David Madore's WebLog: Leçons de la deuxième vague covid, et perspectives pour la troisième

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(samedi)

Leçons de la deuxième vague covid, et perspectives pour la troisième

Maintenant que le seconde vague épidémique de covid est en train de passer dans la plupart des pays européens, il est temps d'en tirer un premier bilan. Voici quelques leçons que j'en tire.

Premièrement, on ne comprend vraiment pas la dynamique de l'épidémie : on ne sait décidément pas expliquer les variations dans la vitesse de reproduction du virus. (En fait, on ne sait même pas bien les mesurer : la plupart des fluctuations apparentes sont sans doute de simples artefacts observationnels. Mais il y a de vraies fluctuations sous-jacentes, par exemple beaucoup de pays européens ont vu un mini-pic vers la mi-septembre, suivi d'une décrue début octobre, suivi de la vraie seconde vague, et. personne n'a d'explication qui tienne vraiment la route pour ce mini-pic et cette décrue.) Il est probable qu'elles résultent d'un certain nombre de causes, notamment environnementales (météorologiques ? médicales ?) et sociologiques, mais je pense que ce sont ces dernières qui dominent. (Les causes météorologiques me convainquent assez peu vu qu'on voit des phénomènes assez parallèles dans plein de pays européens au climat si différent, et vu que le nombre de reproduction n'a pas énormément bougé entre l'été et maintenant.) J'ai déjà expliqué qu'il était problématique que les épidémiologistes ne modélisaient pas du tout les comportements et structures humains (pas tellement du fait que ça limite leurs prédictions, mais surtout qu'ils ne sont pas clairs sur ce fait).

Le plus emblématique, donc, c'est qu'on ne sait finalement pas pourquoi le virus fait des pics épidémiques, puis reflue, puis revient (je rappelle que le modèle SIR ne prédit rien de ce genre ; d'ailleurs, les gens qui faisaient du SIR semblent avoir fondu comme neige au soleil). En mai, l'explication semblait évidente : on a fait un confinement, il a fait reculer l'épidémie, puis elle revient une fois le confinement levé (mais déjà il y avait quelque chose de bizarre : pourquoi est-ce qu'elle a attendu si longtemps pour revenir ? on se raccroche à des hypothèses comme mais toutes sortes de mesures n'étaient pas vraiment complètement levées en juin, mais du coup elles suggèrent qu'on peut contenir l'épidémie avec des mesures très faibles, alors on ne comprend pas pourquoi ça ne marche plus en octobre). Comme quasiment tout le monde a fait des confinements, ce n'était pas vraiment possible de tester s'ils y étaient vraiment pour quelque chose.

Or maintenant, il est de moins en moins clair que les confinements ou autres mesures très strictes décrétés d'en haut aient un impact très important.

Le problème pour conclure qu'ils en ont, c'est qu'on est toujours sur le schéma suivant : l'épidémie prend de plus en plus d'ampleur, tout le monde s'en inquiète, les gouvernements notamment s'en inquiètent, ils ordonnent différentes mesures, la vague épidémique passe… mais comment savoir si la vague épidémique passe parce qu'ils ont pris ces mesures, ou parce que tout le monde s'en inquiète ? comme les attitudes des gouvernements reflètent au moins en partie celle de la population, au moment où ils prennent des mesures, et notamment celle de confiner la population, la population avait probablement déjà changé ses comportements, donc le fait que la vague passe ne prouve en rien que les mesures étaient efficaces (et encore moins qu'elles étaient efficaces directement et pas efficaces indirectement, c'est-à-dire par leur impact psychologique, dont la menace est d'ailleurs peut-être plus forte que la réalisation). Peut-être même que les pics épidémiques passent pour des raisons qui ne sont ni sociologiques ni liées aux mesures décrétées, juste au bout d'un certain temps, toujours à peu près le même (je n'y crois pas trop, mais il faut au moins envisager cette hypothèse) : le fait que les mesures prises soient toujours à peu près au même moment rend de nouveau difficile à trancher à ce sujet.

