David Madore's WebLog: Une petite enquête sur de vraies et fausses images du kilogramme étalon

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(vendredi)

Une petite enquête sur de vraies et fausses images du kilogramme étalon

Je recopie un passage de ce que j'écrivais dans l'entrée précédente (dont je précise que celle-ci est indépendante et ne parle pas vraiment de physique) :

Comme je le disais récemment sur Twitter, j'ai une fascination pour le PIK [prototype international du kilogramme], cet artefact complètement unique, en métal précieux, qui a été fait près de là où j'habite et qui est stocké dans un coffre-fort à trois clés dans un parc où je me promène de temps en temps ; un artefact que seule une poignée de gens ont jamais vu, dont l'existence même est assez peu connue, et qui pourtant, à un certain niveau, sous-tend une part énorme de notre science et de notre technologie. Je suis aussi fasciné par le fait qu'il y a si peu de vraies photos du PIK, et notamment, à ce qu'il semble, aucune photo de près : je n'arrive décidément pas à comprendre que, en 2014, on ait pu le sortir de son coffre-fort sans avoir l'idée de documenter la procédure, du début à la fin, en filmant absolument tout et en photographiant de près chaque étape du nettoyage et des pesées.

Pour illustrer cette fascination, je voudrais commenter un peu les images que j'ai pu trouver du PIK, et notamment en signaler une qui ne montre pas le vrai PIK malgré de nombreuses légendes dans ce sens.

(Note : Les droits d'auteurs des images illustrant cette entrée appartiennent probablement en totalité ou en partie au BIPM. J'espère qu'ils n'auront pas le mauvais goût de me reprocher de republier des images qu'on trouve de toute façon en ligne, notamment dans leur propre dossier de presse, pour essayer d'en analyser l'origine…)

Je conviens que l'exercice a quelque chose d'assez futile d'essayer de retracer toutes les images possibles du PIK et de chercher à savoir lesquelles sont « vraies »…

Notamment parce qu'il n'y a rien qui ressemble plus à un cylindre de platine iridié de 39mm de haut et 39mm de diamètre et dont la masse est presque exactement 1kg qu'un autre cylindre de platine iridié de 39mm de haut et 39mm de diamètre et dont la masse est presque exactement 1kg (la façon dont on évite de confondre les copies est que leur numéro est écrit dessus par une légère variation du poli ; mais le PIK lui-même, à la façon de l'Anneau Unique de Tolkien, n'a justement aucun marquage visible).

Et aussi parce que, de toute façon, si on me montre un machin qui a vaguement la bonne forme, je ne sais pas reconnaître à vue d'œil si c'est plausiblement un kilogramme en platine iridié : comme je l'avais écrit naguère, le « Kilogramme du Conservatoire de 1799 » exposé aux Arts et Métiers est une vulgaire copie (en inox, j'imagine) parce qu'ils n'ont pas les moyens de se payer une vitre blindée pour stocker un objet ancien en platine extrêmement précieux — mais si on ne me l'avait pas dit, j'y aurais cru. (Et d'ailleurs Wikimédia commons a une photo du machin, qui ne précise pas que c'est une copie : s'il y a quelqu'un qui veut chercher à clarifier ça, je l'y encourage, moi je ne veux plus éditer Wikipédia tant que je n'ai pas trouvé le temps de régler certaines merdes causées par HTTPS, et de toute façon je ne sais pas fournir de référence fiable puisque c'est juste quelque chose que j'ai entendu le jour où j'ai visité le musée.) Finalement, cela a-t-il vraiment de l'importance ?

À propos du PIK, Richard Davis du BIPM (qui est l'un de la poignée de gens qui ont vu de près, et sans doute manipulé le PIK) m'avait écrit :

There were no photos taken of the IPK during the extraordinary calibrations. Sorry to disappoint. The CGI image of the IPK in the Wikipedia kg article is better than any photo that we have of the real thing.

L'image de synthèse dont il parle est celle-ci. Néanmoins, je cette image de synthèse ne permet pas de se rendre compte de l'exactitude de cette description de 1888 que je citais dans une entrée précédente :

Le kilogramme a des arêtes assez vives et un poli moins parfait que celui des prototypes nationaux. Sur le plan supérieur, il y a, à 2mm environ du bord, des stries à bords mal définis, formant des parties de courbes concentriques, et qui proviennent évidemment d'un défaut de poli. Sur la surface cylindrique, il y a des stries verticales près du bord supérieur, et une piqûre à 1cm environ du bord inférieur, juste au-dessous de la strie la plus accentuée. Le plan inférieur présente des parties polies ou rayées qui paraissent provenir d'un glissement du kilogramme sur son support et auxquels correspondaient des raies analogues sur la lame de platine de son support.

Mais je ne pense pas qu'il existe une seule photo qui permette de confirmer cette description.

Donc oui, c'est peut-être un peu futile d'essayer de démêler le vrai du faux, et Umberto Eco doit rigoler très fort dans sa tombe en rêvant d'un trafic de faux étalons du kilogramme.

