David Madore's WebLog: Aires piétonnes et zones de rencontre

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(lundi)

Aires piétonnes et zones de rencontre

Les règles routières françaises (je dis règles pour être un peu plus large que Code de la route) connaissent trois types de zones de circulation « apaisée » : l'aire piétonne, la zone de rencontre et la zone 30.

[Panneau B54 (aire piétonne)]L'aire piétonne (signalée par le panneau B54, reproduit ci-contre à gauche) est interdite aux véhicules à moteur, mais il peut y avoir des exceptions (riverains, transports en commun, taxis pour desserte locale, livraisons, etc.) ; elle peut être interdite même aux vélos, mais ce n'est normalement pas le cas. Les piétons sont prioritaires sur tous les véhicules (tramways exceptés), et tous les véhicules doivent circuler au pas, même les vélos. Les piétons ne sont évidemment pas tenus de circuler sur les trottoirs (qui, d'ailleurs, n'existent généralement pas).

[Panneau B52 (zone de rencontre)]La zone de rencontre (signalée par le panneau B52 ci-contre et généralement renforcée par un marquage semblable au panneau sur la chaussée) est une apparition plus récente (juillet 2008) : contrairement à l'aire piétonne, les véhicules ont le droit d'y pénétrer normalement ; mais les piétons sont tout de même prioritaires sur tous (tramways exceptés) et la vitesse est limitée à 20km/h, même pour les vélos. Comme dans l'aire piétonne, les piétons ne sont pas tenus de circuler sur les trottoirs, ils peuvent emprunter la chaussée, que ce soit pour la traverser (y compris hors des passages prévus à cet effet) ou pour y circuler. (En revanche, les piétons, comme les voitures, ne doivent pas stationner sur la chaussée, c'est-à-dire rester immobiles au milieu de la route, ce qui se comprend bien par la nécessité de ne pas bloquer la circulation.) Par ailleurs, il y a normalement des doubles-sens cyclables.

[Panneau B30 (zone 30)]La zone 30 est simplement une zone dans laquelle la vitesse est limitée à 30km/h (comme c'est une limitation par zone, elle s'applique jusqu'à un panneau de fin de zone plutôt que jusqu'à la prochaine intersection). Il y a normalement des doubles-sens cyclables.

Les détails sur ces différentes zones, ainsi que leurs intentions, sont précisés dans ce document de la Sécurité routière (Certu Zones de circulation apaisée fiche nº2, août 2009 ; pas mal fait, à part que les images sont pixellisées à une résolution ridiculement basse). On y apprend par exemple les principales raisons pouvant amener à définir une zone de rencontre : rues résidentielles de desserte locale à rendre plus conviviales, quartiers historiques à protéger sans les piétonniser complètement, espaces publics et lieux de correspondances où doivent cohabiter piétons et véhicules, interruption d'une zone piétonne pour laisser passer les véhicules, rues commerçantes où on cherche à concilier fréquentation piétonne et circulation possible, rues trop étroites pour disposer d'un trottoir, zones conflictuelles au sein d'une zone 30 où on souhaite donner la priorité aux piétons.

Je me plains souvent de toutes sortes de choses, mais là, globalement, je trouve que ces trois catégories sont plutôt bien pensées, et que la zone de rencontre est un compromis plutôt raisonnable sur le principe : laisser les voitures circuler, mais à vitesse très réduite, et surtout, en rendant aux piétons l'accès à l'ensemble de la chaussée. (Je dis rendre, parce que les voitures ont conquis cet espace au détriment des piétons : à ce sujet, cet article ou celui-ci, qui racontent l'histoire de la chose aux États-Unis et du concept de jaywalking, sont assez intéressants.)

Le concept de zone de rencontre est apparu, si je comprends bien, aux Pays-Bas comme zone résidentielle (actuellement signalée par ce panneau), puis véritablement en Suisse en 2002 (où les zones de rencontre sont figurées par ce panneau), et en Belgique l'année suivante. D'autres pays ont adopté le concept depuis (l'Autriche semble avoir des Begegnungszonen à 20km/h et d'autres à 30km/h ; voici un article sur des essais dans ce sens aux États-Unis).

