David Madore's WebLog: Fragment littéraire gratuit #20 (ces héros d'airain)

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(mardi)

Fragment littéraire gratuit #20 (ces héros d'airain)

Oh, je comprends très bien ! J'ai su aussi ce que signifiait adorer, tu sais : j'ai eu moi-même mes héros, dont j'ai cru chaque action dictée par la morale la plus irréprochable, chaque résolution soutenue par le courage le plus inébranlable, et chaque parole déterminée par la sagesse la plus réfléchie. Je leur ai consacré l'autel de ma raison et dédié le sacrifice de mon cœur, et j'ai voulu imiter leur exemple en toute chose. Je me suis haï et méprisé car je n'arrivais qu'à être moi alors que je voulais être comme eux. J'en ai tiré une grande amertume, mais aussi une immense arrogance, car je portais en avant tout ce qui, en moi, me paraissait leur ressembler et car je méprisais tout ce qui n'allait pas dans le sens de la voie que je les voyais me montrer.

D'un ton méditatif, et comme pour lui-même, il ajouta :

Je me demande ce que penseraient certaines de mes idoles de jadis si elles savaient maintenant la vénération dans laquelle je les eus tenues. J'imagine que certains ne l'ont jamais soupçonné ; je pense d'ailleurs que dans un ou deux cas le rapport était réciproque — et réciproquement ignoré.

Puis, s'adressant de nouveau au garçon :

Enfin, un jour j'ai eu une révélation. J'ai vu un de mes monstres sacrés commettre un acte de faiblesse (peu importe ce dont il s'agit et je me le rappelle à peine moi-même) : un acte de faiblesse, peut-être pas de méchanceté, mais un acte humain. Et j'ai compris, ce jour-là, que ces dieux que j'adorais étaient des hommes, et que, comme tous les hommes, ils avaient leurs défauts et leurs imperfections : que, comme tous les hommes, ils connaissaient des moments d'égarement, des accès de colère, et des erreurs de jugement. Mais j'ai été heureux, car j'ai su, alors, que j'étais de la même farine qu'eux, donc que je pouvais être un des leurs ; j'ai su qu'ils se contredisaient parfois (eux-mêmes ou entre eux) et que si je n'étais pas de leur avis je pouvais cependant parfois avoir raison ; et surtout, j'ai su que je pouvais les admirer, désormais, comme des hommes et non comme des dieux.

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