Toujours est-il qu'on m'a signalé un documentaire de la BBC (datant d'environ 2013), que je n'ai pas encore vu (il faut que je mette la main dessus), mais le clip visible par le lien précédent montre l'ouverture de la salle où est stocké le PIK, ainsi qu'une vue d'assez près de ce dernier. (Je ne savais pas qu'on ouvrait régulièrement le coffre-fort juste pour vérifier son contenu.) La vue autour de 1′34″ du clip en question est sans doute une des meilleures images qu'on trouvera du PIK, et c'est une bonne chose que la BBC ait été là !, puisqu'on ne peut apparemment pas compter sur le BIPM pour en faire par eux-mêmes… Au moins, il n'y a pas de doute que cette image est vraie : la cérémonie d'ouverture du coffre-fort ressemble exactement à ce que j'imagine, entre les trois clés servant à accéder au caveau et jusqu'à la tête des gens curieux de voir « le grand K » ; je reconnais aussi Barry Inglis (à 0′58″ par exemple), qui était et est toujours président du CIPM et qui détient donc une des trois clés, et Michael Kühne (à 1′07″ par exemple), qui était directeur du BIPM jusqu'à 2012, qui en détenait une autre (la troisième clé est déposée aux Archives nationales de France, mais je ne sais pas qui ils envoient pour ce genre de cérémonie).

[Le coffre-fort contenant le prototype international du kilogramme et ses six copies officielles]

Je suis aussi sûr que la photo ci-contre (à droite), peut-être prise en 2001, est authentique. Elle montre le coffre-fort dans lequel le PIK est stocké depuis environ 1994 (et dont on aperçoit l'ouverture à 1′24″ dans le clip de la BBC, mais pas assez bien pour pouvoir en distinguer clairement le contenu), avec, sur la planche supérieure, les témoins 43, K1 et 8(41), et, sur la planche inférieure, 7, 47 et 32, tandis que le PIK trône sur la planche médiane. Outre le fait que la disposition est exactement conforme à celle qu'on aperçoit dans le clip de la BBC, cette photo est apparue à plusieurs reprises dans des publications sérieuses, notamment en noir et blanc dans l'article The SI unit of mass (2003) de Richard Davis que j'ai déjà cité plusieurs fois ; la version en couleur vient du site Web du BIPM. (Il est possible qu'ils en aient une meilleure, et il serait sans doute pertinent de les persuader de céder les droits pour que Wikimédia commons puisse l'utiliser.)

[L'ancien coffre-fort contenant le prototype international du kilogramme et celui du mètre]

Cette autre photo (à gauche) est également authentique. Je ne sais pas de quand elle date (probablement autour de 1950), ni s'il en existe une version en couleur, mais elle apparaît dans le même article de Davis et colle très bien avec une photo qu'on trouve dans le livre de Page & Vigoureux The International Bureau of Weights and Measures 1875–1975 (1975) que j'ai déjà cité plusieurs fois (la photo en question est page 30 ; les témoins sont placés différemment entre les deux photos, donc c'était certainement pendant une des rares périodes où on les calibrait tous). Il s'agit de l'ancien coffre-fort. La planche supérieure montre l'écrin dans lequel est stocké le prototype international du mètre (qui n'est plus prototype), et la planche inférieure montre le PIK entouré de ses six témoins (K1, 8(41) et 7 à gauche, et à droite, 32 partiellement caché par un hygromètre, 47 et 43).

Le même livre de Page & Vigoureux montre, toujours page 30 dans la version qu'on trouve ici [15Mo], une photo de près, malheureusement de qualité épouvantable dans le scan vers lequel je viens de faire un lien, qui prétend être celle des prototypes internationaux du kilogramme et du mètre. J'ai plusieurs raisons d'être sceptique quant à l'authenticité de cette photo, la moindre n'étant pas le fait qu'il me semble douteux qu'on aurait posé directement sur un plan de travail ces deux prototypes à seule fin d'en prendre la photo (il n'y aurait aucune autre raison de les rapprocher) : tous les documents que j'ai pu lire suggèrent au contraire qu'on prend un soin énorme en manipulant les étalons.

[Un fac-simile du prototype international du kilogramme]

Ensuite, il y a le cas assez bizarre de la photo ci-contre à droite. Celle-ci ne montre pas le PIK mais un fac-simile. Je le sais de deux sources : d'abord, elle apparaît (en noir et blanc) dans l'article de Davis avec la légende suivante : Facsimile of the international prototype under three glass bells. The facsimile is made of Pt/Ir. Ensuite, une image quasiment identique apparaît en couverture du livre From Artefacts to Atoms de Terry J. Quinn (2012), et la jaquette arrière dit : Jacket image: A contemporary replica of the 1889 original International Prototype of the Kilogram under its three glass cloches. Photo credit: TJQ. Je prends la peine de donner ces sources précises parce que cette photo se retrouve régulièrement étiquetée à tort comme illustrant le PIK.