Sinon, en France, à côté des aires piétonnes et zones de rencontre, il existe aussi un machin appelé les voies vertes (signalées par le panneau C115), datant aussi de 2008. Les voies vertes sont réservées aux piétons et véhicules non motorisés. La différence avec l'aire piétonne est un peu byzantine, mais un point de différence est que les cyclistes ne sont pas tenus de rouler au pas sur une voie verte, alors que dans une aire piétonne, en principe, si (enfin, si les cyclistes respectaient quoi que ce soit du Code de la route…) ; je pense qu'il y a aussi une différence dans la logique d'affectation en ce que la voie verte est une voie de circulation, tandis que l'aire piétonne est une zone, m'enfin, tout ça est un peu confus. Je ne sais pas si c'était vraiment indispensable d'inventer un nouveau truc pour ça.

Mon propre quartier (la Butte-aux-Cailles) est classé zone de rencontre en temps normal, et le dimanche dans la journée il est maintenant même transformé en aire piétonne (il y a des barrages). La logique est une combinaison de certaines raisons évoquées plus haut pour définir une zone de rencontre : c'est un quartier historiquement intéressant (et d'ailleurs touristiquement intéressant : il y a de plus en plus de gens qui y viennent pour photographier les œuvres de street art qu'on y trouve, il y a maintenant même des visites guidées des rues) formé de rues pavées avec un caractère de petit village à la fois résidentiel et commerçant, il y a beaucoup de flâneurs dans les rues, surtout aux heures d'ouverture des nombreux restaurants et bars, il y a aussi des enfants qui peuvent déboucher à n'importe quel endroit, et certaines rues sont trop étroites pour avoir un vrai trottoir. La classification en zone de rencontre est donc éminemment logique.

Sauf que vous vous devinez bien de ce qui se passe : comme le feu orange, tout ça n'est absolument pas respecté.

La limitation de vitesse à 20km/h est une vaste blague : déjà, si les gens consentent à descendre à 30km/h, c'est un peu miraculeux, mais 20km/h, on ne voit jamais. (Il y a beaucoup d'automobilistes qui traversent pour éviter des encombrements sur des axes voisins, généralement ils sont de mauvaise humeur, ça s'entend très bien à leur manière de rentrer dans le quartier en accélérant, tout contents de quitter la rue du Moulin des Prés embouteillée.)

Quant au fait que les piétons ont le droit de circuler sur la chaussée, vous imaginez bien ce qui se passe si quelqu'un commence à faire ça (ce qui n'est pas forcément pour emmerder les voitures : il y a des trottoirs qui n'en sont vraiment pas) : on se fait klaxonner dessus, crier de se pousser, par des gens sûrs d'être dans leur droit. (Les trottoirs c'est pas pour les chiens !) Les surveillants des écoles primaires ou maternelles du quartier, que je croise parfois accompagnant des groupes d'enfants allant d'un endroit à un autre, ne s'y trompent d'ailleurs pas : ils font marcher les écoliers bien sur le trottoir et traverser aux passages piétons — alors qu'en principe une zone de rencontre n'a besoin ni de l'un ni de l'autre.

Pour défendre un peu les automobilistes, il faut reconnaître deux choses :

D'abord, l'indication de zone de rencontre est facile à rater. Les panneaux à l'entrée ne sont pas très visibles, certains sont mal orientés (j'ai essayé de les remettre à la main, mais c'est trop difficile). Il n'y a aucun panneau de rappel. (Moi j'en mettrais à chaque intersection, mais je me demande s'il n'y a pas une règle de droit interne complètement stupide qui dit qu'on ne peut pas rappeler un panneau de zone : en tout cas, je n'ai jamais vu ça.) Le marquage au sol est rare, lui aussi peu visible, souvent effacé. Et la zone n'a pas vraiment les caractéristiques qu'on pourrait attendre d'une zone de rencontre, comme justement l'absence de trottoirs bien délimités et de passages piétons. À ce sujet, je tire de cet autre document de la Sécurité routière (Certu, fiche technique La zone de rencontre, novembre 2008) la remarque suivante : La signalisation ne suffit souvent pas pour la lisibilité et à la crédibilité d'une zone réglementée. C'est pourquoi il est prévu que des aménagements complètent la signalisation, cette notion est incluse dans la notion d'aménagement cohérent.

