David Madore's WebLog: Encore un point de physique sur les plaques à induction

[Index of all entries / Index de toutes les entréesLatest entries / Dernières entréesXML (RSS 1.0) • Recent comments / Commentaires récents]

↓Entry #1678 [older| permalink|newer] / ↓Entrée #1678 [précédente| permalien|suivante] ↓

(samedi)

Encore un point de physique sur les plaques à induction

J'évoquais en passant dans une entrée précédente le fait que les plaques à induction ne créent pas d'ondes électromagnétiques mesurables parce que leur taille est beaucoup trop petite par rapport à la longueur d'une onde à 50Hz (soit 6000km), si bien que le champ électrique créé par le champ magnétique oscillant est très faible (par rapport à ce que serait le champ électrique d'une onde ayant même champ magnétique), et le champ magnétique induit par ce champ électrique est complètement insignifiant.

En fait, si ce raisonnement est assurément correct et que la conclusion l'est aussi, j'étais tout de même ignorant d'une chose importante pour les ordres de grandeur, c'est que la fréquence du courant utilisée est augmentée par rapport au courant du secteur : le champ magnétique d'une plaque à induction oscille à quelque chose comme 30kHz, pas les 50Hz du secteur (mais on est quand même loin des 2.5GHz d'un micro-ondes — la longueur d'onde pour 30kHz est quand même dans les 10km, donc la plaque est toujours trop petite pour en créer une).

Du coup, je me suis mis en demeure de trouver des ordres de grandeur raisonnables de toutes les grandeurs électromagnétiques qui interviennent dans le chauffage d'une casserole par induction, pour m'assurer qu'ils sont à peu près cohérents entre eux. Ce n'est pas évident de trouver des chiffres sur le Web, donc j'ai essayé de voir comment je pouvais mener des calculs sensés avec essentiellement aucune donnée. Voici ce que j'ai fini par rassembler comme estimations que j'espère raisonnables :

Côté casserole, si on a une casserole dont le fond pèse quelque chose comme 100g (imaginez quelque chose comme 15cm de diamètre et 0.7mm d'épaisseur, la masse volumique de l'acier étant de 8Mg/m³) et qu'on veut lui faire dissiper 700W (disons) par les courants induits, il faut une densité de puissance émise d'environ 60MW/m³, et comme cette densité de puissance vaut σE² dans un conducteur ohmique, avec une conductivité de σ=1.4MS/m pour l'acier, on cherche à produire un champ électrique E de l'ordre de 6V/m (en moyenne quadratique sur le temps et l'espace) ; et la densité de courant induite sera de l'ordre de 10MA/m².

Côté plaque (c'est-à-dire côté primaire si on voit la table à induction comme un transformateur[#]), il semble notamment que pour une puissance active dissipée (dans la casserole) d'environ 700W il y ait autour de 4 fois plus (donc dans les 3kVA) de puissance réactive absorbée dans la bobine d'induction. Ceci nous donne une idée des courants qui circulent (pour une plaque sur du 230V) : autour de I=12A (dont 3A actifs, le courant étant largement déwatté), et une impédance ressentie par la source de l'ordre de Z=20Ω (dont une partie résistive de 4Ω). Si la fréquence oscillante est de 30kHz, on peut en déduire que l'inductance qui produit le champ magnétique est de l'ordre de L=Z/ω=100µH. (Je vois que quelqu'un en vend sur le web avec une inductance cinq fois plus grande que ça — d'un autre côté, il la prévoit pour une fréquence trois fois plus petite, donc on va dire que mes ordres de grandeur ne sont pas absurdes.)

Une simple boucle de 15cm de diamètre de fil épais a une inductance de l'ordre de 100nH, donc l'inductance source doit avoir une trentaine de spires (l'inductance est quadratique dans le nombre de spires…) — ça colle avec cette photo. Ce qui signifie que le flux magnétique oscillant Φ=L·I/n qu'elle cause est de l'ordre de 40µWb, ce qui correspondrait à un champ magnétique B moyen typique de 2mT réparti sur 200cm². La force électromotrice induite par un flux de 40µWb oscillant à 30kHz est de l'ordre de 8V, donc sur une longueur de 50cm (le tour de la plaque) je trouve un champ électrique moyen de 15V/m. Comme le champ est plutôt plus important à la périphérie, c'est très cohérent avec les 6V/m moyens annoncés plus haut : je suis même surpris que mes ordres de grandeur (tous à prendre à un facteur 5 voire 10 près) tombent aussi bien, en fait.