Je ne sais pas où se trouve le fac-simile en question, ni qui l'a créé ni pour quelle raison : est-ce un autre étalon du kilogramme servant en métrologie ou est-ce une pièce de musée servant à montrer à quoi le PIK ressemble ? La première hypothèse est bizarre parce que les autres étalons portent tous une étiquette donnant leur numéro, et parce que le PIK est apparemment le seul à être stocké sous trois cloches. Mais la seconde hypothèse est également bizarre, parce que Davis affirme que le fac-simile est en platine iridié et j'imagine mal quel excentrique ou quel musée aurait été assez fou pour créer un fac-simile en platine iridié juste pour montrer à quoi le PIK ressemble. (Par ailleurs, il manque la pancarte avec le K gothique qui orne le vrai PIK. Même la forme des cloches ne me semble pas identique. Et j'ai l'impression que le dispositif qui maintient fixes les bases des cloches n'est pas le même entre le fac-simile et les vrais étalons.) Bref, je n'en sais rien.

Mais ce qui est sûr, c'est que cette image (qu'on m'a régulièrement signalée quand je me plaignais du peu de bonnes photos du PIK) apparaît à toutes sortes d'endroits avec des légendes soit trompeuses soit fausses. Par exemple cet article du journal du CNRS porte l'image en question avec la légende Le « grand K » étalon matériel du kilogramme, conservé sous trois cloches de verre à Sèvres (Hauts-de-Seine), sera bientôt remplacé par une constante de la physique, immatérielle — alors, outre que le BIPM est sur la commune de Saint-Cloud même si son adresse postale est à Sèvres, cette image, donc, n'est pas une photo du PIK. Mais c'est encore plus gênant que l'image se trouve (sans mention explicative) sur le site du BIPM et, pire encore, dans un dossier de presse qu'ils distribuent à l'occasion de la révision du SI avec la légende International Prototype of the Kilogramme. Non mais quoi, le truc est dans leur sous-sol et ils distribuent par erreur une photo d'un fac-simile !

Forcément, ça va être difficile de traquer cette erreur en ligne, tous les journalistes qui en parleront vont la reprendre parce que c'est la plus belle photo. (Peut-être que je devrais écrire au BIPM, mais je ne sais pas bien qui contacter. Je voulais aussi leur écrire pour chercher à démêler le mystère de la disparition de K2.)

Par ailleurs, c'est un signe de la rareté des vraies photos du PIK que l'ancien directeur du BIPM (Terry J. Quinn), quand il a voulu écrire un livre sur le sujet, n'ait pas trouvé mieux à mettre sur la couverture qu'une photo d'un fac-simile ! (Mais au moins il le dit honnêtement, fût-ce en petits caractères sur la jaquette arrière.)

[Le international du kilogramme replacé dans son coffre-fort]

Néanmoins, le dossier de presse du BIPM comprend au moins l'image ci-contre (à gauche), que je ne connaissais pas, apparemment prise en 2003 (ce qui m'étonne, parce que je pensais que le PIK n'avait pas été manipulé entre 1992 et 2014), et qui montre le PIK en train d'être re-rangé dans son coffre-fort. Je ne sais pas qui est sur la photo, ni dans quelles conditions elle a été prise. Le nom (2003_1215kilogram0028) suggère qu'il pourrait y en avoir d'autres dans la série, mais on ne nous les montre pas.

[Probablement le prototype international du kilogramme]

Enfin, je suis tombé, en fouillant dans mes archives, sur l'image ci-contre (à droite), dont je ne connais ni la date ni la provenance exacte, mais qui me semble authentique. C'est un peu agaçant.

Bref, en cherchant kilogramme étalon dans Google images, on retrouve tout un tas de photos, plus ou moins correctement étiquetées, dont certaines de celles que je viens de lister. Celles qui montrent d'autres étalons que le PIK (qu'il s'agisse de kilogrammes plus anciens, comme celui des Archives ou du Conservatoire, ou des fac-simile d'iceux) ou bien des copies du PIK, sont encore plus mal étiquetées, et il est essentiellement impossible de retrouver ce qui est quoi exactement.

Parmi les quelques informations et photos qui semblent fiables, je trouve au moins ce petit article de blog, avec photo, d'un conservateur à la Monnaie de Paris, qui parle de l'étalon nº17, appartenant depuis 1889 — et apparemment toujours — à la Monnaie mais qui réside physiquement au LNE (lequel ne savait apparemment plus à qui ce kilogramme devait revenir… personnellement j'avais cru voir passer l'information qu'il était arrivé aux Mines de Douai, mais j'ai peut-être rêvé).

Si vous trouvez des photos indiscutablement authentiques et bien documentées soit du PIK soit de certaines de ses copies numérotées ou des kilogrammes historiques, n'hésitez pas à me les signaler en commentaire, je les recopierai les liens ici.

Ajout () : On me signale ce PDF (La réforme du système d'unités par Christian J. Bordé), qui contient deux photos supplémentaires du PIK (même si elles n'ont pas vraiment de légende et sont assez semblables à celles que j'ai déjà reproduites ci-dessus, mais d'une meilleure qualité).

Ajout () : On me signale aussi ce jeu d'images (le lien vient d'ici) où se trouvent quatre photos (étiquetées IPK-2015-n) du PIK très semblables à la dernière ci-dessus (et confirmant donc sa probable authenticité) que je n'avais pas vues.

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