Simplement, ce qui a changé par rapport à la première vague, c'est que tous les pays n'ont pas pris des mesures aussi drastiques (certains ont refusé de lancer un deuxième confinement, se contentant de mesures plus locales ou de fermetures de commerces, voire de simples recommandations), et on ne peut pas vraiment dire qu'il y ait eu de différence spectaculaire entre l'allure de leurs vagues épidémiques et celles de pays qui ont pris des mesures fortes. La même chose vaut entre états des États-Unis, où il n'est pas du tout clair que les mesures fortes aient vraiment eu un impact énorme. Comme il est difficile de procéder à des comparaisons entre pays ou régions, on ne peut pas vraiment conclure grand-chose. Beaucoup de pays ont pris des mesures bien moins draconiennes pour la seconde vague que pour la première et ne s'en sont pas plus mal tirés : on pourra dire que c'est parce que cette seconde vague était moins grave pour commencer. Mais il est au moins clair que certains pays (ou certaines régions) ont passé un pic épidémique sans avoir connu de confinement, ou avant que ce confinement soit mis en vigueur.

Il est aussi clair que la covid n'a été vraiment catastrophique dans aucun pays, quelle que soit sa réaction (mesures drastiques ou non) : le pire semble avoir été en Belgique, avec 0.15% de sa population, ce qui représente environ deux mois de mortalité toutes causes, ou quelque chose comme une semaine d'espérance de vie perdue moyennée par habitant, c'est beaucoup, mais ça ne ressemble absolument pas aux scénarios apocalyptiques que certains annonçaient. (Évidemment, ça n'empêche pas certains de jouer au no-true-Scotsman : ah oui mais les pays qui n'ont pas fait grand-chose sont justement ceux qui ont des circonstances X ou Y ou Z qui les sauvent par ailleurs. Ce genre d'argument est par construction essentiellement impossible à réfuter.)

(Si aucun pays ne se sort vraiment très mal de la pandémie, il y en a en revanche qui se sortent très bien. On peut se demander à quoi c'est dû. Là je suis tout à fait prêt à croire que leurs méthodes imposées par en haut y sont pour énormément (même si on peut avancer des hypothèses alternatives, comme une immunité qui serait conférée par un autre coronavirus qui aurait circulé de façon préalable dans les régions du monde en question, je trouve que ça ne passe pas vraiment le rasoir d'Ockham). La question se pose éventuellement de savoir si le bénéfice de ces méthodes justifie leur coût sociétal ou humain — par exemple fermer les frontières ou imposer des quarantaines très strictes aux malades. Mais surtout, ces méthodes ne sont visiblement pas facilement transposables, vu que beaucoup de pays ont essayé sans succès de les transposer, peut-être parce qu'elles dépendent parfois de conditions comme être une île ou être un état totalitaire. Peut-être aussi qu'elles dépendent simplement de la chance, comme le fait que certains pays européens ou régions françaises n'ont pas eu de première vague, ce qui ne les a pas empêchés d'être touchés par la seconde, visiblement ce n'était pas parce que leur technique était parfaite. Et l'analyse de leur succès est souvent douteuse : pendant la première vague, on avait beaucoup dit de la Corée du Sud, par exemple, que leur succès venait du fait qu'ils testaient massivement, mais maintenant l'Europe teste beaucoup plus, on se rend compte que la Corée du Sud a un taux de létalité observé quasiment double de celui de l'Europe, ce qui est le signe qu'ils ratent plein de cas, donc l'analyse devait être complètement fausse.)

Pour être bien clair, je ne dis pas que le second confinement en France n'a eu aucun effet : mais cet effet était certainement plus d'accélérer une décroissance post-pic, qui a effectivement été spectaculairement rapide, que de provoquer le pic lui-même, i.e., d'amorce cette décroissance. (Et il est possible que ça ait tellement fait régresser l'épidémie qu'on ait un contrecoup parce que les gens ne la prendraient plus au sérieux. je vais y revenir. La décroissance au forceps n'est pas forcément une stratégie rentable.)

Pour être bien clair, aussi, je pense que les mesures « au long cours », comme le port des masques dans les lieux clos, l'insistance sur la nécessité d'isoler les malades, les tests pratiqués avec discernement, toutes les mesures qui prennent les gens pour des adultes avec qui il faut dialoguer et pas des enfants qu'il faut menacer, sont, quant à elles, tout à fait efficaces. (Je vais parler plus loin des vaccins.) Je ne critique ces mesures que quand elles partent dans la surenchère absurde (comme quand on se met à imposer le port du masque même dans les parcs naturels ou au volant d'une moto).

