Une assez longue réflexion en philosophie des mathématiques, que
j'ai écrite dans un mail à un ami, et qui me semble suffisamment
intéressante pour reproduire ici : il s'agit d'éclaircir un peu la
question de savoir quel sens est-ce que ça a de qualifier un énoncé
mathématique de
, i.e., dans quelle
mesure les objets mathématiques existent-ils ? Et notamment :
pourquoi est-ce qu'on sera généralement d'accord pour attribuer la
valeur de vérité vraie à l'énoncé vrai
ou faux
?252097800623 est un nombre
premier
mais qu'on sera beaucoup plus sceptique quant au fait que
l'hypothèse du continu ait vraiment un sens dans le monde réel ?
[Ajout : on ferait mieux de commencer par lire d'abord cette entrée ultérieure, sans doute beaucoup plus pédagogique.]
On peut établir une hiérarchie dans laquelle s'inscrivent un
certain nombre d'énoncés mathématiques (mais pas tous !) en fonction
de la complexité de leurs quantificateurs. (Je crois que cette
hiérarchie est due, sous une forme ou une autre, à Stephen Kleene et
Azriel Lévy, mais je ne sais pas exactement quelles sont les
contributions de l'un et de l'autre. Il en existe un certain nombre
de variantes, arithmétiques ou ensemblistes : la variante qui suit est
clairement du côté arithmétique d'ordre supérieur
si on doit la
qualifier plus précisément : ce que j'appellerai un énoncé
Πn c'est précisément un énoncé arithmétique
Πn.)
Tout en bas de la hiérarchie, il y a les énoncés et prédicats qu'on
peut indifféremment appeler Σ0, Π0 ou
Δ0. Il s'agit des affirmations dont tous les
quantificateurs portent sur les entiers naturels et sont, de
surcroît, bornés
, ou gardés
, c'est-à-dire sont de la
forme il existe un n inférieur à t
ou pour tout n inférieur à t
avec t un terme en les variables libres à ce point-là
(disons que le terme peut faire intervenir l'addition, la
multiplication et l'exponentiation des entiers, ou peut-être n'importe
quelle fonction primitive récursive, pour ce que je vais dire ce n'est
pas important).
Par exemple, l'entier formé par les 10000000000 premières
décimales de pi en base 10 est un nombre premier
peut s'écrire
sous la forme d'un énoncé Δ0 (modulo un tout petit
peu de travail sur les écritures, i.e., l'implémentation d'un
algorithme qui calcule pi). L'essentiel est que quand on a affaire à
une telle affirmation, on peut la tester, de façon algorithmique, en
temps fini, avec terminaison garantie (pour chaque valeur des
variables libres, s'il y en a) : pour les connecteurs propositionnels
c'est clair, et pour les quantificateurs, comme ils sont bornés, on
n'a jamais qu'un nombre fini de cas à tester ; pour la même raison, un
énoncé Δ0 n'est jamais indécidable. Ça c'est ce qui
est censé justifier que, philosophiquement, à peu près tout le monde
conviendra qu'il y a bien un sens à dire si un tel énoncé
est vrai
ou faux
— il suffit d'essayer.
Évidemment, comme les opinions philosophiques des gens sont très
variés, il y aura des ultra-finitistes purs et durs pour me dire que
d'après eux, non, ça n'a pas de sens de se demander si l'entier formé
par les 10↑(10↑(10↑(10↑10))) premières décimales
de pi est premier ou non, s'il est complètement inconcevable de tester
aussi loin : j'appellerai ces gens des (0,0)-platoniciens (i.e., pas
du tout platoniciens) ; les autres sont au moins
(0,1)-platoniciens.
Juste au-delà des énoncés (et prédicats) Δ0, il y a les énoncés (et prédicats) Σ1 et Π1. Les premiers sont formés en ajoutant devant un prédicat Δ0 un quantificateur existentiel portant sur les entiers naturels, alors que les seconds ajoutent un quantificateur universel. En fait, il est assez facile de voir (en utilisant un codage des k-uplets d'entiers par des entiers) qu'on peut se permettre d'ajouter un nombre fini de quantificateurs de même nature pour le même prix. Bien sûr, la négation d'un énoncé Σ1 est Π1, donc pour ce qui est de donner une valeur de vérité on peut ne regarder qu'un d'entre eux.
