Mon poussinet et moi sommes allé cet après-midi au musée du Conservatoire national des Arts et Métiers (c'était d'ailleurs gratuit à l'occasion de la « fête de la science »). Je savais qu'ils ont un des trois ou quatre kilogrammes étalons originaux en platine fabriqués dans les années 1790 par Nicolas Fortin et dont j'ai parlé dans une entrée récente (les autres sont aux Archives et à l'Observatoire), ainsi que des mètres étalons de la même époque, donc j'ai voulu voir ça. Une photo en est déjà ici sur Wikimédia commons (j'en ai pris une moi-même, mais elle est moins bonne, en tout cas il n'y a aucun doute que c'est le même objet). La plaque explicative à laquelle se rapporte le numéro en vitrine (12) porte la mention suivante :
12 Kilogramme en platine dit « du Conservatoire », 1799
Fabriqué par Nicolas Fortin
Inv. 3297
Sauf qu'ensuite j'ai écouté un petit exposé grand public sur les poids et mesures (toujours pour la fête de la science), et le conférencier, en présentant cette vitrine, a avoué que le mètre et le kilogramme en platine qui y sont exposés sont, en fait, des copies (donc des copies de copies, puisque les pièces du Conservatoire sont déjà des copies par Fortin des étalons des Archives), parce que le platine coûte trop cher pour mettre derrière une vitrine qui ne soit pas blindée.
Je dois dire que je suis un peu agacé. Je comprends qu'on expose une copie, mais quand même : (1) la plaque explicative pourrait mentionner honnêtement ce fait, et (2) ils pourraient prendre une photographie de haute résolution de l'objet d'origine, et la mettre sur leur site Web et/ou sur Wikimédia commons, et (en version imprimée de bonne qualité) à côté de la vitrine où se trouve la copie. Ne faire ni l'un ni l'autre me paraît un chouïa malhonnête. Franchement, si le Louvre avouait que le tableau exposé à côté de la légende annonçant la Joconde de De Vinci est en fait une copie, ça ferait un scandale énorme.
Sans doute quelqu'un de moins profondément ignare que moi en métallurgie aurait immédiatement reconnu que l'objet exposé ne pouvait pas être en platine (je suis tenté de dire que la similarité de poli entre le mètre censément en platine et celle pas du tout en platine exposée juste à côté m'a étonnée), et d'ailleurs, que les traits concentriques de l'usinage sur la face supérieure ne sont peut-être pas non plus compatibles avec le travail du platine à la fin du 18e siècle. Mais voilà, je suis ignare, donc si je n'étais pas tombé par hasard pile le jour de la fête de la science où il y a quelqu'un pour dire que c'est une copie, j'aurais cru à un original.
Bon, cela devrait certainement amener à une discussion un peu brumeuse sur la valeur des originaux : si je suis assez ignare pour regarder un kilogramme en acier et penser qu'il est en platine, si on peut faire croire à des gens qu'une copie de la Joconde est l'original, finalement, où est le mal ? Cf. aussi ce que j'évoquais dans cette entrée passée au sujet du Vermeer de Göring, dont il était si fier, et de sa réaction quand il a appris que c'était en fait un faux.
Je ne sais pas, mais toujours est-il que je n'ai toujours pas vu un « vrai » kilogramme[#], ni en personne, ni dans une photo de bonne qualité. La personne du BIPM à qui j'avais écrit pour demander s'il existait des bonnes photos du prototype international du kilogramme m'a répondu que non, mais que l'image de synthèse qui est sur Wikimédia est bien plus jolie que l'original. C'est peut-être vrai, mais comme Göring, je me sens quand même floué.
J'aurai au moins vu la pile de Charlemagne. Celle-là, paraît-il, est l'original et pas une fausse. Paraît-il.
Ajout : voir une entrée ultérieure pour une petite enquête sur les photos du PIK.
[#] Bon, je ne sais pas ce que « vrai » veut dire dans cette phrase. Le prototype international du kilogramme et ses témoins sont certainement « vrais », et le kilogramme des Archives aussi, ainsi probablement que tous les prototypes nationaux. A contrario, un machin comme ça, que je pourrais me payer si j'étais assez fou pour le faire, ne compte pas pour « vrai ».