Globalement, j'en reste sur le modèle suivant, qui est certes imparfait et loin d'expliquer toutes les variations observées, mais qui me semble coller aux faits aussi bien qu'on peut avec un tel niveau de simplicité, c'est que les gens prennent peur de l'épidémie quand elle dépasse un certain niveau (soit parce qu'ils voient des images et témoignages anxiogènes dans les médias, soit parce que des gens de leur entourage sont touchés), et que c'est ça qui fait régresser l'épidémie plus que les mesures imposées par en haut (qui jouent sans doute un rôle, mais plus marginal). Et quand je dis les gens, ce n'est évidemment pas tout le monde, je devrais sans doute plutôt dire des gens, mais comme on a affaire à un virus qui ne se reproduit quand même pas tant que ça, il ne faut pas énormément de gens qui prennent peur et s'auto-confinent (ou simplement cessent certaines activités) pour que ça fasse une différence suffisante. (La bonne nouvelle, aussi, c'est que les gens qui prennent peur le plus difficilement seront les plus vite infectés, donc immuns : cette variation de la réaction face à la peur fait partie des nombreux effets d'hétérogénéité dont j'ai mainte fois parlé et celle-ci motive d'ailleurs ma proposition de confinement optionnel ; mais je digresse.)

La peur, bien sûr, ne marche qu'un temps, donc ce genre de réaction de repli est réversible, et l'épidémie revient, ce qui explique les vagues répétées. Mais il n'y a pas que ça : plus les vagues se répètent, moins les gens seront susceptibles à la peur. La première vague a été suivie d'un assez long intervalle réfractaire, sans doute parce que beaucoup de gens étaient sonnés et/ou encore inquiets que l'épidémie revienne vite. La seconde sera suivie d'un intervalle réfractaire sans doute beaucoup plus court : le reflux est peut-être déjà quasiment fini.

Le problème, c'est qu'il y a eu une telle surenchère pour faire peur, initialement ça pouvait peut-être se comprendre dans l'incertitude, mais quand Emmanuel Macron s'adresse solennellement aux Français et avance un chiffre sinon mensonger au moins largement exagéré de 400 000 morts (voir ce fil Twitter [lien Twitter direct] pour une analyse à ce sujet), cela ne peut que dévaluer l'effet de la peur. Quand on essaie de faire passer le covid pour la peste noire ou pour la grippe de 1918, c'est un mensonge, et au bout d'un moment ça va se voir (la réalité c'est qu'il est comparable à la grippe de 1968–1969, sans doute plus grave qu'elle, mais loin derrière celle de 1918).

Les gens ne sont vraiment affectés que par ce qui les touche directement. On peut trouver insensible ma remarque selon laquelle la mortalité covid en France ne représente qu'un mois de mortalité et qu'un mois de mortalité c'est quelque chose qui se produit, euh, tous les mois, donc que c'est franchement abusé de traiter comme un désastre incommensurable le fait d'en avoir treize cette année au lieu de douze, mais ça reflète une réalité toute bête : la chance qu'un Français donné connaisse quelqu'un qui est mort de la covid est en gros la même que de connaître quelqu'un qui est mort, disons, en octobre 2019 (au pif), et je ne sais pas pour vous, mais moi, si on me demande de citer quelqu'un que je connais qui est mort en octobre 2019, je suis un peu embêté, et ça ne sera certainement pas un proche (bien sûr, statistiquement, il y a plein de gens qui connaissent quelqu'un de proche mort n'importe quel mois donné, mais ce n'est pas si courant que ça) ; et pour ce qui est d'avoir une forme grave de la maladie, c'est sans doute aussi comparable au fait d'avoir un accident grave un mois typique. Ce que je veux dire, c'est que beaucoup de gens vont finir par trouver suspecte cette différence entre l'espèce d'apocalypse dont on leur parle et pour laquelle on leur impose des restrictions démentielles dans leur vie quotidienne, et le fait de ne connaître que de vagues connaissances qui ont vraiment vécu cette apocalypse.

