Je rassemble ici trois remarques, sans grand rapport entre elles, répondant à, ou rebondissant sur, des commentaires sur ma dernière entrée au sujet du covid.
Différentes sortes de tests
Je remarque que je ne suis pas le seul à confondre tests
d'anticorps
(tests sérologiques, qui testent la présence dans le
sérum d'anticorps synthétisés par l'organisme de la personne testée en
réaction à une infection passée) et tests antigéniques
(rapides, qui testent la présence d'antigènes du virus dans un
prélèvement rhino-pharyngé). Pour mémoire, nous avons maintenant
affaire à trois types de tests : ① les PCR, arrivés en
premier, qui testent l'infection actuelle par la présence
d'ARN viral (je renvoie
à cette vidéo de mon ami Hervé Seitz pour plus
d'explications à leur sujet), ② les tests sérologiques qui testent les
anticorps à une infection passée, et ③ les tests antigéniques rapides,
plus proches des PCR, mais qui présentent les différences
d'être moins fiables (moins sensibles), beaucoup plus rapides, et plus
en lien avec l'infectiosité de la personne testée (on teste, en
quelque sorte, exactement ce qui va provoquer une infection chez
autrui).
Les tests PCR sont ceux qui servent (en tout cas jusqu'à maintenant) à donner le nombre de positifs sur les différentes statistiques épidémiques : leur but est avant tout diagnostic, mais, faute de mieux, on les a utilisés comme dépistage. Les tests sérologiques devraient permettre de mesurer le taux d'attaque total de l'épidémie (nombre de personnes qui ont été infectées jusqu'à présent), mais dans les faits leurs résultats semblent varier de façon spectaculaire et j'ai l'impression qu'on ne peut pas en tirer grand-chose.
Les tests antigéniques sont ceux dans lesquels je place le plus d'espoir qu'on ait un bénéfice épidémiologique. Le fait qu'ils donnent un résultat vraiment rapide (en 30 minutes en gros) et qu'ils soient pratiqués simplement en pharmacie, donne l'espoir d'avoir un dépistage qui serve vraiment à quelque chose, parce que, pour l'instant, il faut bien admettre qu'on a pratiqué des quantités énormes de tests (PCR) qui n'ont servi absolument à rien (sans doute à cause du mythe que tel ou tel pays, peut-être la Corée du Sud, avait contenu l'épidémie parce qu'elle testait massivement). Autant l'idée de tester un pays entier d'un coup (comme l'a fait la Slovaquie) ne me semble pas terriblement féconde, autant tester régulièrement des gens, même apparemment sains, qui vont être dans des situations possiblement contaminantes (personnel soignant en EHPAD, population carcérale, population étudiante) me semble moins idiote. C'est au moins un élément de réponse crédible au désastre possible des fêtes de fin d'année.
Mais évidemment, pour que ça marche vraiment, il faut plein de conditions, l'une étant que la personne testée ne subisse pas d'effets négatifs si le résultat du test est positif. Je crains qu'une tentation vienne rapidement (à un gouvernement qui n'a toujours pas compris que la santé publique par la répression ne marche pas) d'imposer des obligations d'isolement après un test positif qui décourageraient les gens de se faire tester. Ceci est particulièrement vrai dans un pays qui a épuisé la population (et la bonne volonté de celle-ci) à travers des confinements répétés et insensés.
Pourquoi les épidémiologistes sont si mauvais
Dyonisos écrit en commentaire :
Question méta : pourquoi d'après toi ne parvient-on pas à saisir la dynamique de l'épidémie ? Comme je ne connais quasiment rien à l'épidémiologie, je me demande si c'est un trait courant dans les nouvelles maladies ou si cette navigation à vue est courante. Quelque chose d'aussi peu prédictif (confère la partie de l'allocution de Macron dans son annonce du deuxième confinement sur le fait qu'on atteindrait dans quinze jours, quoi qu'on fasse, tel nombre de morts alors qu'on en a été environ à la moitié, et je n'ai pas de doutes sur le fait qu'il devait sortir cette conviction de ses échanges avec les spécialistes de ladite discipline), c'est à peine une science a priori puisque que prétend-elle si ce n'est découvrir des lois ou règles de la diffusion des épidémies ??
J'ai déjà répondu sur le fond quant aux raisons qui font que les épidémiologistes font des prédictions biaisées essentiellement toujours dans le même sens, mais ma réponse laisse en effet en creux la question plus profonde de pourquoi on semble découvrir ça seulement maintenant. Un élément de réponse, bien sûr, est que la science de l'épidémiologie n'est pas si vieille que ça (le modèle SIR de Kermack et McKendrick date de 1927, donc après la grande grippe de 1918), et que pour mener une analyse en temps réel d'une épidémie (et donc tenter des prédictions) on a besoin d'outils informatiques qui sont plus récents encore (sans parler de la coordination internationale de ces statistiques, pour laquelle nous n'avons manifestement pas les outils nécessaires). Un autre élément de réponse est que prédire les comportements humains est simplement impossible, ce n'est pas pour rien que la psychohistoire est une discipline de science-fiction et que personne n'est capable de dire quand la Révolution viendra.
