Les symptômes de la paranoïa de notre
société autour de la pédophilie sont réguliers, je ne prends pas
la peine de les relever ou de les commenter parce que chacun ne mérite
pas grande remarque, c'est surtout leur accumulation qui est
terrifiante. Mais j'ai vu passer deux nouvelles à deux jours
d'intervalle : la première,
que la Pologne
a passé une loi[#] ouvrant
d'une part la possibilité d'obliger des personnes condamnées pour
certains faits, genre, viol de mineurs, à se soumettre à des
traitements hormonaux (castration chimique
), et aussi
interdisant de faire la justification
de la pédophilie. La
seconde,
que Roman
Polanski a été arrêté en Suisse et risque d'être extradé vers les
États-Unis pour une affaire remontant à trente ans (et dont la victime
elle-même demande, d'ailleurs, que les poursuites soient abandonnées)
dans laquelle il est
soupçonné[#2] d'avoir eu des
relations sexuelles avec une mineure ; le gratin du cinéma, la France
et — de façon intéressante — la Pologne, dont il a la
double nationalité, s'indignent et demandent sa remise en liberté. La
première nouvelle, elle, n'attire guère de commentaires.
Cette juxtaposition me fait l'effet d'une anecdote que Victor Hugo
rapporte dans un célèbre plaidoyer contre le peine de mort,
la préface
de 1832 au Dernier Jour d'un condamné
((cherchez hypocrite
dans le texte)) : quatre anciens ministres
risquaient en 1830 d'être condamnés à mort, et tout le monde politique
est en émoi, on tente de supprimer la peine de mort dont l'injustice
devenait soudainement frappante (Encore s'il y avait une guillotine
en acajou !
— ironise Hugo) ; on sauve la vie des quatre
hommes, et la question de la peine de mort est promptement enterrée.
Roman Polanski risque d'être mis en prison : on s'en émeut parce qu'il
est célèbre et respecté, et aussi parce que les circonstances de son
cas particulier (trente ans ont passé, le procès était injuste, la
victime elle-même demande qu'on cesse de remuer cette affaire)
attirent la sympathie sur lui.
Mais quand les objets de la paranoïa sont des Polonais, condamnés
pour viol, qui n'ont pour eux ni la célébrité ni des circonstances
particulières qui pourraient les rendre sympathiques, qui aurait à
s'émouvoir ? Il y a eu récemment un fait divers qui a choqué le pays,
alors, comme d'habitude, on légifère sur l'anecdotique, et la Pologne
rejoint le club heureusement encore très fermé des pays européens où
on joue à rééduquer de force les déviants avec la petite pilule
magique de medroxyprogestérone. Je n'ai comme documentation que ce
que rapportent des journalistes étrangers (la BBC, que
j'ai
citée, le Times
et le Telegraph
qui en disent un peu plus,
et LCI
ici), dont on connaît le manque de fiabilité, mais pour autant que
je comprenne, cette loi enjambe fièrement la barrière mal défendue
entre la prudence et la barbarie (là où même la Belgique post-Dutroux
avait su, je crois, rester relativement mesurée) en permettant à un
juge d'ordonner un traitement médical sur avis
de médecins
(soit le juge se fait médecin, soit le médecin se fait bourreau, ce
n'est pas clair, mais il y a un mélange des rôles plus qu'un peu
malsain), alors qu'ailleurs le traitement n'est que proposé aux
condamnés qui le souhaitent (ce qui est acceptable s'ils sont vraiment
conseillés par des médecins et qu'il n'y a pas de pression indue
— comme des réductions de peine — pour obtenir leur
consentement). Je dirais volontiers que je trouve l'autre partie de
cette loi polonaise (la pénalisation de la justification
de la
pédophilie) encore plus puante, et surtout encore plus inutile (la
castration chimique imposée à quelqu'un, c'est inhumain, mais au moins
on peut vaguement espérer que ça marche, alors que l'idée que
quelqu'un serait poussé à violer des enfants parce qu'il aurait lu
quelque chose allant dans ce sens, c'est juste saugrenu) ;
malheureusement, nous avons déjà des lois aussi débiles en France, sur
d'autres sujets[#3].
Mais, vous comprenez, il y a toujours la petite phrase qui justifie
tout : c'est pour les enfants
. Alors puisque des législateurs
sautent sur un fait divers complètement hors de propos et monté en
épingle pour passer des lois démagogiques, moi aussi je peux jouer à
monter l'anecdotique en argument complètement hors sujet : ça vous
semble vraiment
indispensable[#4], de castrer
Polanski ? Avec ça, le débat a la garantie de ne pas dépasser le
niveau des pâquerettes.
[#] D'accord, l'article signale que c'est seulement la chambre basse qui a voté le texte, donc ce n'est peut-être pas encore une loi. Mais j'imagine qu'il n'y a aucun doute que ça en deviendra une.
[#2] En fait, il a été condamné, mais peut-être de façon irrégulière, et en tout cas dans le cadre d'un plea bargain, ou plaidé-coupable, c'est-à-dire un de ces odieux simulacres de justice où on convainc quelqu'un de renoncer à son droit à un procès équitable en lui promettant une peine plus légère. Faute de procès équitable, justement, on ne peut pas savoir s'il est coupable, et il me semble qu'on doit lui accorder la présomption d'innocence (même si ce n'est pas ce que considère le système judiciaire américain).
[#3] Suivez mon regard : les négationnistes doivent être traités avec le mépris qu'ils méritent, pas être condamnés en justice. Pourquoi ne pas avoir une loi interdisant d'affirmer que 2+2=5, tant qu'on y est ? Le jour où on se décidera à condamner fermement la connerie, il y aura beaucoup plus de gens dans les prisons !
[#4] Certains vont dire que j'en rajoute un peu trop dans l'imbécillité feinte, là, vu que Polanski est accusé de détournement de mineur et pas de viol. Certes : il l'a échappé belle.