Ensuite, personne ne sait ce que c'est qu'une zone de rencontre. Ceux qui ont passé le permis il y a plus de 10 ans n'ont jamais été interrogés sur ces nouveautés, et la Sécurité routière n'a pas fait de publicité sur les médias quand les panneaux ont été introduits (je sais que nul n'est censé ignorer la loi, mézenfin, on a le droit de les aider…). Certes, le panneau est assez clair et bien pensé, on peut deviner ce qu'il veut dire, en tout cas il est évident que la vitesse est limitée à 20km/h, mais je pense que ça ne suffit pas.

Il y a aussi le fait que le terme zone de rencontre n'est pas terrible. Une aire piétonne, on comprend tout de suite. Une zone 30, ça se comprend aussi. Mais une zone de rencontre, kézako ? On pense que c'est un synonyme de point de rendez-vous ou quelque chose de ce genre. Peut-être que zone semi-piétonne ou zone piétonne mixte aurait été moins obscur.

J'ai commencé une fois à vouloir expliquer le concept à un livreur qui m'avait engueulé parce que je marchais sur la route (je voulais éviter des échafaudages d'où tombent régulièrement des choses pas très propres) : je lui ai parlé de zone de rencontre, il n'avait visiblement jamais entendu le terme, je lui ai dit que la vitesse était limitée à 20km/h, il m'a prétendu que je ne pouvais pas savoir s'il faisait plus (comme j'ai l'esprit de l'escalier, je n'ai pas pensé à lui expliquer que s'il avait fait toute la longueur de la rue dans le temps où moi, marchant normalement, j'en avais parcouru le quart, il ne pouvait certainement pas avoir circulé à moins que 20km/h), je lui ai dit que les piétons avaient priorité et pouvaient circuler partout, il m'a demandé comment il était censé passer, je lui aurais répondu qu'il pouvait demander gentiment ou bien patienter quelques mètres que je tourne et que par rapport à 20km/h de toute façon je ne le ralentissais pas tant que ça, mais globalement il était évident qu'il me prenait pour un affabulateur complet qui avait sorti de mon chapeau des règles inexistantes (ce qui est faux) ou du moins inappliquées (ce qui, malheureusement, est juste). Que faire ? Je n'allais pas passer la journée à le retenir par plaisir pervers de lui faire la leçon et au risque de me faire écraser, il est passé en me maudissant.

J'ai peur, aussi, que la piétonnisation du quartier le dimanche n'augmente encore la confusion : que les automobilistes se disent, puisqu'on n'est pas dimanche, aucune règle particulière ne s'applique — et pensent que les panneaux « zone de rencontre » concernent cette piétonnisation.

Bref, je trouve tout ça très bien en théorie, mais en pratique, je ne sais pas ce qu'on peut faire. Peut-être qu'une première étape serait d'informer les riverains, leur rappeler ce qu'est une zone de rencontre et quelles sont les règles (et signaler clairement la différence avec la piétonnisation du dimanche), à la fois pour ceux qui circulent en voiture, et aussi pour les piétons (si plus de gens ont conscience qu'ils peuvent marcher sur la chaussée et y sont prioritaires, cela changera certainement la dynamique).

(À une certaine époque au moins, un adjoint d'un maire d'arrondissement de Paris lisait ce blog. Je ne sais pas si c'est toujours le cas, mais je peux lancer des gros hint, hint à tout hasard.)

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