Mais pour être plus précis, je pense aussi que beaucoup des modèles ont été testés soit sur des épizooties soit sur des épidémies beaucoup plus bénignes. Or les animaux ne modifient guère leurs comportements quand il y a une épidémie qui sévit dans leur population. Et les humains non plus si cette épidémie est suffisamment peu menaçante. Je ne suis donc pas surpris qu'un modèle qui pouvait marcher extrêmement bien sur la grippe saisonnière soit complètement nul quand on l'applique à la covid. (Ou même qu'un modèle qui semblait marcher bien au début de la pandémie devienne très mauvais par la suite.)
Sur l'hétérogénéité de la peur
Ggauvain écrit en commentaire :
En fait il y a quelque chose qui me gêne un peu avec ta théorie "psychologique" du reflux épidémique (lié à la peur des gens), c'est que ça ne rencontre pas du tout mon expérience ni celle de mes amis.
Autant début mars, oui en effet, on ne savait pas ce qui allait nous tomber dessus et on avait de bonnes raisons d'avoir la trouille et de se confiner, autant en octobre-novembre, franchement… C'est plutôt l'effet inverse que j'ai constaté : à mesure que la seconde vague progressait, je connaissais de plus en plus de gens qui attrapaient le SARS-COV-2, et de plus en plus de gens qui n'avaient eu, au pire, que des symptômes grippaux. J'habite Paris, j'ai trente ans, mes amis sont dans la même tranche d'âge que moi, j'ai eu au moins 7 amis contaminés, 1 dans la première vague et 6 dans la seconde, et ils se portent tous aujourd'hui comme des charmes - une seule a une séquelle, sous la forme d'une altération du goût. En fait le tableau n'est vraiment pas terrifiant. "Attraper le SARS-CoV-2" avait quelque chose d'exceptionnel, d'un peu redoutable, d'un peu effrayant encore en mai-juin dernier ; mais depuis septembre, franchement, avoir dans son entourage des gens qui l'attrapent, c'est la routine ! Et beaucoup de gens jeunes et en bonne santé relativisent de plus en plus le risque, et donc adhèrent de moins en moins au confinement à mesure que l'épidémie progresse, paradoxalement.
C'est une observation intéressante, et qui montre qu'il faut en
effet aller plus loin que les gens prennent peur
: la peur,
comme d'autres facteurs, est quelque chose de très hétérogène dans la
population. Manifestement il y a des gens pour qui l'épidémie est
très grave, et leurs proches doivent être très affectés. Mais il y en
a d'autres pour qui elle ne l'est pas du tout, et ce n'est que quand
de rares proches vulnérables sont contaminés qu'ils changement leurs
comportements, voire pas du tout. C'est vraiment la principale erreur
des stratégies répressives comme le mène le gouvernement français
(et je l'ai déjà expliqué) que de
ne pas chercher à tirer parti de ces différences.
Ce n'est pas juste que les jeunes sont moins à risque (et indiscutablement ils le sont : le taux de mortalité covid chez les <30 ans, en France, est de 0.00019% — je parle évidemment de mortalité, pas de létalité, c'est-à-dire du nombre de morts sur l'ensemble de la population de cette tranche d'âge), c'est aussi que les jeunes fréquentent d'autres jeunes qui sont aussi peu à risques. Et assurément, les jeunes qui restent le plus entre jeunes vont avoir le plus tendance (à raison) à considérer l'épidémie comme bénigne, parce qu'ils auront plein d'exemples de cas bénins autour d'eux. C'est une bonne chose : si les populations de différentes classes d'âge étaient fortement séparées, ce serait un puissant effet d'hétérogénéité tendant à stabiliser l'épidémie d'autant plus tôt (par rapport à une population homogène avec sa reproduction observée). Évidemment, ce n'est pas tout noir ou blanc : il y a un conflit entre le fait pour un jeune de se contaminer donc devenir immun et faire ainsi barrage à l'épidémie, et le fait de se faire contaminer donc de risquer de contaminer d'autres personnes plus vulnérables. Il y a manifestement une tendance à ce que l'épidémie progresse depuis une classe d'âge vers une autre : c'est ça qu'il faudrait stopper en priorité (et c'est là qu'on pourrait espérer inciter au comportement vertueux où les jeunes se laissent contaminer mais pratiquent un test antigénique avant de fréquenter des seniors), et c'est ce qu'on échoue à faire en pratiquant des confinements plutôt qu'une protection différenciée.