Un énoncé Π1 peut être réfuté par la donnée d'un
contre-exemple ; en revanche, il risque de ne jamais pouvoir être
confirmé de façon certaine : en effet, il y a des énoncés
Π1 qui sont indécidables (l'exemple typique étant le
système T [le système qui m'intéresse et dans lequel je
travaille : Peano, ZFC, que sais-je encore…] est
consistant
, i.e., il n'existe pas de preuve de Faux dedans, ce qui
est un énoncé arithmétique Π1 comme on s'en convainc
facilement, et dont Gödel nous dit qu'il n'est pas démontrable s'il
est vrai). En fait, ils sont tous équivalents à un énoncé du
type la machine de Turing explicitement donnée par le programme
suivant <…> va tourner sans jamais s'arrêter
(par
exemple une machine de Turing qui cherche une démonstration de 0=1).
Pourtant, philosophiquement, on peut être d'accord qu'ils ont une
valeur de vérité (dans le vrai monde
, je veux dire) sur la base
d'une hypothèse de pensée du genre je laisse tourner indéfiniment
la machine de Turing, ce qui a un sens, et ça a donc bien un sens de
se demander si elle s'arrêtera un jour, ou pas
. (Tout le monde ne
sera pas d'accord, évidemment.)
Beaucoup d'énoncés mathématiques importants sont arithmétiques
Π1 comme je viens de le décrire : la conjecture de
Goldbach, par exemple, ou le théorème de Fermat, ou encore l'hypothèse
de Riemann (c'est moins évident pour cette dernière, mais on peut
encore la mettre sous cette forme). Un énoncé de la forme telle
variété algébrique (définie explicitement sur ℤ) a un point
entier/rationnel
est Σ1 (et Matiyasevich a
montré, en gros, qu'on peut toujours ramener un énoncé
Σ1 à cette forme dans le cas entier). De façon
importante, aussi, tous les énoncés du type telle affirmation est
démontrable
ou telle affirmation est réfutable
sont
Σ1 ; et, du coup, Peano est consistant
ou ZFC est consistant
sont Π1 : il
est important de souligner que, même si ZFC parle
d'ensembles, l'affirmation de sa consistance est un énoncé purement
arithmétique, et Π1 de surcroît. Et par ailleurs on
peut aussi souligner que, en parlant d'ensembles, ZFC
permet de démontrer des énoncés arithmétiques Π1 (du
style Peano est consistant
) que des systèmes plus faibles
(Peano, en l'occurrence) ne démontrent pas. Comme beaucoup de
mathématiciens seront d'accord que la question de savoir
si <truc> est un théorème
a un sens, on peut en conclure
qu'ils sont au moins d'accord que les énoncés arithmétiques
Σ1 et Π1 ont une valeur de vérité : on
peut donc les qualifier de (0,2)-platoniciens.
Il y a aussi les Δ1 dans
l'histoire : ce sont ceux qui peuvent s'écrire à la fois comme un
Π1 et comme un Σ1, avec une
démonstration de l'équivalence (il faut considérer que cette
démonstration fait partie de la donnée de l'énoncé, pour pouvoir le
qualifier de Δ1, parce que sinon il existe une
démonstration…
ça va rendre le truc Σ1, ce
qui n'est pas bien). De beaucoup de points de vue, on peut considérer
qu'un Δ1 c'est aussi bien qu'un Δ0 :
en tout cas c'est finiment testable, puisqu'on essaie en parallèle de
démontrer le Σ1 et de réfuter le Π1 et
on est sûr que l'un d'entre eux terminera en temps fini.
Un énoncé ou prédicat Πn+1 en général se
forme en ajoutant un quantificateur universel (ou un nombre fini
d'entre eux) devant un prédicat Σn, et un
énoncé ou prédicat Σn+1 avec un
quantificateur existentiel devant un prédicat
Πn. Tous ces quantificateurs portent
toujours sur les entiers, pour l'instant : il s'agit
d'affirmations arithmétiques du premier ordre
. Bien sûr, un
énoncé Δn c'est un énoncé qui peut se
mettre sous la forme Πn et
Σn à la fois ; et je dirai qu'un
mathématicien est au moins (0,n+1)-platonicien s'il admet
que les énoncés Πn ont une valeur de vérité
bien définie.
