David Madore's WebLog: Deux exposés mathématiques

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(mardi)

Deux exposés mathématiques

J'ai assisté à deux exposés à Orsay, aujourd'hui. Le premier, par Pierre Cartier (auquel j'avais fait référence déjà) concernait Bourbaki. Cartier raconte toujours de façon très intéressante, il a juste le défaut de partir parfois dans un peu trop de digressions (même si ses anecdotes sont amusantes). Je n'essaierai pas de résumer tout ce que j'ai appris, parce que ce sont plutôt une multitude de petits faits isolés que des grandes idées. De façon très succincte, son propos était : le bilan strictement scientifique de Bourbaki est globalement positif, mais son influence sur l'enseignement (dont il n'est d'ailleurs pas directement responsable), c'est-à-dire les maths modernes, a été catastrophique. Cela pose d'ailleurs la question tout à fait générale de comment on doit au mieux enseigner les mathématiques (entre autres — j'en discutais tout à l'heure avec une amie qui est prof en collège — comment présenter la notion de démonstration et faire ressentir son intérêt ? cela me semble très délicat), question dont je ne pense malheureusement pas qu'elle admette de réponse satisfaisante, en fait. J'y reviendrai peut-être un jour.

Le second était un exposé scientifique (par Bjorn Poonen, un des mathématiciens qui donne les séminaires les plus clairs que je connaisse) et concernait le dixième problème de Hilbert.

Sous sa forme originale, le dixième problème de Hilbert est quelque chose comme ceci : considérons un polynôme f à N variables et à coefficients entiers, on cherche à savoir s'il existe des entiers x1,…,xN tels que f(x1,…,xN)=0 (autrement dit, à savoir si l'équation diophantienne f=0 est résoluble), et on cherche à le faire de façon algorithmique : autrement dit, on demande s'il est possible de trouver un programme informatique (peu importent les détails, si on croit à la thèse de Church-Turing) qui, quand on lui fournit le polynôme f, va déterminer si l'équation est résoluble. La réponse apportée par Yuri Matiyasevič est négative : il n'existe pas de tel algorithme (il démontre même que, quel que soit l'ensemble d'entiers E récursivement énumérable, il existe f à 1+N variables pour un certain N — qui peut être choisi uniformément — tel que aE si et seulement si f(a, x1,…,xN) = 0 admet une solution dans les variables x1,…,xN ; et comme on sait qu'on peut trouver des ensembles récursivement énumérables et non récursifs, il ne peut pas y avoir d'algorithme — en fait, on atteint le niveau maximal de non-récursivité au sens de Post, et par ailleurs, ce qui est peut-être encore plus frappant, on peut trouver des f tels que l'existence d'une solution soit indécidable au sens de Gödel, dans n'importe quel système formel récursif contenant au moins l'arithmétique).

Ce qui est remarquable, en revanche, c'est que si on remplace la recherche de solutions entières par des solutions rationnelles (on peut aussi permettre aux coefficients de f d'être rationnels, ça ne change rien dans un cas comme dans l'autre car on peut toujours chasser les dénominateur), on ignore si la question est décidable ou non. La plupart des mathématiciens pensent que la réponse est négative comme sur les entiers, mais certains sont d'un avis différent (comme Swinnerton-Dyer, notamment, ou, semble-t-il, Mazur : ce ne sont pas de petits noms), et d'ailleurs un exposé récent du même Poonen au séminaire Variétés rationnelles laissait entrevoir un espoir possible de réponse positive ; cependant, l'exposé d'aujourd'hui laissait plutôt penser à une réponse négative. En tout cas, c'est une situation un peu analogue au fameux problème P=NP : la plupart des gens pensent qu'il n'y a pas d'algorithme, ce qui est sans doute dommage, mais on ne sait pas le démontrer, ce qui est également dommage. Sur les complexes ou les réels (ou les p-adiques), c'est-à-dire si on cherche des solutions dans un de ces corps-là, il existe bien un algorithme. L'exposé d'aujourd'hui portait sur le résultat suivant : il existe un ensemble S de nombres premiers de densité naturelle 1 (c'est-à-dire que pour x grand, le nombre de nombres premiers inférieurs à x qui sont dans S est asymptotiquement équivalent au nombre de nombres premiers inférieurs à x tout court) tel qu'il n'existe pas d'algorithme pour détecter l'existence de solutions rationnelles dont le dénominateur n'a que des facteurs premiers dans S ; si on pouvait dans cette affirmation prendre pour S l'ensemble de tous les nombres premiers (ou même, en fait, tous sauf un nombre fini), ce serait la réponse négative sur les rationnels, mais obtenir un ensemble de densité naturelle 1 est déjà une indication importante dans cette direction.

Clarification () : Yann Ollivier me fait remarquer que le résultat tel que je l'annonce est trivial si S n'est pas supposé récursif. Confirmation prise auprès de Bjorn Poonen, l'ensemble S qu'il construit est bien récursif : donc, rajouter cette précision dans les énoncés ci-dessus.

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