(Je reproduis ici le contenu d'une remarque que j'ai fait dans un de ces salons où l'on cause virtuellement.)
Le code de pays de la Suisse, que ce soit
dans ISO 3166 ou dans les codes internationaux des
plaques minéralogiques, est CH
pour Confœderatio Helvetica, la version
latine du nom officiel du pays (la Confédération suisse). Pourtant,
si le pays a beau s'autoproclamer confédération
, dans les
faits, c'est très nettement une fédération.
La différence entre une fédération et une confédération
(une terminologie, malheureusement traditionnelle, qui ravit
le Club Texte) n'est évidemment pas
complètement tranchée, mais elle existe tout de même : si ce n'est pas
dans l'étymologie (visiblement la même) qu'il faut la chercher, c'est
dans l'usage. Disons qu'une confédération crée des liens beaucoup
moins forts entre les entités confédérées, qui restent plus ou moins
souveraines (elles créent la confédération par des traités entre
entités souveraines et restent libres de la quitter) : typiquement,
les institutions de la confédération, qui ont des pouvoirs très
limités, ne représentent que les entités confédérées et pas la
population de celles-ci. Les États-Unis, par exemple, ont été une
confédération de 1781 à 1788, et sont devenus une fédération (un état
fédéral) avec la nouvelle Constitution établie par la Convention de
Philadelphie. Il est amusant de constater que pendant la guerre de
Sécession, les états sécessionnistes ont pris le nom d'états
confédérés
, comme pour revendiquer leur souveraineté, alors qu'en
fait la constitution qu'ils ont établie en 1861 était une copie
presque mot pour mot de la constitution fédérale de l'Union. Quant à
l'Union européenne actuelle, ce n'est pas vraiment une confédération,
ni encore moins une fédération, mais plutôt une
entité sui generis qui a certaines
caractéristiques de l'une ou de l'autre.
Pour résumer en quelques phrases l'histoire de la Suisse, elle a
été fondée comme confédération, d'abord au sein du
Saint-Empire (par un pacte conclu entre les cantons d'Uri, Schwyz et
Unterwald, plus ou moins symboliquement daté de 1291), puis
indépendante de fait à la suite des batailles de 1386–1388
contre les Habsbourgs et de la guerre de Souabe de 1499, consacrée à
la neutralité après sa défaite à Marignan en 1515, et enfin reconnue
internationalement comme état indépendant par les traités de
Westphalie de 1648. La France a tenté d'y imposer une république
unitaire en 1798, la malheureuse République helvétique
(dont la
Constitution proche de celle française du Directoire a cependant
laissé des traces dans les institutions modernes du pays, par exemple
l'exécutif multicéphale). Mais l'insuccès de ce régime a été tel que
Bonaparte a redonné à la Suisse une structure entre fédération et
confédération par
l'Acte
de Médiation de 1803, qui reconnaît la Suisse constituée
fédérale par la nature
et stipule dans l'article premier de l'acte
fédéral (placé astucieusement après les constitutions des
cantons) : Les dix-neuf cantons de la Suisse […] sont
confédérés entre eux conformément aux principes établis dans leurs
constitutions respectives.
La défaite de Napoléon et le congrès
de Vienne (qui réaffirmait la neutralité du pays) ont fait que la
Suisse a été restaurée dans sa structure d'avant 1798, mais suite à
une guerre civile (des Radicaux contre les Catholiques) en 1847, la
constitution moderne de 1848, résolument fédérale, a été mise
en place.
La Suisse était donc une confédération de 1291 à 1798, mais depuis 1848, malgré le nom qu'elle proclame, elle est bien un état fédéral.
Pour en revenir aux mots, en allemand on distingue
le Bundesstaat (état fédéral) et
le Staatenbund (union/confédération d'états),
mais la Suisse est dite plus
spécifiquement Eidgenossenschaft[#],
c'est-à-dire une union créée par un serment
(Eid), le serment en question étant
le serment du
Rütli, version légendaire et romancée (notamment par Schiller à
travers son Guillaume Tell) du pacte de 1291. On traduit
normalement Eidgenossenschaft
par confédération
, mais le mot latin qui désigne une union
créée par un serment, et qui est effectivement utilisé dans le pacte
fédéral de 1291 (dont l'original est évidemment en
latin, Eidgenossenschaft étant la traduction
allemande) est conjuratio
(de jus, ce qui lie, donc le droit mais aussi le
serment) ou conspiratio. Donc le terme
de confœderatio n'est pas vraiment
historiquement le bon : on devrait en principe parler
de Conspiration helvétique
ou de Conjuration helvétique
.
Mais je crois que ça ne ferait pas trop plaisir à nos amis les
Suisses.
Tiens, si on me pardonne un petit non sequitur, il m'a semblé, pendant que j'étais parti skier en Haute-Maurienne, entendre un certain nombre de gens parler dans ce qui pouvait bien être du Schwyzertütsch (en tout cas, c'était un dialecte allemand — et clairement pas, par exemple, du néerlandais — mais auquel je ne comprenais quand même pas grand-chose). Mais ce qui m'échappe, c'est pourquoi des Suisses alémaniques viendraient aux sports d'hiver dans les Alpes françaises (et du côté de la frontère italienne, qui plus est).
[#] On me signale
d'ailleurs que j'aurais pu signaler que le
mot Eidgenossen
a (probablement) donné en
français huguenots
.