David Madore's WebLog: Onze vues du graphe de Higman-Sims

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(jeudi)

Onze vues du graphe de Higman-Sims

[Le graphe de Higman-Sims]Je continue dans mon exploration graphique un peu aléatoire d'objets mathématiques exceptionnels et mysérieux avec le graphe de Higman-Sims, dont je viens de produire cinq onze vues.

(Mise à jour () : J'avais initialement écrit cinq, alors que j'avais produit six vues, je ne sais pas pourquoi ce lapsus. Mais de toute façon, je me suis rendu compte entre temps que j'avais mal regardé les symétries et que ma méthode produit non pas cinq ou six vues différentes mais onze. Pour me faire pardonner, voici une jolie animation (également en mauvaise qualité sur YouTube) de ce graphe, qui passe par toutes ces différentes vues (comme d'habitude, si vous n'arrivez pas à télécharger par BitTorrent, vous pouvez retirer l'extension .torrent à la fin de l'URL pour accéder directement au fichier).

Ajout : Les vues en SVG sur Wikimédia Commons : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11.

Le graphe de Higman-Sims est l'unique graphe ayant 100 sommets, chacun étant adjacent à 22 autres (ce qui fait donc 1100 arêtes au total), de sorte que deux sommets adjacents n'ont jamais de voisin commun (i.e., le graphe n'a aucun triangle) et que deux sommets non adjacents ont exactement 6 voisins en commun. Comme tout objet mathématique exceptionnel qui se respecte, il admet quantité de définitions ou de constructions équivalentes. Son groupe d'automorphismes (d'ordre 88704000), c'est-à-dire l'ensemble des façons dont on peut permuter les sommets en préservant la relation d'adjacence entre eux, est, à une extension d'ordre 2 près, le groupe du même nom, l'unique groupe simple fini d'ordre 44352000 et un des vingt-six groupes sporadiques. Si on fixe un sommet quelconque, le groupe restant (le stabilisateur d'un sommet, donc) est, de nouveau à une extension d'ordre 2 près, le groupe M22 de Mathieu (qu'on rencontre régulièrement sur ce blog) — ce qui explique que l'ordre du groupe de Higman-Sims soit 100 fois celui du groupe M22.

Il y a une autre façon de décrire le groupe de Higman-Sims, c'est comme les automorphismes d'un certaine structure combinatoire appelée la géométrie de Higman (qui comporte 176 « points » et 176 « quadriques », chaque quadrique comportant 50 points et chaque point étant sur 50 quadriques — et l'automorphisme extérieur du groupe de Higman-Sims correspondant à échanger points et qudratiques). Cette description a été trouvée indépendamment, et on ne s'est pas rendu compte immédiatement qu'il s'agissait du même groupe. Là où le Club Contexte est très content, c'est que le Higman du groupe et du graphe Higman-Sims (Donald G. Higman, un Américain) n'est pas le même que le Higman de la géométrie de Higman (Graham Higman, un Britannique) ; il semble qu'ils n'aient même pas de lien de parenté évident, c'est tout de même très fort. (Les blagueurs les appelaient les Higmen.)

En fait, mes dessins représentent le graphe de Higman-Sims pas seulement comme un graphe abstrait mais comme un minuscule petit bout d'un autre objet mathématique exceptionnel et extraordinaire, le réseau de Leech.

Le réseau de Leech est réseau régulier de points en 24 dimensions qui a des propriétés absolument mirobolantes ; on peut par exemple le décrire comme la (seule) façon d'empiler des sphères de même rayon, en 24 dimensions, de façon que chaque sphère en touche 196560 autres (les sphères sont centrées sur les points du réseau de Leech) ; il est assez apparenté au réseau engendré par le système de racines E8 dont je parlais récemment (et qui permet d'empiler des sphères en 8 dimensions, de façon que chaque sphère en touche 240 autres), si ce n'est que le réseau de Leech n'est pas associé à un système de racines. Les isométries laissant invariant le réseau de Leech (et fixant l'origine) forment un autre groupe remarquable, le groupe ·0 (lire dot-oh) de Conway, qui est une extension par 2 de l'unique groupe simple fini (appelé ·1 par Conway) d'ordre 4157776806543360000, encore un sporadique. Malheureusement, il n'est pas question de représenter le réseau de Leech (ou même sa première couche), parce que déjà un polyèdre ayant 240 sommets en dimension 8 ayant 696729600 symétries, on n'y voit rien, alors représenter un polyèdre ayant 196560 sommets en dimension 24 et ayant 8315553613086720000 symétries c'est un peu désespéré.

Néanmoins, on peut au moins représenter des tout petits bouts du réseau de Leech. Il se trouve que le graphe de Higman-Sims (comme la géométrie de Higman, d'ailleurs) apparaît naturellement comme un tout petit bout du réseau de Leech : si on choisit trois points quelconques du réseau dont les distances entre eux valent 3, 3 et 2, alors il y a exactement 100 points du réseau qui sont à distance 2 de chacun des trois points choisis, et si on relie par une arête ceux qui sont à distance 3, on obtient le graphe de Higman-Sims ; ceci plonge le groupe de Higman-Sims dans le groupe ·1 de Conway comme le groupe des isométries du réseau de Leech fixant le triangle choisi. Les dessins que j'ai fait sont des projections orthogonales du graphe de Higman-Sims tel que je viens d'expliquer qu'il apparaît dans le réseau de Leech, en choisissant une projection qui révèle la symétrie d'ordre 11 (il n'y a qu'une seule classe de conjugaison d'ordre 11 dans ·0, et elle est dans le groupe de Higman-Sims et, en fait, dans M22). Les 100 points sont organisés en un point au centre et 9 endécagones réguliers autour de lui ; et comme il restait un peu de liberté j'ai fait en sorte que les deux endécagones formés des points directement reliés au point central soient symétriques l'un de l'autre (formant donc un 22-gone régulier) — ce qui ne laisse plus, je crois, que les six projections que j'ai tracées.

Ça ne rend pas très joliment sur l'écran, mais imprimé sur du papier A3 c'est vraiment très esthétique. Ce n'est qu'un minuscule aspect des élégantes symétriques du réseau de Leech, mais c'est déjà inspirant.

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