David Madore's WebLog: L'astéroïde et les journalistes

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(mercredi)

L'astéroïde et les journalistes

Attention, je vais faire mon David Monniaux (ce dernier est actuellement en déplacement, donc je prends le relai pour la dénonciation des c***eries des journalistes ☺️).

On a pu voir passer ce matin la dépêche suivante :

2008-04-16T09:19+0200 — Berlin — AFP

Un Allemand de 13 ans a corrigé des calculs de la NASA sur la probabilité de collision d'un astéroïde avec la Terre et l'Agence a reconnu son erreur.

À partir d'observations télescopiques à l'Institut d'astrophysique de Potsdam (AIP), près de Berlin, le lycéen Nico Marquardt a calculé une probabilité de 1 sur 450 qu'un astéroïde baptisé Apophis entre en collision avec la Terre, a rapporté le quotidien régional Potsdamer Neuerster Nachrichten.

La NASA, qui avait estimé à 1 sur 45.000 la probabilité d'un tel impact, a fait savoir — via l'Agence européenne de l'espace (ESA) — que le jeune génie avait raison.

Le facteur intégré par Nico Marquardt que l'Agence américaine n'avait pas pris en compte est le danger de collision d'Apophis avec l'un ou plusieurs des 40.000 satellites lors du passage près de la planète bleue le 13 avril 2029.

Ces satellites tournent à une vitesse de 3,07 km/seconde autour de la Terre à une distance allant jusqu'à 35.880 kilomètres: or l'astéroïde devrait passer à 32.500 kilomètres de notre planète. Si un impact a lieu en 2029, cela pourrait changer la trajectoire d'Apophis de manière à lui faire rencontrer notre planète lors de son prochain passage près de la Terre prévu en 2036.

La NASA et Nico Marquardt estiment qu'en cas de collision, la boule de fer et d'iridium d'un diamètre de 320 mètres et lourd de 200 milliards de tonnes tomberait dans l'Océan Atlantique. Ce choc déclencherait des vagues monstrueuses, ravageant les côtes et bien au-delà, tandis que des masses extrêmement denses de poussière dans l'atmosphère assombriraient le ciel pour un temps indéterminé.

Nico Marquardt avait fait connaître sa découverte dans le cadre d'un concours régional qu'il avait remporté grâce à son travail intitulé L'astéroïde meurtrier Apophis.

Le problème ? Le problème, c'est que tout est faux là-dedans, ou presque. Petit jeu : relisez calmement et rendez-vous compte que, même sans avoir accès à des données extérieures, on doit avoir la puce à l'oreille.

Commençons par le plus énorme : je ne sais pas comment le chiffre de 200 milliards de tonnes a pu arriver dans ce texte, mais n'importe qui capable de calculer le volume d'une boule, ce qui est au programme de la classe de Troisième, peut calculer celui d'une boule de 320 mètres de diamètre (ce qui fait : dans les 17 millions de mètres cubes) donc la densité de l'astéroïde si on en croit cette dépêche (200 milliards de tonnes divisé par 17 millions de mètres cubes égale : plus de 11000 tonnes par mètre cube, ou encore 11 tonnes par litre). Comment quelqu'un peut-il avoir un sens des ordres de grandeurs à ce point absent pour ne pas s'apercevoir que c'est idiot ? Si encore on imaginait que la boule était formée de je ne sais quelle matière bizarre (les naines blanches ou les étoiles à neutron ont des densités très élevées, c'est vrai), ce serait juste une question d'ignorance, mais, là, c'est écrit : fer et iridium !

Soit on doit supposer que notre journaliste n'a jamais fait sa troisième, et en tout cas qu'il ne sait pas calculer le volume d'une boule, soit il s'imagine que le fer pèse plusieurs tonnes le litre, soit, ce qui est plus vraisemblable, il avale tout ce qu'on lui dit sans réfléchir une seule seconde (jusqu'où aurait-il été crédule ? si on lui avait parlé d'un astéroïde de 20000km de diamètre, aurait-il marché ? j'ai peur que oui…).

Par ailleurs, il se trouve que les données rapportées sur cet astéroïde 99942 Apophis sont tous faux : la meilleure estimation de son diamètre est un chouïa plus petite que les 320m indiqués par le journaliste, autour de 270m, et cette classe d'astéroïdes (les chondrites) est plutôt pauvre en métaux m'apprend un ami planétologue. Là il s'agit d'erreurs mineures, certes, mais il aurait suffi de taper le nom de l'astre dans un moteur de recherche pour trouver ces données précises ainsi qu'une estimation de la densité des astéroïdes typiques : on se rend compte que la valeur plausible de la masse est autour de 21 millions de tonnes (confirmation ici), pas 200 milliards ! Évidemment, la Wikipédia donnait les valeurs correctes, mais les journalistes français aiment bien se moquer de l'inexactitude de Wikipédia (l'AFP interdit de l'utiliser comme source), eux qui, hu hu hu, savent tellement mieux.