Ce qui m'intéressait surtout était l'ordre de grandeur des champs électrique et magnétique intervenant : autour de 10V/m pour E et autour de 2mT pour B. (Pour comparaison, dans un micro-ondes à 2.5GHz, on doit avoir quelque chose comme 5000V/m pour E et 15µT pour B — le rapport entre les deux est fixé parce qu'il s'agit d'ondes.)

Il y a un autre point qui mérite d'être expliqué, comme je m'en suis rendu compte plus tard : comment se fait-il que le champ électrique induit par une plaque à induction, dont je viens d'expliquer qu'il est de l'ordre de 10V/m, suffise à dissiper d'énormes quantités de chaleur dans les métaux (ben tiens, c'est pour ça qu'on s'en sert !) alors que le champ électrique causé par un fil haute tension, qui est de l'ordre de 20kV/m (soit 2000 fois plus), lui, ne fait pas fondre instantanément tout métal ? Si j'en crois la loi d'Ohm, un métal dans un champ E=20kV/m devrait dissiper σE²=600TW/m³, soit la puissance d'une centrale nucléaire dans 10g de métal ou quelque chose comme ça : évidemment, ça ne se produit pas, tout simplement parce que le champ électrique est chassé des métaux, justement par cette conductivité — tenter de créer un champ électrique dans le métal produit un courant dedans qui accumule des charges aux bords du métal qui viennent pile-poil annuler le champ électrique. Alors pourquoi ce même phénomène n'empêche-t-il pas les plaques à induction de fonctionner ? Parce que la topologie du champ électrique n'est pas du tout la même : dans le cas d'une ligne haute tension, même si le champ oscille, c'est un champ électrostatique (l'espace entre le câble et le sol se comporte comme un condensateur), il provient d'un potentiel (c'est d'ailleurs comme ça que je l'ai calculé, en divisant 400kV de différence de potentiel par 20m de distance) et il est toujours dirigé vers les potentiels décroissants, mathématiquement il est irrotationnel — alors que dans le cas d'une table à induction, le champ électrique ne provient pas d'un potentiel (ou alors pas le même), il fait des boucles, et du courant peut circuler selon ces boucles, tournant éternellement en suivant le sens du champ électrique, sans jamais pouvoir accumuler des charges pour le compenser. Voilà pourquoi 20kV/m de champ électrostatique (donc irrotationnel) n'ont essentiellement aucune effet sauf allumer un malheureux Balisor® par-ci par-là, alors que 10V/m de champ électrique induit font bouillir l'eau dans la casserole.

[#] Pour fixer les idées : si un générateur alternatif de tension U alimente le primaire d'un transformateur dont le secondaire est relié à une résistance R, si on appelle L1, L2 et M respectivement la self-inductance du primaire, la self-inductance du secondaire et l'inductance mutuelle du primaire et du secondaire, dans le cas où le transformateur est parfait, M²=L1·L2, le secondaire voit une tension de (M/L2)U = (L1/M)U aux bornes de la résistance (et donc un courant de (M/L2)U/R), et le secondaire voit un courant calculé comme si le transformateur alimentait une résistance (L1/L2)R en parallèle avec l'inductance L1 : i.e., la puissance active est bien dissipée dans la résistance et la puissance réactive consommée ne dépend pas du secondaire. Pour les chiffres que je choisis pour la table à induction, dans le primaire on a U=230V et I=3A+j·12A, le transformateur vérifie L1=100µH, L2=100nH et M=3µH, et donc dans le secondaire on obtient une tension de 8V et une intensité de 100A à travers une résistance effective de la casserole de R=75mΩ. Les chiffres dans le secondaire ne veulent pas dire grand-chose en fait (je suis quand même surpris que le courant effectif ne soit pas plus important que ça : 10MA/m² dans un fond de casserole aux dimensions que j'ai données, ça devrait faire plus que ça). Toutefois, le fait d'utiliser ce circuit permet de se convaincre qu'on n'est pas en train d'oublier, par exemple, de tenir compte de l'induction créée par les courants dans la casserole (ils sont pris en compte, justement, par L2).

↑Entry #1678 [older| permalink|newer] / ↑Entrée #1678 [précédente| permalien|suivante] ↑

[Index of all entries / Index de toutes les entréesLatest entries / Dernières entréesXML (RSS 1.0) • Recent comments / Commentaires récents]