À force, cette surenchère de la peur mène à l'effet contraire, c'est-à-dire une minimisation, ou parfois même, au complotisme (je renvoie à ce fil Twitter [lien Twitter direct] pour des réflexions plus longues à ce sujet, et à propos du film Hold Up).

Voilà pourquoi j'ai peur que les confinements et autres mesures drastiques finissent par être sérieusement contre-productifs, en émoussant l'arme principale qui évite à l'épidémie de trop dégénérer.

Le cas de la France est particulièrement inquiétant à cet égard. J'ai peur que le gouvernement français n'ait même pas conscience du fait qu'ils sont en train d'épuiser un capital précieux, dont ils n'avaient déjà que peu pour commencer : leur crédibilité. À traiter de façon répétée les Français comme des enfants, tour à tour en les sermonnant, les grondant, les punissant, — en imposant des règles draconiennes insensées (la limite à 1km du domicile est le pompon de la connerie, mais les humiliantes attestations ne sont pas loin derrière et il me semble qu'aucun autre pays n'a été aussi imbécile pendant cette seconde vague), — en les faisant soit appliquer à grand renfort de flics soit ignorer à grands effets d'arbitraire juridique, — bref, à gouverner la France comme un absurdistan autoritaire, — et en se contredisant de façon répétée, cherchant à couvrir leurs errements sans montrer la moindre trace d'humilité, — en refusant de présenter leurs décisions comme des choix douloureux mais comme des sortes d'inévitabilités, ou simplement d'admettre les conséquences néfastes de leurs mesures, voire en étant carrément obtus dans leur inhumanité (quand le ministre de la Santé affirme qu'il n'y a pas d'obligation à être malheureux, c'est vraiment profondément insultant pour tous ceux qui souffraient des idioties dont il était un des premiers responsables), — bref, le gouvernement français a dilapidé le peu qu'il avait de respect qu'on pouvait lui devoir dans sa gestion de la crise, et en ce faisant, sa capacité à conseiller, à recommander, à persuader (autrement que par la répression), ce qui est le seul mode d'action véritablement salvateur dans une telle crise.

Je ne sais pas comment cela va évoluer, bien sûr. Le premier confinement était bien passé, le second a suscité de nombreuses critiques, je me demande bien comment les autorités françaises vont gérer la troisième vague qui nous attend presque certainement. Elles ne sont plus audibles pour faire autre chose que réprimer, mais réprimer ne fera qu'aggraver leur discrédit. En même temps, le gouvernement est pris par les coûts irrécupérables des deux premiers confinements (le propre de la méthode shadok, c'est que plus on pompe sans effet, plus on a envie de pomper), donc il sera difficile de changer de cap. Les Français se révolteront-ils façon « gilets jaunes » ? Ou ignoreront-ils simplement les règles comme c'est déjà largement le cas, rendant l'amende pour non-respect du confinement une sorte d'arbitraire juridique aléatoire qui peut tomber sur n'importe qui n'importe quand ? Dans tous les cas, on ne peut pas s'en réjouir, parce que les conséquences non seulement épidémiologiques, mais aussi psychologiques, sociales et politiques seront bien lourdes.

Notamment, s'il y a un point sur lequel le gouvernement aurait vraiment besoin d'être audible, c'est en ce qui concerne les fêtes de fin d'année. Il est difficile à nier que ces fêtes représentent un risque grave et sérieux du point de vue épidémiologique : on met ensemble plein de gens qui ne se voient pas si souvent (cela constitue donc un graphe de relations différent de celui sur lequel le virus circule déjà et pour lequel une certaine forme d'immunité est installée au niveau des connexions les plus importantes), ils vont rester ensemble longtemps dans une seule pièce (probablement mal aérée à cause des températures), en parlant sans doute bruyamment, en mangeant donc sans porter de masque ; et on renouvelle ça deux fois, pour Noël et pour le Nouvel An, avec des ensembles de personnes probablement différentes. On peut difficilement concevoir pire scénario. Non seulement cela représentera beaucoup de nouvelles contaminations, mais s'il y a du vrai à la théorie que la dose inoculante joue dans la gravité des symptômes, cela donnerait d'autant plus de cas graves de covid.

