David Madore's WebLog: Moi aussi je peux parler de The Last Jedi

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(mardi)

Moi aussi je peux parler de The Last Jedi

Spoilers à fond dans tout ce qui va suivre ce paragraphe. — Ah oui, je m'étais promis d'utiliser le joli mot divulgâchis à la place. Donc, divulgâchis à fond. — Mais honnêtement, je doute sérieusement qu'il y ait grand-monde qui ait envie ou besoin de lire une critique pour décider s'il va ira voir un épisode de Star Wars : il y a des gens qui attendent ce moment depuis des années (et qui l'ont sans doute vu le jour de sa sortie, voire avant), ceux qui ont la curiosité de se demander ce qu'ils inventeront cette fois-ci, ceux qui n'iront de toute façon jamais, et il y a ceux qui s'en foutent un peu et qui vont aller le voir parce qu'ils ont des amis, des enfants, un porg de compagnie ou que sais-je encore qui va le voir, mais en tout cas, pour ce genre de film, essentiellement personne ne doit choisir de passer ou non 2h45 au ciné en se basant sur la critique de la séquelle (du reboot du remake) qu'il va regarder. Bref, aucun intérêt d'éviter le divulgâchis (hum, j'ai quand même du mal avec ce mot), on est tous là pour partager nos expériences, post-épiphaniques ou post-traumatiques, ou pour montrer la profondeur de notre herméneutique. Let's dive into it.

Je n'avais pas pris la peine d'écrire quelque chose au sujet de l'épisode VII il y a deux ans, mais franchement, l'intérêt était douteux, c'était essentiellement une copie de l'épisode IV avec de gros moyens en plus et Alec Guinness en moins. Je n'avais pas non plus pris la peine d'écrire quelque chose au sujet de l'épisode 3.999 l'an dernier, qui m'avait pourtant semblé nettement meilleur. Cette fois, je fais l'effort, parce que j'ai trouvé que l'épisode VIII était intéressant. Je ne sais pas si c'est un bon film (il y a des longueurs, et sans doute beaucoup trop de rebondissements, c'est en tout cas ce que mon poussinet a trouvé) ; je ne sais même pas si c'est un épisode réussi de Star Wars ; mais il y a assurément des choix intéressants qui ont été faits. Peut-être que intéressant doit se comprendre comme dans cette fameuse fausse malédiction chinoise, puisses-tu vivre à une époque intéressante ! En fait, peut-être que la meilleure critique que j'aie trouvé est celle du webcomic Wondermark dans ce dessin et sa suite (mais bon, si on n'a pas le goût de l'humour très particulier de Wondermark, ça laissera sans doute très froid).

Comme je le disais ici juste avant la sortie de l'épisode VII, je suppose que les épisodes IV–V–VI (la « trilogie originale ») sont impossibles à juger parce qu'ils se font partie, pour les gens de ma génération, des référents culturels avec lesquels on a grandi et qui ont participé à la définition de la culture pop de notre enfance, dans laquelle ils ont semé les graines d'un nombre incalculable de références et de private jokes. Toutes proportions gardées, essayer de faire une critique de ces épisodes est comme essayer de faire une critique sans préconception de la Bible ou de l'Odyssée : c'est le genre d'œuvre qu'il est quasiment impossible de voir avec des yeux candides. Dans ces conditions, les épisodes VII-VIII-IX font face à une tâche absurde : (toutes proportions gardées, toujours,) c'est un peu comme si on essayait d'écrire une suite officielle de la Bible ou de l'Odyssée — il y a peu de chances qu'une telle entreprise soit couronnée de succès. L'épisode VII avait choisi la voie du fan-service : les fans des épisodes IV–V–VI aiment ces derniers non pas pour leurs valeurs intrinsèques mais parce que ces épisodes et leurs personnages ont baigné leur enfance, donc, on leur donne more of the same.

L'épisode VIII a fait presque exactement le contraire : ostensiblement, le sous-titre pourrait être quelque chose comme les leçons de l'échec et l'importance et la difficulté de repartir à zéro ; mais en plus de ça, il semble prendre un malin plaisir à provoquer les fans en cassant leurs théories ou leurs perspectives. Il y avait toutes sortes de spéculations sur l'identité des parents de Rey, ou sur l'origine, les pouvoirs et le destin de Snoke ; toutes sortes d'attentes pour Luke Skywalker ; toutes sortes de fantasmes sur les Jedi ; toutes sortes de de préconceptions sur ce que la Force permettait ou ne permettait pas ; toutes sortes de rumeurs sur la manière dont Leïa se sacrifierait avec dignité ; et surtout, une règle scénaristique importante de l'univers de Star Wars : que quand les gentils partent dans une mission totalement désespérée aux chances de succès microscopiques, cette mission réussit toujours in extremis. Le dernier épisode fait voler tout ça en éclats : Rey est la fille de personne, l'origine de Snoke n'est pas expliquée et sa mort est amenée de façon peu cérémonieuse, Luke est un héros à reculons, les Jedi ne sont peut-être pas si parfaits que les épisodes précédents nous ont voulu le faire croire, la Force permet des choses qu'on n'imaginait pas, Leïa ne meurt pas, et la mission désespérée non seulement échoue mais cause la mort inutile de plein de gens et la quasi destruction de la rébellion résistance. Luke dit ouvertement qu'il faut que l'ordre Jedi s'éteigne, et il s'avère à au moins deux reprises que le courage héroïque n'est pas forcément une bonne idée (et qu'il faut faire des choix, et que ceux-ci sont difficiles, et que les vrais héros ne sont pas forcément ceux qu'on croit).