Par exemple, un Π2, il va dire que pour
tout x il existe y tel que (une certaine
propriété testable de x et de y) : c'est
difficile à réfuter (il faut exhiber un x avec une
démonstration du fait que pour chaque y ça ne marche
pas) et encore plus difficile à prouver ; donc là j'ai encore plus de
mal à justifier philosophiquement que ça a bien un sens de dire si
c'est vrai ou faux. Néanmoins, si on a concédé que les énoncés
Π1 et Σ1 sont toujours soit vrais soit
faux, on peut encore admettre quelque chose sur les Π2
(et Σ2), avec une expérience de pensée du style : je
lance une machine qui va tester tous les x et, pour
chaque x, examiner tous les y — et à la
fin des temps
je verrai bien si elle a parcouru tous
les x (auquel cas mon énoncé Π2 est vrai) ou
si elle est restée bloquée indéfiniment sur l'un d'entre eux (auquel
cas l'énoncé est faux, cet x donnant un contre-exemple pour
lequel il n'existe pas de y).
Exemples d'énoncés mathématiques Π2 : toute suite
finie de chiffres se trouve quelque part dans l'écriture décimale de
pi ; ou encore : P n'est pas égal à NP (qu'on peut voir
sous la forme il n'existe pas un algorithme et une borne
polynomiale telle que l'algorithme résolve tout instance de SAT en
temps donné par cette borne
). Si on convient qu'un tel énoncé a
un sens, on est au moins (0,3)-platoniciens (j'ai décalé les indices
de 1 pour convenir qu'un (0,0)-platonicien est quelqu'un qui n'admet
même pas les énoncés Δ0). Je pense que beaucoup de
mathématiciens seront encore dans ce cas. Quant à l'énoncé il
n'existe pas d'algorithme permettant de dire si une variété algébrique
(définie sur ℚ) admet ou non un point ℚ-rationnel
,
il est Π3 si je ne m'abuse (pour toute algorithme il
existe une variété telle que pour tout M l'algorithme ne
finit pas en temps M et la variété n'a pas non plus de
point de hauteur <M
).
Une façon de voir la valeur de vérité d'un énoncé Πn, c'est de considérer le jeu suivant à deux joueur : Forall cherche à réfuter l'énoncé, et Exists cherche à le confirmer. Le jeu n'a que n coups (c'est un jeu fini), Forall joue en premier en donnant un entier naturel, Exists réplique avec un entier naturel, et ainsi de suite sur n coups ; à la fin, on substitue ces entiers naturels aux n variables alternativement quantifiées par l'énoncé, et si le résultat (qui est finiment testable car Δ0) est faux, Forall a gagné, sinon c'est Exists. La vérité de l'énoncé est équivalente à l'affirmation que Exists possède une stratégie gagnante, et sa fausseté au fait que Forall en a une. Donc si on admet le principe que tout jeu fini de la sorte a une stratégie gagnante, alors on admet l'idée que tout énoncé arithmétique du premier ordre a une valeur de vérité.
Une autre façon de voir les choses est de dire : si j'ai un Oracle qui me permet de décider si une machine de Turing s'arrête (donc si j'admets la possibilité conceptuelle d'un tel Oracle) alors je peux réfuter un énoncé Π2 en utilisant cet Oracle dans une machine de Turing ; si j'ai un Oracle, encore plus puissant, qui me permet de décider si une machine de Turing pouvant faire appel au premier Oracle s'arrête, alors je peux réfuter un énoncé Π3, etc. Si j'admets que tous ces Oracles ont un sens, alors j'admets que tout énoncé arithmétique du premier ordre a une valeur de vérité.
Quelqu'un qui admet que tout énoncé arithmétique du premier ordre (i.e., Πn pour n'importe quel n) a une valeur de vérité, je vais le qualifier de (1,0)-platonicien (ou (1,1)-platonicien, ma numérotation étant un peu malheureuse). Personnellement je crois être (1,0)-platonicien et je ne suis pas persuadé d'être plus. Mais je vais expliquer ce que ce plus signifie.