Bref, le gouvernement a parfaitement raison de recommander (il devrait même supplier) les Français de limiter le nombre de convives pour les fêtes à un nombre très bas. (Il me semble qu'ils ont avancé six ; en fait, c'est plutôt le nombre de foyers distincts qui devrait compter : six convives vivant dans six foyers distincts sont beaucoup plus problématiques que huit vivant dans deux foyers distincts. Mais passons.) Ils devraient sans doute recommander à tous de faire un test antigénique avant les fêtes, mais je n'arrive pas à comprendre dans quelle mesure ces tests sont maintenant disponibles à toute personne qui le demande.

Le problème, donc, c'est que ces recommandations seront rejetées : pour une fois qu'ils ne sont pas vraiment en position d'imposer à coup de répression policière et d'amende de 135€, ils ont épuisé tout leur capital de sympathie pour recommander. Pire : les habitants de l'absurdistan autoritaire ont été tellement brimés par des mesures qui ne servaient à rien (je vous ai parlé des 1km ? oui, je crois que je vous ai parlé des 1km) qu'ils auront à la fois envie de se détendre en famille et même d'emmerder le gouvernement. J'ai peur que nous allions vers de très graves ennuis, et qu'en une seule nuit nous connaissions l'équivalent de nombreuses semaines de croissance épidémique.

Voilà pourquoi les confinements (et en tout cas les confinements brutaux et répressifs comme ça a été le cas en France) ne sont pas qu'un désastre social, psychologique, humain et économique, mais ils pourraient même être un désastre épidémiologique, parce que, pour une efficacité douteuse, ils nuisent à l'efficacité d'autres mesures.

Une inquiétude particulière concerne le seuil complètement arbitraire que le gouvernement français s'est stupidement fixé pour le redéconfinement (déreconfinement ?). (Je parle de celui de 5000 tests positifs par jour ; l'autre ne pose guère de problème.) Ce seuil ne sera probablement pas atteint le 15 décembre, et je ne suis même pas vraiment persuadé qu'il soit atteint avant la « fin » de la pandémie (comme je l'ai dit plus haut, il y a eu une période réfractaire longue suite au premier pic, mais c'était plutôt un mystère qu'autre chose ; il est peu probable qu'on ait de nouveau une période de reflux assez longue pour descendre à un niveau aussi faible que 5000 cas par jour, ce qui est extrêmement bas). Fixer ces seuils était une erreur de débutant : ils ne servent à rien, ils n'ont aucune logique, aucune justification et aucun intérêt, un gouvernement ne devrait pas se lier les mains comme ça : l'attitude courageuse était de dire nous lèverons le confinement dans tous les cas, ce n'était qu'une mesure temporaire destinée à limiter les dégâts, nous les avons limité autant que possible, mais une fois de plus ils ont préféré persisté dans l'aberration de faire passer des objectifs de santé douteux avant le bon fonctionnement de la société. Je ne sais vraiment pas comment ils se tireront de cette erreur, mais c'est ce qui me préoccupe le plus en ce moment.

Bon, maintenant, y a-t-il quand même des bonnes nouvelles dans toute cette histoire ?

Oui, la principale, c'est que l'effet de l'immunité accumulée est réel et sensible. Il y a toutes sortes d'indices montrant que les régions les plus touchées par la première vague ont eu tendance à être d'autant moins atteintes par la seconde. (Ce n'est évidemment pas systématique : si la région était fortement touchée la première fois, cela était souvent au moins en partie dû à des raisons structurales, qui n'ont pas de raison d'avoir cessé de valoir. Donc on a affaire à deux phénomènes distincts, l'un tendant à anticorréler et l'autre à corréler l'importance des deux vagues épidémiques. Ça rend la lecture globale assez difficile.) Évidemment, on peut affirmer que c'est parce que les habitants d'une région très touchée pendant la première vague ont été traumatisés par celle-ci et qu'ils sont d'autant plus prudents ensuite : franchement, autant je crois à la peur comme mécanisme qui explique les pics épidémiques, autant le fait qu'elle dure longtemps et soit tellement différente d'une région à l'autre (dans un pays qui a surtout des médias nationaux) me semble peu crédible ; et je n'ai pas l'impression que les franciliens ou les parisiens aient été vraiment traumatisés par la première vague dont ils étaient pourtant à l'épicentre.

