Les billets de ce blog deviennent insupportablement longs, et je cherche le moyen de me forcer à écrire des choses plus courtes, à ne pas prendre un sujet sur lequel j'ai un million de choses à dire et à le décortiquer par le menu. Je vais donc faire un effort délibéré pour écrire des entrées plus courtes (divulgâchis : je sens gros comme une maison que ça ne va pas marcher).
Pourquoi ne pas en profiter pour revenir un peu sur le processus mental qui me conduit à écrire ici. (Ça va recouper ce que j'ai déjà dit dans ce billet mais tant pis.)
Généralement ça commence la nuit. Je suis assez facilement victime d'insomnies. Mes insomnies peuvent avoir plein de raisons, physiques (comme une narine obstinément bouchée) ou externes (par exemple un bruit qui me gêne), mais certaines sont clairement endogènes : mon cerveau a simplement décidé que ce n'était pas le moment de dormir.
J'ai tenté plein de choses, avec plus ou moins de succès, pour gérer ces insomnies : soit pour m'en débarrasser (comme modifier mes heures de lever ou de coucher, ou prendre quelque chose qui m'aide à dormir[#]), soit au contraire pour les utiliser pour faire quelque chose (c'est-à-dire me lever et lire, voire travailler, donc accepter une forme polyphasique de sommeil, tout en pestant contre une société dont les rythmes rendent compliqué de vivre comme ça).
[#] Vous n'imaginez pas, là, tout l'héroïsme de retenue dont je fais preuve en ne commençant pas une digression avec cinq ou six notes détaillant par le menu toutes mes conclusions au sujet des tisanes, de la mélatonine, de la doxylamine, etc.
Mais une autre approche que je commence à admettre est peut-être simplement d'assumer mes insomnies comme telles, et d'arrêter de considérer que c'est forcément un problème, mais de reconnaître que c'est un temps qui n'est pas complètement perdu.
Après tout il s'agit d'un moment que j'ai pour moi, seul avec mes pensées, sans que rien ne vienne les interrompre, sans aucune distraction, sans obligation, sans un truc à faire, sans un accès Internet qui me pousse à aller toutes les cinq minutes regarder si quelqu'un n'a pas écrit quelque chose de rigolo sur Bluesky ou s'il n'y a pas une question passionnante sur MathOverflow. (Parce que, oui, pendant la nuit, j'arrive à résister à la tentation de toucher à mon smartphone, même quand je fais des heures d'insomnie.)
Et tout ça est précieux.
Il s'agit d'une forme de repos mental. Enfin, peut-être
que repos
n'est pas le bon terme, mais disons, de jachère. Ce
n'est pas pareil que le sommeil, et ma fatigue si je dois me lever
après cinq heures de sommeil et trois d'insomnie me rappelle que ces
dernières ne sont pas fongibles en les premières, mais ce n'est pas
pour autant inutile.
Il y a un truc que les neurologistes appellent
le réseau
du mode par défaut qui peut être très grossièrement résumé
comme l'ensemble de régions cérébrales qui sont actives lorsque le
cerveau est éveillé mais au repos
, ou, encore plus
grossièrement, ce à quoi on pense quand on ne se concentre sur
rien
. Je ne sais pas dans quelle mesure c'est correct
d'identifier ce à quoi je pense pendant mes insomnies à l'œuvre du
mode par défaut ; mais je repense à un article de vulgarisation que
j'ai lu quelque part (à moins que ce soit une vidéo, je ne retrouve
plus) qui avançait la thèse suivante : qu'à cause de notre mode de vie
contemporain bourré de sollicitations et de distractions
intempestives, nous laissions trop peu de temps au mode par défaut de
notre cerveau. Soit nous nous concentrons, soit nous cherchons une
distraction, mais nous avons trop peur de nous
ennuyer. Or l'ennui, prétendait cet article, peut être
bénéfique (et en tout cas, ce n'est pas une bonne idée de chercher à
le tuer à tout prix), parce que ce réseau du mode par défaut a une
fonction neurologique.
