David Madore's WebLog: Fragment littéraire gratuit #81 (révélations)

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(mardi)

Fragment littéraire gratuit #81 (révélations)

Voici le genre de passages que j'aimais par-dessus tout écrire, il y a dix ou quinze ans — j'aurais très bien pu faire un roman juste pour y mettre cette page ! Bon, j'exagère un peu. Mon intérêt a décru, mais je continue à trouver que ça a son charme. (Quant à l'idée elle-même, elle s'inspire vaguement d'une ou deux idées que j'avais rassemblées pour un jeu de rôles que j'avais envisagé de « masteriser », mais qui ne s'était finalement jamais fait.)

Il n'y avait là personne. La pièce dans un coin de laquelle débouchait le corridor dérobé était la plus vaste et la plus luxueuse qu'Arian ait encore vu dans le palais de Lý. À gauche, une balustrade découvrait la même vue dégagée qu'il avait admirée depuis les toits ; et il devait être immédiatement en-dessous de la terrasse puisque, à droite, la pièce se finissait par l'espèce d'atrium au sol de marbre vert, entourant un carré d'herbe, dont il avait, la veille, remarqué l'ouverture. Une lourde table de chêne flanquée de deux rangées de fauteuils richement travaillés laissait comprendre qu'il devait s'agir d'une salle de réunion. Et à l'extrémité de la table, un pupitre.

Sur lequel se trouvait un livre.

Arian avait compris qu'il devait s'attendre à tout dans cet endroit féerique, mais il n'avait pas cru que le but de sa quête pût être ainsi à portée de main. Il s'approcha du pupitre comme s'il craignait un piège et, constatant qu'il s'agissait bien du Codex, s'inclina respectueusement et en effleura la surface avec dévotion.

— Un livre qui aura causé bien des soucis, n'est-ce pas ? Ne prenez pas peur, Arian, c'est moi qui vous ai envoyé la lettre qui vous a mené ici.

L'homme qui venait de parler ainsi émergea de l'ombre qui le cachait dans le coin de la pièce opposé à celui par lequel Arian était entré, et révéla donc son visage : celui d'un vieillard d'environ quatre-vingts ans, barbu et chauve, mais dont les traits n'étaient en rien usés par le temps, pas plus que le corps toujours robuste. Il était vêtu d'une robe amarante qui ne portait aucun signe.

— Qui êtes-vous ? Savez-vous qui a volé le Livre de Vie ?

— Qui suis-je ? Je ne saurais vous dire à quel point je suis heureux d'entendre cette question, jeune homme. Mais je crois que vous pouvez me reconnaître, car mon visage, vous l'avez déjà vu, surtout vous qui venez de Val : il est reproduit en cent mille exemplaires, il figure sur les pièces de monnaie que votre roi presse, il trône en majesté au centre de chacun de vos temples, et même si c'est tel que j'étais il y a soixante ans, je pense que vous savez…

Saisissant entre ses bras, pour le relever, Arian qui maintenant baisait le sol à ses pieds, il conclut :

— …que je suis celui qui a écrit ce livre.

Portant le garçon, plus qu'il le guidait, jusqu'à un siège, et s'asseyant lui-même en face, celui qui avait été le Dieu de Vie laissa passer un long moment de silence puis, voyant que l'autre ne retrouverait pas si rapidement l'usage de la parole, s'adressa de nouveau à lui :

— Je suis désolé du choc que vous cause manifestement ma vue. J'aurais voulu le prévenir mais ce n'était pas possible. Voilà plus d'un demi-siècle que je suis prisonnier entre ces murs, hôte du seigneur Lý, mon ami d'enfance, le seul en qui je puisse avoir confiance. Vous connaissez évidemment les circonstances dans lesquelles on a cru à ma mort : et vous comprenez maintenant que, lorsque j'ai voulu rectifier l'erreur qu'on avait faite à ce sujet, je n'ai qu'empiré la situation car on m'a vu ressuscité. Vous n'êtes pas au bout de vos surprises, j'en ai peur : êtes-vous prêt à entendre la suite ?

Blême, Arian fit un faible signe de tête affirmatif, et le vieil homme reprit :

— Ce livre, c'est moi qui l'ai écrit, mais c'est aussi moi qui l'ai volé. J'avoue que je suis assez fier de moi : et à quatre-vingt-deux ans, pénétrer dans le Grand Temple de Val pour y dérober l'objet le plus sacré, je crois que ça le mérite. Les hommes de Lý m'ont aidé jusqu'à un point, surtout pour m'éviter d'être reconnu, mais j'ai tenu à faire l'essentiel seul, afin de ne pas leur faire courir le risque des tortures raffinées que le Grand-Prêtre aurait réservées au voleur.

De nouveau, il attendit un moment avant de continuer. Puis, d'un ton grave :

— L'écrire était la plus grave erreur de ma vie et sans doute la plus grave erreur de toute l'Histoire. Je n'ose songer au nombre de morts qu'elle a causées. Mais je crois qu'il n'est jamais trop tard pour réparer ses erreurs, et je prétends maintenant le faire pour celle-ci. Et je compte sur vous pour m'y aider.

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