L'Île-de-France, justement, une région pourtant bien dense, a eu une seconde vague tout à fait modeste, et même le conseil scientifique réuni par le gouvernement français (pourtant constitué de gens à qui les mots d'immunité collective semble arracher la bouche) a reconnu que le nombre de personnes rendues immunes pendant la première vague y était certainement pour beaucoup. Globalement parlant, dans beaucoup de pays, l'épidémie semble progresser d'une région à l'autre, ou d'un type d'habitat à un autre (urbain vers rural, notamment), plutôt que de s'acharner toujours sur les mêmes si celles-ci étaient particulièrement propices à la propagation du coronavirus.

(Je ne dis pas qu'il ne reste pas beaucoup de mystères dans le fait que telle ou telle région, ou tel ou tel pays, soit plus ou moins touché par l'épidémie. Les régions françaises de l'ouest ont été, deux fois maintenant, beaucoup moins touchées que celles de l'est : c'est si régulier que ça ne peut pas être une coïncidence, mais je n'ai aucune forme d'explication à proposer (j'en viendrais presque à soupçonner la direction du vent d'être responsable !). A contrario, il y a certainement à nuancer l'idée que les endroits les plus denses sont les plus propices à la propagation du virus, quand on voit que la Savoie et la Haute-Savoie ont été parmi les départements français les plus atteints par cette deuxième vague.)

Le fait que l'immunité acquise soit importante ne devrait être aucune sorte de surprise (toutes les maladies nouvelles ont toujours passé d'un état épidémique à un état endémique parce que, justement, la population devenait immune), mais il y a eu une telle campagne politique pour essayer de nier soit que l'immunité grégaire était logiquement possible (du genre aucune épidémie n'a jamais été arrêtée comme ça — au contraire, elles ont toutes été arrêtées comme ça, simplement arrêter et disparaître ne sont pas pareil), soit que l'immunité individuelle puisse durer plus que quelques mois, soit qu'on puisse ressentir le moindre effet bénéfique avant que les cadavres se mettent à joncher les rues, que ça devient presque une surprise de constater que les lois de la biologie n'ont pas été suspendues pour ce virus particulier.

Je ne prétends pas qu'on ait atteint le niveau d'immunité grégaire (qui ferait que l'épidémie ne progresserait plus), même conditionnellement à des mesures raisonnables, dans aucune région française, sauf peut-être de façon fragile en Île-de-France : mais comme la plupart des régions françaises ont maintenant dépassé le taux d'attaque qu'avait l'Île-de-France à l'issue de la première vague (et qu'elles sont, en outre, moins densément peuplées), la progression de l'épidémie y sera désormais bien moins inquiétante. Il y aura très probablement une troisième vague en France, mais la crainte de la saturation des hôpitaux ne me semble pas trop prégnante (déjà pour cette seconde vague elle était en bonne partie exagérée) : je pense que le nombre de reproduction typique flottera autour de 1.1, ce qui représente un progrès considérable (en gros un facteur 2 en vitesse de progression) par rapport au 1.2 typique que nous avions entre août et octobre (en gros). Un gouvernement sensé et pragmatique comprendrait (comme déjà certains pays européens l'ont compris pour cette seconde vague) qu'il ne faut plus prendre de mesures intenables dans la durée, et en tout cas rien de plus drastique qu'une fermeture locale de certains commerces. J'ai malheureusement un certain doute quant au fait que le gouvernement français actuel rime avec sensé et pragmatique. Nous verrons.

En tout état de cause, je reste prudemment d'avis que le nombre de morts final du covid en France (disons à l'échéance de fin 2021, parce qu'il y en aura toujours au fil de l'eau à tout jamais) s'élèvera à environ 70 000 comme je l'avais déjà suggéré mi-avril, et même si c'est loin d'être négligeable, je suis d'avis que c'est bien moins catastrophique que les deux voire trois confinements qui ont été imposés au pays (même en ignorant totalement leurs effets économiques), mais bon, j'ai déjà dit ce que je pensais à ce sujet.