Je comprends que ça rende furieux les fans (ou en tout cas, des fans). Disney n'a pas vraiment à s'en inquiéter : ils iront quand même voir l'épisode IX (et tous les autres numéros, entiers ou non, qui seront produits par la marque). Personnellement, dans l'absolu, j'aime bien les histoires qui ne sont pas en noir et blanc mais en nuances de gris un peu compliquées : mais quand même, venant de Star Wars, qui a fait du noir et blanc non seulement son thème central mais presque sa marque de fabrique (le côté obscur et le côté clair de la force), c'est aussi inattendu que l'irruption du monde réel dans un conte de fées, je comprends qu'on s'en chagrine. Je serais curieux de savoir comment de tels choix scénaristiques se prennent : est-ce que Rian Johnson (le réalisateur) avait une certaine liberté, ou est-ce que tout choix qu'il faisait devait recueillir l'approbation d'un comité de contrôle et de pilotage chez Disney ? de qui venait la décision de tout casser ? je n'en ai aucune idée.

Globalement, je crois que je mets plutôt une bonne note à cet épisode VIII (meilleure que l'épisode VII, en tout cas), mais je m'interroge sur la difficulté dans laquelle il place l'épisode suivant. Sur plusieurs plans :

D'abord, il y a le problème de Leïa. Vu que l'actrice qui l'incarnait est décédée, la solution évidente (et attendue) était de la faire mourir héroïquement dans cet épisode, ce qui aurait été assez facile au montage. Le choix contraire n'est pas spécialement une mauvaise surprise, mais laisse l'épisode suivant devant le trilemme de la faire mourir (ou partir en retraite) hors écran, de la faire jouer par une autre actrice, ou de recourir à un subterfuge comme des images de synthèse (ou lui faire porter un masque, ou ne la montrer que de dos ou que sais-je encore). Aucune de ces solutions n'est très satisfaisante. Bon, tout ça est assez extrinsèque à l'intrigue, mais a tout de même de l'importance, et d'autant plus que Carrie Fisher est maintenant inextricablement liée à l'idée du personnage de la princesse Leïa.

Mais l'autre souci sans doute plus grave est que l'épisode VIII laisse à la fois les gentils dans une position extrêmement affaiblie et les méchants dans une position désorganisée. Le problème avec les gentils est qu'ils ont perdu quasiment toutes leurs forces : soit l'épisode IX commence avec une résistance largement reconstituée, auquel cas ça ressemblera à de la triche, soit il commence au point où l'épisode VIII a fini, auquel cas la suspension d'incrédulité sera encore plus difficile à invoquer s'ils doivent vaincre. Concernant les méchants, ils ont perdu leur supreme leader, et le nouveau n'a pas l'air d'être un bon organisateur, mais surtout, il ne fait vraiment pas peur, le personnage est très réussi en tant que second couteau vaguement ridicule qui voudrait ressembler à Papy Vador, mais en tant que grand méchant ultime, il n'est pas du tout crédible. Si l'épisode IX présente un combat entre une résistance diminuée et un Premier Ordre amputé, il risque de manquer sérieusement de souffle épique (cf. ce que je disais ici, à propos de Tolkien sur la déflation épique).

Et la manière dont ils ont choisi d'évacuer Snoke pose son propre problème : on ne nous a fourni aucune explication sur son apparition, ce qui est sans doute une bonne idée (ça permet de se concentrer sur les personnages vraiment importants), mais ça signifie du même coup que les scénaristes se sont ouverts une porte d'où peut apparaître à tout moment un deus ex machina surpuissant. Je comprends qu'on ne veuille pas s'intéresser à Snoke, mais il fallait trouver moyen de fermer cette porte pour garantir au spectateur qu'il n'apparaîtra pas un troisième empereur-like (ou, a contrario, un gentil surpuissant jusque là inconnu et qui sauverait tout le monde, parce que, après tout, si un méchant surpuissant peut apparaître de nulle part, un gentil surpuissant pourrait aussi). Ne serait-ce que parce que tant que cette porte ne sera pas fermée, aucune fin ne saurait être définitive.

Une solution partielle à ces problèmes serait de situer l'épisode IX nettement plus loin dans le temps que l'épisode VIII : ceci permettrait d'expliquer une renaissance de la résistance dont les graines ont été plantées dans l'épisode VIII, de justifier que Leïa soit morte ou bien jouée par une autre actrice (très âgée), de mettre en scène de nouveaux Jedi (ou peut-être un tout nouveau nom), et de transformer Kylo Ren pour qu'il soit plus puissant et plus impressionnant. En plus, cela laisserait à Disney la possibilité d'avoir des épisodes 8½, 8¼, 8¾, etc. (autant d'œufs en plus de la poule aux œufs d'or), tout en préservant une fin définitive. En contrepartie, il faudrait sans doute renouveler tout le casting, au risque de décevoir ceux qui se sont mis à aimer certains acteurs ou certaines actrices ; et il reste le problème de trouver comment une fin définitive est possible, donc de fermer la porte à l'existence de dei ex machina comme Snoke. Mais je suis assez convaincu que ma bonne idée ne sera pas suivie.

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