Il y a quelques semaines, j'achetais le livre Classification phylogénétique du vivant (2e édition) de Guillaume Lecointre et Hervé Le Guyader, publié chez Belin, un beau livre qui expose, sans trop de prérequis en biologie (disons qu'il est compréhensible par moi qui n'en ai pas fait depuis le bac[#]), ce qu'est censé être l'arbre phylogénétique (l'arbre généalogique, si on veut) de toutes les espèces vivantes (celles qui ne sont pas extinctes), descendant jusqu'au niveau des ordres pour les groupes les plus « importants ». Bref, j'essaie de me cultiver un peu et de me faire une idée de la manière dont ont évolué toutes ces bestioles aux formes variées.
Comme j'ai un peu du mal à me faire une idée précise de tous ces
embranchements aux noms barbares (je n'ai rien contre les
protostomiens, c'est juste que je n'en suis pas un), je descends voir
la classe dont je suis un fier
représentant, les mammifères, et, plus précisément, les mammifères
placentaires (insérer ici un cri du cœur : je ne suis pas un
kangourou
). Là, j'apprends que les primates (nous, quoi)
sont proches des chauves-souris, appartenant au groupe des archontes,
caractérisé notamment par un pénis pendant (et aussi par une
caractéristique d'un os du tarse, mais c'est moins rigolo) ; moi je
veux bien, je n'ai rien contre les chauves-souris, certains de mes
meilleurs amis sont des chauves-souris. Sauf qu'en fait non :
maintenant on m'apprend que mon livre, paru en 2001, est déjà daté,
les données
moléculaires ont bouleversé l'arbre phylogénétique des mammifères
placentaires (en fait, des euthériens), et nous ne sommes plus cousins
des chauves-souris. Ça m'apprendra à être un naïf mathématicien et à
penser que ce qu'on lit dans un livre est vrai et que la science
arrive à des vérités incontestables. (Il paraît, aussi — cela
avait été signalé par un membre du jury lors de la soutenance de thèse d'un ami —
qu'une annonce spectaculaire, mais fausse, avait été faite, il n'y a
pas si longtemps, sur la base de données moléculaires, que le cochon
d'inde n'était pas un rongeur. La pauvre bête a interjeté appel et a
maintenant réintégré son ordre : ouf !)
Bref, apparemment, les euthériens se divisent maintenant en quatre grands clades (super-ordres, ou quelque chose comme ça), qui correspondent plutôt à une répartition géographique qu'à des caractères morphologiques notables. D'abord, les afrothériens, qui comportent les afrosoricides (insectovores africains : taupes dorées, tanrecs), les macroscélides (« rats-éléphants »), les tubulidentés (oryctérope), les proboscidiens (éléphants), les hyracoïdes (damans), et les siréniens (lamantins, dugongs). Ensuite, les xénarthres (tamanoirs, tatous, paresseux). Puis les euarchontoglires : dermoptères (« lémuriens volants »), scandentiens (toupayes…), primates (lémuriens, singes), lagomorphes (lièvres, lapins, pikas) et rongeurs. Enfin, les laurasiathériens : eulipotyphles (insectivores : taupes, musaraignes, hérissons), carnivores (félins ; carnassiers ; loups et autres canidés ; ratons-laveurs et autres procyonidés ; ours ; furets, blaireaux et otaries ; pandas rouges ; putois ; morses et phoques), pholidotes (pangolins), périssodactyles (rhinocéros, tapirs, chevaux), cétartiodactyles (dromadaires, chameaux et autres tylopodes ; sangliers, phacochères, cochons et autres suines ; cerfs, gnous et autres ruminants ; hippopotames ; baleines, dauphins et autres cétacés) et enfin les chiroptères (ces fameuses chauves-souris). Le piège, c'est qu'il peut y avoir des animaux qui se ressemblent beaucoup sans être apparentés (enfin, pas plus que du fait qu'ils sont simplement des mammifères placentaires) : les taupes (qui sont des laurasiathériens) et les taupes dorées africaines (afrothériens), par exemple, ou bien certains tanrecs et les musaraignes ou d'autres et les hérissons, ou encore les lémuriens volents (euarchontoglires) et les chauves-souris (laurasiathériens) ; cela s'appelle l'homoplasie : on trouve ça dans d'autres situations (il existe des marsupiaux qui ont des caractères très proches des placentaires, comme un « chat marsupial », des « taupes marsupiales », des « souris marsupiales »). Ceci aurait incité à la définition de groupes sans pertinence phylogénétique, comme — pour revenir aux placentaires — les édentés (xénarthres + pangolins), ou les ongulés (périssodactyles et cétartiodactyles + tubulidentés, hyracoïdes, proboscidiens et siréniens). Ou, pour résumer, une baleine est beaucoup plus proche d'un hippopotame ou même d'une vache que n'importe lequel de ceux-ci l'est d'un éléphant, un singe est plus proche d'un lapin que d'un ours, et une souris est plus proche d'un homme que d'une musaraigne. Et moi il faut que je m'achète un autre livre.
En bonus, pour les utilisateurs de Mozilla uniquement (ou tout autre
brouteur de la famille Mozillidæ, par exemple Mozilla
ignivulpes, vulgairement appelé Firefox
), j'ai recopié
(sûrement avec plein de fautes) un bout d'arbre mammalien.
Petit exercice de maths pour finir : si on a n espèces à arranger en un arbre phylogénétique complet (c'est-à-dire comme feuilles d'un arbre binaire : chaque nœud de l'arbre déterminera un clade), le nombre de possibilités est (2. Évidemment, avec quelque chose comme 18 ordres de mammifères placentaires, ça fait pas mal de possibilités (quelque chose comme 6332659870762850625, en fait). n−3)!! = 1×3×5×7×⋯(2 n−3)
[#] J'espère, donc, que dans mon ignorance je ne dis pas trop de bêtises en essayant de réexpliquer ce que j'ai compris.