Un mot, pour finir, des vaccins. Je pense que l'optimisme qu'ils suscitent est largement exagéré. Je n'ai pas trop de doute sur leur efficacité (je ne sais pas si je crois aux chiffres de l'ordre de 90% qui a ont annoncés — ou plus exactement, je crois qu'ils sont vrais mais un peu trompeurs, parce qu'ils se fondent sur une population qui écarte les personnes les plus fragiles, sur une définition symptomatique de la maladie, bref, il y a plein de petits caractères), et je ne suis même pas trop inquiet quant à leur dangerosité (il y aura certainement des effets secondaires, mais ils seront négligeables par rapport à la maladie elle-même), mais j'ai surtout des doutes sur l'impact qu'ils peuvent vraiment avoir.

Dans un premier temps, l'effet épidémiologique du vaccin sera essentiellement nul. En effet, tous les espoirs d'avoir un seuil d'immunité grégaire largement inférieur à celui prédit par le calcul le plus naïf (1 − 1/R₀) se basent sur le postulat que l'immunité est naturellement acquise par la maladie, donc elle frappe (et immunise) naturellement les personnes les plus susceptibles de la contracter, celles qui ont le plus de contacts, qui vivent en milieu urbain, et souvent les jeunes qui prennent le moins de précautions. Dans le cadre d'une campagne de vaccination, ce n'est pas du tout pareil. C'est même presque le contraire : on va vacciner en priorité les personnes les plus fragiles, les personnes âgées, or ce sont elles qui ont le moins de contacts, qui propagent le moins la maladie (elles sont plutôt destinataires que sources de contacts infectieux). Au contraire de l'immunité naturelle, dont les effets se font déjà nettement sentir, il faudra donc vacciner une proportion énorme de la population pour commencer à voir un effet épidémiologique significatif. Or la livraison de ce nombre énorme de doses de vaccin mettra un temps énorme (on nous promet un début des vaccinations dans très peu de temps, mais il s'agira d'une proportion minuscule de la population). Et c'est sans compter toutes les difficultés logistiques pour pratiquer effectivement la vaccination, et la réticence des Français à se faire vacciner (qui sera encore exacerbée par l'hostilité envers le gouvernement et le complotisme qu'elle a fait naître). Quand les vaccins arriveront, j'ai presque envie de dire qu'ils ne serviront plus à rien. (À raisonnablement courte échéance, j'ai beaucoup plus d'espoir dans l'intérêt épidémiologique des tests antigéniques que des vaccins.)

Ce n'est pas tout à fait vrai. Les vaccins joueront un rôle, mais plutôt pour diminuer le taux de létalité que pour diminuer le nombre de reproduction. En protégeant au moins partiellement les plus fragiles, on libère énormément d'air (en termes de mortalité et de saturation des hôpitaux), pour laisser l'épidémie circuler chez les autres : c'est-à-dire atteindre l'immunité grégaire, non pas par vaccination, mais par infection des moins fragiles (pour qui il est vrai que la covid est une sorte de grosse grippe, voire moins dangereuse que la grippe s'agissant des moins de 20 ans). Je ne sais pas si j'aime tellement ça (ma proposition de confinement optionnel, pour mémoire, c'était de plutôt laisser le choix jouer), mais je pense que c'est essentiellement ce qui va se produire. Au demeurant, cela restera une immunité grégaire conditionnelle à des mesures diverses (comme le port du masque dans les lieux clos), dont j'expliquais justement ci-dessus qu'elle n'est pas si loin ; et ce n'est que quand le vaccin jouera vraiment un rôle épidémiologique sérieux qu'on relâchera ces mesures.

L'autre aspect, plus cynique, c'est que l'existence des vaccins, même s'ils sont rejetés par une partie de la population, donnera une justification permettant de changer la responsabilité : il sera plus facile de dire il n'avait qu'à se faire vacciner que il n'avait qu'à rester confiné chez lui, et dès lors, de refuser toutes sortes de mesures restrictives.

Bref, en ce qui concerne la maladie, à part la préoccupation particulière des fêtes de fin d'année, je pense que nous pouvons voir assez nettement le bout du tunnel ; mais la principale inquiétude que je garde est de savoir ce que seront les prochains mauvais coups de l'absurdistan autoritaire du Docteur Knock.

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