C'est certainement ce que je recherche quand je sors faire une balade (si je suis avec le poussinet, nous parlons ensemble, mais pas toujours, il y a aussi de longs silences, pendant lesquels je laisse mon esprit se balader lui aussi). Là aussi j'essaie de résister, pas toujours avec succès, à la tentation de sortir mon téléphone[#2]. Parfois je pense à quelque chose de précis (une question de maths, par exemple), mais souvent je laisse le cours de mes idées vagabonder où il veut.
[#2] Le poussinet est encore bien moins bon que moi à ce jeu-là. Quand nous nous baladons ensemble, il n'arrête pas de sortir son téléphone, et même la nuit, au lit, il le fait souvent.
Et si c'est plaisant en se promenant dans la nature, il n'y a pas de raison que ce soit insupportable quand je suis dans un lit bien douillet.
Maintenant c'est sûr que ça a tendance à tourner, et c'est plus le cas la nuit que pendant une balade, vers des pensées obsédantes, souvent inquiétantes. (L'article évoqué plus haut signalait justement, si je me rappelle bien, que c'était possiblement un mécanisme du cerveau pour se préparer à affronter des situations pénibles.) Quelque chose de simplement agaçant en temps normal peut devenir lancinant[#3] quand on le rumine pendant une insomnie.
[#3] Pour donner une idée par un exemple, j'ai le souvenir d'avoir fait une insomnie pendant laquelle j'étais extrêmement malheureux que l'Internet Archive n'archive plus ce blog, et je me demandais ce que j'allais faire, et si j'allais être obligé de passer à HTTPS et comment j'allais gérer la myriade de soucis que ça me causerait.
Le terme ruminer
me semble assez approprié, et c'est
évidemment difficile de dire si les ruminations sont la cause de
l'insomnie ou si l'insomnie est la cause des ruminations (ou les deux,
en cercle vicieux).
Et donc, parfois, pendant ces moments d'insomnie, je m'imagine expliquant quelque chose à un interlocuteur imaginaire, en gros comme je le fais dans les billets de ce blog. Généralement, le matin, si je n'ai pas carrément oublié de quoi il s'agissait, je me dis que le sujet n'était vraiment pas tellement intéressant, que je n'ai rien à dire dessus et que je ne comprends pas pourquoi il m'a autant obsédé. C'est peut-être une surréaction dans ce sens qui fait que j'écarte trop les billets de blog un peu courts sur lesquels je n'ai pas énormément à dire. Mais parfois je consens[#4] quand même à noter le sujet dans un fichier TOBLOG (cf. ce que disais tantôt), et, s'il revient vraiment souvent, je vais me sentir mentalement acculé à le mettre enfin par écrit. Or je me dis maintenant que c'est le fait d'être trop sélectif quant aux billets « sur lesquels je n'ai pas énormément à dire », de trop me dire que c'est juste une obsession nocturne passagère, qui fait que ceux que je trouve finalement poussé à écrire sont aussi ceux qui sont les plus longs (et sur lesquels j'ai réfléchi pendant des heures et des heures d'insomnie, donc j'ai plein de choses à dire).
[#4] Il y a comme une sorte de négociation avec moi-même : une partie de mon cerveau nocturne accepte d'arrêter de ruminer telle ou telle idée seulement si je note sur un papier le sujet dont il était question, que je vais, le lendemain matin, ajouter dans mon fichier TOBLOG. Parfois j'ai un peu la même sensation que dans cette note de Boulet (sauf que dans son cas il semble dire qu'il se rendort immédiatement).
Voilà, et comme ce qui fait souvent que mes billets de blog deviennent pénibles pour moi à écrire c'est que je perds l'intérêt pour le sujet au fur et à mesure que je le couche par écrit, si bien que je ne sais pas comment finir, je vais m'en tenir là pour celui-ci, qui aura quand même réussir à se placer au rang 648 (sur 2835) des entrées de ce blog en longueur décroissante, donc je n'ai même pas réussi à faire plus court que la médiane.