Pour ça, il faut passer aux énoncés d'ordre supérieur,
c'est-à-dire, admettant des quantificateurs non plus seulement sur les
entiers naturels mais aussi sur les parties de ℕ. Je dirai
qu'un énoncé est Δ10 s'il est
Πn (=Π0n)
ou Σn
(=Σ0n) pour un
certain n ; je dirai qu'un énoncé est
Σ11 s'il s'obtient à partir d'un énoncé
Δ10 (resp. Π10)
par ajout d'un quantificateur existentiel (resp. universel) portant
sur les parties de ℕ (ou sur les nombres réels, ou sur les
suites d'entiers, ça revient au même). On aura deviné ce qu'est un
énoncé Σ1n ou
Π1n en général : quelqu'un qui
croît que de tels énoncés sont vrais ou faux sera dit
(1,n+1)-platonicien. Tous ces énoncés s'appellent
énoncés arithmétiques du second ordre
(par opposition à ceux
qui n'avaient que des quantifications sur les entiers naturels et qui
sont dits arithmétiques du premier ordre
).
Exemple d'énoncé mathématique Π13 :
si B est un borélien de ℝ, alors le jeu à deux
joueurs où chaque joueur choisit tour à tour une décimale d'un réel,
et où (au bout d'un temps infini) le premier joueur gagne si le réel
ainsi formé appartient à B et l'autre joueur s'il n'y
appartient pas, [ce jeu] admet forcément une stratégie gagnante pour
un des deux joueurs. (Il s'agit du théorème de détermination
borélienne : c'est un théorème de ZFC, par ailleurs
difficile. La raison pour laquelle c'est bien un énoncé
Π13 c'est qu'on peut coder les boréliens de
ℝ comme des suites d'entiers, ainsi que les stratégies
gagnantes, ou la suite des coups joués par un des deux joueurs.) Si
on remplace borélien
par analytique
(i.e., image d'un
ensemble borélien par une fonction continue, ce qui peut toujours se
coder avec des suites d'entiers), alors l'énoncé résulte d'hypothèses
de grands cardinaux qui dépassent ZFC (l'existence
de x♯ pour tout réel x). Un
(1,4)-platonicien devra penser que cet énoncé est soit vrai soit
faux : pour ma part, je commence à être sceptique sur le fait que ça
ait vraiment un sens.
Le problème avec les parties de ℕ, c'est qu'on ne sait pas
exactement ce qu'elles sont, on ne peut pas les déterminer
complètement comme un entier naturel.
(Kronecker : Die ganzen Zahlen hat der liebe Gott
gemacht, alles andere ist Menschenwerk.
) Je peux certes
imaginer de reprendre mon jeu à deux joueur (Forall et Exists) et
imaginer que ces joueurs échangent non plus des entiers naturels mais
des Oracles qui permettent de savoir si un entier naturel est ou n'est
pas dans la partie en question, mais je trouve que ça devient
philosophiquement fumeux dans la mesure où chacun doit avoir le droit
de poser un nombre infini de questions à n'importe quel Oracle choisi
antérieurement, et de se décider en fonction de ça. Or peut-être
qu'il y a dans l'univers une certaine limitation sur ce qu'un Oracle
peut dire ou sur la façon dont on peut l'interroger, et cette
limitation va affecter la notion de vérité pour les énoncés d'ordre
supérieur.