Passons sur l'erreur de niveau troisième et regardons maintenant le fond de l'histoire. Est-il vraiment raisonnable de penser que l'agence spatiale américaine ne serait pas au courant de l'existence de satellites géostationnaires ? Bien sûr que non — je ne comprends pas comment un journaliste a pu une seconde croire une telle chose. La vérité, c'est que ces satellites n'ont pas à être pris en compte : certes, l'astéroïde va passer plus près de la Terre que la distance des satellites en question, mais les satellites géostationnaires sont dans le plan de l'équateur et l'orbite de l'astéroïde traversera le plan de l'équateur plus loin que les satellites géostationnaires ; là aussi, il suffisait de chercher un peu sur le Web pour le savoir : because Apophis will pass interior to the positions of these satellites at closest approach, in a plane inclined at 40 degrees to the Earth's equator and passing outside the equatorial geosynchronous zone when crossing the equatorial plane, it does not threaten the satellites in that heavily populated region. Par ailleurs, même en prenant la valeur vraie de la masse de l'astéroïde (de l'ordre de 20 millions de tonnes, donc) et à plus forte raison si on prend la valeur imaginée par le journaliste (200 milliards), en imaginant la collision d'un tel truc contre un satellite qui pèse au grand maximum quelques tonnes, je veux bien que ça perturbe l'orbite, mais ça va la perturber de l'ordre d'une fraction de partie par million, ce qui n'est pas considérablement plus que les erreurs de mesure qu'on peut imaginer sur ce genre de situation, donc faire passer la probabilité de 1 sur 45000 à 1 sur 450, c'est assez louche. On ne peut peut-être pas s'attendre à ce que le journaliste bronche à ça, mais la multiplication de la probabilité par exactement 100 ça devrait au moins éveiller des soupçons sur ce chiffre.

Je passe aussi sur le fait que l'observatoire radio de l'institut d'astrophysique de Potsdam ne semble pas faire d'astronomie radar (en tout cas ils ne la mentionnent pas) : pour autant que je sache, les données qu'on a sur 99942 Apophis viennent du radar planétaire d'Arecibo. Ça c'est pour dire qu'il ne pouvait pas vraiment y avoir de nouvelles données expérimentales que la NASA n'aurait pas prises en compte.

Mais le plus énorme, finalement, c'est cette histoire selon laquelle la NASA aurait confirmé son erreur (via l'ESA, ce qui est une autre bizarrerie, mais on n'est plus à ça près). Vous croyez que le journaliste aurait pris la peine de vérifier, d'aller voir s'il y avait une quelconque note officielle dans ce sens ? Non, évidemment. Même le site pourtant pas très reconnu pour sa fiabilité qu'est The Register a été foutu, lui, de demander confirmation : résultat, non, l'ESA nie tout. On atteint des limites invraisemblables dans le ridicule.

Si vous voulez mon explication de ce qui a pu se passer, ma boule de cristal suggère que le jeune Allemand aurait fait un calcul rapide et sans doute pas complètement idiot de ce qui pourrait se passer — i.e. de l'ordre de grandeur de l'erreur — en cas de collision avec un satellite, il se serait aperçu que ça apportait un terme d'erreur supplémentaire pas pris en compte, mais il n'aurait pas été au courant que cette collision n'était pas possible (ou il n'aurait pas eu les éléments orbitaux corrects) et il n'aurait pas su non plus que la principale cause d'incertitude est en fait l'inexactitude des théories planétaires. Il aurait ensuite écrit un petit papier là-dessus, un journal régional aurait repris la nouvelle sans trop chercher à en savoir plus. Un journaliste censément d'envergure plus internationale aurait vu ça et aurait appelé quelqu'un à l'ESA sans chercher à trouver le bon interlocuteur : il serait tombé sur quelqu'un qui aurait pris en vitesse des vieilles données sur 99942 Apophis et aurait dit ah oui, effectivement, la probabilité de collision est quelque chose comme 1/450 (parce qu'on a effectivement cru à une probabilité de l'ordre du pour cent par le passé). Le journaliste aurait pris ça comme un aveu d'erreur et aurait diffusé l'information surtout sans rien vérifier de plus.

C'est absolument pathétique, surtout que maintenant tout le Web en parle et j'imagine que l'« info » va se retrouver dans un certain nombre de journaux réputés fiables. Ça donne une idée de comment ces gens font leur travail… tout de même, une probabilité de 1/450 de catastrophe assez importante en 2037, ça méritait une certaine attention, pas d'être pris complètement par-dessus la jambe. Mais j'imagine que le sensationnalisme du prétendu génie qui ferait des calculs mieux que la NASA (vraiment une idée conne de type qui a regardé trop de nanars, ça), ça passait avant la vérification de ses sources.

Je ne sais pas dans quelle mesure ce phénomène est limité aux articles de science (i.e., dès qu'on écrit sur de la science, on ferme son cerveau parce que c'est compliqué, la science, n'est-ce pas), et malheureusement il n'y a que dans ce domaine que je puisse nettement repérer les erreurs, mais ce que racontait David Monniaux récemment ou encore plus récemment donne peu confiance. Personnellement je prends mes nouvelles du monde par la BBC, qui n'est certes pas parfaite mais elle a un chouïa moins tendance à raconter des c***eries à sensation quand il s'agit de science.

Précision : Je suis bien conscient qu'il ne s'agit « que » d'une dépêche de l'AFP, et que les journalistes des quotidiens qui reçoivent ces nouvelles sont censés faire une démarche de vérification ou d'éclaircissement de leur part. Apparemment cette fois-ci ça a marché puisque par exemple Libération a remarqué l'erreur. J'imagine que l'affaire était suffisamment grosse pour qu'on se renseigne un peu, et les démentis étaient faciles à trouver (comme justement on en a beaucoup parlé, ils sont arrivés vite). Reste qu'émettre une dépêche de ce genre sans faire un calcul de niveau troisième est inexcusable.

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