminaire Variétés rationnelles, quand Colliot-Thélène était un des organisateurs, on n'applaudissait pas, selon le principe, avec lequel je suis plutôt d'accord, qu'un exposé de mathématiques n'est pas un tour de magie et qu'il n'y a pas spécialement lieu de manifester son émerveillement). Ensuite, le maître de cérémonie demande à l'assistance y a-t-il des questions ?, les gens les posent (sans attendre qu'on les invite individuellement à parler), et quand les questions sont taries, le maître de cérémonie a le droit d'en poser lui-même (ce qui est bien vu si l'assistance n'en a pas posé du tout, histoire qu'il y en ait au moins une), et enfin il invite l'assistance à remercier de nouveau l'orateur (on applaudit donc deux fois, y compris s'il n'y a eu aucune question). Tout ceci est extrêmement codifié.

Il y a, bien sûr, des variantes nationales. En anglais (langue dans laquelle se font la plupart des séminaires hors des mathématiques, et même en mathématiques un grand nombre de séminaires et la majorité des conférences), le maître de cérémonies annoncera : Our ${if_first_speaker?first:next} speaker for today is $speakers_name, who will talk about $title_of_talk ; et à la fin : Let us thank the speaker (on remarquera qu'en anglais le maître de cérémonie invite l'assistance à remercier l'orateur alors qu'en français il le remercie lui-même et l'assistance se joint spontanément à ces remerciements), et enfin : Let us thank the speaker again. En allemagne, on n'applaudit pas, on cogne la table avec l'articulation des doigts (la main étant repliée en poing) — cela surprend la première fois. (D'un autre côté, j'ai un ami qui m'a fait remarquer que si une seule fois on regarde des gens en train d'applaudir en se disant mentalement, mais qu'est-ce que c'est que ce rituel idiot ?, il est ensuite impossible de s'enlever cette idée de la tête et on a à tout jamais du mal à se retenir de rire quand on se trouve dans un groupe de gens en train d'applaudir.)

Bref. Je reconnais que le maître de cérémonie joue un rôle important, qui est justement celui que je n'ai pas décrit : il fait comprendre à un orateur qui déborderait son temps qu'il faut songer à arrêter. (Ou il répond à la semi-question s'il me reste $n minutes…? soulevée par l'orateur.) En revanche, le rôle de prononciateur de la phrase magique qui ouvre le séminaire, je trouve ça vraiment idiot. Je ne dis pas ça que par iconoclasme : cette façon de procéder (qui est essentiellement celle des soutenances de thèse) donne aux séminaires un côté plus formel, plus rigide, donc aussi plus intimidant (notamment pour les jeunes orateurs) que si l'orateur se contentait de sonder vaguement le premier rang pour savoir s'il peut commencer (et pareil quand il s'agit de savoir s'il reste du temps). Le nom de l'orateur n'a pas besoin d'être répété, a priori tout le monde l'a lu sur l'affiche ou l'annonce du séminaire (et il vaut mieux le voir écrit de toute façon, parce que sinon on va se tromper en l'écrivant), et quant au titre, l'orateur peut très bien l'écrire au tableau. De même, je préfère que l'orateur demande lui-même s'il y a des questions : c'est lui, après tout, qui vient de faire une communication, il est normal que ce soit lui qui veuille savoir si on veut lui en demander plus. Bref, je préfère qu'un exposé ressemble à une discussion informelle entre collègues (et égaux) qu'à une soutenance de thèse ou je ne sais quel cérémonial codifié.

Il y a d'ailleurs au moins un séminaire prestigieux où les choses se passent sans cérémonial, c'est le séminaire Bourbaki. Je suppose que la logique est que le maître de cérémonie serait logiquement Bourbaki, mais que bizarrement il n'est pas présent. Je regrette d'ailleurs qu'il n'y ait pas une petite blague récurrente qui consisterait à ce qu'à chaque séminaire Bourbaki quelqu'un aléatoirement se lève pour annoncer à l'assistance : Monsieur Nicolas Bourbaki, organisateur de ce séminaire, vous prie de bien vouloir l'excuser pour son absence, due à $raison_inventée_rigolote_et_différente_à_chaque_fois. L'humour mathématicien français a l'air d'avoir un peu décliné depuis les années 30. Au demeurant, j'ai entendu des gens se plaindre du séminaire Bourbaki du fait de son extrême opacité (on ne sait pas comment les orateurs sont choisis, ni d'où vient l'argent), donc je ne sais pas si c'est un modèle à suivre : mais j'apprécie l'absence du cérémonial religieux qui commence la grande majorité des autres séminaires.

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