En fait, voici un énoncé Σ11, qui est
un théorème de ZFC, et qui commence déjà à montrer la
subtilité : il existe une partie de ℕ qui code la vérité des
énoncés arithmétiques du premier ordre
(tel quel ce n'est pas un
énoncé mathématique correctement formalisé, mais il le devient si on
le code comme ceci : il existe une partie de qui contient les codes de
tous les énoncés Δ0 vrais [ça ça ne pose pas de
problème à définir, il y a même une définition Δ1
uniforme] et aucun code d'un énoncé Δ0 faux, et elle
contient le code d'un énoncé pour tout x
<machin>
ssi elle contient le code de <machin>
avec n remplacé pour x, pour tout n,
et pareil pour il existe). On voit qu'admettre la vérité d'un tel
énoncé c'est non seulement admettre qu'un énoncé arithmétique du
premier ordre a toujours une valeur de vérité bien définie, mais aussi
qu'on puisse s'en servir pour former une partie de ℕ : comme la
vérité des énoncés arithmétiques du premier ordre n'est certainement
pas définissable par un prédicat arithmétique du premier ordre (il
n'existe pas de prédicat P arithmétique du premier ordre
tel que P(‹Q›) ⇒ Q
dès que ‹Q› est le code d'un
énoncé Q arithmétique du premier ordre), admettre
l'existence d'une telle partie c'est déjà dépasser substantiellement
ce que permet l'arithmétique du premier ordre. Maintenant,
dans ZFC c'est un théorème (à peu près évident), mais il
y a des théories suffisantes pour faire à peu près toutes les maths
envisageables et dans lesquelles un tel énoncé est inaccessible.
Bref, si je suis (1,0)-platonicien (ce qui est pareil que (1,1), en
fait, avec ma convention), je ne suis pas certain d'être
(1,2)-platonicien.
Évidemment, on peut aller au-delà et admettre des quantifications
sur les parties de parties de ℕ (i.e., les parties de
ℝ). Un énoncé Σ21 admet un
quantificateur existentiel portant sur les parties de parties de
ℕ devant n'importe quel énoncé
Π1n (pour un n
quelconque). L'hypothèse du continu, par exemple, est un énoncé
Π22. Pour ma part, je ne pense pas que ça
ait beaucoup de sens de se demander si elle est vraie ou fausse : je
pense que c'est plus une question de convention sur ce qu'on veut
admettre comme ensembles
. (Et on est généralement d'accord que
pour les ensembles
les plus sympathiques et/ou naturels,
l'hypothèse du continu est violemment fausse.) Enfin, il y a des
énoncés de ZFC qui ne se laissent pas réécrire comme des
énoncés de l'arithmétique d'ordre supérieur (ce que j'ai défini) : par
exemple, il existe un cardinal inaccessible
ne peut pas se
décrire[#] comme
Σrn pour
aucun r et n.
En revanche, ce qu'il faut souligner, c'est que même s'il faut un
niveau de platonisme très élevé pour accepter de discuter de la vérité
ou non de il existe un cardinal inaccessible
et autres notions
exotiques de la théorie des ensembles, en revanche, l'idée qu'un
cardinal inaccessible puisse exister, c'est-à-dire soit
consistante avec ZFC, ça c'est quelque chose de purement
arithmétique, c'est même un énoncé simplement
Π01. Et je suis pour ma part persuadé que
c'est vrai : c'est là, d'ailleurs, que ma position philosophique se
casse la gueule, parce que si je suis prêt à admettre qu'un cardinal
inaccessible puisse exister mais pas que ça ait un sens de se
demander s'il existe, on se demande un peu d'où je tire la conviction
qu'il puisse exister (ce n'est pas un théorème de ZFC
si ZFC est consistant, donc la croyance en une telle
chose ne peut venir que d'une idée de grands cardinaux, quelque part).
Du coup je ne sais pas bien ce que je crois.
En fait, j'ai l'impression que les théoriciens des ensembles sont
souvent beaucoup plus platoniciens que les autres mathématiciens (ils
avouent souvent publiquement être persuadés que l'hypothèse du continu
est fausse, qu'un cardinal mesurable ou
supercompact existe, etc.). Je pense que c'est lié au fait
que les autres matheux peuvent tout à fait travailler sans avoir
besoin de considérer de tels énoncés, alors que si on veut faire de la
théorie des ensembles il est un peu malheureux de se dire qu'on ne
manipule que des symboles qui ne veulent rien dire… Peut-être
que les théoriciens des ensembles ont accès à un paradis platonicien
plus vaste que le reste des matheux ? (Hilbert : Aus
dem Paradies, das Cantor uns geschaffen, soll uns niemand vertreiben
können.
)
[#] Ça c'est dans la
hiérarchie arithmétique (d'ordre supérieur), que j'ai décrite, bien
sûr : parce que comme énoncé ensembliste, il existe un
cardinal inaccessible
est quelque chose comme
Σ2.